« Je n’en veux pas à Mavinga »

Après s’être exprimé brièvement dans la presse locale, l’international marocain du Standard nous a reçus sur son lieu de vacances, à Marrakech, afin d’évoquer pêle-mêle : son état de santé, Mavinga, Standard, Maroc et ambitions futures. Interview narguilé.

Le 17 mai, vers 20 h 55, le football belge a bien failli connaître un nouveau drame. La savate de Chris Mavinga sur Mehdi Carcela, qui déboulait à toute vitesse sur son flanc droit, a donné des sueurs froides à tous ceux qui ont assisté à la scène. Le pire était dans tous les esprits. Et les médecins confirmeront que la faucheuse n’est pas passée loin. L’image choc de la saison a évidemment fait le tour des médias belges et internationaux ; le web s’emparant de l’action pour en faire un nouveau buzz.

Au Maroc, personne n’ignore ce qui est arrivé à leur néo-international. Par milliers, des messages de soutien lui ont été adressés. Aujourd’hui, le Standardman est une star au Maroc, davantage encore qu’avant son accident et sa décision d’opter pour les Lions de l’Atlas. Quelques minutes avant le bouillant Maroc-Algérie du 4 juin, Mehdi a fait sa première apparition publique sur la pelouse du stade de Marrakech. En retour, ce sont 50.000 personnes qui ont entonné des chants à la gloire de leur protégé. Moment d’émotion avant une démonstration (victoire 4-0) des hommes d’Eric Gerets. Carcela a prolongé ce bonheur marocain en séjournant dans la ville de Marrakech.

Après avoir dormi quelques nuits dans le majestueux Sofitel (décidément) de la ville, Carcela et sa  » famille  » (voir encadré) ont pris leur quartier à l’écart, au calme, dans la palmeraie, sur la route d’Ouarzazate. C’est là, le long d’un chemin poussiéreux, que le rendez-vous est pris, dans les Jardins de l’Hermitage, un îlot de 10 magnifiques villas avec piscine, spa (jacuzzi, sauna, hammam, salle de fitness), et grosses cylindrées derrière le portique. Ils sont six à occuper l’espace comme peuvent le faire six gars de vingt ans. Une colonie de vacances de luxe avec comme spécialité la  » chambrette  » et Yassine El Ghanassy en maître de cérémonie. Pour Mehdi Carcela, l’ambiance est à la vanne, au sourire, même si les séquelles de l’accident sont encore visibles et le repos nécessaire, l’obligeant parfois à dormir jusqu’à 15 heures par jour.

Comment te sens-tu actuellement ?

Mehdi Carcela : Je sens que je suis encore très vite fatigué. C’est pourquoi je dors beaucoup sur les conseils du médecin du club. Je m’attends à ce que ça prenne environ deux mois pour que je me retape pleinement. Bref, c’est pas encore le top. Moralement ça va, surtout ici, en vacances avec mes amis, mais c’est physiquement que je le ressens, je ressens la fatigue d’un coup alors qu’une heure avant je suis encore en pleine forme. Je ressens comme un coup de barre. Mais le médecin m’avait prévenu, c’est en quelque sorte logique.

Et ça ne pose pas de problèmes au staff médical que tu sois parti au Maroc ?

Non pas vraiment. Si le vol ne dépassait pas 3 heures, ce qui est le cas pour Marrakech, ils étaient d’accord. Et puis, il y avait Maroc-Algérie, il fallait que je voie ce match.

T’attendais-tu à recevoir une ovation des 50.000 personnes avant la rencontre ?

Non pas du tout, loin de là. Ça m’a fait chaud au c£ur, tous ces chants, l’ovation… c’était exceptionnel.

Comment réagis-tu à tout cet emballement autour de toi au Maroc ?

Ça fait plaisir. Plaisir d’être apprécié… au Maroc en tout cas.

En Belgique, tu n’as pas ce sentiment ?

Je ne ressens pas la même chose. Je n’ai pas l’impression qu’on me connaît en Belgique à ma juste valeur. Mais c’est vrai que depuis ma blessure, tous les messages que j’ai reçus, le fait qu’on ait scandé mon nom lors de la finale de la Coupe, c’est comme si le regard des gens avait changé. C’est vraiment depuis mon accident que j’ai compris que j’étais apprécié en Belgique.

