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Les confidences de Michy Batshuayi: « Si vous me voyez figé devant, à attendre les ballons, vous pouvez être sûr d’une chose: c’est que c’est une consigne du coach »

Michy Batshuayi a finalement trouvé une porte de sortie lors du dernier mercato après l’échec de son transfert à Nottingham Forest. C’est en Turquie (un championnat où il était prêté à Besiktas la saison dernière), à Fenerbahçe, qu’il va poursuivre sa carrière afin de garantir sa place de doublure de Romelu Lukaku à la Coupe du monde. Le chouchou d’une partie des supporters des Diables rouges peut compter sur un sélectionneur qui compte vraiment sur lui. Ce qui n’a pas toujours été le cas avec d’autres entraîneurs dans une carrière qui n’a jamais atteint les sommets qu’on lui a trop vite promis.

Au rythme qu’il tient, qui sait si un jour, Michy Batshuayi ne deviendra pas le deuxième meilleur buteur de l’histoire des Diables? Derrière l’inaccessible Romelu Lukaku, encore et toujours. Preuve qu’on peut vivre dans l’ombre, mais continuer de chasser la lumière. Coûte que coûte.

La saison dernière, Michy Batshuayi a marqué des buts et commandé à manger sur des sites de livraison à domicile. Sans voir grand-chose d’Istanbul. Trop connu pour mener une vie normale dans une ville qui ne lui ressemble pas, Batsman rêve désormais d’une nouvelle aventure en club capable de lui offrir une deuxième partie de carrière plus apaisée. Avec une moins grande emprunte carbone et de meilleurs critiques.

Toutes compétitions confondues, tu sors d’une saison à 17 buts. Ta première aussi productive depuis l’exercice 2017-2018 et ton passage express par Dortmund. On t’imagine regonflé à bloc à l’aube du nouvel exercice?

MICHY BATSHUAYI: Si on parle en statistiques et seulement en statistiques alors oui, on peut dire que je sors d’une saison positive. Après, pour une fois, je vous avoue que j’avais décidé de ne pas me concentrer uniquement sur les statistiques. Ce que je cherchais en partant à Istanbul, c’était d’abord et avant tout de retrouver du temps de jeu. À ce niveau, ma saison est réussie (85% de temps de jeu en championnat cette saison, ndlr). Savoir que tu vas être sur le terrain chaque semaine, que tu vas pouvoir jouer, progresser, t’améliorer, c’était plus important que jamais pour moi. La preuve, c’est que dans la foulée, les buts se sont enchaînés automatiquement. Mais ça reste fou de se dire que ça faisait depuis 2017 que je n’avais plus marqué autant…

« Je me suis souvent fait balader dans ma carrière »

Michy Batshuayi

 » Les buts, rien que les buts  »

En fait, depuis le Mondial 2018, tu as vécu pas mal de périodes compliquées en club. Tu es même resté une année entière sans marquer avec les Diables. Tu as douté de toi?

BATSHUAYI: Je me suis surtout dit qu’il ne fallait pas que ça s’éternise. Après, on sait comment ça se passe pour nous les attaquants. Quand tu ne marques pas, tu ne sers à rien, mais si tu mets un doublé, tu es le meilleur du monde. Il faut être fort mentalement pour vivre avec ça. Par rapport à ça, je sais que beaucoup de joueurs se font aider par des psychologues et je trouve ça très bien. Et je suis content que ce ne soit même plus un tabou. Mais honnêtement, je n’en ai moi-même jamais ressenti le besoin. J’ai une cellule familiale très à l’écoute et ça m’a toujours suffit. Mais c’est intéressant de constater que tout change évidemment très vite dans le football. En cela, le but que j’ai inscrit en mars dernier avec les Diables contre l’Irlande a été assez révélateur. Avant ce but, je n’avais plus marqué depuis quelques matches en équipe nationale (depuis près d’un an, le 30 mars 2021 contre la Biélorussie, ndlr). Certains m’avaient peut-être enterré un peu vite. Mais là, je marque ce but sur une action que je me crée tout seul et je montre qu’à 28 ans, je suis encore là. La session de juin l’a confirmé. On a revu du très bon Michy (il se marre). Et d’un coup, les gens reparlent de moi. Les buts, rien que les buts. Il n’y a que ça qui compte.

Michy Batshuayi:
Michy Batshuayi:  » Ça me fait plaisir si les gens m’aiment comme je suis. « © KOEN BAUTERS

On a parfois l’impression que c’est encore plus vrai pour toi que pour n’importe quel autre attaquant. C’est frustrant d’être sans cesse ramené à ce ratio buts/minutes jouées?

