» JE N’AURAI JAMAIS PEUR EN MONTANT SUR UN TERRAIN « 

En plein sprint final, Michy nous a reçus pour évoquer tous les sujets brûlants : OM, Diables, Wilmots, pression marseillaise ou transfert record. Rencontre sur les bords de la Méditerranée.

Vendredi 6 mai, 13 h 30. Michy Batshuayi débarque dans la salle d’interview de la Commanderie, QG de l’Olympique de Marseille. Décontracté comme souvent et le sourire partageur malgré une saison mentalement et physiquement éprouvante. Après avoir manié son porte-clefs bercé par deux effigies de Dragon-Ball, Batsman se pose pour évoquer une saison mouvementée. Même Notre-Dame-de-la-Garde, où nous nous rendons après l’entretien, perchée sur les hauteurs de la cité phocéenne et censée protéger le bon peuple marseillais, n’a rien pu faire. L’OM a tourné complètement fada cette saison.

Entre supporters mécontents, direction aux abois et coaches qui se succèdent, l’ex-Rouche s’est forgé une carapace et a continué à faire ce qu’il fait de mieux : marquer. 17 fois en championnat, 22 toutes compétitions confondues, des chiffres à faire saliver les puissants (Tottenham, West Ham, AS Roma, Juventus, etc) qui ont depuis plusieurs mois le buteur olympien dans le viseur. Mais pas de quoi faire tourner la tête à Michy, occupée par l’EURO et la finale de la Coupe de France face au PSG, même si le jour de l’interview, la presse anglaise évoque une offre de 40 millions d’euros de West Ham.

Tu viens de vivre une saison contrastée puisque tes stats sont excellentes alors que Marseille a connu un parcours en championnat catastrophique.

MICHY BATSHUAYI : Cette saison est un échec surtout quand on voit le talent qu’il y a dans cette équipe. On ne pouvait pas se trouver aussi bas. Je suis un perfectionniste donc je ne vais jamais être totalement satisfait de moi.

Comment expliques-tu cet échec ?

BATSHUAYI : On n’a pas réussi à prendre les points quand il le fallait, on a connu trop de périodes difficiles. C’est un tout. Mais on n’a pas d’excuses car l’équipe est talentueuse.

Mais les départs ont été nombreux et importants durant l’été dernier.

BATSHUAYI : Oui, OK, mais c’est des excuses que tu sors pendant un ou deux mois mais pas pendant toute l’année. Heureusement qu’il y a eu ce parcours en Europa League, même si on s’est fait sortir en 16e de finale alors que l’Athletic Bilbao était à notre portée. Sinon, le championnat, c’est une honte.

Malgré tes 22 buts et 10 assists, le public t’a pourtant aussi pris en grippe.

BATSHUAYI : C’est normal, on attend beaucoup d’un attaquant à Marseille et je n’ai pas toujours été à la hauteur. Mon entourage a été important à une période où c’était devenu très difficile. Mais je ne suis pas quelqu’un qui aime qu’on le complimente. Si je suis nul, je suis nul, il ne faut pas me dire : non, non, ça va. Ça m’énerve encore plus. Heureusement, j’ai un entourage qui me dit les choses en face ; que ce soit mes parents, mes amis, ou mon agent (ndlr, Meissa Ndiaye). En tout cas, si j’ai réussi à percer, c’est grâce à eux. Ils ont toujours été derrière moi. Mon père prend parfois les choses trop à coeur. Quand je suis pas bien, il n’est pas bien. Ma mère lui rappelle parfois que ce n’est pas lui qui a joué (il rit).

KINE-MUSCU À DOMICILE

Tu es capable de faire ton autocritique ou tu as besoin de l’avis des autres ?

BATSHUAYI : Je préfère qu’on me dise que j’ai été mauvais et me dire pourquoi. Ça ne sert à rien de me dire que j’ai été bon. Car quand c’est le cas, généralement tu le sais.

Il faut donc être franc avec toi ?

BATSHUAYI : Oui, faut être cash avec moi.

Que ce soit en Belgique ou à Marseille, les gens attendent beaucoup de toi car ton potentiel semble énorme. Ça ne te déstabilise pas par moments ?

BATSHUAYI : J’écoute pas ce qu’on dit de moi. Ça ne me fait rien. Moi, quand je pense aux énormes joueurs, je pense à Messi à Neymar. Et je suis loin d’être Neymar ou Messi. Alors quand on me complimente, je réponds : Merci c’est gentil mais maintenant laissez-moi travailler (il rit).

Tu aimes le travail quotidien, le travail physique ?

BATSHUAYI : Oui, j’adore m’entraîner. Je suis un fou de sport. Je bosse même à la maison où j’ai un kiné personnel qui vient plusieurs fois par semaine afin d’anticiper les blessures, j’ai aussi une machine pour bosser ma musculature et une cuisinière qui me prépare des plats diététiques. J’essaie de mettre toutes les chances de mon côté.

Ça contraste avec ton image de jeune chien fou…

BATSHUAYI : Je suis un grand professionnel. C’est ce qui m’a permis d’enchaîner beaucoup de matches cette saison (ndlr, 49 toutes compétitions confondues). Au Standard déjà, lors de ma dernière année, j’avais aussi connu une saison pleine.

Tu ne te sens pas éprouvé physiquement après une telle saison ?

BATSHUAYI : Non, au contraire, j’ai l’impression d’être au meilleur de ma forme. Et tant mieux si je joue une saison à près de 50 matches, c’est ce que j’aime.

Comment prends-tu les critiques qui disent que tu es trop perso ?

BATSHUAYI : Je me dis que tout le monde fait des erreurs, tout le monde fait des mauvais choix sur un terrain.

Donc tu ne t’estimes pas trop perso ?

BATSHUAYI : Non. J’aime dribbler, c’est vrai. Et puis, un attaquant, il se doit d’être un peu perso. Mais ce dont je suis fier surtout cette année, c’est d’avoir progressé au niveau des passes décisives (10) alors que j’en donnais une, voire zéro, par saison les années précédentes. Sur ça, je peux me lancer des fleurs. Ça montre que je progresse petit à petit.

CONTACT AVEC LES SUPPORTERS

Cette saison, ton statut a changé. Comment as-tu géré la pression d’être le numéro 9 d’un club comme Marseille ?

BATSHUAYI : Je sais pas… Je suis resté le même. Mais c’est vrai que cette pression je l’ai un peu ressentie dans les mauvais moments, on n’hésitait pas à me pointer du doigt quand ça n’allait pas.

Et ces critiques, elles ne te déstabilisaient pas ?

BATSHUAYI : Non, pour moi ça reste du foot, ça reste un jeu, du plaisir. Je ne me vois pas un jour avoir peur en montant sur le terrain.

En plein coeur de la crise qui secouait l’OM, tu as tenté de répondre à tes followers sur Twitter avant d’abandonner. Le combat était-il peine perdue ?

BATSHUAYI : Je suis resté tranquille même s’il y en a qui ont été un peu plus méchants que d’autres. C’est normal aussi, ils sont frustrés, ils donnent tellement pour ce club, il faut se mettre à leur place. Après, peut-être que je vais davantage rester en retrait, moins me connecter quand je vois que les gens sont trop touchés. Au début, je répondais, et puis j’ai vu que c’était la folie, je me suis dit : allez Michy, calme-toi un peu, laisse-les tranquille (il rit). Mais c’est ma façon à moi de leur dire que même dans les mauvais moments, on est ensemble.

Tu as dialogué avec les supporters en face à face ?

BATSHUAYI : Oui, des supporters sont venus à la Commanderie (ndlr, le centre d’entraînement), j’en ai rencontré à l’aéroport. Je fais partie des gens qui communiquent avec les supporters, c’est important pour moi de savoir ce que les gens ressentent. Et je leur ai fait comprendre qu’on était tous dans la même galère et que si on se taclait entre nous, on n’allait pas se tirer d’affaire, qu’on avait au contraire besoin d’eux et qu’on essaie vraiment de se sortir du merdier. Ils pensent qu’on n’en a rien à foutre, qu’après un match, on pense qu’à s’amuser. Moi, après une défaite, j’ai les yeux rouges jusqu’à trois heures du mat’, je me repasse le match chez moi.

Tu te repasses chaque fois les matches ?

BATSHUAYI : Oui, tout le temps. Je tiens ça de Marcelo Bielsa. Il me disait de les regarder si je voulais progresser.

Bielsa t’a particulièrement marqué…

BATSHUAYI : Oui. Et je suis encore plus marqué par lui aujourd’hui que quand il nous coachait.

Qu’est-ce qu’il t’a apporté ?

BATSHUAYI : Dans l’engagement, l’agressivité, la concentration, le pressing. Il m’a appris beaucoup de choses.

L’OM, MON AMOUR

T’étais dégoûté quand il est parti ?

BATSHUAYI : Oui, car c’est quand même lui qui m’a fait venir à Marseille.

Et il est aussi loco qu’on le dit ?

BATSHUAYI : Oui, quand même (il rit). Ce qui était difficile avec lui, c’est que tu n’arrivais pas à savoir ce qu’il pensait. Mais quand il prenait la parole, tout le monde l’écoutait et on en apprenait beaucoup avec lui.

Il a pourtant été dur avec toi pendant tes premiers mois à Marseille.

BATSHUAYI : Oui. Je me rappelle qu’un jour où on a fait trois tours de terrain ensemble en marchant, il m’a balancé que je n’étais plus en Belgique, que je devais arriver à l’entraînement plus concentré et changer des choses dans ma vie. Pour dire : petit, t’es plus au Standard, t’es arrivé à un niveau au-dessus et si tu veux rentrer dans cette équipe, tu dois élever ton niveau de jeu. Et déjà ça, ça te réveille.

T’as le sentiment d’avoir passé un cap cette saison ?

BATSHUAYI : J’ai progressé, oui. C’est une expérience en soi de faire toute une saison comme titulaire à l’Olympique de Marseille.

Tu as déclaré récemment être amoureux de ce club.

BATSHUAYI : (Il coupe) Oui je le confirme. C’est un club de rêve. En Belgique, déjà, que ce soit ma famille, mes amis, l’OM est leur club préféré. Cette couleur bleu ciel m’a toujours fait rêver et pas seulement moi. C’est pas n’importe quel club.

Comment tu le décrirais ?

BATSHUAYI Je sais pas… parfois je débarque au Vélodrome et c’est comme si je vivais ce moment pour la première fois. Je regarde le stade, je regarde les supporters, je me dis que c’est magnifique. Et je me demande aussi comment on a pu faire les cons pour perdre tous ces matches. Je craque. Et puis ici, quand tu te réveilles, il fait beau, le centre d’entraînement est magnifique, c’est l’endroit rêvé pour un joueur.

Sauf que certains ont de grosses difficultés à vivre avec la pression marseillaise.

BATSHUAYI : C’est vrai mais si t’arrives à passer au-dessus, t’es apprécié par tous ! Je suis quelqu’un qui aime bien prendre des risques, qui continuera à en prendre, qui aime bien cette folie. On peut me crier dessus mais aussi m’applaudir quelques minutes plus tard, ça fait partie du foot.

Le fait de ne pas être touché par le stress, c’est une chance non ?

BATSHUAYI : Plus il y a de monde, plus le match va m’exciter. Et j’ai toujours été comme ça.

FOOT DE RUE À VIE

Quand tu étais chez les jeunes du Standard, tu pensais atteindre un tel niveau ?

BATSHUAYI : J’étais déterminé en tout cas. Je me rappelle d’une anecdote qui m’a marqué à vie. J’étais en U19 et Jean-François de Sart (ndlr, directeur technique) nous avait dit qu’il allait nous préparer pour passer pro dans 4-5 ans. 4-5 ans ! Je l’ai regardé en me disant : Mais il est fou, il veut ma mort ou quoi ? Moi, j’avais envie d’y être dans six mois. Et j’ai même mis fin à une relation en disant à mon ex-copine que je n’allais désormais penser qu’au foot. Elle me disait : mais non Michy, je ne vais pas te déranger… Mais je voulais être concentré sur un seul objectif. Six mois plus tard, je signais pro.

Comment garde-t-on cette touche  » foot de rue  » qui donne à ton jeu ce côté imprévisible, créatif ?

BATSHUAYI : Je continue à jouer au mini-foot ici, à Marseille ou à Aix-en-Provence, dans le complexe qui appartient à Zidane. On essaie d’être discret, d’y aller caché même si c’est pas toujours évident. Je suis obligé de jouer à ça, c’est la base. Quand je rate un contrôle à l’entraînement ou en match, je me dis qu’il faut retourner à la source. Les  » un contre un  » sur un petit mètre carré, c’est tellement important. C’est ce qui m’a permis de garder la forme quand je ne jouais pas la saison dernière. Car soit j’allais m’engourdir, soit il fallait que j’en fasse plus après les entraînements. Si je n’avais pas été jouer à côté, je n’aurais pas performé autant en fin de saison. J’ai bossé à l’entraînement, chez moi et au mini-foot. Parfois, j’envoyais des photos à mon agent où je portais des poids alors que j’avais entraînement le lendemain. Il me prenait pour un fou (il rit).

Ton père continue à te rendre visite régulièrement ?

BATSHUAYI : Oui, c’est important qu’il soit là pour mon équilibre. Il l’est aussi pour le petit (ndlr, son petit frère, Aaron Leya Iseka, qui joue à Anderlecht, fut victime d’une déchirure des ligaments du genou en octobre dernier) qui vit des moments difficiles cette saison. Je pense qu’à son âge, je n’aurais pas su surmonter cette blessure. Mais c’est un vrai bosseur, c’est un guerrier.

Tu as été marqué par les attentats qui ont touché Bruxelles ?

BATSHUAYI : Oui, énormément. Je suis encore très attaché à ma ville et puis ça a touché mon ancien quartier, Molenbeek. C’est triste ce qui arrive, désormais dès qu’on parle de Molenbeek, ça effraie les gens. Alors que c’est un chouette quartier avec des bonnes personnes dans la grande majorité. Mais je les comprends, ceux qui ne connaissent pas. En tout cas, ça fait peur ce qui s’est passé. Désormais, je dis à mes soeurs de faire attention ; l’une des deux continue à prendre le métro pour aller à ses cours. Malheureusement, ça peut à nouveau arriver n’importe où, n’importe quand.

PAR THOMAS BRICMONT À MARSEILLE – PHOTOS BELGAIMAGE – GUILLAUME CHAGNARC

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