» Je n’ai jamais eu le choix du club « 

L’ex-golden boy du foot belge est l’interlocuteur idéal pour un numéro spécial transferts. Neuf clubs différents et deux passages au Standard à son cv : le cadet des Mpenza a pas mal bourlingué dans sa carrière et se dit prêt pour un dernier tour à quasi 34 ans. Il revient sur les hauts et les bas de sa carrière, le milieu du foot et son drôle de business.

Emile Mpenza a posé ses bagages en Belgique depuis près de trois mois. Un retour dicté suite à une rupture de contrat avec son ex-employeur, le FC Bakou (Azerbaïdjan), club avec lequel il est toujours en procès. L’entretien a d’ailleurs lieu à quelques pas de l’Avenue Louise à Bruxelles, dans le cabinet de l’avocat Denis, un proche d’Emile depuis ses débuts à Mouscron.

En juillet, l’ex-Diable affichera 34 ans au compteur et pourtant l’homme ne semble pas changer : une grosse dose de timidité contrastant avec un look détonant ramené de Miami. Maillot des Heat avec King LeBron James dans le dos.  » J’ai d’ailleurs profité de mon séjour pour aller voir un match de play-offs. Je suis un fan de NBA. « 

Mais le farniente est derrière lui. Désormais, son temps libre il le passe quotidiennement du côté d’Anvers chez le préparateur physique, Lieven Maesschalck. Avec comme ambition de se lancer une dernière fois dans l’arène.

Emile Mpenza : J’ai discuté avec plusieurs clubs. A moi maintenant de prendre la meilleure décision mais je ne me presse pas, je prends mon temps. Pour l’instant, j’analyse la situation calmement avec ma copine et ma famille. J’ai beaucoup voyagé, j’ai beaucoup pensé à moi, à ma carrière, aujourd’hui je veux prendre une décision collective. Ça faisait une plombe que je n’étais plus resté aussi longtemps en Belgique. Et je dois dire que ça me fait énormément de bien.

Tu en as un peu ras-le-bol de tous ces voyages ?

En voyageant, j’ai beaucoup appris, j’ai découvert d’autres cultures, j’ai fait mon petit tour du monde. Désormais, si je pouvais rester en Belgique, je le ferais.

As-tu gardé des contacts avec des joueurs durant ta longue carrière ?

Daniel Van Buyten surtout, que je considère comme mon meilleur ami.

Quand tu regardes sa carrière, as-tu des regrets ?

Non pas du tout, je suis surtout très impressionné de ce qu’il a réalisé. Ce qu’il vit avec le Bayern, je pense l’avoir vécu à Schalke bien avant lui. J’ai traversé les mêmes milieux. Au Bayern, les circonstances lui ont peut-être été favorables. Mais quand Marc Wilmots a quitté Schalke, je me suis retrouvé seul et j’ai accusé le coup. A l’époque, je pense que j’étais un des joueurs étrangers les plus jeunes arrivés en Allemagne. Daniel a construit sa carrière pas à pas, moi j’ai été catapulté au top très tôt. Voilà pourquoi avec le recul, je suis heureux de ma trajectoire.

Lors de précédentes interviews réalisées soit en Angleterre ou en Azerbaïdjan, tu semblais assez seul. Ce manque de chaleur humaine ne t’a-t-il jamais pesé ?

Non je suis comme ça. En Belgique aussi, j’aime être seul ; même si les sollicitations sont plus nombreuses. J’ai toujours été quelqu’un d’assez solitaire. Dans le milieu du foot, c’est difficile de faire confiance aux gens, je préfère donc m’isoler ou voir mes proches.

Tu as été très vite déçu par ce milieu ?

Oui. C’est un milieu où il faut être bien entouré pour ne pas commettre d’erreurs.

Et tu ne l’étais pas à une certaine période ?

A 16 ans, c’est difficile de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises personnes. Surtout du côté des managers. Ils te font miroiter beaucoup de choses qui, au final, n’aboutissent jamais. Ils vont t’assurer que le Real Madrid ou Milan te suivent alors qu’il n’y a jamais eu le moindre contact.

Tu as souvent fait appel aux conseils de Lucien D’Onofrio. Il est encore précieux pour toi, aujourd’hui ?

Oui évidemment. C’est une des personnes qui m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, pas uniquement sur le foot, sur les choses de la vie par exemple. Ce n’est pas le personnage que l’on décrit dans les médias mais quelqu’un de chaleureux qui a toujours été là quand j’avais besoin d’aide.

Toi aussi, tu as connu des problèmes au niveau de l’image…

Oui mais c’est la presse qui la façonne. Lucien, je sais qui il est réellement, je n’ai pas besoin de lire ce qui est écrit dans les médias pour me faire une idée sur sa personne.

Sion, Bakou ou Al Rayyan, ce ne sont pas des clubs habituels pour un footballeur belge. Comment expliques-tu ces destinations ?

Si l’on m’avait dit : – Emile, choisis un club !. Je l’aurais fait mais le football ce n’est pas ça. Je n’ai jamais eu le choix du club. On me disait va là-bas, ça t’ira bien… Ce n’est pas le joueur qui doit être demandeur mais le club. Aujourd’hui, il y a tellement de bons joueurs dans le foot mondial qu’on ne peut plus décider où on va aller.

Sortie de route en Azerbaïdjan

Tu as accepté certaines offres en te disant que tu risquais de ne pas retrouver une offre semblable ?

Peut-être en signant à Bakou. Je venais d’inscrire 22 buts avec Sion. Dans pareil cas, tu penses que tu peux signer dans n’importe quel club en Europe. Mais ce n’était pas le cas du tout.

Avoir changé autant de clubs en aussi peu de temps, est-ce que ça ne t’a pas collé une mauvaise réputation ?

Je ne pense pas. Si un club veut savoir si je suis un gars sérieux ou pas, il n’a qu’à téléphoner aux dirigeants d’Hambourg, Schalke, Manchester City et leur demander si j’étais bel et bien un gars sérieux, si je ne foutais pas le bordel dans les vestiaires, si je n’étais pas pro à l’entraînement. Sur ces points, je n’ai jamais eu le moindre problème. Si Manchester City m’a transféré du Qatar, c’est que ce club savait que je bossais bien, que j’étais pro.

A partir de quand ça se passe mal en Azerbaïdjan ?

Quand le nouvel entraîneur est arrivé. Avec son prédécesseur, ça se passait très bien. J’aimais sa manière d’entraîner, de dialoguer, l’ambiance dans le groupe était super. Mais dès que le coach a été viré suite à l’élimination en Ligue des Champions par le Dinamo Zagreb, le groupe a changé. Et moi, j’ai été écarté.

Ça valait quoi le championnat azéri ?

On a vu lors des deux rencontres de barrages de Ligue des Champions face au Dinamo Zagreb qu’un club azéri avait encore des progrès à faire pour lutter avec le top. Le niveau au Qatar était meilleur. Les terrains, les infrastructures également.

Te retrouver à pareil niveau, cela ne t’a jamais déprimé ?

Non. Je faisais mon métier, je me levais le matin et j’allais à l’entraînement. Aujourd’hui, c’est vrai que je recherche le plaisir avant tout, c’est-à-dire m’amuser sur un terrain. Si tu perds ce plaisir, il vaut mieux arrêter. Si quelqu’un comme Ryan Giggs est encore présent à 38 ans, c’est parce qu’il s’amuse sur un terrain.

 » J’aurais dû établir un plan de carrière, les choses auraient peut-être été différentes « 

Est-ce qu’il y a eu des périodes dans ta carrière où tu as perdu ce plaisir de jouer ?

Oui lors de mes trois derniers mois à Bakou.

Tu regrettes d’être parti de Suisse pour l’Azerbaïdjan ?

Je ne sais pas. Je pense que la direction de Sion ne m’aurait pas fait une nouvelle proposition malgré mes nombreux buts. Le président était particulier, difficile dans les négociations.

Quels conseils donnerais-tu à l’Emile Mpenza de 18 ans ?

C’est difficile à dire d’autant que les jeunes d’aujourd’hui font bien pire que moi à cet âge. Mais je pense que j’aurais dû donner davantage de pouvoir à ceux qui m’entouraient à mes débuts et non pas à ceux qui se sont incrustés. J’aurais dû établir un plan de carrière, les choses auraient peut-être été différentes. Regardez Lukaku : en allant si tôt à Chelsea, sans être prêté, ce n’était peut-être pas la meilleure solution. Surtout qu’en foot, on ne regarde que le présent, ce qu’il a réalisé en Belgique est déjà oublié. Ça va être très difficile pour lui de surmonter mentalement l’épreuve qu’il traverse. Et pourtant, les qualités sont là.

Qu’est-ce que ça fait quand on a 18 ans et qu’on est demandé par les plus grands clubs européens ?

J’ai eu la chance d’avoir Wilmots qui m’a directement pris sous son aile et m’a dit de venir en Allemagne et de ne pas brûler les étapes. Marc, tout comme sa femme, ont compté énormément pour moi. A mon arrivée à Schalke, ils m’ont accueilli chez eux, ils m’ont aidé à m’intégrer. Quand il est parti à Bordeaux, on s’est un peu perdu de vue mais il a continué à me donner des conseils.

Tu avais même motivé ta décision d’arrêter de jouer avec les Diables car Wilmots n’en faisait plus partie. Quel impact avait-il sur toi ?

Joueur, il était déjà entraîneur. Il donnait beaucoup de conseils, pas uniquement à moi mais à d’autres joueurs du noyau.

Sa désignation comme entraîneur te fait-il espérer un énième retour en sélection ?

Franchement, je n’y pense pas. Faudra d’abord que je preste à haut niveau dans le club où je vais signer. Après, je pense pouvoir apporter une petite touche personnelle…

Et ce serait quoi cette touche ?

Marquer des buts car c’est ce qu’on demande aux attaquants. Et pour l’instant chez les Diables, on peine à ce niveau.

Le bonheur au Standard

On a aussi longtemps dit de toi que tu ne marquais pas assez…

C’est vrai que je ne marquais pas énormément mais je pense avoir donné plus d’assists que de buts. Par mes appels, mes courses, je fatiguais aussi énormément les défenses. Et ça, on a tendance à l’oublier. Aujourd’hui, les statistiques dans le foot sont devenues importantes, avant on ne parlait pas de tous ces paramètres.

Ton style de jeu a-t-il changé par rapport à il y a quelques années ?

Oui, je décroche beaucoup plus, je pars de plus loin, je suis davantage un diesel dorénavant ( il rit).

Mais la vitesse, ça va toujours ?

Oui. A Bakou, j’étais encore devant quand on faisait les sprints à l’entraînement.

Lors de ton retour au Standard en 2003, tu as été pour une fois épargné toute une saison par les blessures. Comment l’expliques-tu ?

Guy Namurois savait parfaitement comment me préparer. Les aspects où j’étais fragile, il les laissait de côté et on essayait d’axer le travail sur mon explosivité. Quand vous faites 15 à 20 sprints par match, c’est normal qu’à un moment ça pète. Tous les joueurs rapides rencontrent des problèmes physiques. Par contre, mes blessures n’ont été que musculaires, je n’ai jamais eu de problèmes aux genoux ou aux chevilles. Chez moi, ce n’était jamais très grave mais j’étais souvent freiné dans mon élan.

Pourquoi les autres clubs ne t’ont-ils pas traité de la même manière qu’au Standard ?

Dans les grands clubs, on croit toujours tout savoir. J’avais beau en parler, les médecins et les coaches pensaient tous être dans le bon.

Moments de gloire sur Youtube

Comment as-tu réagi au décès de Guy Namurois ?

Ça m’a marqué, d’autant que personne ne s’y attendait. Malgré mon départ du Standard, j’ai toujours gardé des contacts avec Lucien, Dominique et Guy.

Namurois a aussi changé ta façon de courir ?

Oui. Il jugeait mes foulées trop longues et m’a demandé de les réduire. Joueur, tu ne te rends évidemment pas compte de ce type de données. Je dois reconnaître que cela m’a beaucoup aidé pour la suite.

Lors d’une précédente rencontre, tu disais vouloir terminer ta carrière au Standard ? Est-ce que c’est toujours envisageable ?

Je ne pense pas. Je ne sais pas l’expliquer mais j’ai le sentiment que l’âme de ce club est partie avec le départ de plusieurs figures-clés ; Pierre François étant la dernière. Ce qui faisait la fierté de toute une ville de toute une région s’est évaporé en quelques mois. Aujourd’hui, c’est fini même si je garde d’excellents souvenirs de ce club et de ses supporters fabuleux.

En janvier dernier, on parlait de toi du côté de Westerlo…

J’en ai beaucoup discuté avec mon avocat. Ce n’était pas spécialement une bonne offre d’un point de vue financier mais elle était intéressante. A cette période, ça se passait encore bien du côté de Bakou, c’est pourquoi mon retour en Belgique n’a pas abouti.

Aujourd’hui, comment te sens-tu physiquement ?

Très bien grâce au travail quotidien avec Maesschalck. Il m’arrive aussi de taquiner le ballon ici, à Bruxelles, avec des amis. Ce n’est pas le même plaisir que chez les pros : on voit des sourires sur les visages, personne ne tire la tête.

La concurrence et les jalousies liées au foot pro ont pesé dans ta carrière ?

Non. A la base, je ne suis pas quelqu’un de jaloux. Peut-être que des équipiers l’étaient de moi mais je faisais comme si je ne les voyais pas.

Tu as un fils de huit ans. Est-ce qu’il suit les traces de son père ?

Non le foot c’est pas son truc, il préfère le basket.

Est-ce qu’il se rend compte de ton statut ?

Oui parfois il me demande quand je vais repasser à la télé. Parfois, je lui montre des vidéos de moi sur Youtube.

Et quels passages aimes-tu lui montrer ?

Mon passage à Schalke quand je marque dans le derby face à Dortmund ou mon but à l’EURO face à la Suède.

 » J’ai assez d’argent mais je ne veux pas rester inactif. « 

Tu penses à ton après-carrière ?

Pas vraiment mais je sais que je continuerai à faire du sport, à m’entretenir. Ma copine est plus jeune que moi, je ne peux pas me laisser aller ( il rit). Je ne veux pas non plus rester à ne rien faire. J’ai assez d’argent mais je ne veux surtout pas rester inactif. J’aiderai peut-être ma copine dans son sport, l’équitation. On verra… Mais je ne pense pas que je resterai dans le foot. Après 20 ans dans ce milieu, on aspire à découvrir d’autres choses. Ma vie, je la vois à l’étranger, pourquoi pas à Miami.

Tu auras 34 ans en juillet. Est-ce que les années qui passent te font voir les choses autrement ?

Je ne pense jamais que j’ai 34 ans. Même aux Etats-Unis, on ne me croyait pas quand je disais mon âge. On me demandait même ma carte d’identité avant de me servir un verre d’alcool. Finalement, je le prenais comme un compliment.

Quels regrets as-tu par rapport à ta carrière ?

Ne pas être resté plus longtemps au Standard. Quand je suis arrivé de Schalke, Lucien m’a dit qu’il ne mettrait pas des bâtons dans les roues et il a tenu sa promesse quand Hambourg est entré dans la danse. C’est au Standard que je me sentais le mieux, même si je gagnais trois fois moins qu’à Schalke et que c’était incomparable avec le Qatar. On a toujours dit que je ne pensais qu’à l’argent, que je quittais un club pour gagner plus. Mais quand je suis revenu au Standard, personne n’a évoqué la démarche inverse. Partir du Qatar pour Manchester City, c’était aussi un pas en arrière financièrement.

Quand tu signes au Qatar, tu n’as que 28 ans. Tu te dis alors que tu y vas pour assurer définitivement ton avenir financier ?

Oui et jamais je ne pensais rebondir dans un club comme City.

Le moment le plus heureux de ta carrière ?

Mes deux buts avec l’équipe nationale lors de mon dernier match face à la Turquie en octobre 2009. Dick Advocaat n’a pas hésité à me donner ma chance alors que j’évoluais à Sion. Les gens ont pu se rendre compte que j’étais encore un joueur de foot….

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS : IMAGEGLOBE/HAMERS

 » Les managers te font miroiter beaucoup de choses qui au final n’aboutissent jamais. « 

 » L’âme du Standard est partie avec le départ de plusieurs figures-clés « 

 » Avec le recul, je suis heureux de ce que j’ai réalisé. « 

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