BATSHUAYI: Si tu n’es pas prêt à accepter ça, tu dois changer de métier, je pense. En tant qu’attaquant, c’est la règle du jeu. Tu es payé pour marquer donc c’est normal que les gens s’intéressent à tes ratios… Après, dans mon cas, ce que je regrette parfois, c’est que les journalistes me résument souvent à un joueur de surface. Alors qu’en fait, si je me contente de rester devant, c’est parce que ce sont les consignes reçues par le coach. Moi, si on ne me dit rien, au contraire, je vais avoir tendance à aller me balader partout sur le terrain. J’aime trop participer au jeu, toucher du ballon. En tout cas, vous le saurez maintenant, si vous me voyez figé devant, à attendre les ballons, vous pouvez être sûr d’une chose: c’est que c’est une consigne du coach (il rit). Le vrai Michy, il se promène partout.

 » Un peu cool, un peu détente, ça résume bien ce qu’on EST, NOUS les Belges  »

Tu bénéfices d’une grosse cote de sympathie auprès des supporters. Et quelque part tu cultives ça dans ta manière de communiquer…

BATSHUAYI: (Il coupe) Je suis content que vous me disiez ça. Je crois que l’image que je renvoie reflète qui je suis vraiment. Quelqu’un de simple, de funny, d’enjoy. Si les gens arrivent à ressentir ça à travers mon comportement sur le terrain ou de ce que je laisse transparaître de mon quotidien sur les réseaux sociaux, je suis très content. C’est une volonté que j’ai eu à un moment de partager certains choses avec le public. Nous, en tant que footballeurs, on est assez isolés finalement. Je trouvais ça chouette de pouvoir construire ce lien avec les supporters. Au début, ça s’est fait de manière tout à fait spontanée de ma part, ensuite, c’est vrai que c’est devenu un peu plus travaillé. Mais la démarche est toujours la même: montrer qui je suis et garder une attache avec le public. En Belgique surtout. Comme tous les joueurs de l’équipe nationale, même si on y passe peu de temps, c’est en Belgique que l’on se sent le mieux. C’est ici qu’on a grandi, c’est ici qu’on a commencé. Je suis trop attaché à notre pays, à notre mentalité. C’est pour ça que ça me fait plaisir si les gens m’aiment comme je suis. Un peu cool, un peu détente. Je trouve que ça résume bien ce qu’on est, nous les Belges.

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On dirait que ce qui plaît aux gens, c’est que contrairement à certains, tu ne sembles jamais monter sur le terrain par obligation. Alors que vu ton statut parfois ingrat en équipe nationale, tu aurais des raisons de te plaindre.

BATSHUAYI: (Il coupe, encore) Après, vous savez que tout n’est pas filmé (il rit)! Non, mais sérieusement, ce qu’il y a de génial avec cette équipe, c’est que quand je suis dans le mou, il y a toujours quelqu’un pour venir me trouver et me demander ce qui ne va pas. On est hyper soudés par rapport à ça, c’est fascinant. Bon l’avantage pour moi, c’est que comme je souris tout le temps, tout le monde sait que si je ne souris pas, c’est qu’il y a un problème. Je ne suis pas très mystérieux comme garçon (il rit).

Quelles sont les bonnes raisons de te faire perdre le sourire du coup?

BATSHUAYI: C’est souvent lié à ce que vous dites être  » mon statut parfois ingrat « . On est comme ça nous les footballeurs (il rit). Moi aussi j’ai un ego et je voudrais toujours pouvoir jouer plus. Donc parfois, je le montre. Et parfois, je me vexe. Parfois, je râle aussi. Si je n’ai pas bien joué, si je n’ai pas marqué alors que j’aurais dû…C’est toujours lié au sportif.

 » Ce n’est pas facile d’être bon sur un cours laps de temps  »

C’est tout le paradoxe d’une relation qu’on dit très bonne entre toi et Roberto Martínez. C’est vrai?

BATSHUAYI: Oui, j’ai une super relation avec lui. L’une des plus fortes que j’ai pu avoir dans le monde du football. Donc je l’écoute beaucoup, mais je ne suis pas pour autant quelqu’un qui va aller demander des expli-

cations au coach. Je suis très respectueux des statuts de chacun. Et assez mature pour comprendre certaines choses sans avoir besoin d’aller lui prendre la tête. J’ai toujours préféré répondre sur le terrain que dans le vestiaire. Je fais partie de ces personnes-là. Et puis maintenant, je connais le coach et je sais comment il fonctionne. Pour moi, c’est le boss, il a tous les droits. Après, je pense qu’à chaque fois qu’il fait appel à moi, je réponds présent. C’est pour ça qu’on a une très bonne relation. Il a une grande confiance en moi, j’ai un profond respect pour lui.

Il y a cet exemple frappant du huitième de finale de la Coupe du monde 2018. La Belgique est menée 2-0 contre le Japon, mais Martínez décide de faire monter Nacer Chadli et Marouane Fellaini. Alors que tout le monde s’attendait à te voir entrer. Toi aussi, tu t’es demandé:  » Mais pourquoi il ne fait pas monter Michy?  »

BATSHUAYI: Moi, j’ai tout le temps envie de rentrer. Donc la question:  » Pourquoi il ne fait pas rentrer Michy? « , je me la pose presque à chaque match (il rit). Le plaisir, tu le prends sur le terrain, pas sur le banc. Quand t’es sur la touche, tu rumines, tu as des fourmis dans les jambes. Tu regardes le coach, tu essayes de comprendre ce qu’il a dans la tête. Après, ce jour-là, contre le Japon, force est de constater qu’il a posé le bon choix. La plus grande frustration pour tout joueur de foot, c’est d’être sur le banc. D’autant que c’est aussi une spirale négative. Quand tu joues beaucoup, ton corps s’adapte, il prend l’habitude d’enchaîner. Plus tu joues, mieux tu te sens. Ce n’est pas facile d’être bon sur un cours laps de temps.

Je suis convaincu que je peux rendre Lukaku meilleur en jouant à ses côtés.  » Michy Batshuayi

Romelu Lukaku ne s’imposera probablement jamais à Chelsea. Et peut-être que toi non plus. Qu’est-ce qui fait que c’est difficile d’y arriver là-bas?

BATSHUAYI: Je ne peux pas parler sans savoir pour Romelu, mais pour moi, c’est très clair: le problème, ça a été Diego Costa. Il était beaucoup trop chaud. À l’époque, je pense qu’il n’y avait aucun joueur qui aurait pu le détrôner. Et ma deuxième saison, je fais une super préparation et il y Álvaro Morata du Real qui arrive. Donc là aussi, ça a été compliqué… Mais après, malgré ça, à chaque fois que je rentrais, je marquais. En fait, c’est assez étrange à dire, mais l’équipe était tellement forte que c’était facile de marquer des buts. Quand tu joues avec des joueurs de malade comme ça, tout devient si facile.

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 » Pendant l’été, c’est l’heure des grandes déclarations, puis, le mercato se termine et tu ne joues pas  »

Pourtant, Antonio Conte n’a jamais vraiment eu en confiance en toi… Comment tu l’expliques?

BATSHUAYI: Conte, il a dit tout et son contraire. Quand j’arrive d’abord. Il m’appelle, on a une longue conversation et il me dit que son projet, c’est de me faire jouer à deux devant avec Diego Costa. Si je l’ai cru? Bien sûr puisque Conte, toute sa carrière, il a joué avec deux attaquants. Sauf à Chelsea avec moi (il rit)…Je ne comprends pas. Et je suis sûr qu’on aurait fait une année de malade à deux, mais Chelsea a été champion, alors qu’est-ce que je peux dire? Ça, ce sont des frustrations. Mais vu que le club tourne, je ne peux même rien dire. Sinon, ça fait le mec vexé, qui ne pense qu’à lui…La vérité, c’est que je me suis souvent fait balader.

On a en effet l’impression que ta carrière, c’est d’abord une succession de rendez-vous manqués.

BATSHUAYI: Des exemples, il y en a des tas. Que ce soit à Valence avec Marcelino, à Crystal Palace avec Roy Hodgson, ça a toujours été la même histoire. Pendant l’été, au téléphone, c’est l’heure des grandes déclarations. Du style  » je t’ai toujours voulu dans mon équipe  » ou  » avec moi, tu vas jouer « . Ou encore:  » Je te veux, j’ai besoin de toi…  » Et puis, le mercato se termine et tu ne joues pas…Mais le meilleur là-dessus, c’est encore Conte. Fin janvier 2018, alors que mon prêt vers Dortmund était quasiment acté et que c’était lui qui était à l’initiative de mon départ, il est venu vers moi pour me demander de ne pas y aller. Il m’avait titularisé deux fois en six mois jusqu’à la mi-janvier, mais là tout d’un coup, je sortais justement d’une série de trois titularisations de suite en une semaine en FA Cup et en Premier League. Bilan: trois buts et un assist. Et là, juste avant que je ne parte pour Dortmund, il vient me voir et il me dit que finalement, je peux rester. Que j’ai sa confiance. Mais toutes les démarches étaient déjà faites et je lui ai dit que j’allais finir par péter un plomb si je me retrouvais à nouveau sur le banc. J’avais trop besoin de jouer.

Michy Batshuayi:
Michy Batshuayi:  » J’ai une très bonne relation avec Roberto Martínez. L’une des plus fortes que j’ai pu avoir dans le monde du football. »© KOEN BAUTERS

Tu feras quatre bons mois à Dortmund malgré une blessure aux ligaments de la cheville qui te gâchera ta fin de saison. On a toujours du mal à comprendre comment ce prêt n’a pas pu déboucher sur un transfert définitif à l’époque…

BATSHUAYI: Dortmund a changé de coach cet été-là. Lucien Favre est arrivé et il a dit au président qu’il n’avait pas besoin d’attaquants supplémentaires. Il voulait renforcer le milieu et la défense, mais il s’estimait paré en attaque. Le président de Dortmund (Hans-Joachim Watzke, ndlr) était ennuyé parce qu’il avait promis aux fans qu’il allait me transférer. Tout l’été, il m’a dit de ne pas m’inquiéter. Qu’il finirait par le convaincre du bien-fondé de prendre un attaquant. Je suis resté en stand-by tout un temps, mais finalement, j’ai fini par me résigner et j’ai signé à Valence. Et qu’est-ce que je vois le 28 août? Que Dortmund vient de signer Pablo Alcácer…

À 28 ans, tu te dis que tes meilleures années sont derrière toi?

BATSHUAYI: Il n’est jamais trop tard. Et je crois que grâce à Benzema, l’âge de départ à la retraite a peut-être reculé pour les attaquants. Je suis convaincu d’avoir encore de très belles années devant moi.

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 » On est conscient que cette génération a besoin d’un trophée  »

Est-ce que l’état d’esprit qui anime les Diables est le même qu’en 2018?

BATSHUAYI: On ne peut pas nier qu’il y a petit à petit une part de déception qui s’est installée. On a vécu quelques défaites traumatisantes. Il n’y a pas besoin d’en parler collectivement pour le comprendre. Il suffit de certains regards pour comprendre. C’est logique après plusieurs désillusions. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne sera pas à fond pour essayer que ce soit la bonne cette fois-ci au Qatar. On est conscient que cette génération a besoin d’un trophée pour laisser une trace. On en a vraiment envie. Et je crois que c’est un moteur pour nous. On est avant tout des compétiteurs.

Ce moteur qu’est le Mondial 2022, il fait aussi craindre qu’une fois l’échéance passée, certains cadres se retirent. Tu comprendrais que des tauliers comme Eden, Kevin ou Romelu arrêtent leur carrière internationale, mais continuent en club?

BATSHUAYI: Honnêtement, non. Je ne le comprendrais pas. Ils sont encore jeunes, si le corps suit, ils doivent jouer. Pour moi, l’équipe nationale n’a jamais été une charge. Mais il faut être honnête, je ne joue pas autant de matches par saison qu’un De Bruyne. Il faut respecter ça aussi. Mais moi, je ne m’imagine en tout cas jamais fermer la porte aux Diables. J’aime trop venir. Ce n’est que du plaisir.

Romelu Lukaku sort d’une saison difficile en club avec Chelsea. De ton côté, tu reviens en forme et tu as été bon lors de la session de juin. Tu as encore l’espoir de voir les cartes rebattues en vue du Mondial?

BATSHUAYI: Tout est possible. Le premier choix, ça reste Romelu, toujours. Moi, je suis là. Et je peux jouer avec Romelu. Je suis même convaincu que je peux le rendre meilleur en jouant à ses côtés. Sans être très proche et sans avoir le même caractère, on se respecte beaucoup avec Romelu. Notre concurrence, elle dure depuis qu’on est petit. J’ai appris à la gérer.

En cela, le choix à venir du club que tu rejoindras si tu devais être amener à quitter Chelsea sera déterminant…

BATSHUAYI: Accumuler de temps de jeu doit rester ma priorité. Mais je veux prendre mon temps, pour bien choisir. Et prendre la meilleure des décisions. Ce coup-ci, je ne peux pas faire n’importe quoi. Je ne peux pas non plus prendre trop de risques parce qu’on est à quelques semaines de la Coupe du monde et que si je suis repris pour le Mondial, je veux y arriver à mon meilleur niveau. Début juin, j’en avais déjà parlé avec plusieurs joueurs chez les Diables. On était beaucoup à être sous pression par rapport à ce Mondial qui se profile en novembre. On veut arriver en étant au taquet.

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