« Je n’ai toujours pas demandé ma pension »

Président de Lokeren depuis 15 ans, il continue à travailler dans son entreprise de pneus. Entretien sur le passé, le présent et l’avenir.

Roger Lambrecht passe de bonnes nuits car Lokeren, relifté, reste en course pour les play-offs 1.  » Beaucoup de choses ont changé mais en football, on ne sait jamais ce qui peut arriver. La saison passée aussi, nous pensions avoir une équipe apte à atteindre le top 6 mais nous avons lutté contre la relégation jusqu’à la dernière seconde. « 

Comment avez-vous mené à bien la rénovation sportive du club ?

Roger Lambrecht : Nous avons analysé tout ce qui n’avait pas fonctionné. La conclusion majoritaire était : de bons footballeurs mais pas d’équipe. Pourquoi ? Il y avait trop de nationalités et de cultures différentes dans le vestiaire. Aucun entraîneur n’est parvenu à les souder. Nous manquions aussi de motivateurs. Peter Maes en est un. Grâce à l’entraîneur, la discipline et l’unité sont revenues.

Vous souhaitiez aussi embaucher Fi Vanhoof, le directeur sportif de Malines ?

Ce n’est pas vrai mais Fi est un ami. Il a été mon premier entraîneur ici. Il nous a d’emblée promus en D1. Fi est un Monsieur comme on n’en trouve plus dans le football. Il travaille pour presque rien à Malines. Peter souhaitait instaurer ici une structure semblable à celle de Malines et il a demandé à former un tandem avec Willy Reynders.

Et donc pas avec Willy Verhoost ?

J’ai dit à Willy qu’il ne s’occuperait plus de l’équipe. Les trois ou quatre derniers entraîneurs me l’avaient demandé aussi. Nous avons donc mis fin à cette situation.

Combien avez-vous investi dans ce nouveau Lokeren ?

Un peu plus que les saisons précédentes mais sans excès. Neuf joueurs sont partis et ce n’étaient pas les plus petits contrats. Nous avons touché des indemnités pour Avi Ziv et David Strul et nous en attendons encore de la FIFA pour Omer Golan. Genk a également versé une petite somme pour Joao Carlos.

Les changements ne se limitent pas au domaine sportif : le directeur commercial Patrick Orlans a rejoint le Club Bruges, emmenant deux personnes avec lui.

Ce n’est pas correct. Je peux concevoir qu’il parte parce qu’il doute de l’avenir de Lokeren mais pas qu’il emmène deux collaboratrices sans nous prévenir. L’une devait travailler chez ses beaux-parents et l’autre cherchait un travail dans la région alors qu’en réalité, elles ont rejoint Bruges. Mais je dois dire que le départ d’Orlans n’est pas une perte. Nous l’avons remplacé par Marc Spinnael et tout se passe mieux, avec plus de correction.

Insinuez-vous que…

Je n’en dirai pas plus.

 » Si nous avions été rétrogradés, jamais nous ne serions remontés « 

Vous avez engagé Jean-Marie Philips comme CEO.

Il est responsable de tout sauf du sportif. Quand des investisseurs se présentent, il faut modifier l’organisation. Il s’en occupe.

Vous êtes propriétaire du club. Depuis 15 ans, Lokeren est synonyme de Roger Lambrecht. Quel est votre rôle financier ?

Je joue les banquiers quand il y a un manque à gagner et je récupère mon argent quand la vente de joueurs génère des rentrées.

Quelle est la situation de Lokeren ?

C’est de la cuisine interne. Mais quand vous consentez de gros efforts et que vous vous retrouvez dans la situation de la saison dernière, vous souffrez et votre santé en pâtit. Si nous avions été rétrogradés, jamais nous ne serions remontés.

Est-il raisonnable, pour votre santé, de vous impliquer autant ?

Je ne sais pas dans quelle mesure il est raisonnable de supporter tout ça.

En 1999, vous avez eu des problèmes cardiaques. Que s’est-il vraiment passé ?

C’était une alerte. Je me sentais mal et le médecin m’a envoyé chez un cardiologue, qui a diagnostiqué de la fibrillation. Des troubles du rythme, un ventricule battant plus vite que l’autre. On m’a administré deux électrochocs pour régulariser mon pouls, avec succès. Je souffre constamment de fibrillation. Je le sens à mon poignet et à mon cou mais c’est le cas de beaucoup de gens. En prenant des diluants sanguins, on évite la formation de caillots et on peut vivre centenaire. J’avale donc mes pilules tous les jours. Je devrais maigrir de 20 à 25 kilos mais c’est très difficile. Je suis gros de nature et aussi parce que je bouge peu. Avant, je pratiquais énormément de sport. A 70 ans, j’allais en vélo d’Eksaarde à la mer sans problème. Je roulais deux à trois heures deux fois par semaine. Je n’y arrive plus. Il y a 15 ans, ma jambe a été comprimée lors d’un accident en auto et on m’a dit que plus tard, la calcification me causerait des problèmes à l’aine. Je ne peux donc plus rouler à vélo. J’ai aussi dû arrêter le fitness et les exercices à l’UZ Gand : le lendemain, je pouvais à peine marcher. Je devrais me faire placer une prothèse de la hanche mais le spécialiste estime que le mieux serait de maigrir. Je suis d’ailleurs un régime strict depuis peu. Je préfère ça à une opération.

L’année prochaine, vous aurez 80 ans…

Je ne suis pas des plus jeunes. La majorité des personnes de mon âge mettent fin à leurs activités mais moi, je suis toujours actif. Je cherche des successeurs mais ce n’est pas facile. Il me faut des personnes dynamiques, qui veulent aller de l’avant, sont positives à l’égard du football et ont de l’argent. Nous sommes encore en train de négocier. Les mêmes questions reviennent : voulez-vous progresser avec le club, investir, en prendre la direction ou participer à sa gestion ?

 » Je ne me suis pas mêlé de football pour gagner de l’argent « 

Que voulez-vous ?

Le mieux pour le club. Lokeren est constitué de trois sociétés de Roger Lambrecht. Si des partenaires nous rejoignent, il faut une nouvelle structure avec des parts, en fonction de l’apport financier. Les statuts doivent être adaptés.

Resteriez-vous président ?

Oui, mais je promets que j’arrête si les nouveaux investisseurs peuvent reprendre toutes les parts.

Sans nouveaux investisseurs, la viabilité de Lokeren n’est-elle pas menacée ?

Survivre devient de plus en plus difficile pour des clubs comme Lokeren. Seuls les plus forts survivront. Qui seront-ils ? Si nous pouvions jouer le top cinq et nous y maintenir quatre ou cinq ans, nous accueillerions sans doute deux à trois mille personnes de plus, de même qu’un ou deux millions de plus en sponsoring. Nous serions alors rentables.

Une fusion n’est plus à l’ordre du jour ?

Non. Nous devons faire en sorte d’être nous-mêmes assez solides. Nous aurions pu trouver un accord avec Beveren mais c’est une commune riche qui préfère continuer son chemin seule.

Vous êtes un homme d’affaires réaliste. Pourquoi êtes-vous si attaché à Lokeren ?

Je ne me suis pas mêlé de football pour gagner de l’argent mais parce que j’aime ça et que j’ai toujours baigné dans ce milieu.

Venez-vous d’une famille sportive ?

Oui. Mon père a été coureur. Gerard Lambrecht. Il servait Georges Ronsse et a terminé troisième de Liège-Bastogne-Liège. Vous connaissez sans doute mieux mon parrain, Roger De Neef, un grand pistard. J’ai commencé à jouer au football très jeune. Le café de mes parents servait de local au Standard Lokeren. Je jouais dans l’axe de l’entrejeu. A 18 ans, j’ai été vendu à Hamme, pensionnaire de D2. C’était alors la meilleure équipe de la région. Pendant mon service militaire, j’ai joué pour la Jeunesse Arlon. J’ai resigné à l’armée mais après trois ans, j’ai commencé à travailler au port d’Anvers et je suis revenu au Standard Lokeren, comme joueur-entraîneur. J’ai mis fin à ces activités quand j’ai travaillé pour Michelin. Six ou sept ans plus tard, je lançais ma propre centrale de pneus. J’avais 35 ans.

Le Q-Team Group, votre collaboration avec Verviers Pneus et Banden Vandekerckhove, compte 101 sites et un chiffre annuel de 150 à 160 millions d’euros. Comment avez-vous fait ?

Comme en tout, il s’agit de connaître son style, d’être correct et de travailler dur. Avant, je ne dormais que quatre heures par nuit.

Pourquoi faites-vous ça ?

Parce que je ça me plaît. Je vois l’affaire croître et je suis marié à une femme qui ne se plaint jamais. Je reste un administrateur qui travaille. Je n’ai pas encore demandé ma pension. Pourquoi le ferais-je ?

Parce que vous y avez droit ?

Qu’on donne cet argent aux gens qui en ont besoin. (Il réfléchit). Non, je mens. Depuis longtemps, je touche 540 francs belges (13,50 euros) du temps où j’étais officier sportif à l’armée.

Le travail, business et football, est-il votre joie de vivre ?

Oui. Si j’arrête à Lokeren, il y a assez de travail dans ma société pour m’occuper, même si je ne fais que la moitié. Mais je ne partirai pas avant que le club n’ait une structure et des moyens suffisants pour se maintenir en D1. Je suis convaincu que les candidats investisseurs arabes avec lesquels nous négocions actuellement sont de bonne volonté et ont l’assise financière requise mais il y a un problème : comment obliger quelqu’un à former une équipe qui figure dans le top 5 ? Imaginez qu’en janvier, sous leur impulsion, nous investissions dans un avant et un ailier gauche rapide : nous serions complets mais cela nous offre-t-il la garantie de terminer parmi les cinq premiers ? Non, car nous dépendons aussi de la force des autres clubs.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: REPORTERS

 » Je devrais maigrir de 20 à 25 kilos mais c’est très difficile. Je suis gros de nature. « 

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