» Je ne montre jamais mes émotions « 

Problèmes privés, sifflets du public, Lions de l’Atlas, retour en grâce, le gaucher des Rouches évoque son année mouvementée avec sincérité et humour. Entretien.

Mehdi Carcela n’est pas du type à s’épancher dans les médias. Son terrain de jeu à lui, c’est le terrain, ces 30 derniers mètres où il faut faire la différence. Homme d’éclats, homme d’exploits individuels, le Liégeois a souvent joué cette saison les ouvre-boîtes pour un Standard en mal d’inspiration. Carcela a aussi goûté cette année à la rançon de la gloire. En première ligne quand le Standard tournait carré, le néo-international a quelques fois dégusté. L’imbroglio autour de son choix de sélection nationale n’a évidemment pas aidé. Exceptionnellement, le génial gaucher revient sur tous les événements d’une saison mouvementée. En prenant le temps, pour enfin s’expliquer. Rencontre au restaurant L’Emir à Sint-Pieters-Leeuw (banlieue bruxelloise), le QG de Mbark Boussoufa, époque anderlechtoise, où il n’est pas rare qu’il s’attable encore et toujours entre deux avions…

Tu as connu une saison faite de hauts et de bas, un peu à l’image du Standard. Un démarrage en force suivi d’un passage à vide : comment l’expliques-tu ?

Mehdi Carcela : C’est dû à toute une série de choses liées à ma vie privée. Mentalement, je n’ai pas été au mieux cette saison et ça s’est répercuté sur le terrain.

Pourtant, ton pote El Ghanassy dit de toi que rien ne peut te perturber.

Je ne vais jamais me prendre la tête à cause de l’aspect purement sportif… Mais d’autres facteurs privés font que je ne suis pas encore bien moralement. Ça va un peu mieux depuis quelques semaines, même si tout n’est pas encore arrangé.

Sur un terrain, tu ne laisses rien transparaître alors qu’on a davantage l’image du gars décontracté, avec le sourire, en dehors.

Je ne montre jamais mes émotions. Je garde tout pour moi. C’est comme ça, j’ai toujours été comme ça. Je me lâche avec très peu de personnes, seulement un peu avec mon cousin, avec ma mère, mais c’est à peu près tout.

Tu n’as jamais parlé de tes problèmes avec tes équipiers ?

Régi Goreux est le seul du groupe à être au courant. Avec lui, j’en parle beaucoup. Mais bon, comme je l’ai dit, ça va un peu mieux, ça avance.

A quelle période as-tu connu le plus de difficultés ?

Je dirais un peu avant la trêve hivernale. On ne le voyait pas car je continuais à rigoler avec tout le monde dans l’équipe.

Horreur des longs ballons

Même si tu es régulièrement décisif, tes matches sont encore souvent rythmés par des périodes de haute voltige puis des moments plus creux.

J’ai un jeu particulier, je suis nonchalant. Et quand je n’ai pas le ballon ça se remarque d’autant plus. Dans la vie de tous les jours, je suis aussi un peu je-m’en-foutiste. Mais c’est mon jeu, si je le change, je ne pense pas que je serai aussi décisif. Je crois aussi que l’on attend beaucoup de moi, peut-être trop. Je ne pense pas vivre des moments forts puis des moments faibles sur un même match. Je ne les ressens pas en tous les cas…

Tu ne te dis jamais : -Ça fait un petit temps que je n’ai plus touché un ballon, faut que je me bouge ?

Si on me voit moins, c’est aussi parce qu’on ne joue pas assez avec moi. En début de saison, on a critiqué mon jeu défensif par exemple. Je crois pouvoir dire que sur cet aspect, j’ai évolué, je travaille davantage défensivement. On m’a aussi reproché de ne pas donner mon ballon assez rapidement, là aussi je trouve que je progresse et que je le lâche plus rapidement.

Tu es parfois surpris par les actions ou les gestes que tu réalises durant une rencontre ?

Non, pas vraiment. Je joue à l’instinct, j’ai toujours joué comme ça et depuis tout petit.

Si tu veux encore franchir un palier, tu ne penses pas devoir être plus présent durant un match ?

Comme je l’ai dit, je crois que si on me voit moins, c’est parce qu’il y a des périodes où le Standard joue moins au ballon, qu’on les balance davantage devant.

Le Standard joue trop par longs ballons, d’après toi ?

Oui et ça m’arrive de râler sur le terrain à cause de ça. Les longs ballons, c’est ce que je déteste le plus dans le foot. En Espagne, on joue tout le temps au sol, et collectivement, et par conséquent, les joueurs techniques on les voit davantage pendant un match.

Comment expliques-tu ce revirement du Standard qui était largué en saison régulière et qui carbure au super pendant les play-offs ?

