» JE N’ÉTAIS PERSONNE EN ARRIVANT « 

Après une saison pleine au Dynamo Moscou, William Vainqueur nous a ouvert les portes de son quotidien romain. Entre Totti, Nainggolan, passion et hautes ambitions.

Le rendez-vous est pris jeudi dernier au centre d’entraînement de l’AS Rome, deux jours après l’élimination logique en huitième de finale de la Ligue des Champions face au Real Madrid. Les jeunes tifosi semblent déjà avoir oublié la défaite et attendent patiemment la sortie de leurs favoris et de leurs bolides. William Vainqueur est l’un des premiers à quitter les lieux, après nous avoir embarqué au passage. Il s’arrête et passe 5 bonnes minutes à multiplier les selfies à travers la portière de son 4X4 Mercedes.

Les smartphones en tous genres n’ont apparemment plus aucun secret pour lui.  » Aujourd’hui, c’est rien par rapport à certains jours « , nous dit-il d’emblée. On imagine donc mal l’idole de la Louve se frayer un passage au milieu des siens.  » Pour Totti, il y a une sortie spéciale par derrière « , poursuit le joueur français de 27 ans qui file vers Casal Palocco, son quartier balnéaire situé au sud-ouest de Rome, là où loge une bonne partie de l’effectif romain loin de l’agitation de la Cité éternelle, là où il a ses habitudes, son resto ; l’endroit idéal pour retracer une carrière qui suit une belle courbe ascendante.

Tu te rappelles ton premier jour en Belgique ?

WILLIAMVAINQUEUR : Oui. Je débarque à Liège, il pleut, beaucoup même, je visite un peu la ville et je me dis que ça va être difficile. Le lendemain, pareil, avant d’arriver au centre d’entraînement, tu passes devant les usines, tu es frappé par ce décor. Mais à ma grande surprise, le centre d’entraînement était tout neuf, les installations magnifiques. De toute façon, dans ma tête, j’étais là pour repartir. Et vu les joueurs qui m’avaient précédé, les Witsel, Fellaini, etc, je savais que c’était un club suivi en Europe. Dès la première année, j’ai connu l’Europa League. La deuxième année, je suis monté en puissance et la troisième année aurait dû être celle de la consécration.

La première impression sur Liège et le Standard était donc trompeuse.

VAINQUEUR : Oui, totalement. Liège, pour moi et encore plus pour ma femme, c’est une ville qu’on adore. Beaucoup de gens n’ont pratiquement rien, mais ils sont d’une incroyable générosité. Le Standard devait n’être qu’un tremplin mais ce fut bien plus que ça. Après quelques mois, j’étais déjà liégeois. Et je comprends parfaitement que des gens comme Regi (Goreux) ou Poco sont tant attachés à leur ville.

 » JE NE COMPRENDS TOUJOURS PAS CE QUI S’EST PASSÉ AU STANDARD  »

Louper le titre après avoir fait la course en tête durant tout le championnat, ça n’a pas dû être facile à digérer…

VAINQUEUR : Oui, ça me reste toujours en travers de la gorge. C’est le plus gros échec de notre carrière, cette fin de championnat. On était l’équipe qui jouait le mieux, on était tous en forme, l’équipe avait grandi ensemble depuis près de deux ans. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé. On avait tout en main. Mais dans l’ensemble, ce fut une super saison. On était une vraie bande avec les Polo (Mpoku), Geoffrey (Mujangi Bia), Daniel (Oparé), Dino (Arslanagic), Laurent (Ciman), Michy (Batshuayi), c’était une grosse équipe et une grosse ambiance.

Et à la tête de l’équipe, on retrouvait Guy Luzon qui n’a jamais semblé faire l’unanimité…

VAINQUEUR : Contrairement à ce que certaines personnes ont pu dire, il avait vraiment une vision du foot. J’ai aimé son discours, ce qu’il mettait en place.

Il n’était pas un peu fou ?

