» Je ne dis jamais que je suis champion du monde « 

Rencontre à la fois riche et surprenante avec l’un des personnages les plus truculents du football français, arrivé début janvier sur nos terres…

Un champion du monde à Bleid, hameau de Gaume de quelques centaines d’âmes, l’accroche est autant surréaliste qu’alléchante. D’autant que Lionel Charbonnier fait partie de ceux qui ont toujours eu la langue bien pendue et l’éloquence abondante. Malgré un passé à succès entre Auxerre, les Glasgow Rangers ou l’équipe de France, le bonhomme n’a pas hésité une seule seconde à enfiler le bleu de chauffe et repartir par la case départ. Passé par la Division d’Honneur (ligue régionale française), l’équipe de Tahiti, le championnat indonésien et maintenant Bleid, difficile de faire plus atypique comme parcours de coach.

Joueur, Charbonnier l’était déjà. Un peu old school avant l’heure, le look plus proche de D’Artagnan que d’un chanteur de RnB. Peintre à ses heures perdues mais aussi et surtout grand passionné de sport équestre ; une passion qui l’amenait à se lever dès l’aube pour s’occuper de ses écuries, quelques heures avant de se rendre à l’entraînement… matinal de l’AJ Auxerre. Avec l’aval de Guy Roux bien entendu.

Embarqué en début d’année par la nouvelle (et bientôt ancienne ?) direction française d’un FC Bleid mal en points en Division 3A, Charbonnier garde sa pèche légendaire, sur et en dehors des terrains. Et pourtant, le nouveau Bleid sent bon l’arnaque. Plongée dans le foot d’en-bas .

Galère à Bleid

Avant de vous retrouver ici, aviez-vous déjà entendu parler du club de Bleid ?

Lionel Charbonnier : Je n’avais jamais entendu parler de ce club. Au départ, je disais Bled ( NDLR, Bleid se prononçant Blé) comme ceux qui ne connaissent pas le coin…

Pourquoi un jeune homme français de 28 ans (Grégory Sellier) se retrouve à racheter un petit club belge perdu dans la Gaume ?

Ça, il faut lui demander. J’imagine qu’il trouvait intéressant de racheter un club de National, D3 en France. Quand il m’a demandé de devenir coach, je lui ai dit – Pourquoi pas ? C’était mieux que de rester là à rien foutre en attendant la fin de la CAN. J’avais eu deux-trois contacts avec des sélections africaines, celle du Gabon notamment.

Bleid, c’est donc passager.

Peut-être pas. J’ai signé six mois, plus deux ans. Et puis en arrivant à Blèd, j’ai pu voir à quoi ressemblait les irréductibles Gaumais. Un club, enfin une équipe, plus quelques dirigeants et quelques bénévoles qui se battaient contre tout le monde.

Qu’avez-vous pensé du niveau ?

J’ai été surpris. En regardant quelques matches avant de prendre mes fonctions, j’en ai vu quelques bons, avec de vrais footballeurs. Si Bleid joue contre l’antépénultième d’une équipe de National en France, on prend une taule. Par contre, les 5-6 premières équipes ont un très bon niveau. Le problème d’une D3 belge, c’est qu’il y a deux divisions d’écart entre une équipe du haut et du bas de tableau.

Après la défaite dans le derby face à Virton, vous parliez déjà de partir si les renforts n’arrivaient pas…

Je suis venu pour rester. Mais quand j’ai pris l’équipe, j’ai vu qu’il y avait pas mal de joueurs qui n’avaient pas le niveau. Donc, donnez-moi des garanties nécessaires pour que je puisse m’investir… J’attends toujours. Notamment mes Tahitiens. Partout où je suis passé, j’ai réussi mes objectifs. Mais je suis pas Dieu-le-père, je suis pas Gargamel ( sic), j’ai pas inventé le football. Si j’étais un sorcier, je ne serais pas à Bleid mais sur le banc, à côté de Mourinho.

Vous discutez de ces difficultés avec le président Sellier ?

Je ne parle pas avec lui. Si vous voulez la primeur, je ne sais même pas où il est. Je ne sais pas ce qu’il fait. Il a planté tout le monde et on se débrouille tout seul depuis quelques jours… Mais peut-être que cette personne va se réveiller dans les heures qui viennent ?