 » On est champion ou pas ? »

Ce n’était pas le cas avant ?

J’avais le sentiment que pas mal de supporters m’en voulaient d’avoir choisi le Maroc. Dès l’annonce de mon choix, j’ai senti un changement d’attitude envers moi. Ce n’étaient évidemment pas tous les supporters mais certains. Depuis l’accident, j’ai vu qu’ils tenaient à moi, ça m’a fait quelque chose. Je voudrais les remercier pour cela et leur dire que j’essaierai de revenir le plus vite possible, pour eux.

Les messages de sympathie ont afflué sur les réseaux sociaux, sur les forums, on imagine que ton portable a été inondé de sms.

Je n’ai pas vraiment pu voir tout ça. Quand je suis sorti de l’hôpital, j’étais interdit de gsm, d’ordinateur, je devais me reposer, être au calme. Je n’ai pas pu capter tout ça ( NDLR : il a encore 500 messages à lire sur son portable). Mais j’ai quand même pu regarder la finale et ça m’a fait vraiment chaud au c£ur, surtout ce maillot qu’ils ont porté avant le match avec l’inscription  » Sois un homme « . Un slogan qui vient de Droixhe, que je dis régulièrement avant un match pour nous motiver.

Tu as laissé un message à tes équipiers avant qu’ils ne montent sur la pelouse du Stade Roi Baudouin. Que disait-il en substance ?

Je leur ai dit qu’ils ne devaient pas s’inquiéter pour moi, que tout allait bien et qu’on n’avait peut-être pas remporté le titre mais qu’il fallait qu’on ramène la Coupe à Liège.

Le fait de ne pas être sur le terrain, ça a dû te frustrer non ?

Je ne pensais pas réellement à ma situation. J’avais seulement une envie c’est que l’équipe gagne, c’est tout.

Est-ce vrai que dès que tu as repris conscience dans l’ambulance, tu demandais le score du match à Genk ?

Oui. Alors que je me rappelle strictement de rien, on m’a raconté que je n’arrêtais pas de répéter : -On est champion ou pas ? On est champion ou pas ? » Rochdi (son cousin) me répondait qu’on avait fait 1-1, j’étais dégoûté. Et puis je me rendormais, avant de reprendre conscience et de répéter : -On est champion ou pas ?

En revoyant les images du choc, quelle a été ta réaction ?

Ça peut surprendre mais les images m’ont fait sourire. La manière dont je suis tombé, les convulsions, etc. Au sol avec les jambes tendues, croisées, on dirait que je posais.

Et pourtant, ceux qui t’ont porté les premiers secours ont pensé que tu as failli mourir.

Oui, mais maintenant je suis là. Ce qui est arrivé est arrivé. Moi j’ai préféré prendre tout ça à la rigolade même si je sais que l’accident a failli me coûter la vie.

Ton visage a trinqué. Comment as-tu réagi ?

Ça, ça m’a fait moins rire. Voir mon nez dans cet état… Mais je commence à le récupérer, de jour en jour je vois qu’il dégonfle. Il restera aussi une dent cassée que je vais remplacer, pour le reste je n’ai pas trop à me plaindre. Je vais récupérer mon visage. Dans le cas contraire, je pèterais les plombs car je l’aimais bien mon visage ( il rit). C’est vrai que cette transformation physique c’est ce qui m’ennuie le plus pour l’instant. Mais il n’y a pas eu de chirurgie esthétique. Le 15 juin, j’ai rendez-vous, j’en saurai davantage.

A quand remontent tes premiers souvenirs ?

A après mon opération. Pour le reste, c’est le trou noir alors qu’il paraît que je faisais des blagues au docteur, que je prenais même des photos mais je ne me souviens de rien, de rien du tout. Même des visites à l’hôpital de ma famille, de mes amis, avant que je ne me fasse opérer. Et pourtant j’étais conscient. Encore aujourd’hui, j’ai des oublis, faut pas me demander quel jour on est par exemple ( il rit).

L’affaire du faux journaliste

On a raconté qu’une personne se faisant passer pour un journaliste est rentrée dans ta chambre d’hôpital et a pris des photos de toi. C’est plutôt flippant non ?

Quelqu’un est rentré dans ma chambre alors que j’étais dans une autre pièce en phase de réveil après l’opération. La personne est tombée sur ma mère et lui a dit -Est-ce que je suis bien dans la chambre de Mehdi ? Ma mère lui a demandé ce qu’il faisait là ? – Je suis journaliste, je viens pour faire une interview de votre fils, a-t-il répondu. Ma mère lui a dit qu’il n’y aurait pas d’interview, que j’étais toujours en salle d’opération. Il a alors dit qu’il resterait dans la chambre à m’attendre. Il ne voulait pas lâcher l’affaire ! Il a fallu qu’elle appelle la sécurité pour qu’il sorte. C’est une histoire de fou.

As-tu des craintes pour la suite de ta carrière ?

Non. Je prends ça avec fatalité, c’est le destin, ce qui doit arriver arrivera.

Les médecins t’ont-ils rassuré ?

Physiquement, ils m’ont bien dit que je n’aurai aucune séquelle. Je reprendrai plus tard que le groupe. Mais j’ai toujours eu plus de facilités à revenir dans le coup que la moyenne. Cet été, je vais davantage souffrir…

As-tu une idée de la date à laquelle tu pourrais reprendre les entraînements ?

Vers le 7 juillet mais pas encore avec le groupe, uniquement des entraînements individuels, avec les médecins et les kinés. Quant à mon retour avec le groupe, je n’en sais rien.

Avec toi sur le terrain pendant 90 minutes à Genk, le Standard aurait-il été champion ?

Ce serait présomptueux de le dire mais ce match-là je le sentais bien. J’étais confiant, j’étais bien dans le match même si je n’avais pas encore été décisif.

Comment expliques-tu que tu es revenu aussi bien dans le coup sur la fin de saison ?

Difficile à dire. Mais avec les play-offs, on n’a eu que des gros matches, avec l’ambiance qui les entoure, et on sait que c’est dans ce type de rencontres qu’il faut être décisif pour l’équipe. Ce sont des matches où tu ne peux pas ne pas répondre présent.

On sentait aussi que tu jouais de plus en plus juste alors que cela n’avait pas toujours été le cas cette saison. Comme lors de ton dernier match plein face à Anderlecht où tu marques et tu délivres un superbe centre pour le deuxième but par Tchité.

J’ai beaucoup évolué en très peu de temps. J’ai énormément discuté avec Dominique, Sergio, ils m’ont aidé dans l’approche des matches. Maintenant tous ces changements dans le club, qu’est-ce que je peux dire à ça, c’est le destin.

C’est une chance de prendre tout avec philosophie ?

Ça me permet de relativiser les choses. Aujourd’hui, malgré l’accident, je suis heureux. A un moment de la saison, ce n’était pas le cas. Ici, en vacances au Maroc, je fais le vide, j’oublie tout, tous les problèmes que j’ai pu avoir dans la saison.

Comment ont réagi tes parents à l’accident ?

Ce sont eux qui en ont le plus souffert, je l’ai réalisé encore davantage quand on m’a dit que j’avais été à deux doigts de mourir. Toute ma famille a flippé, ma mère, mon frère, mon cousin, Christian que je considère comme faisant partie de la famille. Et puis mes équipiers au Standard. Tchité qui pleure… Cela m’a fait chaud au c£ur de voir qu’ils tenaient tous autant à moi. Assister à pareille scène en direct, c’est vrai que ça doit faire peur, je n’aurais pas voulu être à leur place.

En revoyant l’action, tu en veux à Chris Mavinga ?

Non, pas du tout ( NDLR, le sentiment est toutefois différent dans le clan Carcela). Et puis, il est jeune. Je sais qu’il a essayé de me contacter, j’ai pu lire plusieurs de ses messages. On devait se voir mais comme je partais à Marrakech, c’était difficile. Je lui ai juste dit de ne pas se faire de souci, que l’opération s’était bien passée, que je partais au Maroc me changer les idées. Je me répète : je ne lui en veux pas, son geste était plus maladroit qu’autre chose, ça n’était pas intentionnel, il ne voulait pas me mettre un shoot dans la gueule. Dans mon message, je lui ai dit que ce qui s’était passé était déjà oublié.

Le jour où tu remonteras sur un terrain, tu n’as pas d’appréhension par rapport aux coups ?

Pas du tout. Comme je l’ai dit, ce qui m’est arrivé, c’est déjà oublié. Mis à part le nez un peu gonflé et la fatigue, pour le reste j’ai déjà tiré un trait sur ce qui m’était arrivé.

Quand espères-tu être compétitif ?

C’est difficile à dire mais j’espère l’être pour le mois d’août.

Si les départs de cadres comme Witsel et Defour se confirment, ton importance risque de décupler au sein de l’équipe. Tu en prends conscience ?

Je crois que j’avais déjà assez de poids sur les épaules. Pour moi, j’étais déjà bien vieux ( il rit). Même si la pression, je ne l’ai jamais véritablement ressentie… Je ne pense pas que je ressentirai la différence l’an prochain, la pression je ne la connais pas, je la laisse aux pneus.

Vivre un jour au Maroc

Après l’ovation du public marocain, est-ce que cela renforce encore davantage ton choix de la sélection ?

L’ovation n’a rien changé. Depuis que j’ai décidé de jouer pour la sélection marocaine, je suis heureux de ce choix. Très heureux même. La passion pour le foot est incroyable ici. Le Maroc, c’est le Brésil d’Afrique. Le foot, ici c’est la deuxième religion.

Tu as besoin de cette chaleur humaine, de toute cette passion ?

Oui, j’en ai besoin. La chaleur humaine marocaine est incroyable. Plus tard, j’aimerais m’installer ici, Inch hallah. C’est mon but, mon rêve. Et je vais tout faire pour y arriver.

Qu’est-ce que tu apprécies tant ici que tu ne retrouves pas en Belgique ?

Les contacts avec les gens. Ici, on a comme l’impression de tous se connaître, c’est familial. Quand quelqu’un te parle, tu as le sentiment qu’il te connaît. En Belgique, c’est différent, il n’y a pas ce même rapport aux gens, c’est une autre mentalité.

Les derniers événements t’ont-ils fait évoluer ?

Je crois être mature pour mon âge malgré ce qu’on peut croire, et malgré le fait que j’aime faire rire l’assemblée. Poco, je le connais depuis longtemps, il sait bien qui je suis, on parle souvent ensemble. Il me dit régulièrement : -Tu fais le con mais tu es loin d’être con. ( il rit).

Tu as un rapport particulier au foot, tu aimes jouer mais tu ne t’y intéresses pas beaucoup. Il paraît même qu’il t’est arrivé de discuter avec des adversaires plutôt connus en Belgique, sans savoir qui c’était. Tu confirmes ?

Oui c’est vrai, mais on ne va pas donner son nom ( il rit). Mais c’est vrai, au foot, je ne regarde que mon jeu, que celui du Standard. Des joueurs comme Messi, j’aime évidemment les voir jouer mais je ne fais pas une fixette sur le Barça à moins que ce soit une finale de Ligue des Champions. Sinon, je ne regarde quasiment rien, et je ne sais pas grand-chose des autres équipes. Quand le Standard transfère un joueur, il arrive souvent que je ne le connaisse pas du tout. Même chose pour ce qui est écrit à mon sujet dans les médias. Mon père, qui lui, lit tout, m’a déjà dit, suite à un article négatif sur moi, -T’en fais pas Mehdi, c’est rien… alors que moi je ne sais même pas de quoi il parle.

PAR THOMAS BRICMONT À MARRAKECH / PHOTOS ABDERRAHMANE MOKHTARI

 » La chaleur humaine marocaine est incroyable. Plus tard, j’aimerais m’installer ici, Inch hallah. « 

 » Cela peut surprendre mais les images du choc m’ont fait sourire. « 

 » Assister à pareille scène en direct, ça doit faire peur, je n’aurais pas voulu être à la place de ma famille. « 

 » C’est depuis mon accident que j’ai compris que j’étais apprécié en Belgique. « 

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