© IMAGEDESK - FREDERIK BEYENS

 » JE ME DEMANDE PARFOIS CE QUI M’ATTEND « 

Rob Rensenbrink a bien failli être champion du monde avec les Pays-Bas. Il a également régalé le public du Parc Astrid. Aujourd’hui, il se bat contre une maladie impitoyable.

Le célèbre international des années 70 nous avait expliqué le chemin au téléphone : un peu après la pharmacie d’Oostzaan, entrer dans une rue sans issue. C’est la dernière petite maison pour seniors.

Il nous attend en regardant par la fenêtre d’une salle à manger relativement vide. Rob Rensenbrink, soixante-neuf ans, fragile, est en plein déménagement. Il veut une plus petite maison. Encore plus petite que celle-ci car ça fait déjà bien longtemps qu’il a vendu sa grande villa au bord de l’eau, où il aimait pêcher.

On vient le chercher pour la présentation d’un livre consacré à l’équipe nationale des Pays-Bas. Auteur de six buts en Coupe du monde (il a disputé deux finales), Rob Rensenbrink recevra le premier exemplaire dans une librairie d’Amsterdam.

La démarche de l’ancien ailier gauche insaisissable est aujourd’hui saccadée mais il reste vif.

Comment allez-vous, Rob ?

ROB RENSENBRINK : Ça peut aller, on fait avec, hein. Mais je ne me sens pas malade.

Rensenbrink souffre d’amyotrophie spinale, une variante généralement moins agressive de la maladie de Charcot. Fernando Ricksen a cela depuis plusieurs années et tient bon mais, cet été, cette maladie a frappé violemment l’ex-joueur de l’Ajax Tonnie Pronk. Il y a quatre ans, alors qu’ils étaient à la plage, sa femme lui a fait remarquer qu’il tremblait beaucoup. Il a passé plusieurs examens au Centre médical académique d’Amsterdam et le verdict est tombé.

 » Ils ne savent pas grand-chose de cette maladie « , explique-t-il.  » Il n’y a aucune certitude mais en ce qui me concerne, c’est plutôt stable.  »

Nous traversons le Coentunnel, dans le quartier ouest d’Amsterdam. C’est ici qu’il a grandi. Son père travaillait à Noord, à la NDSM, une entreprise de construction navale. La famille a alors déménagé à Oostzaan car c’était plus près du chantier.

APPRENTI MENUISIER

Robbie a été découvert par DWS, qui était le premier club réellement professionnel des Pays-Bas. Il devait ce statut à Henk Solleveld, qui avait débuté comme employé chez un photographe du Damrak, avait repris l’affaire et en avait fait un empire de cinq magasins. Sous la présidence de Solleveld, DWS avait rejoint la D1 hollandaise en 1963 et y avait directement décroché le titre.

En 1965, Rensenbrink, qui venait d’avoir 18 ans, avait l’embarras du choix. L’Ajax s’intéressait à lui mais ne voulait pas lui proposer de contrat professionnel. Il opta dès lors pour DWS, où Solleveld fit de lui un véritable pro.  » C’était chouette car ça me permettait d’arrêter de travailler « , dit-il. Rensenbrink était apprenti menuisier dans le bâtiment mais son seul objectif était de ranger son marteau le plus vite possible et de devenir pro.

A DWS, il allait rencontrer des durs comme Rinus Israël, qui avaient des méthodes bien à eux pour faire comprendre aux jeunes que le monde du football était impitoyable.  » A l’entraînement, si tu passais Israël, il te coupait en deux.  »

En dehors du terrain, c’était pourtant un brave gars.  » Dès le premier jour, il m’a demandé si je voulais qu’il passe me prendre pour aller à l’entraînement. Il habitait à Noord et avait une voiture. On se donnait rendez-vous à la gare centrale. J’ai fait la route avec lui pendant des mois.  »

CRUIJFF

Gert-Jan Jimmink, le propriétaire de la librairie reçoit Rensenbrink comme un roi, même s’il n’y connaît pas grand-chose en football. Dans son discours de bienvenue, il parle de  » ce grand joueur de l’équipe hollandaise, d’Anderlecht et d’Ajax « , alors que Robbie n’a jamais joué dans l’autre club d’Amsterdam.  » Même pas un peu ? « , tente-t-il de se rattraper.

Dans le salon de Jimmink, une foule d’équipes de télévision, de journalistes radio et de la presse écrite fond sur l’icône de l’équipe de Hollande mais se heurte à un mur de modestie et de réserve. A près de 70 ans, Rensenbrink parle de football avec le même air laconique que lorsqu’il inscrivait des buts. A l’époque, il écartait les bras, recevait les félicitations de ses équipiers et retournait tranquillement dans sa moitié de terrain. Robbie n’a jamais été très expansif.

Entre les photos de Cruijff, on trouve une belle image de Rensenbrink qui tire du gauche contre la Belgique.

 » C’est qui ? C’est Cruijff, non ? Oh non, c’est moi ! Tiens, je n’avais jamais remarqué que sur un terrain, Cruijff et moi avions la même attitude.  »

Et pourtant ! En mars dernier, pour illustrer le décès de Cruijff, le journal anglais The Guardian a mis une photo de Rensenbrink à la une…

CLOPE

Le dribbleur gaucher de DWS a effectué ses débuts en équipe nationale des Pays-Bas le 30 mai 1968 à l’occasion d’un match amical contre l’Ecosse (0-0). Il avait 20 ans. Un an plus tard, le Club Brugeois l’achetait pour près de 250.000 euros. Lorsqu’il marque trois buts contre Ujpest Dosza (5-2) en Coupe des Villes de Foire (l’ancêtre de la Coupe UEFA), l’entraîneur hongrois Lajos Baroti affirme que  » le jeune Rensenbrink  » s’est déplacé sur le terrain tel un contorsionniste.

Les journalistes adoptent l’expression : Rensenbrink a un surnom.

Après deux ans à Bruges, il passe à Anderlecht. Constant Vanden Stock veut à tout prix le contorsionniste et il n’hésite pas à mettre le paquet.  » En échange, Monsieur Vanden Stock a donné Wilfried Puis, qui était tout de même international, plus un autre joueur et encore de l’argent « , se souvient Rensenbrink, qui allait devenir l’homme fort du grand Anderlecht.

Attaquant déterminant, il a la plupart du temps un rôle libre. Il va rester neuf ans à Bruxelles et remporter deux fois la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe : 4-2 contre West Ham (avec deux buts de Rensenbrink) en 1976, et 4-0 face à l’Austria de Vienne (encore deux buts de Rensenbrink) en 1978. Ses dribbles sans fin et ses jolis buts enflamment le Parc Astrid. A la fin du siècle dernier, il est même été élu Meilleur Etranger ayant évolué en Belgique.

Après avoir répondu aux questions des télévisions, des radios et des journaux, Rensenbrink sort fumer une clope.

A-t-il été lui aussi international fumeur à l’époque où Johan Cruijff faisait de la pub pour Roxy Dual Filtre ?  » Non, je n’ai commencé à fumer qu’à la fin de ma carrière. J’étais invité à des anniversaires où tout le monde fumait. Il faisait tout bleu et je me suis donc mis à fumer aussi, par convivialité. Des Roxy ? Non, des Dunhill. Elles sont plus chères… »

MARK KNOPFLER

Une fois la présentation du livre terminée, on va manger dans un resto italien du coin. Yolanthe, la compagne de Gert-Jan Jimmink, a observé Rensenbrink tout au long de la journée et elle en est certaine :  » J’ai l’impression d’avoir Mark Knopfler devant moi.  »

Vous ressemblez au guitariste de Dire Straits, Mark Knopfler.

RENSENBRINK : Qui ?

Marc Knopfler, Dire Straits, le groupe qui chante « Sultan of Swings. »

RENSENBRINK : Ah, d’accord.

A deux reprises, au cours du repas, Rensenbrink est mal à l’aise. Il est resté trop longtemps sans bouger. Une de ses mains commence à trembler et il doit la cacher sous la table pour la dompter avec l’autre. Puis c’est sa jambe qui le fait souffrir. Il s’en sort, secoue son pied gauche et s’appuie contre la table pour s’étirer un peu. On dirait qu’il fait du stretching.

L’ARGENT DES SPONSORS

On en arrive inévitablement à parler de ses Coupes du monde. Deux finales perdues de peu. En 1974, l’équipe néerlandaise surprend et conquiert le monde par son jeu collectif virevoltant. L’équipe est à la fête, mais pas Rensenbrink. Que l’équipe joue en fonction de Cruijff, passe encore. Mais lui-même est dans l’ombre.  » Parce que Cruijff voulait toujours absolument entamer ses actions sur la gauche et que je devais lui faire de la place.  »

Une autre star de l’équipe, le médian gauche Wim van Hanegem, gâche aussi son plaisir.  » Il donnait uniquement le ballon à Cruijff, jamais à moi.  »

Rensenbrink a souvent dit que, dans cette sacrée équipe de 1974, son rôle le plus important était de faire ce que Rinus Michels lui demandait : passer son homme et donner le ballon. Il a néanmoins inscrit le deuxième but contre la RDA (2-0). Et face au Brésil, il a lancé Ruud Krol en profondeur, ce qui a amené le superbe but permettant à Johan Cruijff de qualifier les Pays-Bas pour la finale.

C’est aussi lors de ce match que Rensenbrink s’est occasionné une blessure musculaire à la cuisse droite. Le matin de la finale, Michels lui a fait faire des tas de sprints pour le tester. « Je ne sentais rien et je pensais pouvoir jouer mais pendant le match, j’ai vite eu mal. »

Arie Haan a déclaré plus tard que vous avez roulé tout le monde, que vous avez fait semblant de pouvoir jouer pour toucher la prime de 10.000 florins promise par votre sponsor, Puma.

RENSENBRINK : Vous ne croyez tout de même pas que j’ai joué intentionnellement une finale de Coupe du monde en étant blessé rien que pour toucher l’argent des sponsors ? Il est incroyable, ce Haan. Et vous vous étonnez qu’il ne soit pas mon ami ?

Quatre ans plus tard, à la Coupe du Monde en Argentine, Rensenbrink est devenu une star mondiale. Libéré de Cruijff et du carcan imposé par Michels, il a pu endosser le rôle d’homme libre qui était le sien à Anderlecht. Il a inscrit cinq buts (dont un sur penalty). Ses slaloms dans les défenses adverses, ses frappes gracieuses, ses passes en profondeur intelligentes (souvent de l’extérieur du pied gauche) et ses centres purs ont fait de lui un des grands animateurs d’une Coupe du monde peu spectaculaire disputée dans un climat de guerre civile.

Mais Arie Haan estimait que le grand bonhomme de l’équipe des Pays-Bas, ça devait être lui. Après ses deux tirs lointains qui s’étaient révélés cruciaux face à l’Allemagne de l’Ouest et à l’Italie, il s’est un peu gonflé du col et a déclaré dans une interview qu’il était la star de l’équipe. Rensenbrink a alors fait remarquer dans une autre interview qu’après deux mauvais matches de poule en Argentine, Haan s’était retrouvé sur le banc. Et Haan ne l’a pas admis.  » Depuis, nous ne nous sommes plus adressé la parole « , dit Rensenbrink.

MALADIE

Le repas se termine. Rensenbrink veut rentrer chez lui. Il est assis depuis trop longtemps. Ses muscles protestent. A l’extérieur, il tire encore rapidement quelques bouffées de sa Dunhill.

Vous êtes fatigué, Rob ?

RENSENBRINK : Ça va encore.

Vous avez mal ?

RENSENBRINK : Non mais je sens bien que je flanche un peu. Ça s’aggrave, je sens que j’ai plus souvent mal.

Ça vous fait peur ?

RENSENBRINK : Non mais je me demande parfois ce qui m’attend. Quand je vois les yeux de Ricksen, comme il a l’air accablé.

Vous savez ce qui vous attend ?

RENSENBRINK : Non, le médecin a dit qu’il n’y avait pas de médicament contre cette maladie, pas d’exercice que je puisse faire. On ne sait pas d’où ça vient ni comment ça se développe. Ça peut durer trois ans ou trente ans.

Silence.

Après sa carrière, il a un peu été entraîneur dans son village, à OSW, son ancien club. Mais ça ne lui plaisait pas, il trouvait qu’il n’était pas fait pour ça. Jouer, d’accord mais regarder, être tout le temps derrière des gamins, c’était trop lui demander.

Robbie s’est alors mis à pêcher près de sa belle maison ou sur son petit bateau. Pendant des heures, il a attendu que ça morde.

Vous arrive-t-il encore de pêcher ?

RENSENBRINK : Non, j’ai arrêté il y a dix ans.

Pourquoi ?

RENSENBRINK : On a volé mon bateau.

Jamais eu envie d’en acheter un nouveau ?

RENSENBRINK : Non, j’ai laissé tomber.

Que faites-vous à la place ?

RENSENBRINK : Je vais plus souvent voir mes cinq petits-enfants.

PAR JAAP VISSER – PHOTO IMAGEDESK – FREDERIK BEYENS

 » Je n’avais jamais remarqué que, sur un terrain, Cruijff et moi avions la même attitude.  » ROB RENSENBRINK

 » J’ai cassé la baraque pendant des années en Belgique mais la télévision hollandaise n’en a rien montré.  » ROB RENSENBRINK

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