» JE NE ME SUIS JAMAIS LEVÉ EN ME DISANT QUE JE VOUDRAIS CHANGER DE MÉTIER « 

On ne vous fera pas l’injure de vous rappeler ici l’impressionnant palmarès d’Olivier Deschacht. Dans un dialogue à coeur ouvert, le défenseur d’Anderlecht explique pourquoi il est resté fidèle à son club et comment les play-offs ont changé le football belge.

Olivier Deschacht (35 ans) est encore de la vieille école. Pour le Flandrien, la ponctualité est sacrée. C’est même avec cinq minutes d’avance qu’il nous attend à l’interview. Au cours de l’entretien, il avalera un bon litre et demi d’eau. Et malgré son âge, en matière de trophées, sa soif n’est pas étanchée non plus. A l’entame des play-offs, nous lui avons soumis quatre phrases qui lui permettent de s’exprimer sur des sujets d’actualité.

 » Il serait malhonnête de critiquer le système des play-offs parce que mon équipe en souffre. Au Tour des Flandres, les coureurs savent qu’ils devront escalader trois fois le Vieux Quaremont. Ceux qui ne veulent pas le faire sont libres de ne pas participer.  » – IVAN DE WITTE

Vous avez changé d’avis au sujet des play-offs ?

OLIVIER DESCHACHT : Au départ, je n’étais pas fan de la formule. Pour le public, ce mini-championnat, c’est fantastique mais vous n’imaginez pas combien il est frustrant de se battre pendant 30 matches pour voir fondre la moitié de son avance. Maintenant que ce système nous profite, vous ne m’entendrez pas me plaindre. Il serait hypocrite de dire que je suis contre les play-offs.

Ce système a permis au football belge de progresser ?

DESCHACHT : C’est sûr qu’il y a davantage de suspense mais le niveau de la phase classique en souffre : le jeu est plus brouillon, les joueurs sont moins concentrés. Tout tourne autour de ces dix matches de play-offs.

Quel était l’inconvénient de la formule classique de 34 journées en aller-retour ?

DESCHACHT : Anderlecht a voté pour la nouvelle formule et les joueurs doivent suivre. Tout n’était pas rose avant non plus. Certaines équipes étaient sauvées à dix matches de la fin et n’avaient plus rien à gagner. Aujourd’hui, ces équipes peuvent encore prétendre à un ticket européen. Mais à vrai dire, je ne suis pas trop les play-offs II. Sans prétention : je joue à Anderlecht et je dois me concentrer sur les play-offs I.

Vous êtes, avec Silvio Proto, le seul joueur à avoir vécu les sept éditions des play-offs I. Qu’est-ce qui a changé par rapport à il y a six ans ?

DESCHACHT : L’introduction des play-offs a augmenté l’enjeu, surtout financier. Le jeu est devenu plus rude. Il y a dix ans, un joueur pouvait encore se balader entre quatre défenseurs. Aujourd’hui, on voit plus rarement de tels solos. Heureusement, il y a toujours autant de respect entre les joueurs. C’est la guerre sur le terrain mais après le match, on se serre la main. De ce point de vue, le rôle de l’arbitre est crucial. J’espère que le nombre d’erreurs d’arbitrage sera limité au minimum mais nous devons d’abord regarder dans notre assiette. Nous n’avons le droit de critiquer l’arbitre que si nous sommes nous-mêmes irréprochables. Nous saurons après trois matches si nous pouvons lutter pour le titre.

 » Si Séville peut atteindre la finale de l’Europa League et si Bâle peut disputer la demi-finale, Anderlecht doit pouvoir faire aussi bien. Nous l’avons prouvé face à Dortmund et Arsenal.  » – ROGER VANDEN STOCK

Vous êtes le recordman anderlechtois du nombre de matches européens disputés (92). La Coupe d’Europe vous donne encore des frissons ?

DESCHACHT : Quand je pénètre dans un stade pour un match de Coupe d’Europe, l’enfant qui sommeille en moi se réveille. C’est pour ce genre d’émotions que j’ai commencé à jouer au foot. Pour moi, jouer à White Hart Lane, c’était un véritable honneur. Le stade de Tottenham respire le football anglais typique.

Anderlecht prend encore du plaisir sur la scène européenne ? Vous n’y jouez plus qu’un rôle de figurant ?

