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 » Je ne peux pas imaginer une vie sans football « 

Depuis le mois d’octobre 2019, pour forcer enfin sa montée en D1A, le Beerschot a confié son destin à Hernan Losada, monument du club et entraîneur débutant. À 37 ans, l’Argentin a donc atteint le premier objectif de sa nouvelle carrière.  » C’est le poste que j’espérais. « 

Hernan Losada reste inscrit dans nos mémoires comme l’élégant médian qui a fait swinguer le Germinal Beerschot de 2006 à 2008 au rythme du tango argentin. Avec notamment ses compañeros latino-américains Gustavo Colman, Daniel Cruz, Ederson Tormena et Victor Figueroa, qui ont tous quitté la Belgique depuis.

Pas Losada. En mars 2018, juste après la finale pour la montée perdue contre le Cercle Bruges, il a raccroché mais a immédiatement trouvé un nouveau défi dans notre pays : devenir entraîneur. Et où si ce n’est dans son Beerschot ? Le club où il est arrivé en 2006 et où il est revenu deux fois, en 2011 et en 2015. La première année, il a été entraîneur des espoirs et adjoint de Stijn Vreven, depuis mi-octobre, il est T1. Tout va vite pour l’Argentin.

 » Déjà lors de notre précédente interview, au moment de mes adieux au terrain, j’avais dit que je voulais devenir entraîneur principal du Beerschot. « , affirme Losada.  » Je m’y sens vraiment à ma place.  »

Tu ne crains pas que ça aille trop vite ?

LOSADA : Non. Quand est-on prêt pour avoir des enfants ? Pour se marier ? Marc Noë, mon mentor, m’a beaucoup appris pendant les cours et quand j’entraînais les espoirs. Je peux aussi m’appuyer sur un staff motivé et varié, composé de jeunes enthousiastes comme Will Still et Pieter Jacobs, et de guides plus chevronnés comme Frank Dauwen et Patrick Nys. Ils m’ont beaucoup appris. L’année dernière, j’ai eu le temps de bien analyser le noyau. Je suis convaincu qu’il recèle suffisamment de qualités et qu’il a encore une marge de progression. C’est pour ça que j’ai accepté de remplacer Stijn Vreven.

Compte tenu de toutes les preuves mises sur la table, je ne comprends toujours pas que Malines se produise en D1A.  » Hernan Losada

 » Il ne faut pas avoir peur de prendre des décisions difficiles  »

Un adjoint peut être le copain des joueurs mais une fois passé T1, tu as dû opérer des choix et décevoir certains joueurs. C’est difficile ?

LOSADA : Cette relation n’était pas toujours évidente quand j’étais assistant car j’ai joué avec certains. Mais quand on est honnête dans sa communication et qu’on cherche le dialogue, il n’y a pas de problème. Une fois passé T1, j’ai mené un entretien individuel avec tous les joueurs du noyau. J’ai mis l’accent sur l’audace et le positivisme. À l’entraînement, j’essaie de soutenir mes joueurs, même quand ça ne va pas. J’exige qu’ils fassent pareil entre eux. Il ne faut pas non plus avoir peur de prendre des décisions difficiles : pour mon premier match, j’ai mis Raphael Holzhauser, notre gros transfert, sur le banc. Pour lui ôter un peu de pression. Ça a eu un impact positif sur lui comme sur le groupe. Un entraîneur doit faire jouer son équipe mais aussi améliorer ses joueurs.

Peux-tu comprendre qu’il n’était pas évident pour Vreven d’avoir un adjoint, adulé par le public, en plus, qui ne dissimulait pas ses ambitions ?

LOSADA : Ce n’était pas le cas. Je me concentrais sur les espoirs et sur mes cours pour la Pro License. Je n’étais pas présent à toutes les séances du noyau A. Je donnais bien sûr mon avis et j’ai toujours essayé d’aider Stijn. La saison passée, les débuts n’avaient pas été brillants mais tout le staff l’avait défendu.

Mo Messoudi, ton ancien coéquipier, dont le contrat n’a pas été renouvelé cet été, a dit qu’il était logique que tu prennes tes responsabilités, puisque tu avais été consulté pour les transferts estivaux. C’est exact ?

LOSADA : Je n’ai pas envie de répondre à toutes les déclarations des analystes. On m’a demandé mon avis sur des joueurs comme sur d’autres aspects. Ça me paraît logique après neuf saisons.

 » On adapte sa tactique à ses joueurs et pas l’inverse  »

Quels sont les entraîneurs qui t’ont le plus inspiré ? On parierait bien sur Marc Brys, avec lequel tu as vécu des moments fantastiques durant les dernières années de ta carrière ?

LOSADA : Ou lui avec moi. ( Rires) Je répugne à citer un nom pour ne pas offenser mes autres entraîneurs. Mais Marc a été mon premier entraîneur en Europe. Je n’ai pas joué au début : j’avais besoin d’un temps d’adaptation. Marc est réputé très exigeant, surtout sur le plan physique. J’ai accompli d’énormes progrès sous sa direction, y compris mentalement. J’ai compris qu’il fallait parfois se battre pour sa place. Durant notre seconde collaboration, nous avons été champions en D1 amateurs et avons perdu de justesse la finale pour la promotion en D1A contre le Cercle Bruges. La flexibilité est un des principaux piliers de ma philosophie. On adapte sa tactique à ses joueurs et pas l’inverse. J’ai connu trop d’entraîneurs, sans citer de noms, qui arrivaient dans un club avec un certain système de jeu sans disposer des footballeurs ad hoc pour l’appliquer.

Hernán Losada:
Hernán Losada:  » Nous avons un contact régulier avec les Saoudiens, mais ils laissent le staff et les joueurs travailler. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Comme Kompany le réalise à Anderlecht.

LOSADA : Par exemple. Il faut bien analyser le potentiel de son groupe. On ne procède pas en 4-3-3 si on n’a pas d’ailiers capables de passer leur homme.

N’était-ce pas le problème du Beerschot au début de cette saison ? Vous aviez acheté des joueurs pour la D1A mais avez dû rester en D1B, dans un autre style de football.

LOSADA : Ça a été un coup dur mentalement, surtout pour les joueurs qui nous avaient rejoints afin de jouer en D1A. Pour ceux qui sont restés aussi. Ils ont dû retrouver leur motivation après deux finales perdues d’affilée. Une semaine avant la reprise de la compétition, nous avons appris que Malines était promu et que nous allions donc rester en D1B. Se remotiver a été très difficile, pour les joueurs, le staff, la direction, les supporters. La D1B n’est pas une compétition attrayante : on rencontre chaque adversaire quatre fois alors que nous rêvions tous du Club Bruges, d’Anderlecht ou du Standard.

 » Il n’y a rien de plus beau que de jouer  »

Le 10 mars 2018 est une date cruciale de l’histoire récente du Beerschot. Vous avez perdu 3-1 au Cercle après avoir gagné le match-aller de la finale 1-0. C’était la fin d’un conte de fées durant lequel vous aviez été champions quatre fois d’affilée. Si vous aviez gagné, le Beerschot aurait réalisé un exploit. Or, vous avez raté le coche. D’accord avec cette analyse ?

LOSADA : ( il opine) Cette claque ne doit pas faire oublier que le Beerschot n’a connu que de grands moments depuis six ans. Champion quatre années d’affilée, puis deux finales en D1B. Ce n’est pas banal et il ne faut pas le sous-estimer. J’ai joué sur le terrain de Walhain et de Ciney. Allez donc jouer là-bas… Signer une série pareille dans les divisions inférieures ne coule pas de source. Quant aux finales en D1B… Elles sont aussi une question de chance, il y a la forme du jour, des détails. C’est son imprévisibilité qui fait la beauté du football. Il faut donc apprendre à gérer les moins bons moments. Cette finale perdue contre le Cercle m’a incité à arrêter le football. J’avais déjà entamé les cours d’entraîneur et Jan Van Winckel m’offrait la possibilité de devenir entraîneur des espoirs ici. J’ai décidé d’accepter cette opportunité. J’ai donc décidé moi-même d’arrêter, à mes conditions et à un grand moment.

La D1B n’est pas une compétition attrayante. Nous avons eu du mal à nous motiver.  » Hernan Losada

Tu regrettes le football ?

LOSADA : Il n’y a rien de plus beau que de jouer, d’être déterminant par ses actions. Entraîner est la deuxième plus belle chose. Cela éveille en moi des sentiments que je n’aurais jamais crus possibles. J’ai un kick quand, de la ligne, je remarque qu’une situation exercée en semaine porte ses fruits. Je me sens aussi très puissant. Joueur, je n’étais qu’une personne parmi 22 autres. Maintenant, je suis le patron. ( Rires). Ce qui veut dire que je dois satisfaire et impliquer tout le monde. C’est difficile mais super passionnant.

