» Je n’ai pas envie de renoncer à la oitié de mon salaire pour jouer ailleurs « 

Il y a huit ans, Nicolas Lombaerts a atterri à Saint-Pétersbourg, dans l’inconnu. Entre-temps, il a été champion de Russie à quatre reprises et s’est forgé sa place dans le noyau des Diables Rouges.

De la Moskovsky Prospect, avenue longue de neuf kilomètres qui relie l’aéroport de Saint-Pétersbourg au coeur historique de la ville, la cité la plus occidentale de Russie semble bien peu exotique. Il y a même un café Manneken-Pis entre des pubs irlandais. Les voitures ? Des Toyota, des Volvo, des KIA, des Mercedes, des Citroën, des Opel. Le restaurant italien de l’aéroport offre des glaçons dans un verre de Grimbergen. En revanche, les bandeaux orange qui ornent la plupart des autos font plus couleur locale : ils commémorent la fête du 9 mai, qui a marqué les 70 ans de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. D’un coup, de nombreux anciens drapeaux soviétiques refont surface, rouges avec un marteau et une faucille. Mais à côté, des affiches annoncent aussi The Scorpions, Nick Cave et Goran Bregovic.

Nicolas Lombaerts est ponctuel, sur l’immense place devant le Palais d’Hiver, rebaptisé l’Ermitage, qui constitue une des plus grandes collections d’art du monde. Il l’est autant que lors de notre premier rendez-vous ici, le 25 juillet 2007.  » Il ressemble à un homme normal « , remarque le photographe. Lombaerts se balade tranquillement au centre-ville, il passe devant le fan shop Zenit Arena, sur la Nevski Prospect, l’immense avenue commerçante qui est le coeur de cette métropole de cinq millions d’habitants. Il nous conduit ensuite au Café Singer, sur le même boulevard. C’est un de ses endroits préférés : un café à l’étage supérieur d’une librairie.

Lombaerts ne se contente pas de jouer à Saint-Pétersbourg : il connaît la ville comme sa poche. Il a déjà maintes fois visité l’Ermitage avec sa famille et des amis. Il connaît bien l’organisateur de la plupart des grands concerts. Sa tête a même déjà orné les panneaux géants de la ville, en guise de publicité pour le célèbre opéra de Piotr Tchaïkovski, Evgueni Onéguine, tiré de l’oeuvre du poète Alexandre Pouchkine.Lombaerts représentait le personnage principal et il a assisté à l’opéra. Il parle bien russe et il est au courant des événements politico-financiers de la Belgique, de la Russie comme du reste du monde.

Huit années en Russie ont modifié sa vision du monde.  » Je me pose de plus en plus de questions sur l’UE et j’interroge mes amis russes sur la situation en Ukraine. C’est absurde : l’année avant, j’étais à Kiev et à Donetsk et cette ville est maintenant en ruines.  »

Lombaerts est évidemment à Saint-Pétersbourg pour jouer au football. Seuls Vyacheslav Malafeev et Aleksandr Anyukov y sont depuis aussi longtemps. Andrey Arshavin et Aleksandr Kerzhakov sont partis.

Il y a quelques mois, Lombaerts a assisté à un match avec le noyau dur du Zenit.  » Personne n’a intérêt à me vouloir du mal.  » Ce même noyau dur s’est manifesté à l’arrivée d’Axel Witsel et de Hulk, qui n’ont pas vraiment le type caucasien.  » Sur la place près de l’Ermitage, on peut voir un autocollant avec la tête et la coiffure de Witsel, en plus brun. La légende : -Au Zenit aussi, il y a des joueurs de couleur. C’est l’oeuvre d’un mouvement antiracisme.  »

Trois jours plus tard, Lombaerts fête son quatrième titre dans son vieux stade Petrovski. C’est le cinquième du Zenit. La fête se poursuit toute la nuit, en cercle restreint.  » Ici, il n’y a pas de défilé ni d’apparition au balcon de l’hôtel de ville.  »

Le Zenit espère prendre possession de son nouveau stade en 2016-2017. On en parle depuis le transfert de Lombaerts. Il ne craint pas d’achever sa carrière dans ce stade.  » Je pourrais passer le reste de ma vie ici. Pas ma femme. Elle me trouve très russe. Mais n’est-ce pas une ville magnifique ? J’ai tout ce dont j’ai besoin. Je suis heureux ici.  »

 » On se moquait de Vandereycken derrière son dos  »

Tu vas bientôt jouer contre le Pays de Galles. Tu as fait partie de l’équipe qui a disputé la finale de l’EURO espoirs aux Pays-Bas et a été quatrième des JO 2008. Sur la photo, aux côtés du capitaine Maarten Martens, il y a Logan Bailly, Sepp De Roover, Jonathan Blondel, Axel Witsel, Tom De Mul, Jan Vertonghen et Marouane Fellaini. Quel parcours t’a le plus surpris ?

Nicolas Lombaerts : Ce qui est exceptionnel, c’est qu’autant d’entre eux jouent encore à ce niveau, généralement en équipe première. La principale surprise positive, je dirais que c’est moi. Je ne m’attendais pas vraiment à devenir Diable Rouge, même quand j’étais repris en espoirs. Tom De Mul, un véritable ailier, capable de réaliser une action, m’a également surpris. Il a obtenu un beau transfert à Séville, il y a été confronté à une fameuse concurrence puis s’est blessé mais il était un des plus grands talents de notre groupe, comme Bailly et Glenn Verbauwhede. J’ai rarement vu un gardien tel que Verbauwhede. Maarten Martens a réussi une chouette carrière à l’AZ. Je pensais que je serais heureux de signer pour une équipe comme l’AZ.

Un sélectionneur a dit que tu pouvais oublier une carrière en D1 et t’estimer heureux d’évoluer en D2. Tu y penses parfois ?

Inconsciemment, il m’a motivé mais sur le moment, je partageais son avis.

Vous étiez conscient de former une génération en or ?

Non, même si on gagnait presque tout. L’Espagne alignait alors Cesc Fabregas, Sergio Ramos et Andres Iniesta. On l’a battue à domicile et fait match nul là-bas. On a étrillé une Serbie bourrée de talents 4-0. Le tout dans une ambiance formidable. Après chaque match, on sortait, on formait une vraie bande de potes. Je me suis super bien amusé en espoirs. Ceci dit, l’ambiance est très bonne en équipe nationale, maintenant. Ce n’est pas un cliché. Je n’ai jamais connu ça avant, même pas en club. On est des amis et le courant passe aussi entre Wallons et Flamands. C’était différent à mes débuts en équipe nationale.

Tu es entré au jeu contre l’Arabie saoudite en mai 2006, à Sittard.

Nathan D’Haemers, de Zulte Waregem, en était, comme Karel Geraerts, Pieter Collen, Tom Caluwé et Kevin Vandenbergh. Les résultats n’étaient pas bons, on se regardait de travers et on se moquait du sélectionneur, René Vandereycken. Du moins derrière son dos. Même les petites nations nous battaient. On avait moins de talent. La plupart des internationaux jouaient aux Pays-Bas alors que maintenant, on est presque tous dans les plus grands championnats.

Quand s’est produit le revirement ? Quand votre groupe de losers s’est-il changé en équipe de battants ?

Quand on a loupé l’EURO 2012. On était vraiment déçus parce qu’on sentait qu’on aurait pu se qualifier pour les barrages alors que ce n’était pas le cas lors de la campagne précédente. De 2010 à 2011, on avait perdu des matches qu’on aurait dû gagner mais on sentait déjà qu’on pouvait réussir.

Le sélectionneur joue-t-il un rôle dans cette prise de conscience ?

Son impact mental est plus conséquent que l’aspect tactique car on a peu de temps pour étudier certaines choses avant un match.

 » Les Belges ne se rendent pas compte de mes performances  »

Indépendamment de tes coaches actuels, quel est l’entraîneur qui t’a le plus appris ?

(Sans réfléchir.) Luciano Spalletti. Il est réputé pour son approche tactique, surtout en défense. Il insiste sur les automatismes défensifs à chaque séance. En toutes circonstances, avec lui, un défenseur sait ce qu’il doit faire, comment se déplacer, comment utiliser son corps. Il m’a fait prendre conscience de certaines choses. Au début, j’ai beaucoup souffert car il était particulièrement dur avec moi. Je ne demandais qu’une chose : qu’il me fiche la paix. Puis j’ai compris qu’il le faisait pour mon bien, pour que je progresse.

Tu t’es amusé sous Advocaat, qui t’a transféré au Zenit et que tu as connu en équipe nationale ?

Advocaat forçait le respect et il a instauré de la discipline. Face à un tel homme, on ne fait pas de remarque, pas plus qu’on ne rigole derrière lui : il a travaillé avec tant de vedettes… Advocaat excelle dans l’art de former une équipe. Il n’a pas demandé de vedettes au Zenit. Il savait de quels profils il avait besoin pour compléter le puzzle. Notre coach actuel, André Villas-Boas, est entre Advocaat et Spalletti : tactiquement fort tout en accordant de l’importance au plaisir. Il écoute aussi ses joueurs.

C’est nécessaire pour être un bon coach ?

Parfois mais pas trop. Un bon entraîneur doit avoir sa propre opinion et l’imposer au groupe.

Juste avant le Mondial brésilien, tu as donné une interview hilarante, pleine de cynisme et d’ironie. Tu ne pensais pas être titulaire un an plus tard ?

Non. Si Vermaelen ne s’était pas blessé, il jouerait sans doute vu la retraite de Van Buyten. Je m’attendais à ce que Thomas soit titulaire. Rien ne laissait présager que Daniel le serait, même s’il a disputé un tournoi fantastique, à son âge. Quant à cette interview : je n’avais pas joué une minute depuis un mois, je manquais de rythme et je me sentais mal dans ma peau. Si je n’avais pas pu jouer après la blessure de Vermaelen, compte tenu de la retraite de Van Buyten, j’aurais sérieusement envisagé de renoncer à l’équipe nationale. Que pouvais-je faire de plus ? J’évolue dans un grand club étranger, je participe à la Ligue des Champions chaque saison, je suis champion tous les deux ans. Mais les gens ne se rendent compte de rien parce qu’on ne voit pas les matches du Zenit à la TV. Je peux casser la baraque, qui va le savoir ? J’ai déjà remporté le prix du Meilleur Etranger, devant Eto’o, Boussoufa et d’autres grands noms et en Belgique, c’est tout juste si on le mentionne.

Tu n’as jamais envisagé de faire tes preuves dans un autre championnat ?

Avant, plus maintenant. Il aurait été plus facile de partir après trois ans. Je suis toujours très heureux ici. J’ai eu des contacts mais le Zenit n’a pas besoin d’argent et ne veut pas me laisser partir. Je n’ai pas non plus envie de renoncer à la moitié de mon salaire pour jouer ailleurs. Achever ma carrière ici ne serait pas pour me déplaire, à moins que je fasse banquette longtemps.

Quand tu as signé ici, tu pouvais rejoindre le Hertha Berlin en Bundesliga. Que serait-il advenu de toi, si tu avais choisi l’Allemagne ?

Je n’aurais pas gagné la Coupe UEFA. Plus tard, le club est descendu en D2. Je l’aurais accompagné et n’en aurais peut-être plus jamais émergé avant de rejoindre un modeste club belge.

Au Brésil, tu as demandé à Wilmots pourquoi tu ne jouais pas ?

Non. Je ne le fais jamais. Je préfère qu’un entraîneur ne dise rien que d’entendre du blabla.

 » A Grozny, il y a plus de militaires que de supporters dans le stade  »

Le foot russe a changé, en huit ans ?

Pas vraiment. Je suis étonné qu’avec tout l’argent qu’il y a ici, on ne trouve pas de plus grands noms. Thomas Meunier, Dennis Praet : ils seraient parfaits ici et gagneraient bien leur vie. Il y a eu un vent de panique l’année dernière quand le rouble s’est dévalué. L’euro valait d’un coup 100 roubles au lieu de 50. Moi aussi, j’ai paniqué : du jour au lendemain, ton argent perd la moitié de sa valeur et tu ne sais pas ce qu’il va se passer. Mais il y a quelques mois, Hulk a obtenu une revalorisation de son contrat. La situation s’améliore.

Le Zenit aurait-il pu disputer les demi-finales de la Ligue des Champions, avec un peu de chance ?

Non. On ne peut pas se comparer au Bayern, au Real, à la Juventus ni à Barcelone. On n’a pas de Messi, de Robben ni de Cristiano Ronaldo. Par contre, cette saison, on aurait pu remporter l’Europa League.

L’équipe est-elle meilleure qu’à ton arrivée ?

Non. La première saison était la meilleure. Pas de vedettes mais de bons footballeurs. Maintenant, on achète des joueurs chers, on a plus de talents individuels mais la première équipe était un bloc, une machine.

En huit ans, quel a été ton déplacement le plus impressionnant ?

Chaque année, le voyage à Grozny. On nous conduit dans des véhicules blindés. Il y a des points de contrôle tous les cent mètres, des soldats armés de kalachnikovs à tous les coins de rues, qui ne sont généralement pas asphaltées. Et il y a plus de militaires que de supporters normaux dans le stade. On ne peut pas manger à l’hôtel : ce n’est pas sûr. C’est impressionnant mais je l’oublie dès que je suis sur le terrain. Une fois, après un match à Makhatchkala, où joue Anzhi, j’ai voulu aller manger un bout puisqu’on passait la nuit-là. On nous a conduit au restaurant dans un véhicule blindé, escortés par deux voitures remplies d’agents de sécurité. Au restaurant, ils ont tout fouillé avant de nous autoriser à nous asseoir dans une pièce à part, d’où personne ne pouvait nous voir.

Le derby contre Moscou

Les stades t’impressionnent encore ?

De moins en mois. Séville, devant 50.000 spectateurs, c’est quelque chose mais ça ne m’intimide pas. J’ai joué à Bernabeu, j’ai affronté un mur de supporters à Dortmund mais je n’ai jamais été nerveux. Note que je suis ultra motivé pour les grands matches, comme les derbies contre les clubs moscovites.

Des derbies ? A combien de kilomètres se trouve Moscou ?

700, seulement. Parfois, je me rappelle le championnat de Belgique : on trouve un déplacement en bus de deux heures long. Ici, on va au vert avant chaque match, même à domicile, et rien que la route pour l’aéroport prend une heure. J’aimerais bien aller à Vladivostok (NDLR : ville située à plus de 6.500 km de Saint-Pétersbourg) mais il faudrait qu’il soit promu en D1.

Tu as des maillots de footballeurs connus dans ton armoire ?

Ceux de Tom De Sutter et de Günther Vanaudenaerde. Je n’échange de maillots qu’avec mes amis ou les joueurs qui me le demandent. Je n’en ai ramené aucun de la Coupe du Monde.

Tu vas bientôt affronter le Pays de Galles de Gareth Bale. Tu le crains ?

Non. J’ai joué contre lui à l’aller et je ne l’ai pas vu. Mais il n’a besoin que d’une petite action pour faire la différence. On pense donc pendant 88 minutes qu’on le neutralise et d’un coup, il frappe. Donc, il faut le marquer à la culotte pendant 95 minutes.

PAR GEERT FOUTRÉ À SAINT-PÉTERSBOURG – PHOTOS: BELGAIMAGE / KIREEV

 » Thomas Meunier ou Dennis Praet seraient parfaits en Russie et ils gagneraient bien leur vie !  »

 » Si je n’avais pas pu jouer après la blessure de Vermaelen, j’aurais sérieusement envisagé de renoncer à l’équipe nationale.  »

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