» Je me sens capable d’entraîner un grand club « 

Après avoir sauvé Charleroi, le plus jeune coach de l’histoire de la D1 rebondit en D2, à Saint-Trond.

On l’avait laissé, il y a tout juste un an, un jour de Saint-Valentin, claquer la porte de Charleroi bruyamment et partir avec armes et bagages après avoir assuré l’essentiel du sauvetage carolo. Yannick Ferrera avait réussi son entrée dans le monde de la D1, devenant le plus jeune coach de l’élite et se retrouvant à arracher le maintien d’une équipe promue et engluée dans une lutte de succession. Il avait moins bien géré sa sortie de D1, laissant Charleroi se débrouiller sans lui. Il y a un an, il avait l’étiquette de coming man ou de next big thing des entraîneurs. Un an plus tard, il a rebondi en D2, à Saint-Trond, une des seules équipes à avoir pensé à lui. Dans le Limbourg, il réalise du bon boulot (4e) et espère toujours se mêler à la lutte pour le titre et accrocher une montée en D1.

Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez il y a un an ?

Je démissionnais de Charleroi. Et il y a un an, jour pour jour, je regardais Chelsea contre une équipe de D3 en Coupe, accompagné du petit Musonda.

En posant cet acte, vous imaginiez-vous vous retrouver à Saint-Trond un an plus tard ?

A ce moment-là, je m’étais dit que j’avais rempli ma mission et que je ne pouvais plus accepter certaines choses. J’espérais que les gens n’oublieraient pas ce que j’avais accompli pendant sept mois. Et je pense que les gens n’ont pas oublié puisque j’ai reçu une offre concrète d’un club de D1 en novembre et que je suis cité à gauche et à droite.

En descendant en D2, avez-vous pris un risque ?

C’est sûr que la D2 n’est pas médiatisée du tout. On compte 15 victoires et sur ces 15, j’ai peut-être fait huit fois des changements qui ont décidé du cours du match mais personne n’en parle. A domicile, sur le synthétique, on combine parfois de manière extraordinaire mais ça passe inaperçu. Ça, c’est frustrant. Mais je suis encore très jeune dans ma carrière. J’ai encore 40 ans de carrière devant moi. Et puis Saint-Trond me fait passer un palier. Avec Charleroi, il fallait s’organiser pour contrer certaines équipes plus fortes que nous. Ici, j’apprends à dominer le jeu et se créer des occasions. C’est une corde en plus à mon arc. Je me sens plus fort qu’il y a un an.

 » Je suis plus quelqu’un de rationnel que d’émotionnel  »

Cet été, avez-vous été déçu de ne pas recevoir d’autres offres de D1 ?

J’espérais. André Villas Boas, après avoir réussi à l’Académica Coimbra, avait rejoint le FC Porto. Or, on peut pas dire que le Standard, Anderlecht ou le Club de Bruges étaient là en train de m’attendre. (Il fait une pause). Ce n’est pas de l’arrogance mais je me sens capable d’entraîner un grand club mais je comprends qu’ils veulent de l’assurance et prendre un gars qui a 15 ans de métier derrière lui. C’est une question de mentalité. Ou peut-être que certains ont cru que je n’étais pas stable puisque j’avais quitté Charleroi.

Vous n’avez jamais expliqué les vrais raisons de votre départ de Charleroi…

Contractuellement, je ne peux pas. Je veux juste répéter que je ne suis pas devenu fou quand le jeudi 14 février, j’ai décidé de démissionner. Je suis plus quelqu’un de rationnel que d’émotionnel. Ce que j’ai fait, je l’avais réfléchi. Sur la fin, Charleroi, c’était devenu difficile. J’étais le choix de l’ancienne direction et pendant sept mois, j’ai ressenti ce poids.

En novembre, vous étiez en contact avec Waasland Beveren. Pourquoi avoir refusé ?

J’ai discuté un samedi après-midi et le soir, j’avais une proposition de contrat. Entre le samedi soir et le dimanche soir, dans ma tête, j’ai changé d’avis toutes les cinq minutes. J’y vais, je reste, j’y vais, je reste. Mais après avoir quitté mes deux précédents employeurs (Al Shabab et Charleroi) de moi-même, je craignais que les gens pensent que je n’étais qu’un opportuniste. Et puis, je me voyais mal rentrer dans le vestiaire de Saint-Trond le lundi matin et leur dire que je me cassais. Jusqu’à présent, toutes les décisions que j’ai prises, je l’ai fait avec mon coeur.

Avez-vous été en contact avec OHL ?

Malines s’est informé de ma situation mais finalement voulait plus quelqu’un d’expérience car il fallait des résultats directement ; OHL pas. En tout cas pas via moi.

Qu’est-ce qui est différent à Saint-Trond ?

Je suis manager à l’anglaise. Il n’y a pas un joueur qui rentre ou qui sort sans mon accord. Je vais discuter avec des agents, je parle des contrats. Sur le plan financier, je ne décide de rien mais je découvre un aspect davantage managérial. J’ai pu composer mon staff, par exemple.

Avec un Irlandais du Nord, Chris O’Loughlin, comme adjoint…

Il y a quelques années, j’étais sur le réseau Linkedin et lui aussi. On avait beaucoup discuté de football. Il a 34 ans, c’est aussi un jeune coach. A ce moment-là, il entraînait en Afrique, au Congo et en 2010, on s’était rencontré. L’année passée, il était venu suivre les entraînements à Charleroi pendant une semaine. Et on partage la même philosophie.

 » Quand tu scoutes Dessel, tu y vas pour rien car il n’y a rien à voir  »

Vous faites partie du réseau de Roland Duchâtelet. Discutez-vous beaucoup avec lui ?

Non. Je l’ai croisé deux, trois fois. Je me souviens avoir parlé avec lui sur la différence entre défense en zone et défense individuelle.

Et est-ce un avantage de faire partie du réseau ?

Peut-être qu’un jour, personnellement, je pourrai bénéficier de ce réseau. Si un jour, j’ai la possibilité d’aller à gauche et à droite, pourquoi pas ? Et au point de vue collectif, je peux simplement dire que les joueurs prêtés du Standard apportent beaucoup à Saint-Trond. Mais contrairement à ce que tout le monde croit, Saint-Trond a son président, Bart Lammens. Oui, il connaît Roland Duchâtelet et oui, il y a des joueurs prêtés mais Duchâtelet n’intervient en rien dans la gestion quotidienne du club.

Qu’est-ce qui vous a plu dans la proposition de Saint-Trond ?

Le projet de remonter en D1, les infrastructures.

Et si vous ne montez pas ?

J’ai un contrat jusqu’au 30 juin, renouvelable d’office si on monte. Si ce n’est pas le cas, il faudra se remettre autour de la table. Mais si on ne monte pas, je le prendrai comme un échec et il conviendra d’analyser la situation. Il y a du pour et du contre. Dans le côté pour, il y a le fait que je peux faire ce que je veux au niveau sportif et qu’il y a vraiment moyen de construire quelque chose. Dans le côté contre, ce n’est pas la D1. On ne joue que quelques matches par an qui s’apparentent à des matches de D1 (contre Eupen, Mouscron, Westerlo, l’Antwerp) mais parfois on joue dans des conditions pourries. Quand tu vas à Boussu Dour, tu joues dans 10 centimètres de boue, c’est une catastrophe. Au White Star, on joue contre une équipe qui rentre dedans et sur un terrain gras. Quand tu scoutes Dessel, tu y vas pour rien. Il n’y a rien dans cette équipe. Il n’y a personne pour diriger le jeu. Rien. Ce match-là, je me dis qu’à la limite, on peut le gagner sans entraîneur. Moi qui aime analyser et comprendre, je reste parfois sur ma faim. La D2, ce n’est pas toujours sexy.

Mais la D2 est réputée pour ça…

Oui, mais certains trucs sont encore pires que ce que l’on peut imaginer. Quand tu vois les vestiaires à Visé ou à Boussu Dour, tu te dis –mais je suis où ici.

 » Trois équipes essaient de jouer en D2 : Eupen, Mouscron et Saint-Trond  »

La D2 est serrée mais le niveau est-il élevé ?

En termes de qualité de jeu ? Non ! Trois équipes essaient de jouer : nous, Eupen et Mouscron. Westerlo se repose sur des gars solides et expérimentés et c’est très costaud devant avec Sherjill MacDonald et Kevin Koffi.

Comment expliquez-vous que l’Antwerp n’ait pas accroché le bon wagon ?

C’est typique des clubs repris par un agent. Il y a une volonté de faire venir beaucoup de joueurs mais il n’y a pas de capacité de l’entraîneur de pouvoir gérer tout cela. Roulers a été repris par un agent et ça ne ressemble à rien. Le White Star possède des joueurs de qualité mais il en a trop. Il n’y a pas de stabilité. Et à l’Antwerp, c’est sans doute l’équipe qui a le plus de qualités individuelles mais il n’y a personne capable de mettre tout cela en musique.

Pourquoi Saint-Trond n’arrive pas à coller davantage aux trois premiers ?

Parce qu’on se crée énormément d’occasions mais on n’est pas assez tueur. Peut-être que l’arrivée d’Ibrahim Somé, qui a marqué deux buts en quatre matches, va résoudre cela. On a trois buteurs (NDLR : Grégory Dufer, Mohamed Aoulad et Joeri Dequevy) à sept buts mais aucun n’est centre-avant. Eupen, lui, tourne avec des buteurs à 14, 10 et 9 buts.

Croyez-vous encore au titre ?

On a commencé 2014 avec une défaite. Après ce match, on s’est dit qu’on arrêtait de parler titre. Et depuis lors, on a pris 13 points sur 15. Si on est trop court pour le titre, on visera le tour final. Et si on n’y arrive pas, on pourra dire que c’est une saison d’échec.

Quel est votre favori pour le titre ?

Saint-Trond (Il rit). Et en dehors de nous, je vois Mouscron émerger. Les Hurlus ont fait un mercato très intelligent en faisant venir Yohan Brouckaert et Bison Gnohéré, deux gars qui connaissent très bien la D2, et deux joueurs de Lille, qui sont loin d’être des unijambistes.

Imaginez-vous retrouver Charleroi dans le tour final ?

J’aurais une énorme motivation. Il y aurait quelque chose de spécial. Je ne suis d’ailleurs pas encore retourné là-bas en un an.

Quel souvenir pensez-vous avoir laissé ?

Aucune idée. Je me suis déjà posé la question. Je ne sais pas comment les supporters ont vu mon départ. Sans doute que certains m’ont pris pour un lâcheur et que d’autres ont dû comprendre mon point de vue. Moi, je sais que j’ai tout donné quand j’étais à Charleroi, même si je me suis senti très seul.

Que pensez-vous du Charleroi de cette saison ?

Je m’attendais à un peu plus. Ils ont eu une préparation normale, avec des joueurs qui ont une année d’expérience de D1 derrière eux. Je les voyais dans la colonne de gauche. Mais, au niveau du jeu, ils ont proposé une bonne organisation et ont ennuyé les grosses équipes. Contre les plus petites équipes, je retrouvais ce que je voyais déjà l’année passée, à savoir ce manque de culture de la gagne. On vient de faire 6 sur 6, pourquoi se reposer et ne pas viser un 9 sur 9.

 » Charleroi n’a pas passé de palier par rapport à il y a un an  »

Reconnaissez-vous votre équipe ?

Non, car dans le système et l’animation, elle a beaucoup changé. Nous, on a vraiment évolué vers un 4-4-2. Cette saison, ils ont utilisé beaucoup de systèmes, à trois ou quatre derrière. Un 4-3-2-1, un 4-4-1-1. Ils défendent en zone, moi je défendais en individuelle. Cependant, Felice Mazzu est un très bon entraîneur.

Comment jugez-vous la politique de transferts ?

Si tu veux remplir les caisses, c’est normal. Tout club du niveau de Charleroi doit vivre de ses transferts sortants. Cependant, et ce n’est pas un problème qu’à Charleroi, il y a beaucoup de clubs qui n’ont pas cette volonté d’atteindre l’excellence sportive.

Mais Charleroi a l’air de viser dans quelques années cette excellence…

Au niveau sportif, je constate qu’après 26 matches, Charleroi n’a pas passé de palier par rapport à il y a un an. Mais au niveau financier, le club est beaucoup plus stable.

Depuis votre départ de Charleroi, vous avez intégré Belgacom dans un rôle de consultant. Est-ce que ce job vous permet de rester visible ?

D’une certaine manière oui. Mon métier d’entraîneur m’apporte beaucoup pour ce job car j’ai analysé beaucoup de matches dans le passé, tout se passe très vite dans ma tête et c’est tout bénéfice pour ce job de consultant.

Et pensez-vous que les clubs se font une idée de vous en regardant vos analyses ?

Quand j’ai discuté avec les dirigeants de Saint-Trond, ils m’ont dit avoir pensé à moi après mon passage dans l’émission Extra Time (sur la VRT). Comme quoi, la télé, ça peut aider.

Vous ne craignez pas que cela renforce votre image de tacticien ?

Dans un vestiaire, je suis davantage motivateur que tacticien. Je communique beaucoup avec les joueurs et je pense pouvoir les transcender en quelques mots ou phrases. Je pense même être meilleur dans ce rôle de psychologue que dans celui de tacticien.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » J’ai parlé avec Duchâtelet de la différence entre la défense en zone et l’individuelle.  »

 » Les dirigeants de Saint-Trond ont pensé à moi après mon passage à Extra Time. Comme quoi, la télé, ça peut aider.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire