» JE NE METTRAI PAS MES JOUEURS DEVANT UN PELOTON D’EXÉCUTION « 

Le nouveau patron sportif de Mouscron a fait des batailles de mangues avec des gorilles, il a été international camerounais, aussi guitariste et agent de joueurs. Il bosse toujours dans le gaz et le pétrole. Il se raconte.

Sapé comme un prince, double brillant à l’oreille, sourire contagieux, Teni Yerima parque sa caisse sur le parking du Canonnier. Avec lui, un énième renfort qu’il vient juste de pêcher à Roissy. Un Brésilien. Fernando. Il était encore à Sao Paulo quelques heures plus tôt.  » C’est le médian qu’il nous fallait. Jeu court, jeu long, passes à 20 mètres, à 30 mètres. Cadré, cadré, cadré. Avec lui, les gardiens ne vont pas dormir.  » Un enthousiasme fou. A ceux qui se plaignent que notre championnat manque de personnages savoureux, en voilà un. A la découverte de ce Camerounais de 59 ans censé faire tourner un Mouscron en plein boom. Enfin, on espère.

On ne sait pas grand-chose sur votre carrière de footballeur !

TENI YERIMA : Je vais vous dire pourquoi. J’ai surtout joué au Cameroun. De mon temps, on avait envie de rester pour servir le pays. C’était comme ça au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal. On voulait être localement présent. Ce n’était pas encore l’époque où le gamin africain qui enchaînait deux crochets parlait directement d’une carrière en Europe. Je suis fier de ce que j’ai fait avec l’Union Douala, on a gagné une Coupe d’Afrique des Clubs Champions et une Coupe d’Afrique des Vainqueurs de Coupe. J’ai une dizaine de sélections en équipe nationale et j’ai fait une CAN. Et j’ai joué avec une toute bonne génération. Joseph-Antoine Bell était un ami d’enfance, je connais Roger Milla depuis qu’il est gosse, j’ai joué avec Thomas Nkono. Après le Cameroun, je suis venu au Racing de Paris, puis j’ai fini à Compiègne, en troisième division. Je n’ai plus quitté la France entre-temps.

Pourquoi cette reconversion dans le monde des agents ? Le milieu est glauque, quand même.

YERIMA : Je ne suis pas devenu directement agent. Après avoir arrêté de jouer, j’ai entraîné des jeunes de Compiègne pendant huit ans. Puis, j’ai quitté le football. Je savais que je pouvais faire autre chose. J’ai un diplôme d’ingénieur, quand même. Je me suis lancé dans la musique, une vieille passion. Je suis devenu guitariste de studio et ingénieur du son. Pendant quatre ans, ça a été musique, musique, musique. Ensuite, oui, j’ai voulu devenir agent. Dans un but plus humanitaire que mercantile. Je voulais sortir des jeunes joueurs d’Afrique pour les amener en Europe. Un footballeur africain qui vient ici, il sauve un village.

Un village, carrément ?

YERIMA : Oui parce qu’il investit au pays, ça crée de l’emploi.

PINI ZAHAVI

Comment avez-vous rencontré Pini Zahavi, le nouveau propriétaire de Mouscron ?

YERIMA : Ah, Monsieur Pini… Il y a 22 ans, un ancien joueur nigérian que j’avais eu comme adversaire m’a dit que quelqu’un en Israël pourrait faire des bonnes affaires avec moi. Il nous a mis en contact. J’ai ensuite amené des joueurs de Zahavi en France, il a pris quelques-uns de mes joueurs en Angleterre, puis on s’est lancés dans d’autres affaires. J’ai commencé à faire des démarches pour ses amis milliardaires qui souhaitaient investir en Afrique. Pour des champs de gaz, des puits pétroliers, dans le secteur minier. J’organisais des réunions avec des gouvernements. Pini Zahavi ne travaille pas que dans le football. C’est un grand homme d’affaires. Il est dans le football parce que c’est sa passion mais il a beaucoup de gros investissements dans des domaines qui n’ont rien à voir.

Il est très proche de Chelsea, il sait qu’il aura un choc culturel chaque fois qu’il passera de ce club à Mouscron ?

YERIMA : Mais il n’a pas investi ici pour avoir les mêmes sensations qu’à Chelsea. On est là pour la formation. Ce qu’on veut, c’est les former, ensuite les mettre en Première, puis les transférer dans des grands championnats.

Vous avez dit que vous visiez les PO1 dès cette saison, ensuite une qualification européenne chaque année, et le titre dans deux ou trois ans maximum. Quand on lit ça ici, on rigole.

YERIMA (il éclate de rire) : Je comprends. Mais je tiens à être clair avec vous… On va avoir les meilleurs jeunes possibles. Très vite, dès la saison prochaine, les meilleurs clubs belges vont nous trouver sur leur route dans le recrutement. Pour l’instant, on est un peu courts, on doit agir dans l’urgence et c’est pour ça qu’on prend des joueurs ailleurs pour l’équipe Première. Mais notre projet est belge. Notez ! Notre projet est belge !

Vous êtes au courant que nos meilleurs jeunes partent très vite à l’étranger ?

YERIMA : On veut qu’ils jouent d’abord chez nous avant de s’en aller. Et on saura les convaincre que c’est plus facile de progresser dans son biotope. Si vous avez dix bons jeunes qui restent dans leur environnement, il y en a neuf qui deviendront pros. Si vous les mettez dans un contexte étranger, il n’y en a peut-être que deux ou trois qui sortiront.

Le problème, c’est que les parents craquent parce que des clubs étrangers leur proposent de l’argent.

YERIMA : On proposera de l’argent aux parents pour qu’ils restent ici.

PLAISIR ET BOUTEILLE DE JANVIER

J’en reviens à vos ambitions à court terme. Vous croyez vraiment que les play-offs 1 sont abordables à la fin de cette saison avec le noyau que vous avez ?

YERIMA : Je vais être clair avec vous… Je ne peux pas penser que des joueurs qui viennent d’autant d’horizons différents soient capables d’accrocher une des six premières places. Mais on va tout faire pour ne pas être décrochés en janvier, et à ce moment-là, si on voit qu’on est trop courts, on fera venir des gars qui ont plus de bouteille.

Vous mettez une fameuse pression sur votre noyau !

YERIMA : Justement, non, on voit que vous ne vivez pas avec nous… Ce qu’on leur dit, c’est qu’on veut surtout qu’ils prennent du plaisir.

Mais ils lisent les journaux !

YERIMA : J’ai parlé de Top 6 parce qu’on va mettre les moyens pour qu’ils y arrivent, mais s’ils n’y arrivent pas, on ne va pas tirer sur eux, hein ! Dans ce cas-là, on les félicitera et on remettra notre ambition à la saison prochaine.

Quand le président et l’entraîneur parlent de maintien, vous les recadrez ?

YERIMA : Je suis un enthousiaste, vous l’avez remarqué… (Il éclate de rire). Je préfère viser très haut et m’arrêter en route que viser bas et ne pas avoir le temps de monter… On vise haut, on dit qu’on va aller au sommet, et si on est fatigués, on s’arrêtera à la moitié. Si on vise le maintien et qu’on le rate, ben on descend…

Après la défaite contre Willem II, la répétition générale, vous avez dit que c’était  » un revers idéal pour faire les réglages « . C’est votre optimisme à l’africaine qui parle ?

YERIMA : Voilà. J’ai été joueur et entraîneur, je sais qu’on apprend toujours plus de ses défaites que de ses victoires. Quand vous avez gagné, vous vous dites que c’était bon et vous regardez juste deux ou trois trucs qui n’ont pas marché. Quand vous avez perdu, vous dites : -Merde, pourquoi j’ai perdu ? Et vous analysez tout, point par point. Enchaîner les victoires, ça trompe une équipe en préparation.

C’est ce que votre équipe a fait…

YERIMA : Tout à fait. C’est bien pour la confiance, mais ça vous trompe. Des défaites vous aident à approfondir votre réflexion, jusqu’au recrutement. Mais je sais que beaucoup d’entraîneurs raisonnent autrement, et c’est sûrement pour ça que les clubs choisissent une majorité de petits adversaires pendant la préparation. Les coaches pensent d’abord à sécuriser le mental des troupes. Il faut savoir qu’un footballeur, c’est comme un enfant. S’il commence à aligner les défaites, le doute s’installe. L’entraîneur a besoin qu’ils donnent tout à l’entraînement pendant cette période, et on donne toujours plus quand le moral est en place que quand il est bas ! Dans l’adversité, vous en avez toujours qui donnent un coup de rein supplémentaire, mais vous en avez surtout qui baissent les bras. Donc, les coaches programment des petits matches qui font que le moral ne sera pas atteint. Et s’il est subitement atteint en fin de préparation, à cause d’une défaite contre une meilleure équipe, ce n’est pas trop grave pour eux parce qu’ils ont fait entre-temps tout le travail qu’ils avaient en tête.

COCUS DE JUIN

C’est dangereux de commencer le championnat avec une équipe en chantier parce qu’on pressent que vous aurez besoin de toutes vos plumes pour voler. Tous les points perdus ne se rattraperont plus.

YERIMA : Si on commence mal, on expliquera aux garçons que l’équipe n’était pas prête, à cause des arrivées tardives. L’objectif, c’est les play-offs 1, mais si on se rend compte que ce sera trop compliqué, on visera le maintien et on repartira la saison prochaine. Je vous répète que les joueurs ne seront pas mis devant le peloton d’exécution. S’ils se battent, personne ne leur tiendra rigueur d’une défaite. On ne se fâchera que le jour où les enfants quitteront le terrain en ayant marché… Là, on dira : -Non, non, non. Vous nous prenez pour des rigolos ou quoi ?

Les joueurs transférés avant la reprise du club peuvent se sentir cocufiés ! Ils pensaient jouer mais ils voient entre-temps débarquer plein de gars dont on pense qu’ils sont meilleurs qu’eux.

YERIMA : Ils ne doivent pas se sentir cocufiés parce que personne n’est au-dessus d’une institution. Et l’institution, c’est Mouscron. Même pas la direction. On n’est que de passage mais on veut que ce passage s’écrive en lettres d’or ! Le premier recrutement a été fait en fonction du budget disponible à l’époque, la direction a dû prendre des joueurs pas chers, libres. A partir du moment où Mouscron avait trouvé un investisseur avec plus de moyens, c’était normal de faire d’autres transferts. Dans notre projet, il n’y a pas de place pour les individualités. Ceux qui penseront à eux pourront prendre la porte et on sera là pour les accompagner vers la sortie.

On voit débarquer des joueurs de toute l’Europe et même de plus loin, le club a été repris par un fonds maltais avec un propriétaire israélien et un directeur sportif camerounais…

YERIMA (il coupe) : Camerounais, ha ha ha… (Il éclate de rire).

Ça vous fait rire mais le président continue à parler d’ancrage local. Et ça aussi, ça fait rire.

YERIMA : Je comprends que ça fasse rire. Mais je vous mets tout de suite à l’aise. Le président du club au quotidien s’appelle toujours bien Monsieur Edward Van Daele…

Un titre honorifique, non ?

YERIMA : Ne croyez pas ça une seconde.. Pas une seule décision de l’actionnaire principal ne sera prise sans avoir été validée par Monsieur Van Daele. Que ce soit clair dans la tête de tout le monde. Et quand vous arrivez dans l’administratif, vous ne trouvez que des Belges. Pas des Chinois, pas des Japonais, pas des Camerounais. On n’a pas dit qu’on allait avoir un ancrage mouscronnois dans notre équipe A cette saison, mais il sera là dès que la qualité aura commencé à sortir de notre centre. Notre équipe Première aujourd’hui, j’appelle ça du bricolage… Elle est surtout là pour attirer des bons jeunes. Je vous le répète : on vient pour la formation. Pas pour l’argent. L’argent, on le gagne avec nos autres activités.

L’ANCRAGE, UNE BLAGUE ?

Les investisseurs mouscronnois n’ont plus que 10 % du capital, comment peuvent-ils encore se montrer exigeants en matière d’ancrage local et de développement du Futurosport ? Dans n’importe quelle entreprise, quand on est actionnaire aussi minoritaire, on n’a rien à dire !

YERIMA : Ça, c’est que vous pensez. Je peux vous dire que cette histoire d’ancrage, cette histoire de développement du centre d’entraînement, c’est écrit noir sur blanc dans le contrat de vente. Si ce n’est pas respecté, les actionnaires locaux qui détiennent les 10 % peuvent racheter les 90 % du patron au prix initial.

Comment allez-vous développer le Futurosport ?

YERIMA : C’est un bel instrument mais il y manque un bâtiment multifonctionnel, avec notamment un resto diététique et une aile médicale. On espère obtenir les permis dès septembre, on n’est pas venus ici pour perdre du temps.

A cause de la suppression de la tierce propriété, on suspecte des agents d’acheter des clubs pour y faire le commerce de leurs joueurs. Mouscron, c’est un exemple frappant ?

YERIMA : C’est un exemple mais tout le monde s’y retrouve. Si on vend une perle, l’agent touchera une commission mais le club s’y retrouvera aussi puisqu’il y a une distribution des dividendes à la fin de la saison.

Celui qui détient 90 % touchera beaucoup plus que ceux qui ont péniblement 10 %…

YERIMA : Vu comme ça, je ne dirais pas non… Mais vous pensez que Mouscron va vendre tous les jours un joueur à 15 ou 20 millions ? Un agent n’achète pas un club comme celui-ci pour faire de l’argent. S’il veut très bien gagner sa vie, il doit être très pesant au départ et s’offrir le PSG, Manchester City ou Barcelone. Là-bas, quand vous vendez un joueur, ce n’est pas pour dix francs ! Je vous répète qu’on est plutôt dans la formation. Et moi, je ne suis même plus agent depuis deux ans. Mon ami Pini continue à exercer, moi pas. Je suis plutôt l’agent d’Etats africains dans des domaines qui ne touchent pas au football.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » J’ai voulu devenir agent. Dans un but plus humanitaire que mercantile.  »

TENI YERIMA

 » Notre équipe Première aujourd’hui, j’appelle ça du bricolage…  »

TENI YERIMA » Dès la saison prochaine, les meilleurs clubs belges vont nous trouver sur leur route dans le recrutement.  »

TENI YERIMA

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