» Je m’imaginais pour la vie à Anderlecht. Mais ce n’était plus tenable « 

Il a fait son retour dans le club qui lui avait fait découvrir le Calcio. Dès cet été, le grand patron des jeunes, ce sera lui.

« L’Udinese est sans doute le club le mieux structuré d’Europe au niveau du recrutement. Des joueurs prometteurs de 17 ou 18 ans sont transférés pour une somme très raisonnable, puis revendus pour 15 ou 20 fois plus après avoir percé. Mais depuis dix ans, je pense que pas un seul joueur pro n’a été entièrement formé ici. Dans le noyau actuel, il n’y a pas un seul produit local. Un gamin qui a grandi à cinq kilomètres d’Udine est aujourd’hui aux portes de l’équipe Première de l’Inter mais n’a jamais joué ici. Ce n’est pas normal. « 

Johan Walem (39 ans) dresse le tableau. L’Udinese réussit un des plus beaux parcours de son histoire en championnat, mais encore et toujours avec des mercenaires. Le club avec lequel il avait explosé dans le Calcio l’a rappelé l’été dernier. Objectif : réorganiser complètement la formation. Et donc, après deux ans comme coach des Espoirs d’Anderlecht, Gentleman Walem a retrouvé le Frioul, une ville d’Udine bourgeoise, calme, apaisante. L’£il est resté vif, le discours est toujours clair et cohérent, la passion est débordante.

Johan Walem : Devenir entraîneur, je ne peux pas dire que j’y avais toujours pensé. Tout s’est décanté pendant mes trois années comme consultant à Belgacom TV. J’avais beaucoup de temps libres et j’en ai profité pour passer les diplômes. Un jour, je suis allé trouver Philippe Collin pour lui exposer un projet imaginé par un ami de longue date, Thibaut Vincent. Il est expert en coaching mental et il m’avait assisté pendant ma carrière. Il te met en confiance, il t’aide à prendre conscience de tes capacités, à gérer ton stress, tes émotions. Il travaille avec des sportifs mais aussi avec des hommes d’affaires et des patrons d’entreprise. Il offrait ses services pour guider des jeunes d’Anderlecht. Collin en a profité pour me proposer de travailler au Sporting et c’est comme ça que j’ai fait mon retour dans le club. Je m’étais toujours dit que si je reprenais du service dans le foot, ce serait dans un des trois clubs qui ont signifié beaucoup pour moi : Anderlecht, le Standard et l’Udinese. Mais Anderlecht, ça restera à jamais mon club.

Quelle est ta fonction exacte ici ?

J’entraîne les -17 ans. Je n’avais signé qu’un contrat d’un an, mais je vais prolonger pour trois saisons. Dès l’année prochaine, je serai à la tête des Espoirs et j’aurai la responsabilité de la coordination technique de toutes les équipes de jeunes. Le président me demande de tout restructurer, de donner un style plus nordique à l’école des jeunes. Il y a du boulot car l’Italie a pas mal de retard sur plein d’autres pays en matière de formation. Et le patron, Giampaolo Pozzo, me parle déjà, aussi, d’un poste de directeur sportif dans le futur. C’est énorme ! Il me donne plein de moyens. Tout ce que j’ai demandé depuis mon arrivée, je l’ai reçu. Les jeunes ne s’entraînaient pas au stade et travaillaient sur des terrains qui ne ressemblaient à rien. Aujourd’hui, nous avons des pelouses au stade et le président nous a construit des vestiaires. Avant, moins on voyait les jeunes au stade et mieux c’était. Maintenant, tout le monde côtoie tous les jours le noyau pro.

Comme en Belgique, tu dois travailler avec une génération qui ne te ressemble pas ? La génération PlayStation, écouteurs énormes et casquette à l’envers ?

Oui, mais c’est comme ça partout. C’est l’évolution des mentalités qui veut ça.

Il y a d’autres anciens joueurs de l’Udinese dans l’école des jeunes ?

Non, je suis le seul. Ce ne sont pas des jobs qui attirent. Tu n’es pas sous les spots, tu ne deviens pas populaire en faisant ça, ton travail est peu reconnu. Et il y a l’aspect financier : il ne faut pas croire que tu gagnes 3.000 euros par mois quand tu entraînes des jeunes.

 » Jacobs and Co pensaient que j’allais jouer des coudes, forcer la porte de leur staff « 

On parle d’Anderlecht ?

OK.

Après deux ans là-bas, tu te dis que c’est bien assez et tu claques la porte ? C’est bien ce qui s’est passé ?

J’aurais pu faire toute ma carrière de coach là-bas…

Mais tu es parti quand même…

(Il soupire). Ben oui… Parce que je suis très sensible à l’aspect relationnel. Pour moi, l’humain est très important. Et je n’étais pas heureux à ce niveau-là au Sporting. Mais je n’ai pas trop envie de revenir là-dessus, pas envie de polémiquer.

Tu avais un problème relationnel avec le staff de l’équipe Première ?

Oui. Et c’est vraiment dommage. Je me suis toujours mis au service de la Première, je proposais certains de mes joueurs au staff pour qu’ils continuent leur post-formation avec les pros. Mais tout cela a été mal interprété. On m’a considéré comme une menace, les gens du staff ont cru que Johan Walem voulait y prendre une place, ils pensaient que j’allais jouer des coudes, forcer la porte. Alors que ce n’était pas du tout mon but. Je l’ai dit tout de suite, et entre quatre-z-yeux aux personnes concernées. Mais le message n’est pas passé. Ils se sont défendus ensemble contre moi. Je peux comprendre : c’était leur staff. Il leur avait fallu du temps pour le faire fonctionner correctement. Parce qu’au début, leur collaboration était loin d’être géniale.

Ta promotion dans le staff de l’équipe Première avait quand même été prévue dès le départ !

OK, mais ce n’était pas ce que je recherchais. La direction me l’a proposé, je n’ai pas dit que ça m’intéressait. C’est très différent.

Tu peux comprendre qu’Ariel Jacobs et ses adjoints t’aient pris comme une menace ?

Non. S’ils m’avaient vraiment connu, s’ils avaient simplement essayé de me comprendre, ils auraient vite vu que j’étais passionné par mon boulot avec les Espoirs, que je voulais rester dans ce rôle. Je voulais travailler pour eux, pas avec eux. J’organisais jusqu’à neuf entraînements par semaine : parfois le double de l’équipe Première ! J’ai longtemps eu l’impression qu’on progressait bien. Je me suis battu pendant des mois pour que les Espoirs prennent de l’importance aux yeux de la direction et du staff de l’équipe Première, on y arrivait doucement. Anderlecht n’avait jamais été aussi près de mettre tout le monde sur le même chemin. C’est vraiment dommage que tout cela ait explosé.

 » Anderlecht devrait être champion chaque année avec 15 points d’avance « 

Tu pouvais quand même prolonger à ton poste d’entraîneur des Espoirs…

Impossible parce que j’exigeais une autre relation, une autre collaboration avec la Première. Quand j’ai exposé la situation à Roger Vanden Stock, il m’a fait une proposition fantastique : je pouvais continuer pendant trois ans avec les Espoirs et ensuite devenir le nouveau Jean Dockx du Sporting. Quel honneur ! C’était génial. Dockx, c’était l’homme de confiance du club. Quand je suis rentré à la maison, je n’y croyais toujours pas. J’étais sans voix. Mais pour faire tout ça, il faut que tu travailles avec des personnes qui t’acceptent. Et je n’étais pas accepté. Alors, j’ai décidé de stopper les frais. Quand je l’ai annoncé à Herman Van Holsbeeck, il ne voulait pas y croire. L’Udinese m’a contacté au même moment et j’ai dit à la direction du Sporting que je m’en allais pour un an, en laissant la porte ouverte. Je tiens à retourner un jour dans ce club. Et je pense qu’eux aussi voudraient me revoir dans le futur. Ici, je gagne moins qu’à Anderlecht. Ils ne le savent pas… Je m’en fous, je vis une nouvelle expérience, j’ai déjà réalisé des choses fantastiques en quelques mois et les perspectives sont enthousiasmantes. L’importance que le club me donne et les rapports humains que j’ai dans mon nouveau boulot, ça n’a pas de prix.

Tu en veux à Jacobs et à ses adjoints, Besnik Hasi et Daniel Renders ?

Non. Ils ont réagi à leur façon, c’est humain.

Tu aurais réagi comme eux ?

Certainement pas. Ceux qui me connaissent bien disent que j’ai un caractère atypique et ne comprennent pas comment j’ai pu être footballeur professionnel. On me connaît très mal, finalement. Je sais que je passe pour un gars hautain, prétentieux. Il n’y a rien de plus faux. C’est sans doute une forme de timidité. Mais grâce à certaines personnes et certains événements, je l’ai progressivement vaincue. Quand j’estimais qu’il se passait des trucs illogiques avec mes jeunes à Anderlecht, je n’avais pas peur de me confronter à ceux qui n’étaient pas d’accord avec moi. Maintenant, j’ose aller droit au but. Que ce soit avec Jacobs, Vanden Stock ou le grand patron de l’Udinese.

Tu aurais voulu quel genre de collaboration avec Jacobs ?

Une collaboration franche. J’aurais voulu qu’on échange nos idées sur les jeunes. J’avais demandé une réunion tous les 15 jours. On l’a fait au début, puis ça ne s’est plus fait que toutes les trois semaines, puis tous les mois. Ensuite plus du tout parce que Jacobs n’avait  » plus le temps « .

Et tu avais l’impression de ne pas être pris au sérieux ?

Surtout l’impression que mes Espoirs n’étaient pas pris au sérieux. Ils ont accepté que Romelu Lukaku passe de mon groupe au noyau pro. Evidemment. Il y a aussi eu Ziguy Badibanga, Cheikhou Kouyaté, Christophe Diandy. Mais où sont les autres ? René Sterckx est un joueur fantastique mais le staff n’en voulait pas. Et Reynaldo… Et Hervé Kagé… C’est un talent exceptionnel, un des meilleurs joueurs que j’ai vus comme entraîneur. Il sait tout faire. Mais il faut savoir le prendre. Et le mettre à sa meilleure place : c’est un médian, il n’est pas du tout fait pour jouer au back droit comme il l’a fait à Charleroi. Son problème à Anderlecht, c’est qu’il avait commis des erreurs en dehors du terrain, dans le passé. Il a suffi de ça pour qu’on lui ferme au nez la porte de l’équipe Première. Aujourd’hui, Kagé joue en Israël : quel gâchis !

On a l’impression que Lukaku cale un peu cette saison !

Il est dans la saison de confirmation : pas la plus simple. Mais ce qu’il a déjà fait à 17 ans est exceptionnel. Surhumain. Il traverse un passage à vide : c’est normal, non ? On voudrait qu’un gars de 17 ans fasse tourner Anderlecht ? Si c’est ce qu’on attend de lui, je me pose des questions. Ce n’est pas normal qu’il ait été aussi déterminant la saison dernière, qu’il ait pris une part pareille dans le titre. Avec la quantité et la qualité qu’il y a là-bas, le Sporting devrait être champion chaque année avec 15 points d’avance ! Désolé, je dis ce que je pense…

Lukaku à Manchester ou à Chelsea, c’est plausible ?

Bien sûr ! Bien sûr ! Qu’est-ce qu’il n’a pas ? Il est grand, il est costaud, il a deux pieds, il sait jouer dos au but, il peut jouer en profondeur, il a énormément de qualités mentales. Avoir tout ça à son âge, c’est très très rare.

Des claques chez les Diables, l’enfer en Sicile

Tu suis un peu le renouveau de l’équipe nationale ?

Oui. Les résultats depuis la Coupe du Monde 2002 étaient complètement illogiques, vu le talent des joueurs. Le problème est qu’il n’y avait pas d’équipe. Avec Georges Leekens, on a trouvé l’homme qu’il fallait. Je l’ai eu comme coach chez les Diables. Au niveau relationnel, c’est un crack. Je ne dirais pas qu’il manipule les gens mais il sait les prendre et se faire aimer. C’est une grande force.

A 30 ans, tu as décidé de ne plus jouer pour l’équipe nationale ! 36 matches, c’est peu !

Très peu, oui. Juste ce qu’il fallait pour démontrer que j’avais le niveau. (Il rigole). Et pour jouer une Coupe du Monde.

C’était ton but ultime ?

Oui, vu tout ce qui s’était passé entre les Diables et moi. Mets-toi à ma place. A 20 ans, tu joues déjà contre l’Allemagne : tout est merveilleux. Puis, tu as une période creuse qui dure plusieurs années. Ton style de jeu n’est pas apprécié, on ne joue pas avec tes qualités. Il fallait plutôt des joueurs physiques, et quand j’étais sur le terrain, je voyais surtout des ballons qui survolaient l’entrejeu. On ne pouvait pas me demander la même chose qu’à Yves Vanderhaeghe ou Timmy Simons. J’ai presque tout le temps été opposé à l’un ou l’autre joueur. Pour la campagne de la Coupe du Monde 94, j’avais toujours été retenu mais j’ai sauté du groupe à la dernière minute alors que je sortais de ma meilleure saison avec Anderlecht. C’est dur, hein ! En 1998, j’ai payé pour le retour in extremis d’Enzo Scifo dans le noyau. Quand tu prends des claques pareilles, tu en as marre. Pendant tout un temps, on a pensé que j’étais incapable de jouer avec Marc Wilmots. S’il fallait choisir entre lui et moi, c’est lui qui était dans l’équipe parce qu’il avait du charisme, beaucoup de présence physique, et il marquait pas mal de buts. Mais Robert Waseige a finalement eu le courage de nous associer à la Coupe du Monde au Japon et ça s’est très bien passé. C’est là-bas que j’ai peut-être signé mon meilleur souvenir avec les Diables : le match contre la Russie. C’est là-bas aussi que j’ai sans doute livré ma plus belle prestation en équipe nationale : contre le Brésil.

Tu n’as jamais regretté d’avoir arrêté le foot aussi tôt ? Tu n’avais que 33 ans et tu avais le profil du joueur qui pouvait faire une longue carrière : tu étais rarement blessé, tu te soignais.

J’ai eu quelques saisons pas trop amusantes. Au Standard, l’année qui a suivi la Coupe du Monde 2002 ne s’est pas trop bien passée. Waseige a vite été mis dehors et je m’entendais bien avec lui : ce n’était pas un avantage pour moi. J’ai même dû jouer quelques matches en Réserve. Pas grave, j’ai au moins retrouvé le plaisir du jeu. Je n’avais peut-être pas assez de charisme pour faire ce qu’on me demandait de faire dans le vestiaire. Lucien D’Onofrio m’a dit que je n’étais sans doute pas venu au bon moment dans son club. Ensuite, je suis revenu en Italie : à Torino, en Serie B. Là, j’ai vraiment fait connaissance avec les côtés sombres du foot. J’ai été blessé. Puis on m’a fait un sale coup. Au moment de reprendre les entraînements pour ma deuxième saison là-bas, on m’a dit que j’étais transféré à Catane, avec un salaire coupé en deux. Dans ce club, j’ai vu des trucs complètement fous, des embrouilles, des dirigeants qui ont essayé de me piéger. Ma mère est venue une fois me voir : elle est repartie en pleurant. Un soir, alors que j’étais au vert avec l’équipe, des gens du club ont téléphoné à ma compagne pour lui faire peur : -Tu es seule à la maison ? Fais attention, c’est dangereux, la Sicile… Le lendemain, je suis allé trouver le gars qui avait donné le coup de fil. Je lui ai dit : -Fini, time, on met fin à mon contrat. Il m’a dit que je ne jouerais plus jamais au foot en Italie. J’étais dégoûté. Et soulagé quand je suis monté dans l’avion pour retourner en Belgique. Je n’avais plus envie d’être footballeur. Peut-être que, finalement, je n’avais pas le caractère pour faire ce métier. Mais je signe tout de suite pour refaire la même carrière : Anderlecht, le Standard, la Serie A, les Diables Rouges,…

Tu trouves que tu as tiré le maximum ?

Non. J’aurais eu plus si j’avais été plus opportuniste à certains moments. Un agent m’a dit un jour qu’il pouvait me placer dans un club italien du top : l’Inter, la Juventus, la Lazio ou la Roma. Mais il fallait que je passe dans son écurie. J’ai refusé parce que je ne voulais pas devenir l’esclave d’un manager. Et de toute façon, j’étais réaliste. Aller à l’Inter ? OK. Etre dans l’équipe ? Pas sûr. Je n’étais pas Zinédine Zidane, non plus. J’ai aussi perdu pas mal d’argent quand l’Udinese a exigé que je revienne après mon prêt d’un an à Parme, où on me proposait un contrat de quatre ans et un salaire multiplié par quatre ou cinq. C’est comme ça. Mais quand tu vois que ça ne va pas s’arranger, ça fait mal, hein !

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS/HERCHAFT

 » Quand Roger Vanden Stock m’a proposé de devenir son nouveau Jean Dockx, j’étais sans voix. « 

 » Je voulais travailler pour Ariel Jacobs, pas avec lui. « 

 » Ceux qui me connaissent se demandent comment j’ai pu être footballeur professionnel. « 

 » Si on attend d’un gars de 17 ans comme Lukaku qu’il fasse tourner Anderlecht, je me pose des questions. « 

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