» Je n’aurais jamais pu entraîner le Charleroi actuel « 

Un jeune et novice dans la profession casse la croute avec une légende du foot passée par tous les états en tant que coach. L’occasion de parler tactique, vécu, vestiaire et… licenciement.

Hormis des fraises en dessert, et des consonances latines, les similitudes entre nos deux convives ne sautent pas aux yeux. L’un a disputé quatre Coupes du Monde, joué dans les plus grands championnats (Calcio, L1 époque glorieuse), l’autre s’est retrouvé une fois sur le banc de Beveren en D1 avant de bifurquer vers les séries provinciales et arrêter net sa carrière à seulement 22 ans. Dix ans plus tard, Yannick Ferrera occupe un poste en D1, à Charleroi, là où Enzo Scifo a entamé sa carrière de coach. Réunis dans un restaurant de Waterloo, comme prélude au derby hennuyer Mons-Charleroi, Ferrera et Scifo ont évoqué leur vision du métier et partagé leurs idées. Celles  » d’un jeune entraîneur et d’un très très jeune entraîneur « , envoie Scifo à l’apéro.

Yannick, comment comble-t-on le manque d’expérience au plus haut niveau, tout en étant si jeune pour le métier ?

Ferrera : L’expérience, je ne peux pas l’inventer. Je dois la combler par une lecture très rapide du foot, par de l’enthousiasme et transmettre un esprit de gagnant à mes joueurs.

Les joueurs de Charleroi ont été interloqués quand tu as débarqué dans le vestiaire pour la première fois ?

Ferrera : Le défi était de séduire rapidement les gars, leur montrer que je savais de quoi je parlais et que je pouvais leur apporter quelque chose malgré le manque d’expérience. Jamais un joueur ne m’a dit – Mais t’es qui toi ?

Scifo : Avoir un vécu est important mais ce n’est pas le plus important et ce n’est pas toujours un avantage. Beaucoup de coaches ont réussi au plus haut niveau sans une grosse carrière derrière eux.

J’ai aussi commencé à entraîner très jeune, à 35 ans. Et ce n’était pas un cadeau. À Charleroi, j’ai été pris au jeu, j’ai voulu tout faire. Mais je ne pense pas que j’avais les capacités suffisantes pour réussir. C’est un métier contraignant et donc il faut le  » vouloir « . Je n’étais pas prêt. Et on ne m’a fait aucun cadeau. J’ai dû me remettre en question, j’ai énormément douté. Et on m’a fait douter également. J’avais du mal à me situer. Je voulais être entraîneur mais j’avais l’impression qu’on ne croyait pas en moi. Ça a surtout été le cas à Tubize.

Cette traversée du désert t’a-t-elle été bénéfique ?

Scifo : Oui. Il y a des entraîneurs qui débutent leur carrière avec un bel outil. Moi, j’ai pris des clubs en difficulté, j’ai donc dû cravacher. Je ne dis pas qu’aujourd’hui c’est gagné mais l’évolution est positive. Après Mouscron, j’ai su me montrer patient malgré le fait que je ne recevais aucune offre après avoir réalisé un joli travail à l’Excel. Je n’aurais pas pu sauter sur n’importe quelle offre même si je commençais à trouver le temps long.

Comment expliques-tu cette réputation de mauvais entraîneur qui t’a un moment collé à la peau ?

Scifo : Je n’ai pas de problème avec ça… Quand j’ai repris Tubize, le club était 14e et on a terminé 6e. La saison qui a suivi, on était premiers après dix matches. Je ne pense pas qu’on pouvait remettre mon boulot en question… On m’a collé beaucoup de choses sur le dos. On a dit à l’époque de Mouscron que c’était Geert Broeckaert qui faisait l’équipe. Même s’il est vrai que je collabore avec mon T2 et qu’il n’est pas là pour mettre les cônes, j’ai toujours décidé de tout comme coach, que ce soit à Mouscron ou à Mons. Et si ce n’est plus le cas, j’arrête. Mais c’est vrai que j’aime discuter foot avec Geert, il a une vision, il connaît son sujet, il est moins tendu que moi, je serais idiot de ne pas l’écouter.

C’est un duo plutôt aux antipodes en termes de personnalité, de charisme ?

Scifo : Geert, je l’adore. C’est vrai qu’il ne s’entend pas avec tout le monde mais avec moi, ça se passe à merveille. C’est un passionné, il est impliqué. À Mouscron, on me disait : – Fais gaffe à Geert. Je suis peut-être très naïf mais pour moi c’est un mec fantastique… Les  » on-dit « , il faut toujours s’en méfier.

Attirer un coach qui a été un grand joueur induit une focalisation importante et donc des dirigeants moins dans la lumière. Est-ce que tu penses que cela a pu t’être néfaste ?

Scifo : Je me suis posé beaucoup de questions mais je n’ai plus envie de m’en poser. J’ai perdu énormément d’énergie à un moment.

Pour finalement être aigri du milieu ?

Scifo : Je l’ai été, oui. Mais maintenant je prends beaucoup de plaisir. J’ai retrouvé une sérénité. Le reste, ce n’est plus que de la littérature…

Yannick, est-ce que ce métier ne t’effraye pas ?

Ferrera : Tu sais avant de commencer que ça va être très compliqué. Avant d’accepter la proposition du Sporting, j’en ai parlé à Michel Preud’Homme qui m’a dit : – Accepte l’offre d’un club normal. Mais Charleroi ? Depuis, je n’ai beau avoir goûté qu’une seule fois à la victoire mais l’émotion fut tellement belle que je suis prêt à revivre des défaites afin de regoûter à un tel moment.

Scifo : La victoire récompense tout le travail fourni. Mais comme Yannick le dit, il faut aussi apprendre à perdre. C’est dans la défaite que tu peux transmettre la sérénité aux joueurs. Au début de ma carrière de coach, j’étais encore joueur. J’étais sur le banc et sur le terrain en même temps. J’étais trop brusque par rapport à certaines situations, je ne prenais pas assez de recul. Et il est vrai que là, l’expérience te permet de mieux réagir à certaines situations.

Faut-il être charismatique ?

N’a-t-on pas aussi un ascendant psychologique sur son équipe si on a eu une grande carrière derrière soi ? On parle souvent de l’aspect charismatique d’un coach…

Scifo : Cette psychologie, je pense l’avoir toujours eue. J’ai connu des entraîneurs extraordinaires qui n’avaient pas de vécu. Comme Guy Roux par exemple. Mais ma carrière m’a donné ces petits trucs du vestiaire. Beaucoup d’entraîneurs auraient écarté Nong car il n’en touchait plus une. Moi je savais que les problèmes extra-sportifs le minaient et je savais qu’il n’était pas fini. D’autres entraîneurs auraient dit : – Tu ne prestes pas, boum (!), terminé. Je ne fonctionne pas comme ça. Ce qui me plaît beaucoup dans ce métier, c’est la gestion humaine.

Ferrera : Je suis tout à fait d’accord. Un gars comme Hervé Kagé que tout le monde dépeint comme un voyou ou un mauvais garçon, le voir dans mes bras deux secondes après le coup de sifflet final à Courtrai, ça signifie quelque chose de fort. Enzo est indiscutablement plus charismatique que moi. Mon truc, c’est plutôt d’inverser la donne et de dire à mes joueurs : – Ils vous prennent tous pour des merdes, ils me prennent pour une merde, montrons-leur. Mes gars se font insulter tous les jours. Tout le monde nous a placé dernier avant le début de saison. Ce serait con de ne pas jouer là-dessus.

Vu ton manque de planche, le danger n’est-il pas que le vestiaire se retourne contre toi dès les premiers problèmes ?

Ferrera : Je ne peux pas répondre car ce n’est pas encore arrivé. Par contre, je n’ai toujours pas trouvé mon leader dans l’équipe. Je veux dire par là, pas uniquement quelqu’un qui crie fort avant un match. Je n’ai pas dit qu’il n’y en avait pas mais je suis toujours en train de chercher.

Un coach a-t-il besoin automatiquement d’un relais sur le terrain ?

Ferrera : À partir du moment où les joueurs n’entendent rien pendant un match, tu as besoin de leaders qui remettent de l’ordre, qui dirigent sur phases arrêtées par exemple.

Scifo : Un relais sur le terrain doit avoir la même philosophie que l’entraîneur. Et jusqu’aujourd’hui, Nicaise l’a. Quand je lui donne la saison dernière le brassard alors qu’il est dans le trou, je sais qu’il en est capable. J’ai joué franc-jeu parce qu’on sait comment Nicaise est : il n’a pas toujours été top avec les entraîneurs. Mais si le  » leader  » n’est pas à niveau, il peut dire ce qu’il veut, ses partenaires ne le suivent pas. Concernant Nicaise, je ne vais certainement pas m’attribuer tous les mérites. Il a compris qu’il devait bosser sinon il allait flancher. Aujourd’hui, je dois le féliciter car depuis que je suis là, il n’a pas loupé un seul entraînement.

Ce n’est pas compliqué d’entraîner des joueurs beaucoup moins doués que tu ne l’as été ?

Scifo : On m’a toujours dit ça mais c’est faux. Et j’ai aussi joué avec des joueurs qui n’avaient pas le niveau. Comme coach, je suis plus attentif à quelqu’un qui n’a pas de technique. Sapina, par exemple, j’adore ce joueur et pourtant il a les pieds carrés.

Les joueurs répètent souvent que tu insistes beaucoup sur la répétition des gammes. Est-ce que la progression d’un joueur, d’une équipe passe par là ?

Scifo : Le vrai travail, c’est la répétition au quotidien. Répéter, répéter. Affiner la justesse dans les passes.

Ferrera : Je préfère que mes joueurs soient en situation de match lors des différents exercices d’entraînement.

Avez-vous des modèles en matière de coaching ? Quelles sont les méthodes de travail dont vous vous inspirez ?

Ferrera : Le premier dont je m’inspire, c’est Mourinho. Il a comme moi un diplôme d’éducation physique, il connaît comme moi plusieurs langues et n’a pas connu une grande carrière de joueur. Il est donc normal que je m’identifie à lui, même si je sais que j’en suis très loin. Et puis, il y a aussi dans un autre style, Guardiola. Si tu n’essaies pas de retirer des choses de la façon dont son Barça a joué, c’est que tu es con.

Scifo : J’ai connu d’excellents entraîneurs durant ma carrière et même avec toute l’expérience que j’ai pu emmagasiner, je ne saurai jamais être comme eux. M’en inspirer, oui. Et celui dont je me rapproche le plus au niveau de la personnalité et de l’approche, c’est Arsène Wenger. Il n’a jamais gueulé une fois dans un vestiaire mais tout le monde était à l’écoute avec lui. Il dégage quelque chose et il a une capacité incroyable à mobiliser son groupe. L’important, c’est d’avoir une ligne de conduite et de s’y tenir. Il y a des coaches pour qui ça marche très fort pendant six mois et puis plus rien, car ils changent de comportement, de philosophie.

Est-ce qu’il faut être un malade de foot pour entraîner à haut niveau ?

Scifo : Il faut évidemment être passionné mais je ne suis pas le type de coach qui va être 24 h sur 24 h au stade. Il en est hors de question. J’ai besoin de couper, de rentrer à la maison. Il y a des mecs qui sont à fond dedans car ils sont comme ça, ils ont besoin de ça. Quand j’étais joueur, c’était déjà le cas. Je devais m’aérer mais le lendemain je repartais bourré de motivation. Je n’ai pas besoin de dire aux journalistes que je travaille 15 heures par jour. Certains le font, ce n’est pas mon cas. Mais quand je suis au stade avec mon équipe, il ne faut pas m’emmerder, je suis totalement concentré.

Quel est votre avis sur l’arrivée massive d’entraîneurs hollandais dans notre championnat ?

Scifo : On a de supers entraîneurs en Belgique. J’en suis convaincu, je les ai côtoyés. Alors quand on les laisse sur le carreau, je ne comprends pas. Et dans un an, on va peut-être se rendre compte qu’on s’est trompé et aller les rechercher. Mais ce sera peut-être trop tard, car l’homme sera démotivé. Aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, on fait confiance aux coaches nationaux. Pourquoi pas chez nous ? J’ai été à Marseille suivre Gerets, j’ai été à Lyon suivre Puel, j’étais dans le vestiaire avec eux. Ce sont indiscutablement de très bons entraîneurs mais je suis ressorti de là en me disant :- Mais qu’est-ce qu’on a de moins qu’eux ?

Charleroi-Mons : même combat ?

Enzo, aurais-tu pu entraîner Charleroi à la place de Yannick ?

Scifo : Jamais. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour celui qui le fait mais, comme à Eupen où on m’a demandé de reprendre l’équipe quand elle luttait pour le maintien il y a deux ans, je sais très bien que c’est très compliqué. J’aurais coaché Eupen, j’aurais été battu trois-quatre fois car personne n’a de baguette magique dans un tel contexte, et j’en aurais payé les conséquences. À Mons, j’étais persuadé que la donne était différente, le club est bien structuré, le noyau a de la qualité, etc.

Yannick, tu tombes dans un contexte très différent, à devoir mettre sur pied une équipe de laissés-pour-compte ?

Ferrera : Je suis content que vous le dites. Mais je ne me plaindrai jamais de ça car j’ai reçu ma chance. Et je remercie Abbas Bayat pour ça. Je sais pertinemment bien qu’Anderlecht n’allait jamais m’appeler (il rit).

Un coach est aussi très dépendant des finances d’un club et de sa politique sportive…

Ferrera : Vous connaissez beaucoup de coaches qui décident du choix des joueurs. Dans le système du manager à l’anglaise, c’est le cas mais pas en Belgique. Moi, je n’ai rien décidé.

Scifo : À Mons, on travaille comme ceci : on a des réunions, on discute d’un certain profil, et le choix est pris collectivement. Et c’est normal, car un entraîneur est souvent de passage.

Mais il y a aussi les liens entre les clubs et certains managers qui vous obligent à choisir tel ou tel joueur ?

Scifo : On m’a imposé un joueur ? Non, jamais. Et on ne m’en imposera jamais.

Ferrera : Tout entraîneur rêve de pouvoir dire, je veux tel profil et le recevoir en retour. Moi, je dois la fermer et bosser. Peut-être qu’un jour, je pourrai l’ouvrir. Aujourd’hui, je prends ce qu’on m’a donné.

Le coach est-il si important ?

Enzo, tu parles du corps comme l’arme absolue d’un footballeur. Est-on en Belgique trop laxiste par rapport à la diététique, au travail physique ?

Scifo : Je suis très à cheval sur ce sujet. Et aujourd’hui, je ne vois que ça. Celui qui n’est pas à niveau physique, ne peut pas jouer. Nicaise avait quatre kilos de trop quand j’ai repris Mons, aujourd’hui, il est fit.

Ferrera : Chez nous, ceux qui avaient trop de poids étaient alignés car on n’avait pas d’autres solutions. Mais depuis l’arrivée de plusieurs joueurs en fin de mercato, ils vont devoir comprendre. Et puis, qu’est-ce que je peux y faire hormis leur répéter l’importance d’un parfait état physique. Je ne peux pas surveiller tous les McDonald’s de la région, je ne peux pas aller courir à leur place.

Vers quel type de football se dirige- t-on ?

Scifo : Tous les thèmes que j’impose à l’entraînement concernent la réactivité : réduire le temps entre le contrôle et la passe. Aujourd’hui, on n’a plus le temps, celui qui ne va pas vite techniquement n’a plus sa place. Celui qui va perdre trois ballons au milieu du jeu, je vais l’exploser car c’est trop important.

Ferrera : Ce qui doit être fait très vite, c’est la prise de décision. Le cognitif a désormais autant d’important que le physique ou la technique.

Scifo : Il y aura toujours des joueurs qui pensent plus vite que les autres. Mais je suis convaincu que par le travail, on peut améliorer chaque joueur de 5 à 10 %, ce qui est déjà énorme.

Ferrera : Pourquoi les joueurs du Barça ne perdent jamais un ballon à cause d’un adversaire venu de derrière ? C’est parce qu’il sont continuellement en train d’observer le jeu, bien avant de recevoir une passe. Xavi en est le meilleur exemple.

Quelle est l’importance d’un coach dans une équipe ?

Scifo : Elle est énorme. Je pense que l’orientation, la gestion, c’est le coach qui la détermine. Par contre, tu peux parfaitement préparer un match et devoir tout chambouler à cause d’une carte rouge ou d’une floche. C’est là, évidemment, que le joueur a toute son importance.

Ferrera : On ne fait pas d’un âne, un cheval de course mais on peut faire progresser un joueur. Pour en revenir à l’importance d’un coach, il suffit de se rappeler Bilbao qui, il y a trois ans, a été éliminé par Anderlecht avec sensiblement la même équipe qui a atteint la finale de la Coupe d’Espagne et de l’Europa League la saison dernière. La différence a été faite en grande partie par Bielsa. Le gars doit avoir un truc, il suffit de voir ce qu’il a aussi réalisé avec le Chili à la dernière Coupe du Monde. Evidemment, il y a une part de chance, mais un bon coach doit contrôler ce qui est contrôlable et espérer que l’incontrôlable soit de son côté.

Entraîneur, c’est se préparer continuellement à être licencié ?

Ferrera : Je m’y prépare en tout cas, je ne suis pas dupe. Je ne dis pas que ça ne me ferait rien mais ça peut m’arriver demain. C’est comme avec une femme, tu l’embrasses un soir, mais tu ne sais pas si tu l’embrasseras encore…

PAR PIERRE BILIC ET THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ LAMBORAY

 » Au début de ma carrière de coach, j’étais encore joueur. J’étais sur le banc et sur le terrain en même temps.  » (Scifo)

 » Un bon coach doit contrôler ce qui est contrôlable et espérer que l’incontrôlable soit de son côté.  » (Ferrera)

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