« Je ne rêve pas d’arbitrer la finale »

L’Arbitre de l’Année belge dispute son dernier tournoi (avec les assistants Peter Hermans, Walter Vromans et Danny Huens). Il mesure la pression qui pèsera sur ses épaules en Afrique du Sud mais savoure le privilège d’être repris.

Fin 2011, Frank De Bleeckere (43 ans) rangera son sifflet.  » Cela me manquera mais je m’occuperai de jeunes collègues prometteurs.  » Vous avez mené des campagnes de recrutement. Comment, à l’heure actuelle, motiver un jeune à se consacrer à l’arbitrage ? Frank De Bleeckere : En étant positif. Nous ne vivons pas que des moments difficiles. Nous ne pouvons jubiler en public si nous sifflons bien, mais au fond de moi-même, je suis heureux quand j’ai accordé à juste titre l’avantage et qu’un but en découd. Parfois, je dis à mes assistants, par les oreillettes : -Bien vu ! Tu as bien fait de ne pas lever le drapeau !

Vous vous adressez à des lycéens. Ils sont peut-être impressionnés par vos prestations en Ligue des Champions mais ils débuteront en bas de l’échelle, dans des conditions pitoyables. Comment les convaincre ?

L’arbitrage est un microbe, une vocation. On ne peut convaincre les gens.

Les débutants sont-ils suffisamment encadrés ?

Non. Trop d’arbitres abandonnent après six mois ou un an, même si le suivi est meilleur qu’avant. Mon père, lui-même arbitre, m’accompagnait toujours et me donnait un thème par match. Avant mon premier match, il m’a dit : -Surveille la distance du mur sur coup franc. Elle doit être impeccable. Je ne m’occupe pas du reste aujourd’hui. Ensuite, il s’est intéressé à mon placement sur coup franc, etc. En une saison, nous avons tout passé en revue. Il faut former les arbitres pas à pas.

Quel est le fil rouge de vos interventions dans les écoles ?

Ma présentation s’intitule -Traverser la vie en sifflant. L’arbitrage vous aide aussi à résoudre des situations du quotidien. J’ai appris à ne pas gaspiller mon énergie dans des choses que je ne puis changer. Avant, je traînais les erreurs commises lors d’un match précédent. Je sais désormais que j’ai agi selon ma conscience et que je n’ai rien à me reprocher. Je clos le chapitre. J’applique ce principe à ma vie. Je ne suis plus rancunier, par exemple. Récemment, au Gala du Footballeur pro, c’était agréable de discuter avec les dirigeants, les entraîneurs, les joueurs. Chacun est avec sa compagne, ce qui modifie l’ambiance. On peut alors demander calmement à quelqu’un pourquoi il a fait ça ou ça. Les footballeurs comprennent le pourquoi de nos actes et vice-versa. Il faudrait plus de galas !

Vous avez été élu Arbitre de l’Année pour la première fois depuis sept ans. Pourquoi ?

J’ai pris plus de distance avec les joueurs après le match Club-Anderlecht de décembre 2002. Les joueurs ont eu besoin de temps pour s’y adapter.

Quel regard portez-vous sur ce match, huit ans après les faits ?

Ce fut un virage dans ma carrière. J’ai commis des erreurs dans ce match, peut-être pas d’un point de vue théorique mais je n’ai pas bien senti la température de la joute. Mon père m’avait prévenu : -Tout le monde te trouve super mais ça ne durera pas. Tu finiras par être attaqué. Je ne le croyais pas. Le choc a été rude. Je me suis senti très seul mais je devais passer par là pour progresser. Si je n’avais pas changé de comportement, je n’aurais pas connu pareille carrière. A l’époque, je pensais que chaque joueur était un copain et allait m’aider. Ce jour-là, ils ne l’ont pas fait… et ils n’y étaient pas obligés. Ma femme et moi avons beaucoup discuté. Elle estimait que je devais montrer à tous – et à moi en particulier – que ce n’était qu’un accident de parcours et elle répétait que j’en sortirais plus fort. J’ai fini par la croire. J’ai travaillé encore plus dur. Un jour, je me suis surpris à crier, en pleine nature : -Frank, comment cela a-t-il pu arriver ? Qu’as-tu fait ? Il fallait que ça sorte.

Ce match vous a donc propulsé vers l’élite mondiale ?

Il y a eu un deuxième tournant. J’ai été repris comme quatrième officiel à l’EURO 2004. Je me suis retrouvé entre Pierluigi Collina, Anders Frisk, Urs Meier, Kim Milton Nielsen, Markus Merk et Lubos Michel. N’étant que quatrième officiel, je n’étais pas sous pression et j’ai tout observé à loisir. J’ai compris que je devais modifier mon approche pour égaler ces grands arbitres.

Qu’est-ce qui devait changer ?

Tout.

Que faisiez-vous de travers ?

J’étais bon mais à mon niveau. Je devais être plus professionnel. Je n’ai jamais été une bête d’entraînement. Quand il pleuvait, je rentrais dix minutes plus tôt. Après cet EURO, mon employeur m’a accordé plus de facilités et j’ai été mieux suivi par Werner Helsen physiquement et par Jef Brouwers mentalement. J’ai travaillé de manière scientifique alors qu’avant, je m’entraînais instinctivement. Werner m’a permis de progresser de 30 % et Jef m’a fait comprendre que l’arbitrage est aussi un jeu mental. Leur présence m’a conféré de l’assurance car je pouvais me tourner vers eux en cas de problème.

Qui vous a le plus impressionné au Portugal ?

Tous. Jusqu’alors, je ne comprenais pas comment Collina s’y prenait. Dès que ça chauffait, il était là. Il m’a appris qu’un arbitre doit connaître le style de jeu d’une équipe, savoir qui donne les coups francs, etc. C’est important pour le placement. Je n’y avais jamais pensé. J’ai aussi compris l’importance de l’anglais. Quand, dans un briefing, on vous demande de justifier vos agissements, la fluidité de votre réponse est importante. En 2004, j’ai compris qu’il n’y avait pas que les matches. Mes assistants m’accompagnent partout et vice-versa. Nous déjeunons ensemble, nous nous baladons et nous rejoignons nos chambres au même moment. Si l’un d’entre nous veut encore lire, il le fait au lit, pas dans le lobby de l’hôtel. Il faut montrer qu’on forme une équipe.

Espérer en réchapper

Qu’est-ce qui est le plus pénible mentalement : les matches de championnat, les joutes européennes ou les tournois ?

Les tournois… On est plus isolé dans les autres joutes. On dispute son match et on rentre alors que pendant un tournoi, on passe des semaines avec ses collègues, qui sont aussi des concurrents. Je ne regarde jamais les matches qu’ils arbitrent car cela me mettrait sous pression. Le premier match d’un tournoi est décisif. Si on gaffe, c’est terminé. Sinon, on est boosté. Quand on siffle moins bien, on est poursuivi par le doute, on se demande si on recevra une seconde chance et si c’est le cas, il faut la saisir, être parfait.

Il est difficile de gérer la pression. Un tournoi fait toujours des victimes. Si des joueurs et des entraîneurs raccrochent après un tournoi, il en va de même pour certains arbitres. On ne peut qu’espérer ne pas en être. Jusqu’à présent, je suis resté invisible. On a accepté toutes mes décisions. J’espère que ce sera le cas en Afrique du Sud… mais il faut un brin de chance aussi. Une phase de jeu peut briser votre carrière car tout le monde vous regarde. Même les femmes. Des millions de personnes. Siffler une Coupe du Monde change votre vie, positivement ou négativement. Dans le meilleur des cas, on vous demande des autographes et on vous sollicite pour des conférences.

Les joueurs vous abordent-ils autrement que dans un match de championnat ?

Au niveau international, on s’intéresse moins au passé de l’arbitre alors qu’en championnat, on retrouve toujours les mêmes équipes. Les gens et la presse regardent quels matches de quelle équipe vous avez déjà arbitrés et ce qui s’y est produit. Avant d’entamer le match, vous avez une étiquette.

Que préférez-vous : le championnat belge, les coupes d’Europe ou les tournois ?

Les tournois car on peut y grandir. En championnat, il faut appliquer de nouvelles instructions. Les joueurs sont compréhensifs mais il y a toujours un passage à vide chez les arbitres et ils ne respectent plus les règles. Sur quatre semaines, les arbitres sont plus concentrés, plus conséquents. Celui qui ne suit pas les consignes de la FIFA ou de l’UEFA est éjecté. En Belgique, je dois souvent expliquer pourquoi j’ai sifflé mais à un Mondial, je dois dire pourquoi je ne l’ai pas fait car on me rappelle que c’était convenu. Les équipes sont très bien briefées aussi, pendant un tournoi. Elles reçoivent des vidéos avec des phases de jeu et on leur dit : -Dans ce cas-là, c’est la carte jaune. Et dans celui-là, c’est la rouge. Tout est clair. Il y a donc peu de discussions sur le terrain, même quand les décisions sont sévères.

Avouez-le : vous rêvez d’arbitrer la finale…

Non. Trop de facteurs entrent en ligne de compte, en plus de mes prestations. J’ai un avantage dans la mesure où la Belgique n’est pas qualifiée mais imaginez que je siffle plusieurs matches au premier tour et que ces équipes poursuivent toutes leur route. Il n’est pas évident d’arbitrer deux fois le même pays en un délai aussi bref car alors, on a une histoire. C’est un puzzle incroyable.

Par Kristof De Ryck

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire