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 » Je me suis un peu envolé « 

Après avoir brillé par intermittence avec Anderlecht lors de la saison 2015-2016, Dodi Lukebakio a disparu des radars l’an dernier à Toulouse. Le récent transfuge de Charleroi dit avoir compris pas mal de choses. Interview rédemption.

« Je vous le dis, il ne jouera jamais à Toulouse !  » René Weiler avait tenu des mots plutôt durs, en octobre 2016, à l’encontre de celui qui avait quitté la maison mauve pour le sud-ouest de la France. À l’image de plusieurs jeunes qui ont été invités à tenter leur chance ailleurs, Dodi Lukebakio ne correspondait clairement pas aux standards du coach suisse. Nous retrouvons le jeune et élégant gaucher sur le lieu de stage de Charleroi à Mierlo aux Pays-Bas. Ce Bruxellois pur jus, parfait bilingue, qui a vécu à Etterbeek, puis à Schaerbeek, et Asse, qui a connu la formation anderlechtoise depuis ses U15 après être passé par le Brussels, arrive dans le lobby de l’hôtel tout sourire. Et avec le discours de quelqu’un qui dit avoir profondément changé.

Tu reviens d’une saison quasiment blanche à Toulouse. Quel regard portes-tu sur l’année écoulée ?

DODI LUKEBAKIO : Ça n’a pas été facile, c’est certain, mais l’année passée m’a beaucoup servi pour mon avenir. J’ai enfin réalisé que j’étais footballeur professionnel. Je remercie en premier lieu mon Dieu qui a mis les bonnes personnes sur mon chemin. Je remercie aussi mes agents (Godson Management et Star Factory, ndlr) qui m’ont apporté le soutien dont j’avais besoin. Pendant mon premier mois à Toulouse, j’avais quelqu’un qui m’accompagnait et qui me forçait à me lever à 6 h du matin, tous les jours. C’était un truc de fou pour moi (il rit). Il était là, à côté de moi, afin que je réalise que je devais arriver à l’heure, que je devais avoir la bonne mentalité, que je devais changer pas mal de choses chez moi. Ça a été très difficile au début. Mais sans eux, je n’aurais jamais tenu le coup. J’avais besoin de personnes qui me disent les choses en face, qui me remettent dans le droit chemin

Tu aurais pu arrêter le foot ?

LUKEBAKIO : Non, pas à ce point-là, mais je n’aurais jamais changé sans eux. Pascal Dupraz (le coach de Toulouse, ndlr) m’a également beaucoup appris, notamment au niveau du travail défensif ou au niveau de mon agressivité. Toutes des petites choses qui me manquaient. Il aurait très bien pu me mettre sur le côté puisque je ne pouvais pas jouer jusqu’en janvier, mais ils m’ont gardé. Et, de mon côté, je ne voulais pas être celui qui dérange dans le groupe, alors je bossais dur tous les jours.

Pourquoi n’as-tu que très peu joué avec Toulouse après ta suspension ?

LUKEBAKIO : L’équipe était déjà faite. De mon côté, j’essayais d’être prêt quand un joueur était blessé ou suspendu. J’ai finalement disputé 6 bouts de matches, ce qui n’est pas grand-chose.

 » Je n’étais peut-être pas assez sérieux pour le foot pro  »

À Anderlecht, tu ne disposais pas de l’encadrement dont tu avais besoin ?

LUKEBAKIO : C’était surtout en dehors du foot que c’était compliqué pour moi. Peut-être que je n’étais pas assez sérieux pour le foot professionnel. Ça a été tellement vite pour moi, que je n’étais pas prêt pour tout ça. Tout s’est passé très vite. Je m’entraînais parfois avec l’équipe première et on m’a annoncé du jour au lendemain que j’étais dans la sélection. C’était trop pour moi, je me retrouvais dans les médias, je n’étais pas préparé. J’avais peur de m’envoler.

Et tu t’es un peu envolé ?

LUKEBAKIO : Oui, on peut dire ça même si ça fait mal de le dire.

Ta première montée au jeu date du 25 octobre 2015 face à Bruges, où tu fais très rapidement sensation. Tu pensais déjà être  » arrivé  » ?

LUKEBAKIO : Non, mais j’ai eu un sentiment très bizarre, c’est difficile à expliquer. En une fois, je suis passé de l’anonymat des jeunes à une forte médiatisation, j’étais partout. Et pourtant, je ne méritais pas toute cette attention. Mais si tu n’as pas un encadrement pour te garder les pieds sur terre, tu t’envoles un peu. Et ça a été le cas pour moi. C’était difficile de me dire que ce n’était que le début et que j’avais encore un long chemin à parcourir. C’est la grande différence entre le Dodi d’avant et le Dodi d’aujourd’hui.

Quels conseils Besnik Hasi te donnait-il, lui qui a été le premier à te lancer dans le grand bain ?

LUKEBAKIO : Il me conseillait mais ce n’est pas quelqu’un qui vivait au jour le jour avec moi, il ne savait pas ce que je faisais en dehors du foot. Ce n’était pas véritablement mon implication à l’entraînement que je devais travailler mais plus la discipline.

Qu’est-ce que tu ne faisais pas avant que tu fais désormais ?

LUKEBAKIO : Travailler à la salle, prendre soin de son corps, aller chez les kinés avant l’entraînement pour bien se préparer, pour être prêt quand tu montes sur le terrain. C’est toutes des petites choses que je ne faisais pas ou pas assez.

 » Des fois, je ne me reconnais plus  »

Tu n’es plus la même personne ?

LUKEBAKIO : J’en rigole même mais des fois je ne me reconnais plus aujourd’hui.

Tu étais un joueur difficile pour les coaches ?

LUKEBAKIO : Oui (il rit). Je n’étais pas quelqu’un d’arrogant mais quand quelque chose ne me plaisait pas, je le disais.

Tes parents étaient là pour t’encadrer ?

LUKEBAKIO : Oui, bien sûr. Ils me conseillaient, ils continuent à m’apporter énormément mais ils sont extérieurs au monde du foot.

C’est un milieu particulier le foot ?

LUKEBAKIO : Le foot, c’est un milieu très compliqué. Parce qu’il faut faire les bons choix aux bons moments. C’est pour ça qu’il faut les bonnes personnes autour de toi, des personnes honnêtes qui veulent t’amener le plus haut possible et non pas profiter de toi.

Comment tu as vécu ta saison l’an dernier ?

LUKEBAKIO : Ça a été très dur, la plus dure année de ma vie. J’ai toujours été croyant mais j’ai eu une forme de révélation quand j’étais à Toulouse. Quand je voyais l’image qui était faite de moi, ce n’était pas le vrai Dodi. Je voyais ce qui était écrit dans les journaux, ce n’était pas moi. En tout cas, je n’aurais pas eu envie de rencontrer la personne qui était décrite dans la presse : quelqu’un d’arrogant, qui manquait de discipline, qui était tout le temps en retard. Et j’ai commencé à réaliser que si on écrivait autant de choses négatives sur moi, c’est qu’il y avait quand même une part de vrai. C’est ce qui m’a fait prendre conscience que je devais changer.

Il y a beaucoup de joueurs qui ont peut être moins de qualités que moi mais qui réussissent une belle carrière car ils ont le mental.

Dans ton jeu, tu gardes une technique très  » foot de rue  » avec notamment des prises de balle avec la semelle. Où l’as-tu développée ?

LUKEBAKIO : J’ai grandi dans les agoras, surtout à celui de Asse où il y avait beaucoup de joueurs de D1 qui venaient jouer comme Geoffrey Mujangi-Bia, Hervé Kage, et même Romelu Lukaku. J’ai appris auprès d’eux, c’était un vrai plaisir quand t’es petit de jouer avec de tels joueurs. Par contre, je trouve que l’agora et le  » grand foot « , c’est très différent, c’est quasiment deux sports distincts.

 » Je n’ai aucune rancune  »

C’est quoi le  » style anderlechtois  » d’après toi ?

LUKEBAKIO : C’est de toujours avoir le ballon, de jouer vers l’avant, faire la différence, de jouer un foot offensif. Il faut montrer qu’on a la fierté de porter ce maillot, mais ce n’est pas de l’arrogance.

Tu espérais recevoir une chance à Anderlecht ?

LUKEBAKIO : Quand je suis revenu cet été, je me suis retrouvé en réserve. Mon but, c’était de montrer chaque jour à l’entraînement que j’avais changé et que je ne voulais rien lâcher. J’ai finalement été convoqué par  » coach Weiler « , j’ai joué contre Audenarde, j’ai même marqué. Monsieur Van Holsbeeck était très content de mes nouvelles dispositions. Et moi, j’étais surtout à la recherche d’un club qui me fasse confiance, qui me donne des minutes de jeu.

Que retiens-tu de René Weiler, qui avait décidé de t’écarter du noyau A l’été dernier ?

LUKEBAKIO : Je n’ai aucune rancune. Je reconnais tout à fait mes torts, j’en ai parlé avec Monsieur Van Holsbeeck d’ailleurs. Chaque coach a sa manière de travailler. Après, c’est à nous, les joueurs, de nous adapter à ces méthodes. Si un joueur ne veut pas s’adapter à la philosophie du coach, ça devient très compliqué.

Quelles sont les qualités de Weiler ?

LUKEBAKIO : C’est quelqu’un qui veut toujours aller vers l’avant et qui veut toujours que son équipe presse ensemble. Et il veut toujours plus. Si son équipe gagne 5-0, il voudra qu’elle l’emporte 10-0. Il attend de ses joueurs qu’ils soient très forts mentalement.

Lors d’une interview, René Weiler nous avait raconté cet exercice de jeu où il te demandait de te retrouver dans le rectangle après une longue course mais que tu n’y étais quasiment jamais. Il estimait que tu n’étais pas capable de faire l’effort nécessaire, de te faire mal. Sous Besnik Hasi, c’était criant aussi, en match, que tu ne travaillais pas assez à la récupération.

LUKEBAKIO : Ça a toujours été un défaut chez moi de bien défendre. Car en jeunes, à Anderlecht, on avait quasiment toujours le ballon et les éléments offensifs ne sont quasiment pas obligés de défendre. En réserve, c’est un peu comme ça aussi. Et il y a vraiment une très grande différence avec l’équipe première. Ça a été très difficile de m’adapter.

À Anderlecht, on t’a encouragé à trouver un autre club cet été ?

LUKEBAKIO : On ne m’a rien dit. J’ai parlé avec Monsieur Van Holsbeeck de mon évolution, je lui ai dit que j’avais changé par rapport à il y a un an. C’est à peu près tout.

 » Coach Mazzù m’a convaincu  »

Pourquoi décides-tu de prolonger ta carrière à Charleroi ?

LUKEBAKIO : J’en ai beaucoup discuté avec mon entourage. Le fait que Charleroi s’est retrouvé deux fois sur les trois dernières années en play-offs 1 prouve que c’est une grande équipe. J’ai aussi parlé avec  » coach Mazzù  » qui m’a convaincu. C’est quelqu’un de très respecté en Belgique notamment pour son analyse tactique.

Quel discours Mehdi Bayat t’a-t-il tenu pour te convaincre de rejoindre Charleroi ?

LUKEBAKIO : Il m’a simplement dit qu’il voulait me relancer, qu’il connaissait mes qualités. Il m’a aussi dit qu’il appréciait ce que j’avais pu dire dans les journaux, le fait que j’assumais mes erreurs, que je les reconnaissais.

Vu que tu as très peu joué la saison passée, tu appréhendes le futur ?

LUKEBAKIO : Non, je suis quelqu’un qui a confiance en ses qualités, je sais ce que je vaux.

Tu es heureux désormais ?

LUKEBAKIO : Oui, très heureux. Aujourd’hui, je me sens bien. La saison passée a été la plus dure de ma vie, surtout d’un point de vue mental. Mais je devais passer par là pour me reconstruire.

Apparemment, tu as décidé d’habiter Charleroi…

LUKEBAKIO : Oui, je ne veux plus jamais arriver en retard (il rit). Je n’ai exceptionnellement pas ma montre sur moi mais elle m’accompagne tous les jours. Aujourd’hui, je suis ponctuel mais c’est quelque chose qui a été compliqué pour moi…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » La saison passée a été la plus dure de ma vie, surtout d’un point de vue mental. Mais je devais passer par là pour me reconstruire.  » Dodi Lukebakio

 » J’ai enfin réalisé que j’étais footballeur professionnel.  » Dodi Lukebakio

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