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 » Je n’ai jamais regretté mon choix pour la Syrie « 

Le Bruxellois d’origine syrienne a fini 2e meilleur buteur en Belgique puis aux Pays-Bas avant de monnayer ses qualités au soleil mais, à 33 ans, il a encore envie de faire trembler les filets.

Rien n’a été simple pour Sana Malki, ni dans sa vie d’enfant, ni dans sa carrière footballistique et pourtant, l’attaquant bruxellois a connu une trajectoire assez fulgurante. Après plusieurs saisons disputées sous d’autres cieux et un dernier contrat qui s’est achevé au Qatar, l’international syrien est revenu en Belgique voici peu. A 33 ans, il va se lancer un ultime défi et, en parallèle, devenir papa pour la première fois cet hiver. Rencontre avec un homme qui détient quelques records, et pas des moindres.

C’est à Jette, là où tout a commencé, que nous l’avons retrouvé. Il foule du regard la pelouse de l’ancien SCUP Jette, terrain où Nordin Jbari avait, lui aussi, usé ses premiers crampons. C’est une terre de buteurs. La grande aventure du goleador bruxellois a débuté par hasard. Il s’en souvient avec le sourire :  » A 15 ans, je ne jouais toujours pas en club mais je faisais des matchs avec des copains au parc « , explique-t-il.

 » Un jour, quelqu’un m’a remarqué et m’a conseillé d’aller au club de l’Avenue de l’Exposition Universelle. J’ai joué un petit match d’entraînement avec les scolaires B contre les A et j’ai marqué plusieurs buts. Je suis rapidement passé en Espoirs puis en équipe première. Et j’ai continué à marquer…  »

Scorer est devenu sa marque de fabrique, une seconde nature. En P2, il fait plier les défenses, fait pleurer les gardiens et enrhume ses gardes-chiourmes. A la fin de la saison, il flirte avec la barre des 30 goals mais n’est que deuxième meilleur buteur de sa série.

 » Derrière Mike Van Laethem « , rappelle-t-il.  » Quelques mois plus tard, l’Union Saint-Gilloise m’a proposé de la rejoindre et cela reste un immense moment de ma carrière et une grande fierté parce que c’est un club complètement à part avec des supporters géniaux. Il y avait une ambiance magnifique dans le groupe et nous avons réussi à remporter le titre en D3 avec Jacques Urbain. Aujourd’hui encore, les seuls amis que j’ai gardés du monde du football sont ceux avec qui j’ai joué à l’Union : Jules Mbayoko, Francis Mangubu, …  »

En équipe nationale de Syrie, on ne fait pas de différence entre les musulmans et les autres.  » – Sana Malki

Il marque le premier but européen de Roulers

Les statistiques de Malki sont impressionnantes : 45 buts en une centaine de matchs pour le club de la Butte. Forcément, à seulement 22 ans, il suscite la convoitise et le voilà transféré un peu plus tard à Roulers où il devient professionnel aux côtés de Fred Vanderbiest notamment.

 » J’ai laissé une petite trace au Schiervelde puisque j’ai marqué le premier but européen de l’histoire du club contre le Vardar Skopje. Tout allait tellement vite, c’était assez fou.  » Une saison plus tard, le jeune homme a gagné un transfert dans un club plus ambitieux et le voilà au Germinal Beerschot, de l’autre côté de la Flandre, momentanément dans l’ombre d’un certain François Sterchele.

 » On s’entendait très bien parce que nous avions connu une trajectoire semblable. Comme moi, il avait dû faire ses armes dans les divisions inférieures, dans son cas à La Calamine, et nous étions aussi, tous deux, francophones. Pendant six mois, à chaque stage et à chaque mise au vert, nous partagions la même chambre. J’en garde un super souvenir. Son décès fut un choc terrible, même au GBA, alors qu’il n’y jouait plus… Personnellement, là aussi j’ai participé à l’élaboration d’un record puisque le GBA a gagné onze matchs de suite en championnat. Je crois que ce chiffre tient toujours (il sourit).  »

Petit à petit, Malki se fait une place au Kiel avec Tosin Dosunmu à ses côtés et la machine se remet en marche. Il marque comme il respire et attire forcément l’attention du sélectionneur national : René Vandereycken.  » J’ai été convié par Jean-François de Sart à un stage préparatoire, à Malte, en vue des Jeux Olympiques 2008. Il y avait là Vincent Kompany, Anthony Vanden Borre, Jan Vertonghen, Axel Witsel et consorts « , raconte-t-il.

 » C’était, somme toute, assez normal puisque j’étais le meilleur buteur belge du championnat. Sur place, j’ai même marqué un but dans une rencontre amicale. A l’époque, les Diables Rouges ne marchaient pas bien et j’espérais avoir ma chance mais je n’ai pas senti beaucoup de soutien de la part du sélectionneur et j’ai alors fini par accepter la proposition de la Syrie. C’est le pays où je suis né et c’était aussi une fierté pour mon père. Mais on parle d’une époque où la guerre ne faisait pas rage et où les gens vivaient heureux, sans aucune crainte.  »

Des centaines de personnes l’accueillent à l’aéroport à Damas

Ce à quoi ne s’attendait pas l’attaquant, c’est l’accueil auquel il a eu droit :  » Je suis arrivé sur place et des centaines de personnes m’attendaient à l’aéroport. J’ai eu droit à des fleurs, des interviews, des photographes, … J’étais attendu comme le Messie « , sourit-il.  » Jamais je n’aurais cru que les Syriens étaient aussi friands de football. Et je n’ai jamais regretté ce choix.  »

Après s’être fourvoyé à Lokeren,  » dans un club qui manquait de stabilité, où j’ai connu quatre entraîneurs en quelques mois et où on me faisait jouer médian droit « , Malki s’offre un bref exil avec Emilio Ferrera en Grèce à Panthrakikos, avant d’atterrir aux Pays-Bas. Avec Roda JC, il découvre une compétition taillée sur mesure pour lui. Il y explose les chiffres et affole les compteurs. Par la même occasion, il s’offre deux records personnels.

 » J’ai fini deuxième meilleur buteur d’Eredivisie derrière Bas Dost, qui joue aujourd’hui au Sporting Lisbonne après avoir marqué à la pelle en Bundesliga. Jamais aucun joueur de Roda n’avait inscrit autant de buts en une saison. J’ai scoré 25 fois la première saison. J’ai aussi inscrit un but dans la première minute d’un match dans trois rencontres d’un même mois. Un de la tête, un du pied droit et un du pied gauche. J’ai battu un record hollandais qui appartenait à Johan Cruyff !  »

Respecté pour son professionnalisme et sa rigueur, Malki hérite même du brassard de capitaine à diverses occasions. Au terme de la deuxième année et alors qu’il a encore franchi la barre des 20 buts, le club batave décide de le vendre parce que les finances sont proches du rouge. Contre un chèque d’un peu moins de deux millions d’euros, il signe alors à Kasimpasa, en Turquie.

 » C’était un sérieux pas en avant. Sportivement, culturellement et financièrement aussi « , dit Malki.  » Le club se situe à Istanbul, non loin du stade de Galatasaray. A tous les niveaux, c’est le summum de ce que j’ai connu. Chez les Apaches, j’ai notamment joué avec Ryan Donk. Nous avions des installations d’entraînement hors du commun et le foot vit en Turquie. La ferveur qui régnait dans les stades était assez incroyable. Cette ville est un carrefour des cultures où les gens se côtoient et se rencontrent. La vie sur place était très agréable.  »

En six ans, il est passé de la P2 aux portes des Diables

Globalement, Sana ne nourrit aucun regret. Ni celui de ne pas avoir représenté la Belgique, son pays d’adoption, au plus haut niveau, ni celui de ne pas avoir évolué dans un club du top. Au contraire, il analyse son parcours avec beaucoup de sagesse :  » Je crois avoir exploité mon talent au maximum. J’ai commencé le foot sur le tard, je n’avais pas une excellente technique mais, par contre, devant le but, j’avais toujours le geste qu’il faut. Certains de mes buts n’étaient d’ailleurs pas très académiques, il faut bien le reconnaître « , ajoute-t-il en souriant.

 » J’ai parfois marqué en tombant, parfois de l’épaule ou du genou mais au final, c’est l’efficacité que l’on retient, non ? Je peux être très satisfait du chemin parcouru même s’il n’est pas encore fini. Quand je me dis qu’en six ans, je suis passé de la P2 aux portes de l’équipe belge, je peux être satisfait. Seuls les derniers mois me laissent un goût d’inachevé. Je suis encore en excellente forme physique et je suis loin d’être fini.  »

Et c’est vrai que le Syrien n’a pas un kilo de trop. Il court et s’entraîne en solitaire en attendant son dernier challenge. Dans sa vie sentimentale, tout va pour le mieux puisqu’il a épousé, le 27 mai dernier, la charmante Maria, qui lui donnera bientôt son premier enfant.  » Si c’est un garçon et qu’il joue au football, il pourra choisir entre cinq équipes nationales « , précise-t-il.  » L’Allemagne ou la Hollande par mon épouse, la Belgique, la Syrie ou la Turquie via moi.  »

Titulaire en équipe nationale syrienne, l'ancien Unioniste vise la Coupe d'Asie des nations 2019 aux Emirats Arabes Unis.
Titulaire en équipe nationale syrienne, l’ancien Unioniste vise la Coupe d’Asie des nations 2019 aux Emirats Arabes Unis.© belgaimage

 » l’équipe nationale espère pouvoir rejouer en syrie.  »

Le foot rassemble autant qu’il déchaîne les passions. En Syrie, Sana Malki s’est taillé une réputation et a côtoyé d’excellents joueurs dont on n’a pourtant jamais entendu parler ici.  » Cela ne m’étonne pas parce qu’on ne fait pas beaucoup de publicité autour des joueurs syriens, libanais et autres  » observe-t-il.  » Omar Al Somah et OmarKharbin sont deux des meilleurs attaquants d’Asie. Ils évoluent tous deux dans les pays du Golfe Persique et sont internationaux syriens. On ne connaissait pas davantage l’Iranien Kaveh Rezaei quand il est arrivé à Charleroi mais je pense que, depuis, il s’est taillé une solide réputation.

Par le passé, le niveau de la compétition syrienne était très intéressant d’après ce que me disent mes équipiers. Elle attirait des Jordaniens, des Irakiens, … mais évidemment, la guerre a changé la donne. Aujourd’hui, les joueurs essaient de s’exiler quand ils en ont l’occasion pour mieux gagner leur vie. Mais, dans l’effectif de l’équipe nationale, il y en a encore quelques-uns qui sont restés jouer en Syrie et qui doivent s’en sortir avec quelques centaines d’euros par mois alors que d’autres gagnent des fortunes. Mais cela n’engendre ni animosité, ni jalousie. Le Syrien n’est pas envieux.  »

Tous sont attachés à leur terre. Un pays qui fait, bien malgré lui, la Une des journaux depuis plusieurs années alors qu’il fut l’un des berceaux de l’humanité et que de nombreuses villes syriennes sont des musées à toit ouvert : Palmyre, le Crac des Chevaliers, la ville d’Alep avec sa citadelle et ses savonneries, … Malki en sait quelque chose, lui qui renoue avec ses racines et sa culture natale au fil des ans.

 » Quand je suis arrivé en Belgique, j’avais six ans et je ne parlais pas le français. Nous n’avions pas grand-chose mais mes parents se sont battus pour que mes six frères et soeurs et moi ne manquions de rien. Aujourd’hui, c’est à nous de leur rendre ce qu’ils nous ont donné. Et c’est vrai que plus les années passent, plus je suis heureux d’avoir opté pour la Syrie, même si ma vie est en Europe et en Belgique. Ma famille est très soudée et j’avoue que ces dernières années, durant lesquelles j’étais loin d’elle, ont été plus difficiles que prévu sur le plan émotionnel.  »

De culte araméen, né de la langue dans laquelle le Christ aurait prêché, Sana Malki côtoie et respecte tout le monde sans faire de différence. En équipe nationale syrienne d’ailleurs, les croyances se mixent sans aucun problème.  » Les Syriens sont des gens simples. On se retrouve, on chante dans le bus, on rigole. Il n’y a ni clan, ni différence entre les musulmans et les autres. Notre seul souhait est de porter haut les couleurs de notre nation. Nous espérons pouvoir rejouer en Syrie dans les mois qui viennent parce qu’actuellement, nous sommes contraints de disputer nos matchs ailleurs. En Malaisie par exemple, ce qui nous empêche évidemment de pouvoir communier avec les Syriens.  »

La Syrie a lutté jusqu’au bout pour un accessit à la Coupe du Monde en Russie. Elle tourne à présent le regard vers la Coupe d’Asie des nations début 2019.  » J’espère être de la partie pour ce grand événement que j’ai eu la chance de disputer en 2011. Nous étions dans le groupe du Japon notamment. L’année prochaine, le championnat aura lieu aux Emirats Arabes Unis et je veux en être. Mais pour cela, j’ai besoin de jouer et de marquer des buts.  »

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