« Je ne cherche pas le danger exprès »

Le Canadien aux petites lunettes rondes de collégien et à la barbiche brune est décidément un pilote hors normes

Depuis plus de trois ans et le titre de champion du monde décroché en 1997, le Québecois qui valait 2,4 milliards (le montant de son assurance vie) ne connaît plus le succès. Et cela commence à l’énerver. Au coin du bar Honda, le fils de Gilles Villeneuve nous a confié ses voeux de reconquérir le monde, la femme de sa vie et Mars!

Lors de la présentation d’avant-saison, vous aviez clairement défini vos objectifs en évoquant un Top 3. Or vous avez décroché vos premiers points lors du GP d’Espagne, le cinquième de la saison. Avez-vous dès lors revu vos ambitions à la baisse?

Pas du tout. Terminer parmi les trois premiers du championnat reste pour moi le minimum acceptable. Si cela n’est pas atteint en fin de saison, cela constituera une grosse déception. Cela signifiera que l’expérience est ratée.

Comment expliquez-vous ce début de saison en demi-teinte?

Disons qu’on a manqué de réussite. Il y a d’abord eu l’accident en Australie alors que j’étais huitième en course. Bon, la Malaisie, on ne saura jamais. C’était un peu Disneyland. Au Brésil, j’étais aux portes des points quand un problème de communication a provoqué un cafouillage lors de notre rentrée au stand ce qui a fait perdre trente secondes à Olivier Panis. Enfin à Imola, j’étais déjà remonté sur Trulli et on tournait en moyenne une demi seconde au tour plus vite que les Jordan, mais malheureusement le moteur a lâché. Cela fait pas mal de manque de réussite. C’est très frustrant, mais il ne faut pas non plus se chercher d’excuses. Si on est pas mal en course, on n’est de toute manière pas assez vite en qualifications.

Pour quelle raison?

On l’ignore encore. Le gros problème à mon sens est que l’on essaye trop de trucs lors des séances libres. Généralement, le vendredi je ne suis pas satisfait de la voiture. Et au lieu d’accepter le niveau de ma monoplace, de me contenter d’une 6e ou d’une 8e place, j’essaye de peaufiner. Ou je pars carrément dans une autre direction. Résultat, on arrive en qualifs mal préparé. Du coup, je ne suis pas en confiance avec la voiture ce qui ne me permet pas de réaliser des tours canons, de me lâcher complètement.

Vous attendiez vous à ce que votre équipier Olivier Panis soit aussi rapide?

Ricardo Zonta n’était pas lent. En essais privés ou libres, il pouvait aller très vite, mais il perdait ses moyens en qualifications. Et puis il ne nous permettait pas d’avancer car il n’apportait pas grand-chose à l’équipe en matière de travail de développement. Olivier semble plus solide. Il résiste mieux à la pression et me donne plus de fil à retordre. Tant mieux. Il va m’obliger à me réveiller un peu.

Vous n’avez plus remporté un GP depuis le Nürburgring 1997. Combien de temps ce manque à gagner peut-il encore durer?

Je ne sais pas. Aussi longtemps que je cours peut-être. Il est clair que je commence à en avoir marre. J’aimerais recommencer à gagner le plus vite possible.

Vous avez encore été victime d’un sérieux accident en ce début de saison à Melbourne. Vous arrive-t-il d’avoir peur ?

Peur, non. Des soucis oui. Lorsque j’étais en l’air en Australie et que je voyais que j’allais taper le grillage, cela m’a tracassé un peu. Mais je n’ai jamais eu peur au point de rester figé. Même au moment de m’envoler je regardais dans mes miroirs pour voir où j’allais taper.

Mentalement, vous sembliez plus choqué…

C’est vrai car là-bas je ne savais pas comment j’allais finir. Tandis que lors des autres crashes, je n’ai jamais pensé que j’allais me faire mal. Au pire, j’allais être un peu sonné. Mais en Australie, je ne savais pas comment j’allais finir. J’aurais pu y passer. Donc, un moment il y a eu doute.

Il y a tout de même eu un commissaire de piste tué.

Ce n’est jamais plaisant sur le moment. C’est malheureux, mais je ne peux rien y faire.

Cela va si vite. A-t-on réellement le temps de penser?

On pense très vite. Quand on est dans la voiture, il n’y a rien d’autre qui existe. 100% de son énergie est dans la voiture. En cas d’accident, on ne réfléchit plus. Le cerveau réagit par lui-même. En deux secondes, il calcule dix fois plus que normalement.