DESCHACHT : J’ai l’impression que l’écart qui nous sépare du subtop européen diminue chaque année. J’avais déjà ressenti cela l’an dernier après les matches de Champions League face à Galatasaray ou Arsenal et j’en suis désormais plus convaincu encore. Les équipes que nous avons battues -Tottenham, Monaco et Olympiacos – sont toutes premières ou deuxièmes de leur championnat. D’un point de vue qualitatif, le Shakhtar Donetsk était un peu moins fort mais le facteur chance a joué un rôle et nous avons été volés par l’arbitre. S’il avait sifflé normalement, nous aurions éliminé les Ukrainiens.

Par contre, ce n’est pas demain que vous rattraperez le Borussia Dortmund ?

DESCHACHT : Nous devons avoir pour objectif de rejoindre des clubs comme le Shakhtar, Séville et Bâle. Pourquoi serions-nous jaloux de Tottenham ? Chaque année, ce club achète les meilleurs joueurs de l’Ajax et des clubs espagnols mais nous lui avons quand même tenu tête. A terme, un club belge peut viser une demi-finale d’Europa League. La saison dernière, il s’en est fallu de peu que Bruges y parvienne.

Une aventure à l’étranger, ça ne vous a jamais tenté ?

DESCHACHT : Quand on ne trouve pas le bon club, mieux vaut rester où on est. Pour des raisons familiales, je n’avais pas envie de signer n’importe où. Je suis le premier à reconnaître que je n’ai rien à faire dans un grand club européen. Il me reste donc le choix entre des clubs du ventre mou et des clubs qui luttent pour le maintien. Jouer dans un club français du milieu de tableau n’a rien de scandaleux mais pourquoi quitter Anderlecht qui joue le titre chaque année pour un club qui ne cultive pas l’amour de la victoire ?

Vous auriez pourtant pu faire une carrière à la Nico Van Kerckhoven ou à la Filip Daems ?

DESCHACHT : J’ai des tonnes de respect pour eux. Ils ont tenté leur chance et réussi à l’étranger mais je ne regrette absolument pas de ne pas avoir essayé. Au cours de toutes ces saisons, j’ai affronté pratiquement tous les grands clubs européens : le Real Madrid, l’AC Milan, Chelsea, Tottenham, Liverpool, Dortmund, le Bayern… Pour moi, c’est aussi bien que de jouer chaque semaine en Premier League ou en Bundesliga. Il ne me manque que Barcelone et Manchester United.

 » Aujourd’hui, les arrières gauches ne sont plus jugés que sur ce qu’ils font en possession de balle. On oublie qu’ils sont avant tout là pour défendre.  » – PAOLO MALDINI

Défendre, c’est un art ?

DESCHACHT : Je pense que oui. On sous-estime souvent le travail défensif. Chez les jeunes, on vous répète sans cesse de regarder le ballon. Mais ce n’est qu’une partie du problème. On ne peut pas arriver en retard, pas trop anticiper non plus, pas jouer trop loin de son homme. Un arrière latéral doit aussi prendre assez de distance pour éviter d’être pris sur son mauvais pied.

Défendre, ça s’apprend ?

DESCHACHT : J’en suis la preuve vivante. En équipes d’âge, j’étais attaquant. C’est Franky Vercauteren qui, lorsque j’avais 19 ans, m’a recyclé en défenseur. Il estimait que je serais meilleur au poste d’arrière gauche. Sans cela, je n’aurais jamais fait une telle carrière. Je n’étais pas suffisamment explosif pour être ailier, je n’avais pas la précision de passe d’un numéro dix et je n’étais pas capable de dribbler.

Cette manie de faire redescendre des joueurs offensifs ne date pas d’hier.

DESCHACHT : Tous les entraîneurs veulent des arrières latéraux qui sont capables de faire tout le flanc et de centrer, comme à Barcelone ou au Bayern. Ces deux clubs ont fait augmenter la demande en matière d’arrières latéraux offensifs et leur valeur marchande.

Mais la première tâche d’un arrière latéral reste de défendre.

DESCHACHT : A Barcelone, un arrière latéral ne doit pas songer à défendre. Alves et Alba jouent littéralement à hauteur de Messi et de Neymar. Ils doivent avant tout se rendre utiles en possession de balle. L’avantage, c’est que l’équipe récupère le ballon très haut. Mais évidemment, ces joueurs doivent avoir des connaissances défensives de base. Celui qui ne sait pas défendre un minimum et est chaque fois mis dans le vent est vite repéré.

Il existe encore des défenseurs du calibre de Lilian Thuram, Marcel Desailly ou Fabio Cannavaro ?

DESCHACHT : Varane, Ramos et Piqué n’en sont pas loin mais il est vrai que le défenseur central à l’ancienne qui pouvait se contenter de mettre son homme sous l’éteignoir sans devoir participer au jeu est devenu rare. Avant, le gardien dégageait le plus loin possible. Aujourd’hui, on construit davantage à partir de l’arrière.

C’est plus simple de défendre que de marquer ?

DESCHACHT : Marquer reste la chose la plus difficile en football. L’instinct du buteur, on l’a ou on ne l’a pas. Un entraîneur ne peut pas non plus apprendre à un attaquant à rester cool en toutes circonstances dans le rectangle. Un bon attaquant doit avoir un peu toutes les qualités : de la vitesse, du dribble, de la vista. Je trouve donc normal qu’on accorde les trophées individuels aux attaquants.

 » Le jour où j’arrêterai de jouer au foot, je veux pouvoir me regarder dans le miroir et me dire : Paul, tu étais un bon petit joueur.  » – PAUL SCHOLES

Cela fait quinze ans que vous êtes footballeur pro. Vous êtes toujours convaincu que vous exercez le plus beau métier du monde ?

DESCHACHT : Combien de personnes peuvent dire qu’elles ont fait de leur hobby un métier ? Je ne me suis jamais levé en me disant que j’aimerais exercer une profession où on travaille de 9 h à 17 h. Bien sûr, ce n’est pas drôle tous les jours. Il faut être présent chaque semaine, on tolère à peine un mauvais jour et, même après une victoire, on n’a pas le droit de se laisser aller complètement. Parfois, je me dis que je me plains trop. Des douleurs musculaires, du mauvais temps ou simplement parce que je n’ai pas envie de m’entraîner. Mais dès que j’inscris un but dans un petit match, tout ça disparaît. Et quitter le terrain après une victoire, ça vous booste terriblement.

Beaucoup de joueurs ne comprennent qu’à l’issue de leur carrière combien ils avaient la belle vie.

DESCHACHT : C’était pareil quand j’étais à l’école. Je détestais ça mais aujourd’hui, quand j’y repense, je me dis que c’était une période formidable. C’est pourquoi j’essaye d’apprécier chaque journée. Si je tiens aussi longtemps, c’est parce que je prends du plaisir sur le terrain et que j’ai envie de remporter chaque match. Celui qui n’éprouve pas ces deux choses-là doit changer de métier le plus vite possible.

Vous êtes devenu joueur au bon moment. Ceux qui étaient là à vos débuts (Stoica, Jestrovic, De Bilde, Baseggio…) ne sont pas devenus millionnaires grâce au football.

DESCHACHT : Quand j’entends les montants que certains gagnent, surtout à l’étranger… (il souffle) Et cela ne fait qu’augmenter ! Je suis toujours de l’ancienne garde : j’ai raté le boom financier de peu. Mais l’argent n’a jamais été mon moteur, je suis satisfait de mon salaire. Plus on gagne d’argent, moins on est libre. Aujourd’hui, déjà, je peux difficilement sortir en rue sans qu’on m’aborde. Si je vais au resto, tous les regards sont braqués sur moi. Alors les Diables Rouges et les superstars étrangères…

Vous trouvez que les médias ont changé ? Qu’ils s’intéressent trop à des choses accessoires ?

DESCHACHT : Ouvrez un site au hasard et vous verrez le genre d’actualité qu’on vous sert (il sort son smartphone). Cela n’aurait jamais été le cas il y a dix ans. Si tu veux avoir des nouvelles de Harry de  » Sky Is The Limit  » ou savoir quand sort le nouveau clip de  » Get Ready ! « , c’est parfait. Incroyable ! Mais les gens aiment lire ça. Je pense qu’ils s’ennuient. Avant, les gens se satisfaisaient de faits qu’ils lisaient dans le journal ou de la composition des Diables Rouges. Nous les avons rendus curieux et, aujourd’hui, ils veulent des informations sur la vie privée des gens connus. On veut tout savoir sur tout le monde.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » C’est la guerre sur le terrain mais après le match, on se serre la main « . – OLIVIER DESCHACHT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire