« Je ne rêve pas du Standard »
Le coach de Charleroi affronte ce dimanche le club où il a passé 13 années.
Charleroi-Standard avait ouvert le championnat 2001-2002: c’était la rencontre de deux des entraîneurs les plus médiatiques du moment: Enzo Scifo et Michel Preud’homme. Un an plus tard, ces clubs se retrouvent à nouveau très tôt dans la saison, mais avec d’autres patrons sportifs sur les bancs de touche: le débutant Etienne Delangre et le routiné Robert Waseige.
Bob-ze-Coach a fait deux séjours au Mambourg alors que l’Ardennais a passé l’essentiel de sa carrière professionnelle à Sclessin. Il y aura de la nostalgie dans l’air. Quoique…
Etienne Delangre: A part Michel Preud’homme, une partie du personnel administratif et le kiné Jean Bourguignont qui preste son préavis, je ne connais plus personne au Standard. J’ai aussi côtoyé Alphonse Costantin mais c’était dans une relation joueur-arbitre, et Waseige quand je faisais du scouting pour l’Union Belge.
On vous avait cité dans un rôle d’adjoint ou carrément d’entraîneur principal quand Michel Preud’homme avait annoncé sa décision de devenir directeur sportif.
Je savais dès le début que je n’avais aucune chance. Je n’ai jamais rien espéré.
Pourquoi?
Je ne tiens pas à m’étendre sur le sujet…
N’est-ce pas votre rêve ultime d’entraîner le Standard?
Pas spécialement. Je rêve simplement d’entraîner la meilleure équipe possible, celle qui possède les meilleurs joueurs, les meilleures infrastructures et la plus grande ambition. Je suis conscient qu’on ne m’attendra jamais comme le Messie, là-bas. Je ne suis pas une légende vivante du club, comme Preud’homme ou Gerets. Si je retourne un jour à Sclessin, certains plus vieux supporters seront peut-être contents, mais même pour eux, Delangre n’est pas un mythe. Malgré les 13 ans que j’y ai passés.
Si vous deviez retenir un seul grand moment de votre passage au Standard?
Je citerais mes deux matches complets contre la Juventus, en 1982. En face, il y avait une bonne partie de l’équipe italienne championne du monde, plus Platini et Boniek. J’avais 19 ans! Je n’oublierai jamais, non plus, le match contre Lokeren qui nous a valu notre deuxième titre d’affilée, en mai 1983. L’année précédente, je n’avais disputé que huit matches. Mais, dans le championnat 82-83, j’ai été un des joueurs les plus réguliers avec 31 apparitions. Dans certains cas, Goethals a laissé Gründel ou Wendt sur le banc pour me mettre sur la pelouse. Au départ, je n’étais qu’une roue de secours, mais ma polyvalence en défense et dans l’entrejeu m’a finalement permis de jouer presque chaque semaine.
Une chose frappe quand on analyse la liste des joueurs que vous avez côtoyés au Standard. Beaucoup sont devenus entraîneurs: Gerets, Meeuws, Preud’homme, Haan, Daerden, Vandersmissen, Bodart, Snelders, Wintacq, Renquin…
Le plus frappant, c’est que la plupart des Standardmen qui se sont reconvertis dans ce métier ont été entraînés par Goethals. Ce n’est pas un hasard. Avant de le connaître, je ne m’étais jamais intéressé à l’aspect tactique du football. A 16 ans, je ne savais pas ce qu’était le marquage d’un adversaire. Les discours de Goethals m’ont directement interpellé. Je suis devenu très stratégique, mathématique. Ses séances de théorie très poussées, c’étaient des tranches de plaisir pour moi.Standard, Genk, Anderlecht et Bruges en deux mois!
Le Standard actuel est-il votre favori pour le titre?
Je parierais avant tout sur Genk. J’avais déjà désigné cette équipe comme principale favorite après quatre mois, la saison passée. Elle est bien en place et possède un des duos offensifs les plus prolifiques de toute l’histoire du championnat. Il faudra seulement voir si les joueurs de Genk pourront répondre à l’attente sur le plan mental. Ils n’avaient jamais rien gagné et je me demande s’ils auront la force de se remettre en question. Qui peut garantir qu’ils ne connaîtront pas le même phénomène que les Français en Corée?
Votre match contre le Standard n’arrive-t-il pas trop tôt dans la saison?
C’est clair que le Standard est parfaitement prêt alors que ce n’est pas encore le cas de mon équipe. Je suis satisfait de notre évolution physique et tactique durant la période de préparation, mais mon attaque n’est pas encore rodée. Eduardo a raté une bonne partie de la préparation, Kolotilko est arrivé au dernier moment, Di Gregorio n’a pas pu s’entraîner valablement, Brewah a aussi loupé pas mal d’entraînements. Je n’ai donc pas pu faire tous les réglages voulus. Nous avons dû attendre un de nos derniers matches amicaux, contre Virton, pour marquer enfin trois buts. C’est révélateur de nos problèmes offensifs.
Mais bon, il faut quand même prendre le Standard à un moment ou à un autre. Notre début de calendrier est infernal: lors de nos cinq premiers matches à domicile, nous affronterons le Standard, Genk, Anderlecht et Bruges! Je préfère voir le côté positif des choses: si nous avions d’abord reçu des sans-grade, on nous aurait imposé une grosse pression de résultats.
Comment expliquez-vous le découragement de Scifo et Preud’homme, que vous avez eus comme élèves au Heysel?
Je suis mal placé pour juger. Je les ai connus sur les bancs de l’école des entraîneurs, mais je ne sais pas comment ils s’y prenaient dans la gestion quotidienne d’un groupe, comment ils réglaient les petits détails qui peuvent faire la différence. Depuis que je suis à Charleroi, j’entends un tas de choses concernant Scifo: du positif et du négatif. Mais, franchement, ça entre par une oreille et ça sort par l’autre. Je connais mieux Preud’homme, puisque c’est un ami. Je sais qu’il est aujourd’hui plus à l’aise, moins stressé dans son costume de directeur sportif.
Scifo et Preud’homme n’ont-ils pas commis une erreur en commençant directement en D1?
On est certainement mieux armé quand on s’est fait les dents dans les divisions inférieures. Je suis plus performant que je ne l’étais il y a six ans: les expériences que j’ai connues ne se remplacent pas. Mais je ne vais pas être hypocrite: si on m’avait proposé une place en D1 dès que j’ai arrêté de jouer, j’aurais sauté dessus. Que l’on commence à quelque niveau que ce soit, la première saison est très délicate. Même en 1ère Provinciale, on ne peut pas dire qu’on est totalement prêt. On a beau avoir fait une grande carrière: cela ne représente aucune garantie. Pas mal d’anciens joueurs professionnels sont persuadés qu’ils savent tout, sous prétexte qu’ils ont côtoyé tel ou tel grand coach. C’est une terrible erreur intellectuelle. Jusqu’il y a peu de temps, beaucoup de jeunes entraîneurs refusaient de suivre les cours. Aujourd’hui, ils paniquent parce que le diplôme sera obligatoire en Belgique dès l’année prochaine. Mais celui qui s’inscrit aux cours uniquement parce qu’il a besoin du papier, a tout faux. Avant tout, il faut avoir la volonté d’apprendre. Je me suis inscrit dès qu’on a lancé les cours pour les anciens professionnels, en 1992. J’ai vite compris qu’il y avait du boulot. J’ai appris ce qu’il fallait faire, mais surtout ne pas faire. Quand je repense à ma carrière de joueur, je me dis que j’ai fait un tas de bêtises au niveau de ma préparation physique, parce qu’il n’y avait personne pour bien me conseiller. Si je devais refaire mon parcours maintenant, je serais beaucoup moins souvent blessé. »En visant le nul, on va droit dans le mur »
A Charleroi, vous aurez moins de pression que Scifo: vu son statut, on attendait de lui qu’il mène son équipe très haut!
Je ne suis pas d’accord. Son statut, justement, lui donnait davantage le droit à l’erreur. On lui pardonnait plus facilement des mauvais résultats, sur la base de son passé de joueur. Comme n’importe quel entraîneur, j’aurai une pression liée aux résultats et à la manière.
Vous avez décrété que Charleroi essayerait toujours d’être spectaculaire!
Nous jouerons toujours en 4-4-2 en cherchant effectivement à soigner le spectacle. La période de préparation m’a confirmé une chose: nous devrons toujours aligner deux attaquants pour avoir une chance d’être dangereux. Nous n’entamerons jamais un match avec le seul espoir de tenir le nul. Bien sûr, nous serons obligés de nous replier par moments, de parer au plus pressé quand la pression adverse deviendra insupportable. Mais ce ne sera jamais une volonté délibérée dès le coup d’envoi. Ce serait la meilleure façon d’aller droit dans le mur. Nous jouerons le jeu contre tout le monde, aussi bien en déplacement qu’à domicile. Mon système restera toujours le même, mais des hommes changeront quand les conditions de jeu l’imposeront. Un exemple: si le Standard aligne Moreira comme extérieur droit, je ne mettrai pas Foguenne au back gauche car nous aurions alors un gros déficit de vitesse.