Le match face à Anderlecht a évidemment changé beaucoup de choses. Mais c’est surtout le stage hivernal au Portugal qui fut décisif. On y a très bien travaillé physiquement et mentalement.

Pourquoi le Standard a-t-il mis autant de temps à trouver la bonne carburation ?

On a eu beaucoup de départs importants durant l’été, beaucoup d’arrivées, il a donc fallu former une nouvelle équipe. Et ça prend du temps d’autant qu’on a eu de nombreux blessés. On n’arrivait pas à construire d’automatismes, et puis on a pris pas mal de coups sur la tête suite à des défaites. Pour une équipe aussi jeune, ce n’est pas facile à gérer.

Fin novembre, Sergio Conceiçao avait critiqué la mentalité de certains joueurs après la défaite à Zulte Waregem. Tu t’es senti visé ?

C’était surtout la manière pour Sergio de nous faire réagir, de nous mettre un coup de pied au cul et de tirer la sonnette d’alarme. Il arrive souvent que Sergio pousse la gueulante à l’entraînement alors que Dominique s’occupe de le faire dans le vestiaire. Ils savent se faire entendre, y a pas de soucis.

Y a-t-il un moment durant la saison où ça a été particulièrement tendu dans le vestiaire ?

Oui la saison a été difficile, il y avait pas mal de pression. Et quand ça ne tourne pas rond, on rejette la faute sur les autres, ce qui a à un moment installé une certaine tension dans le vestiaire. L’ambiance n’était pas non plus explosive mais le groupe ressentait fortement les critiques.

Et ces critiques, tu les comprenais ?

J’ai la chance de ne pas lire la presse mais ma famille bien. C’est elle qui me rapportait les critiques. De mon côté, j’arrive à passer au-dessus.

Et quand le public s’est mis à te siffler régulièrement ?

Ça m’a beaucoup touché. Là encore, on ne le verra pas sur mon visage mais je peux vous assurer que je les entendais ces sifflets. J’étais même le plus sifflé à certains moments. Je sais que mes supporters attendent beaucoup de moi. J’ai vécu un peu la même chose que Jovanovic l’an dernier quand il avait les supporters à dos. Mais bon, quand on voit que même Boussoufa se faisait siffler à Anderlecht…. Il ne faut surtout pas croire que je m’en foutais. Après un match perdu, je prenais ma douche et je filais. Je ne parlais à personne.

Et avec les supporters adverses, comment ça se passe ?

Je suis souvent provoqué mais je n’y fais pas attention. Je sais que quand je vais tirer un corner, je vais me prendre des  » macaques « , surtout à Bruges, Anderlecht et au Germinal Beerschot, mais ça ne me fait rien.

Marre des faux-amis

Quelle autocritique ferais-tu à l’approche de cette fin de saison ?

Je dois davantage me concentrer devant le goal même si mon total buts est loin d’être mauvais. Et surtout progresser dans l’anticipation des événements, sentir mieux le jeu.

Comment vis-tu le stress précédant un match ?

Je ne le vis pas, alors vraiment pas. Lors du match aller des test-matches à Anderlecht, j’avais été titularisé alors que je n’avais pas encore beaucoup joué sur la saison. Ça ne me faisait absolument rien. Je me rappelle que Benjamin Nicaise m’avait dit :- T’as 20 ans, tu vas jouer un match exceptionnel ! Et moi je ne m’en rendais même pas compte. Pour moi, ça faisait 10 ans que je jouais ce type de match. Jouer contre Pierreuse ou Arsenal, c’est la même chose pour moi.

Tu as quasiment été présent tout au long de la saison. Tu n’es presque jamais blessé alors que pourtant tu prends plein de coups…

Dans l’équipe on m’appelle Bambou pour ça ( il rit). Il arrive que je tape avec mon tibia contre les poteaux de but. Et je ne sens rien. Ça doit être des restes de ma période où je faisais un peu de kick-boxing.

En début de saison, la presse parlait de l’intérêt du Real pour toi ; Witsel et Defour sont aussi souvent cités dans les plus grands clubs. C’est difficile de garder les pieds sur terre dans ces cas-là ?

J’ai le sentiment que la presse en fait trop avec les joueurs belges. Que ce soit avec Lukaku, Witsel, Defour ou moi. On nous voit dans les plus grands clubs européens alors qu’on n’est encore nulle part. Je me rappelle davantage de joueurs qui ont signé dans de grands championnats et qui en reviennent aussi vite.

Tu penses quand même pouvoir aller très haut ?

Ça serait prétentieux de l’affirmer mais j’ai confiance en mes qualités. Je crois être à seulement 50 % de mes moyens. Pour progresser, ça passera par un grand championnat. En restant ici, ce sera plus compliqué puisque j’évolue dans la meilleure équipe de Belgique, en tous les cas celle qui dispose du plus de talents. Je peux évidemment encore apprendre, surtout en disputant des matches de coupe d’Europe, mais je crois que passer un palier passe par l’étranger et une équipe d’un niveau intermédiaire.

Tu as déjà des envies de départ ?

Je me sens prêt à partir mais je n’en ressens pas spécialement les envies. Je me sens bien au Standard. Liège, c’est ma ville, je l’aime, mais avec les années j’y connais trop de monde. Plus jeune, j’avais déjà plein d’amis ; depuis que je suis joueur pro j’en ai dix fois plus. Je suis attaché à cette ville mais j’éprouve le besoin de changer d’air, de respirer un peu. Ces faux amis commencent à me peser. Je devrais bientôt quitter le centre de Liège pour un appartement un peu en-dehors, ça sera déjà une bonne chose.

Que ce soit Preud’homme, Bölöni, ou dernièrement Gerets, ils t’ont tous un peu taclé dans la presse, pour fustiger ton manque de sérieux, d’entrain aux entraînements. On en revient toujours à cette nonchalance…

Avant, c’est vrai que j’avais trop tendance à venir à l’entraînement pour m’y amuser. Désormais, j’y vais pour travailler. Et je suis plus méticuleux, notamment dans mes coups francs. Je crois que c’est l’âge qui fait ça, je grandis, je prends un peu plus de plomb dans la cervelle. A force de me répéter toujours la même chose, ça finit par ne plus ressortir par l’autre oreille ( il rit).

Dominique D’Onofrio te parle beaucoup ?

Oui, il me prend souvent à part. Il me connaît depuis que je suis tout petit. Il sait comment faire avec moi.

On dit aussi que tu es le petit protégé de Lucien D’Onofrio. Ça doit te rassurer non ?

Je sais qu’il parle souvent de moi à d’autres personnes, comme à Fellaini par exemple. Désormais, je me confie davantage à lui aussi. Je l’ai notamment mis au courant de mes problèmes. Et en retour, il me conseille.

Comme ?

De faire attention à mon entourage, à ceux qui tournent autour de moi, aux agents, aux  » amis  » qui arrivent de partout.

Qui est désormais ton agent ?

Je n’en ai plus. Je préfère que tout cela reste familial, que mes proches m’entourent. Et puis, concernant le sportif pur, j’ai Lucien, que demander de plus ?

Maroc vs Belgique

Etant donné que rien ne fut très clair, explique-nous le choix de la sélection marocaine et pourquoi cela a-t-il pris autant de temps à se décider ?

Je voulais le Maroc. Et ce depuis longtemps. J’ai joué avec les Diables mais il me manquait quelque chose. C’est vrai que j’ai réfléchi longtemps car tout le monde voulait que je choisisse la Belgique, que ce soit le Standard ou même ma famille. J’ai finalement opté pour le choix du c£ur. Depuis que je suis petit, je me sens davantage marocain, même si je me sens aussi belge ou espagnol (NDLR, son père, Francisco est originaire d’Andalousie). Et en plus avec la gueule que j’ai, c’est normal non ? ( il rit). Mes amis voulaient aussi que je choisisse le Maroc. Je viens de Droixhe, là-bas c’est 99,9 % d’Arabes, le petit restant ce sont des blacks ( il rit).

Tu ne te sens donc pas très belge ?

Si. Je suis Belge, je suis né et j’ai grandi ici. Si j’avais pu choisir les deux j’aurais choisi les deux ( il rit). Je n’ai certainement pas choisi le Maroc par intérêt sportif. Ce sont les sentiments qui ont parlé.

Avant que ton choix ne soit définitif, des membres de la fédération ont-ils essayé de te convaincre ?

Non. Je n’ai rencontré personne. Seul Marc Wilmots a quand même essayé.

Leekens avait pourtant déclaré qu’il t’avait appelé pour connaître ton choix…

C’est moi qui l’ai appelé. Par respect pour une personne que je considère, que j’aime beaucoup. Je voulais qu’il soit un des premiers informés de ma décision en faveur du Maroc. Et lui m’a directement dit qu’il respectait mon choix. Ça remonte à longtemps, au 26 août dernier.

Il y a encore eu ce revirement de situation avec cette plainte déposée au TAS puis retirée.

C’est une histoire sur laquelle je ne veux même pas revenir. Je ne maitrisais pas du tout la situation…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: REPORTERS/DE WILDE; REPORTERS/DE WILDE

 » Jouer contre Pierreuse ou Arsenal, c’est la même chose pour moi. « 

 » J’ai un jeu particulier, je suis nonchalant. Et quand je n’ai pas le ballon ça se remarque d’autant plus. « 

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