Pourtant Michael Schumacher a déclaré que durant certaines courses, il pensait à ses enfants jouant dans le jardin.

Cela doit être vrai car chaque fois qu’il est en tête il commet des erreurs. Six à sept fois par an, quand il est en tête, il se sort. Presque à chaque course en fait quand il mène il fait un tout droit, il est distrait. Cela m’arrive rarement. A quelques tours de l’arrivée, il m’arrive juste parfois de penser à la fête du soir.

Malgré tous ces spectaculaires accidents, notamment deux fois au sommet du Raidillon, continuez-vous à penser que la F1 n’est pas suffisamment dangereuse?

Non, je n’estime pas que la F1 soit trop ou pas assez dangereuse. Je critique simplement les modifications endommageant le pilotage et rendant les circuits bâtards. Quand on ajoute des chicanes partout, cela rend la conduite inintéressante. J’adore par exemple rouler à Spa car sur ce tracé il y a un rythme, on a l’impression d’aller quelque part.

Mais vous semblez apprécier le danger.

Disons que le danger permet de départager les pilotes. Car quelqu’un qui a confiance en sa monoplace et en ses capacités va aller vite dans les endroits dangereux. S’il n’y a pas d’endroits dangereux, si le seul risque est d’effectuer un tête-à-queue, même les moins bons vont oser aller chercher la limite. Mais bon, je n’ai pas envie de me tuer non plus. Je ne recherche pas le truc dangereux exprès pour voir si je vais survivre.

Avec votre soif de rechercher vos limites, on imagine que vous ne trouvez rien de bon à la nouvelle réglementation libéralisant l’électronique et l’antipatinage?

Le principal avantage est qu’il n’y a désormais plus de doute sur la tricherie. Or, il n’y a rien de pire que de penser qu’on n’a pas été battu sur sa valeur. Que le pilote qui vous a devancé avait une monoplace qui n’est pas conforme. Au point de vue du pilotage, le seul endroit où c’est mieux c’est en ligne droite, à fond de 6e sous la pluie, quand il y a de l’aquaplaning et qu’on suit quelqu’un sans rien voir que son feu arrière. Pour le reste, le pilotage reste tout de même difficile. Finalement, cela n’a pas changé grand-chose. A la limite, on peut rouler plus agressif. Il faut tout de même régler l’arrière. Sans un bon set-up, le traction control ne va pas vous faire aller plus vite. Lorsque les roues commencent à déraper, l’antipatinage les arrête. Mais cela ne signifie pas qu’il y a plus de grip.

En lever de rideau du GP du Canada, vous allez inaugurer à Montréal votre propre restaurant, le Newtown. Un moyen comme un autre de rentabiliser votre popularité?

Non, non. Cela n’a rien à voir avec du business. Je n’ai pas fait cela dans le but d’exploiter mon nom. J’ai un pote travaillant dans ce domaine et je voulais simplement créer un petit endroit où je pouvais me sentir chez moi et boire mon café tranquillement. Et le projet a grandi au fur et à mesure. Mais je ne vais tout de même pas changer mon nom pour que les gens n’y aillent pas. Mais il n’y aura aucun souvenir de course, aucun casque, aucune coupe. Ce n’est pas le but.

Etes vous conscient d’avoir apporté une bouffée d’air frais dans le paddock où l’on parle maintenant du look ou de la mode Villeneuve?

La chance que j’ai eue c’est que l’on m’a accepté comme je suis. J’ai pu rester moi-même ce qui m’a permis de rester heureux et de mieux travailler. Là, je suis au circuit comme je suis à la maison. On a essayé de me faire rentrer dans un moule, mais ce n’était pas possible.

Vous êtes bon ami avec David Coulthard. Pensez-vous que cette fois c’est son année?

Il est bien parti en tous cas. Il a souvent fait des courses comme cela où il était fantastique, mais en général il a toujours baissé les bras après quelques épreuves. Si cette année, il peut garder son énergie et rester concentré, il risque de faire des belles choses.

David a refusé le mariage et rompu avec sa compagne Heidi pour se concentrer sur la conquête du titre. Ce n’est pas votre cas. Depuis votre rupture avec Dannii Minogue, on prétend que vous cherchez la femme de votre vie?

Il est clair que je me vois bien plus tard en famille. Mais je ne suis pas là, en ce moment, en train de la chercher. Il est très difficile d’avoir une relation sérieuse et durable tant que vous êtes pilote. Mais après, oui. De toute façon, vous ne trouvez pas la femme de votre vie, c’est le genre de truc qui vous tombe dessus. Mais j’ai un coeur d’artichaut. Donc cela risque d’être difficile.

Parmi vos prochaines conquêtes, vous avez également raconté que vous aimeriez voyager sur Mars.

J’ai toujours été attiré par la conquête spatiale. Je suis convaincu qu’il existe une vie ailleurs. Il serait présomptueux de croire que nous sommes les seuls êtres vivants dans l’univers. Mon rêve serait de partir sur Mars, de coloniser la planète et de m’installer là-bas. D’y amener quelques filles et de faire des courses de Buggy-moon.

Vous êtes décidément attiré par les aventures extrêmes comme le benji ou le ski.

Le saut à l’élastique non car il n’y a aucun contrôle. Mais le ski, oui j’adore. C’est un excellent moyen d’assouvir ma passion pour la vitesse. Je crois que je continuerai à en faire jusqu’à 50 ou 60 ans. Sauter des corniches, faire le fou, c’est génial. Même après ma carrière en F1, je continuerai aussi à rouler en karting. Je me ferai construire une grande piste rien que pour m’amuser.

On ne vous reverra plus dans un paddock?

Non, le paddock n’est vraiment pas ma tasse de thé. Et puis je n’ai pas envie que les gens disent : -Tu as vu celui là? C’est machin chose, un ancien pilote. Franchement, vous ne me verrez plus. A moins que mon fils décide de faire de la course. Dans ce cas-là, à la limite. Comme Scheckter l’a fait un peu.

Auriez-vous plus apprécié l’ambiance plus conviviale de l’époque de votre père que le climat plus aseptisé régnant aujourd’hui?

Peut-être. Vous savez, j’ai l’impression que l’on évoque toujours le passé de manière positive. On se rappelle de cinq minutes en 70 et de cinq minutes en 82. Le passé est toujours fantastique. Mais ce n’est pas vrai, moi je trouve que le présent est génial. Il faut apprécier l’instant présent. Et le futur est encore mieux.

L’avantage, aujourd’hui, est que vous gagnez dix fois plus.

Tout à fait. Non seulement on a plus de chance de survivre, mais on a également une vie plus facile lorsque l’on raccroche. A l’époque, la plupart des pilotes ont eu besoin de trouver un autre boulot après leur carrière. Tandis que moi je devrais pouvoir m’en sortir.

Trouvez vous qu’il est juste de gagner autant d’argent?

Pourquoi pas. Si quelqu’un est prêt à vous payer. C’est la loi de l’offre et de la demande. C’est pareil avec les acteurs, avec les chanteurs. Si nous on gagne autant d’argent, c’est qu’il existe certainement quelqu’un d’autre qui s’en fait encore plus sur notre dos. Et ainsi de suite. Et puis si on procure une heure et demi ou deux heures de bonheur le dimanche à des millions de personnes, ce n’est pas un mal. Sinon, autant arrêter tout ce qui est art, cinéma, sport professionnel et musique. On enlève tout car c’est inutile, cela ne sert à rien. Et alors on deviendra tous des robots.

N’existe-t-il pas des personnes qui exercent des métiers nettement plus nobles et qui gagnent nettement moins?

Certainement. C’est d’ailleurs pour cela que chaque année, j’organise un événement en Suisse, les 24 Heures de ski, dont tous les profits sont versés à des enfants défavorisés. On donne un peu de notre temps, mais on fait cela en s’amusant. On se dépense physiquement. Moi je n’aime pas juste faire une photo ou signer un chèque pour me donner bonne conscience.

Si aujourd’hui on vous proposait de gagner beaucoup moins d’argent mais beaucoup plus de courses?

Il faudrait d’abord que j’aille vérifier mon compte en banque pour voir si je possède assez d’argent pour ne plus devoir en gagner trop. Mais si les autres zigotos contre qui je rivalise gagnent un paquet, cela serait énervant aussi. Car il faut savoir que les salaires, les contrats représentent également une manière d’établir la valeur d’un pilote. De savoir ce que l’on vaut. Et puis il y a la fierté aussi. C’est important. En fait, l’être humain est très simple à la base…

Olivier De Wilde

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