Après le renvoi de Stijn Vreven, Losada est passé du poste d'assistant à celui d'entraîneur principal.
Après le renvoi de Stijn Vreven, Losada est passé du poste d’assistant à celui d’entraîneur principal.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Tu participes parfois aux séances ?

LOSADA : Je viens de le faire pour la première fois et ça s’est merveilleusement passé. Je n’ai pas perdu ma touche de balle. J’avais un peu peur car je ne voulais pas me ridiculiser. Je continue à surveiller mon alimentation et je cours souvent. J’en ai besoin pour me défouler et me libérer de la pression.

Tu n’as encore jamais pensé que tu pourrais encore apporter quelque chose au Beerschot, sur le terrain ?

LOSADA : Non… Allez, si, parfois. Mais sérieusement, je reste content d’avoir arrêté et je suis fier d’être arrivé en aussi peu de temps où je le voulais. Le timing est très important dans la vie. Il faut oser prendre des décisions.

 » C’est peut-être pour son imprévisibilité que j’aime tant ce club  »

Le Beerschot est un club turbulent. Il s’y passe toujours quelque chose. Par exemple, le président Francis Vrancken pose avec une coupe de champagne dans la presse et fête prématurément la montée. Tu peux en sourire ou ça t’énerve ?

LOSADA : C’est une question difficile. D’un côté, je comprends le club car nul ne s’attendait à ce que Malines soit promu. Compte tenu de toutes les preuves déposées sur la table, je ne comprends toujours pas que ce club se produise en D1A. D’autre part, soyons francs : nous n’avons pas forgé notre promotion sportivement. C’est peut-être pour son imprévisibilité que j’aime tant ce club. Combien de fois n’avons-nous pas tout recommencé de zéro ? Il faut profiter des hauts et tirer des leçons des bas. Je trouve cependant que nous devrions mieux peser nos mots, faire preuve de patience et de réalisme.

Le prince saoudien Abdullah Bin Mosaad est le propriétaire du Beerschot. Il vous met sous pression ?

LOSADA : Au contraire. Nous sommes en contact régulier avec l’Arabie saoudite mais elle laisse staff et joueurs travailler. Le club continue à apprendre chaque jour, qu’il s’agisse de sa vision ou de sa structure mais rien n’est obligatoire. Je n’ai pas demandé de garanties et on ne m’a rien promis en cas de montée. Je ne le voudrais pas non plus.

Avec quel dirigeant as-tu le plus de contacts ?

LOSADA : Jan Van Winckel. En début de saison, le prince a assisté à une séance. Un homme agréable, tout à fait normal et passionné de football.

Van Winckel est le directeur sportif du Beerschot, mais il passe la plupart de son temps à Dubaï et il s’occupe aussi de Sheffield United, l’autre club du prince. Ce n’est pas un problème ?

LOSADA : Le club possède suffisamment de gens qui ont un bagage. Jan est au courant de tout et donne un coup de main quand il le faut. Nous nous concertons toutes les semaines.

 » Je me sens belge  »

On continue à associer ton nom à celui du GBA de la période 2006-2008. Tu as écrit une magnifique page latino-américaine de l’histoire du club avec Daniel Cruz, Gustavo Colman, Luciano, Figueroa et Ederson. Tu es toujours en contact avec eux ?

LOSADA : Avec Cruz et Luciano. Daniel Cruz visionne des jeunes talents et assure leur suivi. Son fils est d’ailleurs un excellent joueur ( Après l’interview, on a appris que le Beerschot avait conclu un accord de collaboration avec l’América de Cali, le club auquel est lié Cruz, ndlr). Je n’ai plus de nouvelles de Colman, Ederson ni Figueroa. Il est difficile de rester en contact avec des coéquipiers qui sont retournés en Amérique du Sud.

Tu n’as jamais envisagé de retourner en Argentine ?

LOSADA : Non. Je me sens trop bien ici. Je peux me consacrer pleinement à ma passion, le football. Je n’ai pas achevé mon travail. Il serait donc prématuré de retourner en Argentine. D’ailleurs, je me sens belge. Mes amis sont ici. Ma famille vit toujours en Argentine mais trouve fantastique ce que je réalise. Elle suit mes matches via internet. J’y retourne en été et en hiver pour revoir tout le monde et recharger les batteries.

On a l’impression que tu n’as pas retiré le maximum de ta carrière de joueur, compte tenu de tes qualités techniques. Tu essayes de compenser cette carence par une belle carrière d’entraîneur ?

LOSADA : Tout dépend de la manière dont on appréhende les choses. Peu d’Argentins ont joué treize ans en Europe. Je n’ai jamais eu le sentiment de pouvoir aller plus haut. Je ne regrette pas non plus mes choix de carrière. Par exemple, Anderlecht constituait une étape logique à l’époque. Je n’ai donc pas entamé les cours d’entraîneur avec l’idée de prendre une revanche mais je veux toujours faire mieux. Comme joueur, coach, homme. Une existence dépourvue d’objectifs est monotone. Mes objectifs de l’année sont : obtenir ma Pro License et réaliser un bon second tour avec le Beerschot.

Wouter Vrancken, l’entraîneur de Malines, suit également les cours de la Pro License. Vous avez déjà eu des discussions animées ?

LOSADA : Wouter est un type fantastique. Il a connu le succès partout, ce qui n’est pas évident. Nous nous entendons bien. Nous échangeons souvent des conseils. ( Il fait semblant de se plaindre) Il a déjà copié certains de mes exercices. ( Rires) Non, sérieusement, échanger des informations est bénéfique pour notre carrière. C’est ce qui m’apporte le plus. Jonas Ivens a travaillé avec Philippe Clement à Waasland-Beveren et est maintenant au Club Bruges, Tom Van Imschoot a participé à la Ligue des Champions avec le KRC Genk, Vrancken et Dieter Vantornhout ont fait monter Malines. Il y a encore Maarten Martens, Tim Smolders, Jimmy Dewulf aux cours : beaucoup de jeunes talents.

 » Il faut constamment vivre en professionnel  »

Avec ce que tu as appris au poste d’entraîneur, tu t’y serais pris autrement à Anderlecht ?

LOSADA : Complètement. Je n’ai pas fait grand-chose pendant les vacances avant mon transfert. Je suis maintenant conscient de l’importance de s’entretenir pendant les congés. J’ai remarqué la différence que ça faisait durant mes dernières saisons de footballeur au Beerschot : je volais littéralement au début du championnat !

Tu ne comprends donc pas qu’Eden Hazard soit apparu en surpoids à son premier entraînement avec le Real Madrid ?

LOSADA : Non, ce n’est pas pensable. Même si tu penses qu’après dix séances, tu auras retrouvé ton poids de compétition, tu traînes longtemps ce retard. Il faut constamment vivre en professionnel. Ton corps t’en sera reconnaissant en fin de carrière.

Toute ta vie est placée sous le signe du football. Tu as joué jusqu’à 36 ans et tu es immédiatement devenu coach. Tu n’as jamais éprouvé le besoin de prendre tes distances ?

LOSADA : Si. Il faut parfois se changer les idées si on veut tenir le coup. Je vais courir dans le parc ou travailler au fitness. Je retrouve régulièrement mes amis. Mais franchement, je ne peux pas imaginer une vie sans football. Après une longue journée au club, quand je reviens à la maison, je commence à visionner des matches ou à éplucher les statistiques. Pour le moment, j’en suis fan. Je passe des nuits entières à analyser des données sur Instat. C’est extrêmement intéressant.

La vie de famille ne te manque jamais ?

Losada : Non. Je suis heureux comme ça. Combien de gens gagnent leur vie avec leur passion ? Dispenser des entraînements à un groupe enthousiaste, en plein air, parfois sous un rayon de soleil… Je suis un homme heureux. C’est ce que je voulais depuis mon plus jeune âge. J’ai encore le temps de fonder une famille.

Football Changes Lives: rendre quelque chose à la Belgique

Football Changes Lives Foundation, FCL en abrégé, a été fondée en 2015 par Hernan Losada. Elle offre des séances de football gratuites aux enfants de 8 à 14 ans issus des quartiers défavorisés d’Anvers.  » Nous nous retrouvons tous les mercredis après-midi à Hoboken. Tout est gratuit : les entraînements, le matériel, les vêtements, les tournois… J’espère que le projet va continuer à se développer, avec plus d’entraîneurs et plus de séances « , explique Losada.

 » Au début, j’ai moi-même donné des entraînements mais ce n’est malheureusement plus possible. Heureusement, je peux compter sur beaucoup de gens. La ville d’Anvers nous soutient financièrement, de même que quelques sponsors et le Beerschot. Ce projet m’insuffle beaucoup d’énergie et me permet de rendre quelque chose à un pays qui m’a tant donné. Je n’ai pas oublié l’aide que j’ai reçue à mon arrivée ici en 2006.  »

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