VAINQUEUR : C’est ce qu’on aime quand on est footballeur. Notre coach, Luciano Spaletti, c’est Luzon fois 50. Star, pas star, si tu ne fais pas ce qu’il demande, il va te tuer (rire). Mais il aime ses joueurs et il les défendra jusqu’au bout. Moi, je ne suis personne dans cette équipe par rapport à tous ces noms mais il met tout le monde sur le même pied d’égalité. Et tactiquement, c’est le top, il sent le jeu comme personne. Il va te dire de te placer à tel endroit sur tel phase, tu comprends pas vraiment pourquoi et puis tu te rends compte que la balle arrive dans tes pieds.

Tu es toujours autant mauvais perdant que durant ta période liégeoise ?

VAINQUEUR : Oui. Je ne vais pas en venir aux mains mais je peux aller loin et je suis très mal après une défaite. Et depuis tout petit. Je peux rester chez moi deux semaines sans sortir. Après avoir perdu le titre avec le Standard, j’étais KO. J’avais dit à Mehdi (Carcela) qu’on devait partir vite en vacances pour oublier. Deux semaines après cet échec, ça me trottait encore en tête et je lui ai dit : Mehdi, tu te rends compte qu’on a perdu le titre. Et lui me répondait  » Mais ferme là  » (Il rit).

 » EN RUSSIE, JE VIVAIS DANS UN BUNKER  »

Après le Standard, tu te retrouves à Moscou, dans une mégalopole où le luxe côtoie une très grande pauvreté. Quel regard portes-tu sur cette expérience ?

VAINQUEUR : Je sortais de Liège avec un bon salaire aux normes belges et je passais à un salaire russe et tout le luxe qui va avec. Si j’avais besoin d’un chauffeur, il était là dans la minute, si j’avais besoin de me déplacer, le président me donnait son jet privé. Au début, tu en profites et puis tu te dis que ce n’est pas la vraie vie, qu’il ne faut pas s’attacher à ça. Et humainement, ça n’avait rien à voir avec Liège. Tu marches dans la rue, personne ne te dis bonjour, les gens sont froids de nature. De toute façon, on vivait dans une sorte de bunker pour personnes aisées. On n’en sortait quasiment pas.

Etre noir et musulman en Russie, ça complique les choses ?

VAINQUEUR : La pratique de ma religion, je l’ai toujours gardée pour moi. Une personne extérieure ne peut pas deviner que je suis musulman. Je n’ai pas besoin de le montrer ou de porter des vêtements particuliers. Là où je vivais, en banlieue parisienne, on était entre Sénégalais, Maliens, Algériens, on était entre musulmans pour la grande majorité. Ma mère est chrétienne mais je n’ai jamais accroché à cette religion. Même si, lors des vacances en Guadeloupe, ma grand-mère me réveillait à 6 h 30 pour aller à la messe. Depuis l’âge de 14 ans, je suis musulman et le fait de me retrouver avec mes amis, échanger un repas, partager nos valeurs d’humanisme, ça m’a aidé à ne pas mal tourner, j’en suis convaincu. Aujourd’hui encore, la pratique de la religion m’apaise et me permet de relativiser ma vie de footballeur et de me dire qu’il y a beaucoup plus grave.

As-tu été victime de racisme en Russie ?

VAINQUEUR : Non, sauf une fois, dans un match face au Torpedo Moscou où dès que je touchais le ballon, les cris de singe pleuvaient. C’est intolérable ! Le pire c’est que je suis conscient qu’il y a encore une grande marge entre ce qu’ils nous font vivre à nous footballeurs (pendant les 90mn d’un match de foot) et à un citoyen qui pourrait, de par sa fonction sociale, y être exposé tous les jours de l’année.

Et sportivement, c’était comment ?

VAINQUEUR : On a réussi une bonne saison avec notamment un bon parcours en Europa League mais depuis que l’UEFA a interdit le Dynamo Moscou de participation à toute Coupe d’Europe cette saison, le club a éclaté et les joueurs étrangers ont été poliment priés de partir. Je suis heureux de cette expérience. Même si le travail physique était très léger. Quand on était en préparation à Dubaï pendant l’hiver, on n’avait qu’un entraînement par jour et on te donnait même cinq jours de récupération. Et à chaque trêve internationale, on recevait cinq jours de congé. Je n’ai jamais eu autant de vacances de ma vie, on était un peu les rois. Durant ma saison en Russie, je n’étais quasiment jamais chez moi. J’ai d’ailleurs dit à ma femme qu’on avait dépensé de l’argent bêtement dans un loyer qui à Moscou coûte très cher. Ça reste toutefois une ville incroyable à de nombreux points de vue, je n’avais jamais vu ça hormis peut-être à New York ou Los Angeles.

 » QUAND TU GAGNES LE DERBY, TU PÊUX FAIRE CE QUE TU VEUX EN VILLE  »

Rome, c’est pas mal non plus…

VAINQUEUR : C’est encore différent. Ici, tu ressens au quotidien la pression inhérente d’un club de la dimension de l’AS Rome. Quand ça va bien comme maintenant, les gens te laissent tranquille, mais quand ça va moins bien, comme entre novembre et décembre où on multipliait les partages, ça chauffe très vite. Les ultras sont notamment venus au centre d’entraînement pour nous rappeler à l’ordre. Le derby romain, c’est un événement unique. Quand tu le gagnes, tu peux faire ce que tu veux en ville, tu vas au resto tu ne paies pas, les gens sont derrière toi. J’ai eu la chance de le disputer et surtout de le gagner.

Tu aimes évoluer dans un club où règne une telle pression ?

VAINQUEUR : Oui, et c’est pour ça que je fais ce métier. J’aime cette passion. Et les cadres de l’équipe, dont Daniele De Rossi, m’ont directement expliqué comment ça allait se passer. Au Standard, j’ai connu des supporters extraordinaires alors qu’à Moscou on jouait devant 5000 personnes. Il y avait zéro pression, que tu joues bien ou que tu joues mal, ça ne changeait pas grand-chose. Et ça, c’est chiant.

Comment juges-tu ta saison ?

VAINQUEUR : Bonne. D’autant que je ne suis entouré que de grands joueurs : De Rossi, Pjanic, Keita, Maicon, Nainggolan, et évidemment Totti, etc. Le premier jour, je me suis retrouvé assis à deux places de lui. Je t’assure que tu te fais petit. Et j’ai découvert un autre football, un autre niveau, ici ça va à 2000, si tu ne vois pas le jeu avant de recevoir le ballon t’es mort et tu entends Totti crier. Ça va vraiment très vite.

Ça a été compliqué au début ?

VAINQUEUR : Oui. Quand j’ai rejoint le groupe, je sortais d’une blessure en Russie et après le premier entraînement qui était une séance axée sur le physique, je suis rentré chez moi et j’ai vomi. J’ai compris que ce qu’on m’avait raconté sur l’Italie, ce n’était pas de la blague. Il faut voir la taille des cuisses des joueurs pour comprendre de quoi je parle.

Tu es arrivé à Rome sans grande référence. Ça a compliqué ta tâche ?

VAINQUEUR : En Italie, ils connaissent le football. Un 6 est à leurs yeux aussi important que l’attaquant ou le défenseur. Ce n’est pas étonnant que Pirlo ou De Rossi soient italiens.

Tu as le sentiment de progresser ?

VAINQUEUR : Bien sûr. Je suis arrivé, j’étais personne. Quand je me suis retrouvé sur le banc au début, j’étais comme au théâtre. C’était déjà une chance. Ce club regorge de bons joueurs qui n’ont même pas la chance de se retrouver sur le banc. Quand je suis arrivé, j’avais un plan que j’avais élaboré avec mon agent Meissa Ndiaye : d’abord tu te fais tout petit, et tu te défonces à l’entraînement pour te retrouver sur le banc et puis tu gagnes ta place. Je savais très bien que je n’allais pas être titulaire d’entrée, il y a trop de stars devant moi, c’était impossible. Il faut aller la chercher cette place. C’est mon ambition.

Parmi ces stars, il y a notamment Radja Nainggolan.

VAINQUEUR : Il est exceptionnel. Il sait tout faire. Il est puissant, technique, il peut jouer un peu plus haut dans le milieu ou un peu plus bas. Rome c’est déjà très très grand mais il peut évoluer avec les plus grands d’après moi : le PSG, le Real Madrid, peu importe Mais le mec qui m’a le plus impressionné, hormis Totti qui joue moins, c’est Pjanic, c’est un génie. Quand il est à 100 %, c’est trop, c’est un régal. Il ne va pas à 100 à l’heure mais il voit tout sur le terrain. Pour Miralem et Radja, il n’y a aucune frontière.

La consécration, ça a dû être cette titularisation face au Real en huitièmes de finale de la Ligue des Champions ?

VAINQUEUR : Quand j’ai annoncé que je serais titulaire face au Real, à Meissa, mon agent, il m’a dit : Tu sais d’où tu viens, tu te rappelles les sacrifices qu’on a faits ensemble, et bien c’est pour un soir comme face au Real que tu as fait tout ça. T’es à Rome, Zidane est sur le banc, tu joues contre Modric, deux semaines plus tard, tu te retrouves sur le terrain de Bernabeu…

 » A L’HOTEL, ON A VU DÉBARQUER 5 À 6000 SUPPORTERS  »

Lors du derby t’étais en stress ?

VAINQUEUR : Oui, surtout que je l’ai disputé en tant que titulaire. Et on te fait comprendre, dirigeants, supporters, que tu ne peux pas le perdre. Quand on était à l’hôtel, on a vu débarquer 5 à 6000 supporters à 8 h du matin. Walter Sabatini (ndlr, manager général de l’AS Rome) m’a convoqué dans son bureau et il n’y est pas allé par quatre chemins : Tu vas jouer, j’ai confiance en toi, je ne t’ai pas pris pour rien. Et c’est là que tu commences à flipper.

Avant la trêve, alors qu’on était encore deuxième ou troisième, notre bus s’est pris des cailloux, des tomates, je me suis dit mais on est où ? Il ne fallait pas chercher les supporters du Standard mais ici c’est encore autre chose. Quand on s’est rendu à Naples, par exemple, on a dû effectuer le trajet en avion pour raisons de sécurité alors qu’en car, ça ne prend pas plus de deux heures. Et à l’arrivée à l’aéroport, il y avait 200 policiers pour nous escorter. C’était de la pure folie.

Tu hésites parfois à mettre un tampon à un joueur comme Totti ?

VAINQUEUR : Quand c’est Totti, tu vas peut-être faire un peu plus attention mais si tu dois lui prendre la balle tu vas lui prendre la balle, et il va peut-être gueuler sur le coup mais dans le vestiaire il va te faire une petite tape sur l’épaule. Ce sont des gens qui respectent tellement le football, qu’ils savent que ça fait partie du jeu.

On s’habitue à côtoyer une telle légende ?

VAINQUEUR : Il est incroyablement discret dans le vestiaire. Mais sportivement, il reste impressionnant. A quasi 40 ans, je me demande comment il fait. Il a les yeux partout, il a un pied qui lui permet de faire ce qu’il veut. C’est sur un corner, face au Chievo Verone, que je me suis vraiment rendu compte où j’étais : j’ai vu De Rossi, Maicon, Gervinho, je me suis dit : putain tu joues à la Roma. C’est con mais c’est vraiment là que j’ai réalisé.

PAR THOMAS BRICMONT À ROME – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Rome c’est déjà très très grand mais Nainggolan peut évoluer avec les plus grands : le PSG, le Real Madrid, peu importe.  » WILLIAM VAINQUEUR

 » Ici, si tu ne vois pas le jeu avant de recevoir le ballon t’es mort.  » WILLIAM VAINQUEUR

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