Abbas Bayat vise le Top 3 dans les trois ans en misant sur pas mal de jeunes: n’est-ce pas trop ambitieux?
Il faut voir si la sauce peut prendre avec ces jeunes. Ceux que j’ai dans mon noyau ont des qualités, mais ils peuvent aussi bien se crasher qu’exploser très vite. On ne peut pas juger définitivement un footballeur de 18 ans. A cet âge-là, Zidane n’était pas considéré comme une future vedette mondiale. Même à 23 ou 24 ans, il n’était pas encore au top. Quand j’ai un gamin de 18 ou 19 ans devant moi, je peux dire s’il a de bonnes chances de faire carrière, mais je suis incapable de prévoir s’il sera tout bon ou simplement moyen, s’il sera capable de porter son équipe ou plus modestement de s’intégrer dans un groupe pro. Je fais toutefois une exception pour Kargbo: à 20 ans, il prouve qu’il est en mesure de porter Charleroi. Il est terriblement dynamisant, il a du dash, du répondant.
Si vous aviez pu garder un seul des quatre joueurs qui ont quitté Charleroi cet été, lequel auriez-vous choisi?
C’est délicat de répondre parce que je n’ai vu qu’un match du Sporting la saison dernière: la défaite 6-0 au Standard avec ce fameux problème de choix des chaussures… Mais, d’après les échos que j’ai reçus, je pencherais pour Rojas: c’est un travailleur, il est complet, il a le sens du but et une excellente mentalité. On m’a dit que Tokéné n’était pas facile à gérer. Pivaljevic? Il a le sens du but mais ce n’est pas spécialement un bosseur. Quant à Camus, je dirais qu’un médian défensif est le joueur qu’on remplace le plus facilement dans n’importe quelle équipe.
Kolotilko et Eduardo partagent une réputation: ils ratent beaucoup d’occasions!
Peut-être, mais ce sont des emmerdeurs pour les défenses. Ils ratent des occasions mais ils en créent beaucoup pour eux-mêmes et pour les autres. Je ne vais pas les condamner s’ils se montrent maladroits dans l’un ou l’autre match: je ne suis pas du style à sortir le joueur qui vient de rater une intervention. Je ne veux surtout pas que toute mon équipe joue avec la peur au ventre.
Kolotilko et Eduardo me laissent une excellente impression. Je suis certain qu’ils sont complémentaires. De toute façon, cette notion de complémentarité me fait un peu rire. Quand on a deux bons attaquants, quel que soit leur style, ils peuvent faire de bons matches ensemble. On dit qu’il faut un grand et un petit, ou un pivot et un autre qui tourne autour. Je suis sceptique. Avec deux déménageurs, je suis en tout cas paré. Je ne voudrais pas d’un déménageur et d’un deuxième attaquant qui attendrait les ballons dans le rectangle.
N’êtes-vous pas mal à l’aise vis-à-vis de Milovanovic et Rassart, qui ont été expédiés dans le noyau B à moins d’un mois de la clôture des transferts?
Il n’y a pas de bon moment pour annoncer une décision pareille à un joueur. Si je leur avais dit ça après dix jours de préparation, ils m’auraient reproché de ne pas leur avoir donné une vraie chance. Si j’avais attendu le troisième match de championnat, ils se seraient plaints d’être bloqués par le règlement. Ils ont eu cinq matches et une trentaine d’entraînements pour me prouver qu’ils pouvaient m’être utiles mais ils n’y sont pas parvenus. Ils peuvent réussir dans un autre club du même niveau, mais dans mon schéma tactique, il n’y a pas de place pour eux. Aurais-je été mieux inspiré si je les avais laissé moisir sur le banc pendant toute la saison, comme ils l’ont fait l’année dernière avec Scifo? A partir du moment où la nouvelle politique du club passe par les jeunes, il est plus logique que je prenne des gamins sur mon banc, plutôt que des joueurs auxquels je ne crois pas.
Pierre Danvoye
« Kolotilko et Eduardo ratent des occasions? Ils ont au moins le mérite d’en créer »
« Preud’homme et Gerets sont des mythes à Sclessin; pas moi »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici