» JE N’ÉTAIS PAS LÀ POUR VOLER LEUR ARGENT MAIS POUR SUER « 

Avant de prendre l’avion pour l’Espagne, la Liga et Elche, son nouveau club, le Belgo-Congolo-Italien nous a reçus chez lui pour un entretien-fleuve. Rencontre avec un gladiateur des temps modernes.

C’est l’histoire d’un mec qui a connu le très haut niveau sans vraiment rien demander. Un mec qui a dû s’exiler vers l’Italie pour être reconnu à sa juste valeur. Celle d’un gregario, un gladiateur des terrains, pas le genre de joueur pour qui on paye sa place mais bien celui pour qui on est prêt à payer très cher pour l’avoir dans son équipe. A Formia, dans le Latium, cité balnéaire située entre Rome et Naples, Gaby Mudingayi retrace, en long et en large, son riche parcours, très riche.

 » J’ai commencé le foot par un pur hasard. J’allais pas très bien à l’école, je préférais traîner avec les potes. Mon père m’a un peu forcé à faire un sport pour que je m’occupe, que je rentre à la maison fatigué. Je dois avouer que je n’étais pas très chaud. Puis, avec mes potes d’Etterbeek, on s’est décidé de faire un sport tous ensemble. On s’est finalement inscrit au club de notre commune. Ça m’a rapidement plu, je courais partout…

Avant ça tu jouais un peu au ballon ?

Non, même pas, je traînais avec mes potes, on était six-sept à faire un peu les cons dans Bruxelles. Des petites conneries d’enfance mais rien de grave. Je n’étais pas du tout passionné par le foot. Je me rappelle qu’un jour, à l’école, on avait reçu des billets pour aller voir Anderlecht jouer. Je les avais refusés. Entre traîner avec mes potes ou voir Anderlecht jouer : mon choix était vite fait….

A Etterbeek, tu ne t’éternises pas…

Non, je reste deux saisons environ. Le président Marc Lesenfants avait des contacts avec des gens de l’Union Saint-Gilloise. Il me voyait courir un peu partout sur le terrain, il pensait que j’avais faim de foot. Le truc, c’est que mes potes, eux, foutaient un peu le bordel. Le club a donc décidé de dégager tout le monde. Je me suis retrouvé à l’Union, j’avais 15 ans. J’ai rapidement évolué en réserve puis j’ai rejoint la première à mes 16 ans…

Plutôt précoce d’autant que tu n’avais quasiment eu aucun écolage…

Oui je n’avais aucune formation ni aucune base tactique. Pour moi, là où le ballon était, je devais y être. C’était quasi une obsession. Je m’en foutais qu’on me dise que j’étais un milieu de terrain et que je devais rester dans ma zone. On disait de moi que j’étais un mort de ballon (sic).

 » Je pouvais courir du matin au soir  »

C’est ta puissance physique qui t’a permis de percer ?

C’est vrai que physiquement, j’étais au-dessus. Je pouvais courir du matin au soir. J’avais cette force, ce potentiel depuis tout petit mais je ne le savais pas. Mais quand je montais en match, j’explosais. Mais quand je me suis retrouvé à Gand à 19 ans, j’ai connu des difficultés à cause de mon retard technique et tactique. Et puis avec le Hollandais Jan Olde Riekerink, ça se passait pas très bien, il ne me calculait pas.

Par contre, on te retrouve rapidement en équipe nationale alors que tu n’étais pas titulaire à Gand.

Oui, c’était la surprise totale. Jean-François de Sart (ndlr, coach à l’époque de l’équipe nationale Espoirs) avait rendu un joli rapport à mon propos. Et Aimé Anthuenis m’a donc sélectionné contre la Pologne pour que je remplace Yves Vanderhaeghe qui s’était blessé. J’avais très peu de matches en D1 dans les jambes et je me retrouve titulaire chez les Diables dans un match que l’on gagne. Et pourtant le lendemain la presse, flamande surtout, ne m’a pas lâché et ne comprenait pas pourquoi Karel Geraerts n’avait pas joué à ma place. Ils m’ont un peu tué sur le coup. Au lieu de décoller grâce à ce match, j’ai pris un coup sur la tête et je suis retourné sur le banc à Gand. Mais j’ai continué à être convoqué par deux fois en sélection, sans monter au jeu, puis je suis retourné chez les Espoirs où Torino m’a repéré. Pendant quatre ans à Gand, j’ai quand même disputé plus de 60 rencontres mais vu que le club voulait me dégager, je me suis retrouvé en Série B italienne. J’avais 23 ans.

Où l’on pense que tu pars t’enliser…

En Belgique, on ne m’a jamais considéré. Quand je vois ce qu’on réalise avec les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui se retrouvent en équipe nationale et qui brillent, c’est une chance. Quand je vois comment on a soutenu Kompany au début de sa carrière, ça change de ce que j’ai connu. Mais ça ne m’a jamais touché car j’avais le sentiment d’être un privilégié, d’autant que je n’avais jamais voulu faire carrière dans le foot. Gagner de l’argent avec quelque chose qui n’était pas mon rêve, c’est une chance énorme. Alors le fait qu’on ne parlait pas de moi, ça n’avait finalement que peu d’importance. Et cette  » mise à l’écart  » a aussi été ma force.

 » Je suis un dur mais pas un méchant  »

Tu t’imposes rapidement à Torino ?

Oui. En Italie, on aime bien le gregario (guerrier), le milieu défensif qui travaille, qui ne lâche rien. C’est un peu comme en Angleterre. Si je me retrouve aujourd’hui en Espagne, c’est parce qu’il y a parfois trop de joueurs techniques sur un terrain et pas assez de types pour faire le sale boulot.

Tu t’es toujours considéré comme un porteur d’eau ?

Quand t’es petit, tout le monde rêve de mettre des goals à la Maradona et puis au fur et à mesure tu grandis et tu retrouves ton monde : moi, quand on envoyait un attaquant en profondeur et que je pouvais aller le couper, je prenais mon pied. C’est mieux qu’un dribble ou un geste youtube, ça je m’en fous. Mais par contre venir et manger le gars d’en face, ça ça m’excitait. A mes débuts à Torino, je me suis retrouvé sur le banc et j’observais pendant toute la première mi-temps un joueur d’en face qui n’arrêtait pas de multiplier les passements de jambe. J’attendais qu’une chose : monter au jeu et le découper. Je suis monté en deuxième mi-temps : après cinq minutes, celui qui nous faisait souffrir avec ses grigris, est sorti. Je crois qu’il n’en est pas revenu du nombre de fois où je l’ai découpé en si peu de temps. Où il allait, j’étais là. Je le découpais mais je le faisais bien. Je suis un dur mais je ne suis pas un joueur méchant. J’ai pris qu’un carton rouge dans ma carrière suite à deux jaunes consécutives face à Pato du Milan AC qui allait trop vite pour moi. Pour un milieu défensif, c’est pas énorme. Et je n’ai jamais fait mal à quelqu’un… Mais bon, des cartons jaunes j’en ai eu quelques-uns… A un moment je jouais sans arrêt sous la menace d’une suspension et j’étais donc… suspendu quasiment tout le temps. Quand tu joues contre des Del Piero, Pirlo, tu les touches à peine, l’arbitre sort la carte, il se sent obligé de protéger de tels artistes.

As-tu le sentiment que la Série A a vraiment baissé de niveau au fil des ans ?

Oui. C’est la crise un peu partout. Il suffit de voir les joueurs qui composent les grandes équipes, ce n’est plus la même chose. Quand j’arrive à la Lazio, la Série A, c’était un autre monde. Je jouais face à des Ibrahimovic, Ronaldo, un peu plus tard Ronaldinho.

Comment expliques-tu que tu t’es intégré aussi rapidement en Italie ?

Ma femme que je connais depuis 16 ans, est italienne même si elle a grandi comme moi à Etterbeek. Elle a évidemment facilité mon intégration. Au début, c’est elle qui fut mon attachée de presse lors d’interviews avec les médias italiens. Mais en quatre mois, j’ai appris la langue, ce que les gens ont fortement apprécié. Et sportivement, je me suis vite épanoui, après un an et demi à Torino, j’avais été élu meilleur milieu de terrain de Serie B.

Gaby The Wall

Et les offres ont donc afflué…

Oui, j’avais Naples, la Fiorentina qui étaient intéressés mais j’ai été séduit par le discours du Président de la Lazio Rome, Claudio Lotito. Et j’ai eu raison : pendant trois saisons, j’ai quasiment tout joué. On avait beau répéter qu’une partie des supporters de la Lazio était raciste, je n’ai jamais été confronté à ces problèmes. Au contraire, j’étais idolâtré par la curva nord (tribune ultra des fans de la Lazio). Tu sais c’est quoi être idolâtré ? J’avais tout le stade qui chantait un chant à mon nom, après les matches je devais me diriger vers la curva, j’étais quasi le seul que le public voulait voir.

Comment tu expliques ça ?

Ils se sentaient représentés par moi car je donnais tout pour le maillot. Dans les tribunes, il y avait des drapeaux  » Gaby the wall  » un peu partout. J’avais une relation incroyable avec les supporters. Ils me surnommaient la ruspa (ndlr, marque de bulldozer italien), the wall ou monstro

Et en Belgique, tu restes pourtant dans un relatif anonymat…

René Vandereycken (ndlr, successeur de Aimé Anthuenis) avait joué en Italie et il savait à quel point c’était compliqué de s’imposer dans le championnat italien. Mais bon, malgré les convocations, je n’étais toujours pas considéré. J’avais beau avoir fait quelques jours plus tôt un super match en Ligue des Champions face au Real, personne n’en parlait en Belgique. La presse n’a jamais vraiment tenu compte de ce que je faisais. Et puis, en équipe nationale, j’ai fait partie d’une génération qui n’avait pas les qualités de l’actuelle. Il était difficile de sortir du lot.

A la Lazio, tu as côtoyé un personnage comme Paolo Di Canio qui traînait aussi une réputation sulfureuse, parfois ambiguë, sur son rapport au fascisme notamment.

Et pourtant ça se passait très bien, mais c’est vrai que c’était un dingue. Je me rappelle un soir où il avait invité chez lui ses équipiers à manger avant le derby romain. Il voulait nous galvaniser avant ce match, il nous montrait des vidéos de supporters, il nous parlait du derby avec la rage aux lèvres. On le regardait en se disant : ce type n’est pas normal. Mais pour lui la Lazio, c’était tout, il avait grandi dans la curva.

 » Si j’avais pu, je serais resté à vie à la Lazio  »

Pourquoi avoir quitté la Lazio pour un club plus modeste comme Bologne ?

En foot, on ne décide pas de tout car si j’avais pu, je serais resté à vie à la Lazio. Seulement le club connaissait des difficultés financières, et on n’arrivait pas à trouver un terrain d’entente au niveau financier pour une prolongation de contrat. Jusqu’à ce que j’apprenne que la Lazio avait conclu, dans mon dos, un accord avec Bologne. J’étais en mise au vert et, à 3 h du matin, le président Lotito m’a sonné pour me dire que je devais m’en aller. Deux jours plus tôt, il avait déclaré à la télé italienne qu’il voulait bâtir mon équipe autour de moi et de Pandev. Je n’étais donc pas transférable, même si suite à la grosse saison que je venais de faire, il y avait des clubs comme Milan ou l’Inter qui s’intéressaient à moi. Mais c’est Bologne qui a empoché la mise en me transférant pour 12 millions d’euros. C’était une grosse somme, d’autant que je n’avais plus qu’un an de contrat. A Bologne, j’ai reçu un très beau contrat. D’ailleurs, à chaque étape de ma carrière, j’y ai gagné financièrement. Quand je suis parti de Gand, où je devais tourner autour des 3000 euros, pour Torino, j’avais déjà multiplié mon salaire par dix.

Au-delà du salaire, ça ne se passe pas très bien à tes débuts à Bologne…

Oui, ça a été difficile. J’étais tellement bien à la Lazio où les médias qui suivaient le club continuaient à m’appeler quasi quotidiennement. Pendant deux ans, ça a été très compliqué, je me suis disputé avec pas mal de gens qui ne comprenaient pas mon attitude renfermée alors que j’étais connu pour être quelqu’un de jovial. Il fallait me comprendre, on citait mon nom au Bayern Munich, dans les plus grands clubs italiens et je me retrouvais finalement à Bologne qui venait d’accéder en Série A.

Comment se déroulent les premières semaines ?

J’ai galéré. Je pensais que j’avais atteint un certain niveau et je me retrouvais chez un promu, ça m’a déstabilisé. Psychologiquement, j’étais mal. J’ai même refusé de jouer des matches et les supporters l’ont appris, ça a rendu la relation encore plus compliquée, le public s’est mis à me siffler.

Et quand tu reviens à la Lazio avec Bologne ça se passe comment ?

Un truc de fou : je marque d’une superbe reprise de volée alors que marquer n’a jamais été mon fort. Mais tu lis sur mon visage que je ne suis pas content. J’étais toujours énervé sur le président de la Lazio. Et même si le public laziali m’a rendu un superbe hommage, à l’intérieur de moi, je souffrais. Je m’attendais à vivre une autre carrière. Je venais d’être élu meilleur récupérateur du Calcio par la Gazzetta dello Sport devant des joueurs comme De Rossi ou Gatuso.

Mais tu finis quand même par signer dans un club mythique comme l’Inter.

Heureusement, je réalise deux dernières superbes saisons avec Bologne. J’ai reçu Milan et Naples comme propositions. Mais quand le coach de l’Inter, Claudio Ranieri, m’a appelé pour me dire : J‘ai beaucoup de joueurs offensifs (Stankovic, Sneijder, Milito) mais j’ai besoin de quelqu’un qui tienne le milieu de terrain, ça m’a convaincu. D’autant que j’ai signé mon contrat un mois avant la fin du championnat ce qui est normalement interdit, ça prouvait que le coach comptait vraiment sur moi.

 » Je me pète le tendon d’Achille. Terminé  »

C’est à l’Inter que tu vas être touché par les blessures…

Je n’avais jamais été blessé pendant six ans. Et là je me blesse très rapidement au genou, et suis mis sur la touche pendant un mois. Je rejoue deux matches, je me reblesse au genou pour deux mois, je reviens encore dans le parcours, je joue quelques matches, puis je me pète le tendon d’Achille. Terminé. Il m’a fallu huit mois pour revenir dans le coup. Mais le coach avait changé entre-temps : Walter Mazzarri avait repris l’équipe et n’avait pas pour habitude de faire tourner son équipe. Et il y avait devant moi Cambiasso, ce qui n’est quand même pas rien. J’ai donc très peu joué à l’Inter.

Comment vis-tu cette terrible blessure ?

Sur le coup, je ne m’en rends pas compte. Je veux même continuer à jouer, je suis encore chaud, je ne sens pas la douleur. C’est le médecin qui m’a forcé à me retirer du terrain. Et quand je me suis retrouvé dans le vestiaire, il m’a annoncé la nouvelle sans prendre de pincettes. Ça manquait clairement de psychologie… Moi, je me suis mis à pleurer seul dans le vestiaire, je sentais que ma carrière basculait. A la fin du match, Cassano, avec qui j’étais très pote, a appris la nouvelle et la manière dont on me l’avait annoncé. Il s’est alors mis à gueuler sur le docteur de l’Inter… Il était dégoûté pour moi.

Tu as joué plus de 200 matches dans un des plus grands championnats au monde. Tu es fier de ce que tu as réalisé ?

J’aurais pu en avoir beaucoup plus sans mes deux dernières années de galère. Mais je suis très content de ma carrière, surtout que je n’ai jamais pensé faire du foot mon métier. Je ne me suis jamais pris pour une star, quand je me levais c’était pour aller au boulot. Les stars, c’est les autres, les Balotelli, etc. Moi je bosse, eux c’est leur hobby ou je ne sais quoi. Si je ne vais pas tous les matins bosser dur, je ne monte pas sur le terrain. Et les Italiens m’ont apprécié car ils ont vu que je n’étais pas là pour voler leur argent mais pour suer.

PAR THOMAS BRICMONT À FORMIA (ITALIE) – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Quand un attaquant partait en profondeur et que je pouvais aller le couper, je prenais mon pied.  »

 » Les stars, c’est les autres, les Balotelli, etc. Moi je bosse, eux c’est leur hobby ou je ne sais quoi…  »

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