» Je me force à être sérieux « 

Il y a beaucoup de chances que Bruges n’ait pas encore tout vu avec son nouveau gardien.

Tomislav Butina est assis, avec sa femme et sa fille, dans son café habituel, sur la Grand-Place de Bruges. Le garçon revient.  » Merci, mais nous partons « , répond Tomi. Ensuite, à la grande joie de Magdalena, sa fillette de six mois, il imite le trot des chevaux sur les pavés de la vieille ville. Tomi vient d’acheter Vecesnji, un journal croate. Il a aussi emmené des photos de jeunes artistes croates. Rappel : il aime la peinture abstraite. Avant son départ pour la Venise du Nord, il tenait deux galeries d’art à Zagreb et il possède lui-même une jolie collection.

 » Je ne sais pas combien de peintures j’ai. Plus d’une centaine, en tout cas. Elles arrivent la semaine prochaine. Vous devez venir dès qu’elles seront accrochées. J’en ai acheté deux avec mon premier salaire. J’avais 17 ou 18 ans. Je n’avais pas d’endroit où les pendre mais il me les fallait. Ma chambre ne faisait pas plus de quatre mètres carrés. J’avais un lit et un petit bureau. J’ai mis mes tableaux en dessous du lit. J’ai continué à en acquérir. J’aime ça « .

Vous ne peignez pas ?

Tomislav Butina : Non. Je n’ai aucune disposition pour ça. Côté maternel, deux ou trois parents ont un certain talent artistique, mais rien de spécial. Peut-être Magdalena ! On dit que j’ai le coup d’£il. J’aime les choses abstraites, très colorées. Ce n’est pas un hasard si je porte aujourd’hui un t-shirt rouge : c’est ma couleur favorite. Je suis donc heureux que les maillots des gardiens brugeois soient rouges.

Pourquoi ne vous intéressez-vous qu’à l’art croate ? Par patriotisme ?

Oui, c’est normal. La Croatie est un jeune pays, elle n’a que 13 ans. Nous devons nous profiler, nous battre pour nos droits et nous faire une place dans le monde. Le nationalisme n’est pas dangereux, tant que la politique ne vire pas trop à droite.

Que pensez-vous du match Belgique-Croatie ?

Je m’attendais à un match nul, au moins, mais nous avions beaucoup de blessés, de suspendus, et de joueurs en méforme. Ça s’est aggravé depuis. Soyons réalistes : nous n’avons que 50 % de disputer l’EURO portugais.

Quelqu’un vous a-t-il frappé côté belge ?

Non. L’Estonie est un adversaire plus facile que la Bulgarie, que nous affrontons. Nous avons été battus 2-0 à Sofia mais le score aurait dû être de 7-1. Ce sera un match très difficile mais la Croatie n’est jamais meilleure que quand elle se bat pour sa dernière chance.

Votre numéro de téléphone se termine par 03.30.1974, votre date de naissance. Comment est-ce possible ?

Tout l’est, en Croatie, mais pas seulement là : attendez que je sois en Belgique depuis un an (il rit) !

Votre compte en banque se termine aussi par 03.30.1974 ?

Non, seulement mon numéro de téléphone. C’est pratique : comme ça, les gens savent quand je fête mon anniversaire et qu’ils doivent apporter un cadeau. A l’intention des nombreux lecteurs de Sport/Foot Magazine, je précise que j’aime les choses coûteuses (il rit).

Fou comme un gardien

Après votre première interview dans ce magazine, la conclusion était claire : fou comme un gardien.

J’adore les plaisanteries mais aujourd’hui, je veux être sérieux. J’en avais pris la résolution après cette première interview. Mais la prochaine fois, on rigolera de nouveau, d’accord ? Ah, j’exprime simplement ma joie de vivre. J’aime la vie, la belle vie.

Que représente une belle vie, pour vous ?

Une vie comme la mienne actuellement. Je profite de toutes les bonnes choses qui me sont arrivées, du club, de la ville et des gens. Bruges doit être une des plus belles villes du monde, plus belle que Venise, la Bruges du Sud. J’espère rester ici jusqu’à la fin de ma carrière. En Croatie, il n’y avait que deux ou trois mille supporters aux matches. Ici, il y en a toujours 25.000. Au début, je n’en croyais pas mes yeux : un football aussi rapide, avec une pareille ambiance !

Avez-vous d’autres rêves ?

Après ma carrière, une belle galerie à Zagreb et trois mois par an au soleil, dans une belle villa sur la côte croate, de préférence sur l’île de Krk. Et un barbecue avec les amis tous les jours.

Comment vous décririez-vous ?

Un killer (il éclate de rire) !

Les Croates sont souvent émotifs.

Ce sont des clichés ! On m’avait dit : Bruges est au Nord. Les gens y sont froids. Depuis le match à Dortmund, je suis accueilli chaleureusement partout dans la ville. Je ne dois pas payer ou la moitié, ou on m’offre quelque chose pour Magdalena. Ah, un autre cliché : les Balkans, c’est la mafia. Laquelle, où est-elle ? Depuis la guerre, je n’ai plus vu de bombe ni d’arme en Croatie. C’est vraiment calme. Nettement plus que beaucoup de pays, comme je le constate dès que je regarde les informations. Chaque personne est différente.

Une croix autour du cou, une dans votre auto. Etes-vous si dévot ?

Sans cérémonie. Dieu est un choix personnel. Avant un match, je lui demande de me permettre de rester en bonne santé et de continuer à disposer de toutes mes facultés. Après, je le remercie. Deux fois par jour, je lui consacre quelques minutes : à mon réveil et avant de m’endormir. Tous les dimanches matins, je vais à l’église, ici tout près ou à la grande basilique un peu plus loin. C’est très important pour moi.

Qu’avez-vous dit après trois minutes, pendant Borussia Dortmund-Club Brugeois : -Père, pourquoi me laisses-tu tomber ?

Non. Je ne peux pas lui reprocher mes erreurs !

 » Je n’avais pas vu Amoroso  »

Que s’est-il passé ? Dans d’autres matches, vous avez pourtant prouvé que vous saviez shooter dans un ballon ?

C’était le début du match, je me sentais bien, l’ambiance était agréable, j’avais le temps de réceptionner le ballon, j’ai vu Philippe Clement pour passer mais… pas Amoroso (il rit).

Trop à l’aise, un brin nonchalant, peut-être ?

Je ne sais pas. C’était ma première grosse gaffe. Je suis très régulier mais parfois, un gardien a un flash dans la tête et fait des choses dont il se demande ensuite pourquoi ? Pourquoi ai-je fait ça, ai-je couru en-dehors du rectangle ? Demandez aux gardiens, ils vous le diront. Tout le monde fait des fautes, des mauvais contrôles, rate des passes, mais le gardien est le dernier homme et s’il échoue, le ballon est dedans.

Ce fut une expérience intéressante pour moi car elle était inédite. Jamais encore je n’avais vécu pareille situation. Je me suis bien repris. Et qui dit que cette faute n’a pas été positive pour le reste du match ? D’un coup, nous devions marquer et nous l’avons fait. Imaginez que le score soit resté de zéro partout et que Dortmund ait marqué à la dernière minute ? Nous étions éliminés de la Ligue des Champions.

Que vous a appris cette faute ?

Rien de spécial. Je dois être encore plus concentré. Peut-être vaut-il mieux envoyer pareil ballon dans les tribunes. Je ne sais pas. On peut tendre vers la perfection mais je ne sais pas s’il est possible de l’atteindre. Je suis un homme normal, je ne suis pas Dieu.

Vous avez arrêté cinq penalties lors de votre premier mois : un contre le Hertha Berlin, deux contre le Sporting Lisbonne et deux contre Dortmund. Comment faites-vous ?

C’est une question de concentration et à l’école des gardiens, en Croatie, j’ai appris à ne pas regarder le visage ni les jambes de celui qui va botter le penalty mais son pied. Il ne trompe jamais. Ce qui ne veut pas dire que je choisis toujours le bon côté. Il y a deux ou trois ans, contre Galatasaray, j’ai même plongé cinq fois du mauvais côté. Il n’empêche : lire le pied vous donne plus de chances. Bergdolmo a mal tiré mais Amoroso a été très précis. C’est peut-être le plus bel arrêt de ma carrière. Il est resté là, stupéfait, se demandant comment j’avais fait pour intercepter le ballon. Je lui ai dit : c’est 1-1 ! Nous nous connaissons car nous nous sommes affrontés en UEFA, lors de Parme-Dinamo Zagreb. Nous avons gagné 1-0 à domicile mais là, nous nous sommes inclinés 2-0, sur deux buts d’Amoroso.

Avez-vous échangé vos maillots ?

Non, les maillots des adversaires ne m’intéressent pas, sauf si un ami m’en demande un mais en général, mes copains préfèrent avoir un maillot de moi (il rit).

Une fois les deux premiers penalties arrêtés, on aurait dit que c’était la fête, pour vous. N’était-ce pas prématuré ?

Le match était fini. Je savais que ça suffirait. J’aurais voulu aller m’installer dans la tribune, au milieu des supporters. Ce fut le plus beau jour de ma carrière. J’étais très heureux.

Il aime boxer

Vous vous dites qu’avec un peu plus de concentration, vous en auriez arrêté d’autres ?

Peut-être !

Depuis ce match, la tension est perceptible, dans les tribunes, chaque fois qu’on vous adresse une passe en retrait.

Je suis content que les supporters vivent les matches comme ça mais je crois qu’ils font ça pour rigoler.

Attendez-vous si longtemps avant de relancer pour augmenter le suspense ?

Non (il rit) !

Pendant la préparation, on a souligné que vous interceptiez beaucoup de ballons mais que vous en saisissiez peu. Est-ce votre style ?

En saisir peu ? Quand on tire des cinq mètres, c’est normal que je boxe le ballon, non ? Je peux aussi rester sans réaction mais je ne sais pas si c’est mieux. Tout l’art est d’écarter le ballon de vos filets, de quelque façon que ce soit. Je pense quand même saisir fermement les balles normales.

A Dortmund, Dany Verlinden était mécontent que l’entraîneur n’ait pas expliqué son remplacement. Le comprenez-vous ?

Oui, mais c’est le foot. Que dois-je dire ? Ce n’est pas mon problème. Tout peut se passer, dans une carrière. Il faut être prêt à tout, comme je l’ai appris.

Etiez-vous surpris, lors de votre première sélection ?

Je la sentais venir mais j’ai quand même été étonné, quand, deux heures avant le match, pendant la théorie, j’ai vu TB dans la composition d’équipe.

Etiez-vous nerveux ?

Non, seulement content.

Comment préparez-vous un match, comment vous concentrez-vous ?

Je ne fais rien de particulier. Un échauffement, c’est tout. Je ne suis jamais nerveux. Je joue en équipe fanion depuis 11 ans. Chaque match est identique aux autres : 11 contre 11, trois arbitres et un ballon.

Votre relation avec Dany Verlinden est-elle la même depuis que vous êtes titulaire ?

Je pense que oui. Je n’ai rien remarqué. De mon côté, rien n’a changé. Une saison est longue. Il y a 34 matches de championnat, au moins huit matches en Ligue des Champions et la Coupe de Belgique. Soit près de 50 matches. Nous avons besoin de tout le monde.

Quelle est votre relation ? Est-il un concurrent ou plutôt votre entraîneur ?

Un concurrent, ou plutôt, je suis un concurrent pour lui. Il ne sera entraîneur des gardiens que la saison prochaine. Il est normal que je veuille entretenir de bons rapports avec lui : j’ai besoin de lui pour bien analyser tous les joueurs du championnat belge. D’ailleurs, j’ai de bons rapports avec tout le monde depuis le début de ma carrière. Crier sur mes coéquipiers ou désigner des coupables après un match, ce n’est pas mon style. D’ailleurs, qui est responsable, qu’est une faute ? Tout le monde en commet, tous les jours. A chaque entraînement, à chaque match. Chercher des responsables après coup est ridicule. Il faut parler avant et pendant le match. Après, c’est trop tard, on ne peut plus rien changer. Il faut veiller à rester des copains, à former un groupe.

Prêt à tout

Est-il difficile d’être gardien dans une équipe qui joue l’offensive à tout crin et où les défenseurs centraux souffrent ?

Il n’en était pas autrement au Dinamo Zagreb. J’ai donc appris à être prêt à tout moment et je pense être bon homme contre homme.

Avec le Dinamo Zagreb, vous avez disputé deux Ligues des Champions. En 1998, vous avez gagné sept points dans une poule avec Manchester United, l’Olympique Marseille et le Sturm Graz. Huit en 1999, dans une poule avec l’Ajax, l’Olympiakos et Porto. Ce Club Brugeois est-il meilleur que le Dinamo Zagreb ?

C’est une question typique de journaliste ! Il est difficile d’effectuer des comparaisons. Le Dinamo Zagreb de l’époque avait encore quelques individualités d’envergure comme Robert Prosinecki. Le Club est plutôt fort collectivement.

En seconde période du match contre Gand, vous avez brusquement couru la moitié du terrain pour parler à Timmy Simons, pendant un arrêt de jeu. Pourquoi ?

Je lui ai vite dit quelque chose à propos de l’organisation. Je communique toujours avec mes défenseurs pendant un match ûaprès, c’est trop tard. Ce n’est pas toujours facile dans un stade comble et bruyant. Alors, j’ai profité de l’interruption du jeu.

Etes-vous un travailleur ?

Oui, je n’arrête pas. Sauf à la maison : là, je ne fais rien, à part allumer le feu ouvert (il rit).

 » Ici, c’est plus beau que dans la Bruges du Sud «  » Chaque match est identique : 11 contre 11, trois arbitres et un ballon « 

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