Tout ça n’a pas l’air très rose…

Pas du tout. Aider Sellier et ses deux compères, c’est mon rôle, de les guider, qu’il profite de mon expérience, aussi. Structurer le club, ça ne me faisait pas peur, mais je devais avoir des garanties au niveau joueurs. J’ai peur qu’il n’y ait un truc bizarre qui se passe. Qu’on envoie des familles, des bénévoles, une histoire, dans un mur. Les joueurs sont au courant de tout ce qui se trame, j’ai toujours joué la carte de la clarté avec eux. Mais si on n’est pas capable d’acheter deux billets d’avion pour mes joueurs tahitiens, pour un club de National, c’est qu’il y a un problème derrière. A mes joueurs, je leur ai dit dès ce matin ( lisez jeudi dernier) : – Je ne peux pas vous retenir. J’ai peur d’avoir découvert le pot aux roses, mais peut-être aussi que je me trompe…

Avez-vous le sentiment d’avoir été manipulé ?

Bien sûr. Mais y a pas que moi, y a les trois, quatre bénévoles, Monsieur Claude Raulin, Monsieur Pierre : on n’a pas le droit de se moquer d’eux.

Foot pro vs Foot amateur

Avoir été au sommet en tant que joueur et se retrouver à Bleid, ça doit être particulier comme situation ?

Non, je l’ai choisi. J’ai fait Poitiers à mes débuts de coach où c’était exactement la même galère sauf que là, je m’occupais du club de A à Z. Je les ai pris en DH et je les ai amenés en CFA. Avant qu’on ne me fasse quelques sales coups dans le dos. Puis je me suis retrouvé à Sens, un autre club de CFA. Beaucoup de footeux disent après leur carrière :- Je veux donner aux amateurs ce que j’ai reçu. Moi je l’ai fait et on n’est pas beaucoup à l’avoir fait ! Poitiers, c’est ma ville natale. C’est grâce aux éducateurs de ce club que j’ai réussi, parce qu’ils ont réussi à me donner l’envie, sans jamais mettre un grain de sable dans mon éducation sportive. Et des éducateurs comme ceux que j’ai connus, on n’en rencontre pas beaucoup. Ils sont d’ailleurs restés mes amis, mes frangins, mes pères.

Vous avez accroché au monde professionnel ?

Oui. Mais il y a différents mondes pros. Le starisé, à paillettes, ce n’est pas que je n’ai pas accroché mais je n’y pas goûté, à part peut-être aux Rangers. Auxerre, c’était très familial. En amateur par contre, j’ai appris beaucoup de la vie. A Sens, après l’expérience de Poitiers, Monsieur Raymond, le président, m’appelle et me dit :- On a 80.000 euros, le plus petit budget de France, je ne peux pas en mettre plus, c’est ma fortune personnelle, je mets ça tous les ans mais je veux rester en CFA 2, est-ce que tu peux me donner un coup de main ? J’ai trouvé une personne très sincère, ce qui ne court pas les rues chez les dirigeants, et j’ai dit :- OK, on est parti. Je suis resté deux ans là-bas en réalisant l’objectif, c’est à dire : le maintien. Avec 80.000 euros dont 60.000 qui partent en trajets. Quand après, il faut payer les éducateurs et les joueurs, c’est  » chaud du pipeau « .

Vous étiez donc bénévole ?

Ah oui… On nous payait juste les frais de déplacements.

Vous l’avez pris comme une forme d’écolage ?

Oui parce que j’avais besoin de ça. J’ai vécu des situations qui m’ont fait prendre du recul, m’ont permis de relativiser par rapport au monde pro. La réalité du foot, c’est qu’il y a des petits clubs qui en chient et qui avec trois brindilles tentent de faire quelque chose. Je me suis retrouvé à gérer des situations que je n’aurais pas pu connaître chez les pros. A Sens, j’avais un Black qui arrivait toujours en retard. Au bout d’une dizaine de fois, je lui dis :- J’en ai plein le cul, t’es systématiquement à la bourre.Allez dépêche-toi, on commence l’entraînement. Le mec, un gars gentil, adorable, se magne pour nous rejoindre mais dès la fin de l’entraînement, je le vois filer direct. Je luis dis : -OK, si tu te fais chier avec nous, y a un problème ! Il me dit : – Non coach, faut que je te parle. Ma femme est partie. Je suis maçon et je dois aussi m’occuper de ma fille que je place en garderie. Pour joindre les deux bouts, je porte des tonnes de plâtre et je fais des heures sup’. Je me dis :- Putain, le con ! Pourquoi j’avais pas pensé à ça ! ? Pour moi, ce genre de situation était impossible. Le pire, c’est que le gars ne recevait pas d’argent du club, il faisait tout ça juste par amour du foot. Ça c’est les vraies situations de la vie ! C’est pas quand t’as un pro qui te fait chier parce que sa roue est dégonflée et qu’il faut l’emmener au garage. J’ai eu à gérer des situations au niveau religieux. A un gamin, je lui disais :- Quand je te parle, tu ne baisses pas la tête, tu me regardes dans les yeux. Et le gamin, rien. Après j’ai réalisé que c’était un musulman. Et que chez les musulmans, quand ton père te parle, il ne faut jamais le regarder dans les yeux. Ce genre de cas, tu ne vas pas le rencontrer chez les pros car le joueur, il va prendre plus d’argent que le coach et il va te prendre de haut. Le gamin, lui, il te respecte.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas retrouvé dans des clubs plus importants vu votre passé et vos bons résultats comme coach ?

Je pense que ma personnalité dérange. Parce que je dis ce que je pense. Mais je crois, vu les rapports très forts que j’ai gardés avec beaucoup de joueurs en France, à Tahiti ou en Indonésie, que je ne dois pas être un si mauvais coach que ça…

Comment vous retrouvez-vous sélectionneur à Tahiti ?

A la Coupe du Monde 2006, Blatter décide de réunir tous les champions du monde encore en vie. Sur place, je rencontre le président de la confédération océanienne de football, Reynald Témarii qui me dit qu’il faudrait développer le foot à Tahiti ou en Nouvelle-Calédonie. Témarii me dit que ce serait super qu’un de ces deux pays se qualifie pour une Coupe du Monde. Je lui dis OK et je me retrouve à Tahiti devant les médias à leur dire que je suis là pour qualifier leur pays au plus grand événement mondial. Et là, on se fout de ma gueule. Mon rôle sur place, c’était de restructurer tout le football d’élite et de m’occuper de toutes les sélections nationales (-17, -20 et Seniors). Je signe en décembre mais dès août, on est déjà éliminé de la Coupe du Monde. Le prochain objectif était donc dans quatre ans. Il ne servait donc à rien de continuer avec les Seniors d’autant que le moindre déplacement te coûte la peau du cul. J’ai donc décidé de prendre en charge les -20 que j’ai inclus dans le championnat de première division car le championnat junior, c’était Rasta Rocket, tu jouais les matches sur la plage. Au final, on va avec cette équipe au championnat du monde des -20 ans en Egypte ( NDLR, Tahiti devient la première nation insulaire océanienne engagée en phase finale d’un tournoi FIFA).

Vous avez dit vouloir ramener deux joueurs de Tahiti à Bleid. Vous n’avez pas peur d’une trop grande différence culturelle ?

Mes joueurs, ils n’ont peur de rien. Je leur disais de traverser le mur, qu’ils ne se feraient pas mal. Ils me répondaient :- Oui coach ! Ils traversaient et boum ! Puis te disaient :- T’as raison, ça fait pas mal. Ils ont une confiance aveugle en moi et c’est réciproque. Un de ces joueurs que je veux attirer à Bleid a fini meilleur joueur d’Indonésie à 22 ans. Mais on n’est pas capable de lui payer le billet d’avion. Ça fait peur quand même…

Quel est le budget d’un club comme Bleid ?

La nouvelle direction table sur 200.000 euros pour finir l’année. On a beau te dire qu’il n’y pas de dettes lors de la reprise, entre les cadavres dans chaque tiroir type boissons, électricité qu’ils vont ouvrir, ça va bien monter à 80.000 euros. Il faudra donc rajouter ces cadavres au budget.

Lors de la conférence de presse qui a suivi votre premier match avec Bleid face à Virton (défaite 5-0), vous vous êtes plaint du trop peu de joueurs à votre disposition. Balançant avec ironie :  » J’ai dû aller chercher des joueurs dans les bars et dans les églises « .

J’ai plus de joueurs ! Parce que soit certains ne se sont pas entendus avec le président, soit ils avaient des exigences financières trop importantes par rapport à leur niveau. Aujourd’hui, on a des joueurs qui jouent pour 200-300 euros. Mais ils valent pas plus, les pauvres ! A l’inverse, quand tu as des joueurs qui te demandent 1.500-2.000 euros plus la voiture, le logement mais qui n’avancent pas et que tu apprends qu’il est beurré tous les quatre matins, y a un problème ! Le décalage était trop important. Malheureusement, aujourd’hui, je me retrouve avec des Juniors pour faire 13e joueur sur la feuille de match…

Problème d’éducation

On a pu vous voir comme consultant sur Eurosport lors de la dernière Coupe du Monde dans un talk-show (Onze dit tout). Allez-vous rééditer cette expérience ?

Je ne sais pas. En tout cas, je ne suis plus sous contrat avec TF1. Mais ça a été une superbe expérience. Moi et Guillaume Di Grazia, on a tout cassé, on a cassé la cabane ! On a été élu meilleure émission du mondial par l’Equipe Mag. Le concept, c’était de taper la discuss’ comme si on était au bar. C’était une émission un peu décalée, tout en restant pro dans notre approche.

Durant le mondial sud-africain, vous aviez été très critique envers Domenech et ses joueurs ?

Et à raison. Ils ont fait n’importe quoi. Domenech n’aurait pas dû être à la Coupe du Monde. C’est un super mec, intelligent. Mais je ne crois pas qu’il avait la dimension pour conduire le groupe France. Il aurait dû être viré plus tôt. Le truc, c’était de rameuter Deschamps. Seulement, quand la Fédé demandait aux joueurs s’il fallait garder Raymond, ils répondaient par l’affirmative. Il ne va pas se tirer une balle dans le pied le gars. Le joueur, il pense à sa petite personne. Ceux qui ont des couilles, ont dit qu’il ne fallait pas le garder mais ils n’étaient pas nombreux.

Comment expliquez-vous la différence d’image entre la génération 98 (Zidane, Deschamps, Thuram, Desailly, etc.) et celle de 2010 avec Ribéry ou Anelka.

L’éducation. Je ne dis pas que les joueurs aujourd’hui sont des victimes mais ce ne sont pas les uniques responsables. Le système est néfaste. Ils reçoivent tout trop vite. A 14-16 ans, on vient chercher des jeunes, on leur propose d’intégrer le centre de formation du club en échange de 100.000 euros avec en prime une maison pour la famille et un travail pour le père. Après, l’éducateur, comment voulez-vous qu’il se fasse respecter ? S’il veut punir le joueur, il se tape la direction du club sur le dos qui lui rappelle l’investissement d’un million d’euros réalisé pour le jeune. Le rapport de force est déjà biaisé.

A mon époque, on avait un profond respect de nos éducateurs. Et on bâtissait ensemble quelque chose. On semait par exemple nous-même le terrain d’entraînement, c’était une manière de nous faire participer à la bonne marche du centre de formation. L’approche, la culture étaient très différentes d’aujourd’hui.

A travers le docu  » Les yeux dans les Bleus « , beaucoup de fans de foot ont pu suivre la Coupe du Monde de la France en 98 de l’intérieur. L’esprit de corps, de camaraderie qui se dégageaient, était-ce une vision un peu trop édulcorée de la réalité ?

Non pas du tout, on était vraiment comme des frères. S’il a fallu couper des scènes aux montages, c’est parce qu’au contraire on a fait des trucs de potes que Canal aurait dû montrer dans ces programmes du soir ( il rit). Plus sérieusement, il y avait une vraie complicité qui a bâti notre victoire. Tout le contraire du dernier mondial.

Comment retombe-t-on sur terre après un titre de champion du monde ?

Je ne dis jamais que je suis champion du monde. D’abord parce que je n’ai pas joué une minute du tournoi et aussi parce que dans le foot, il y a trop d’aigris. Combien de fois, j’ai pas entendu  » Monsieur le champion du monde  » alors que je ne mets jamais ce titre en avant.

Les jours qui ont suivi le sacre ont dû être complètement fous, non ?

Quand on a défilé le long de Champs-Elysées noirs de monde, je me suis dit : – Putain ! Merci, Dieu, de m’avoir fait vivre ce moment-là ! Voir cette joie dans les yeux des gens, c’était énorme. Tout le monde doit connaître un jour dans sa vie ce moment-là, se réaliser dans ce qu’il fait de mieux. Le maçon qui bâtit une superbe baraque, le boulanger qui fait un pain merveilleux, etc.

Vous avez même été décoré de la Légion d’Honneur…

Au départ, je ne voulais pas la recevoir. Pour moi, la Légion d’Honneur cela s’adressait à ceux qui m’ont permis de parler français, qui ont donné leur vie pour le pays. Pas à un footballeur. C’est Jean-Pierre Raffarin (ex-Premier ministre), qui est un ami originaire comme moi du Poitou-Charentes, qui m’a convaincu d’accepter cette médaille. Et je dois dire que j’en étais fier…

PAR THOMAS BRICMONT

 » Je ne sais même pas où est le président. Je ne sais pas ce qu’il fait. Il a planté tout le monde et on se débrouille tout seul… « 

 » La réalité du foot, c’est qu’il y a des petits clubs qui en chient et qui avec trois brindilles tentent de faire quelque chose. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire