» Je KIFFE ce club « 

Pierre Bilic

Un Chtimi a calmement permis à la ligne médiane liégeoise de retrouver le Nord.

Il glisse parfois l’un ou l’autre mot de verlan ou de chtimi dans son français et se marre en devinant des tas de questions dans nos yeux. Son coin natal à lui, c’est celui des corons de Pierre Bachelet mais dans la chanson de sa vie, il y a surtout Renaud qui chante :  » Je joue du rock’n-roll à Lille Roubaix Tourcoing.  » Comme quoi, dins l’nord ya pas qu’du carbon ; in a aussi des canchons. Des chansons et des ballons de football. Son frère, Benoît, 20 ans, s’est emparé récemment de la place d’arrière gauche en équipe fanion à Lens. David, leur papa, un attaquant camerounais, évolua entre autre à Bastia, à Nice et à Gueugnon avant de rencontrer une fille du nord et de se fixer à Saint Nicolas-les-Arras. La maman de Matthieu Assou-Ekotto exerça la profession d’institutrice avant de prendre sa retraite. Enfant de l’Afrique et de l’Europe, comme sa s£ur et ses deux frères, Matthieu Assou-Ekotto a offert son jeu et son métissage à l’ASPTT d’Arras et au Racing Club de Lens avant de tenter sa chance en Belgique, à Mouscron.

La culture chtimi est-elle encore très vivante ?

Matthieu Assou-Ekotto : Tout à fait. Je ne le crie pas sur tous les toits mais je suis fier d’être du Nord. Les vieux chtis, si t’es pas de la région, tu ne comprends pas leur délire du nord. C’est génial. Il y a des chansons qu’on ne peut entonner dans des bistrots qu’avec des chtis qui ont bu quelques bières. A mourir de rire et de plaisir. J’ai offert un CD de Dany Boon en chti à ma s£ur. Son copain parisien ne comprenait rien. Le chti wallon qu’on entend parfois à Mouscron est plus sage. Notre image n’est pas positive en France car quand on parle de nous, on songe à notre langage, à nos terrils, à la bière, à la pluie, au froid, aux corons, au chômage. Moi, j’y ai forgé mon caractère et le Nord, dans sa globalité, vit pour le football avec Lens, Lille, Valenciennes, etc. Je me sentais bien dans ce milieu. Dans mon quartier, il y avait beaucoup d’étrangers. Avec le temps, comme moi, ils sont tous devenus des chtis, des français. Pourtant, plus loin, le racisme frappe. En Europe, on me traite parfois de bougnoule et en Afrique, on me qualifie de sale Blanc. C’est ainsi, je m’en fous, c’est une richesse d’être à la fois chti, 50 % français, 50 % camerounais, blanc, noir, etc. Tout cela, c’est administratif, c’est l’homme qui compte. Mon frère a décroché une sélection avec les Espoirs du Cameroun. J’aimerais être au moins une fois international camerounais. Thierry Henry a lancé une campagne médiatique contre le racisme. L’initiative n’est pas mal mais je ne sais pas ce que cela donnera. Pas grand-chose par ces temps difficiles. Je n’ai pas la solution. Il faudra attendre que la planète entière se métisse comme le Brésil. Là, le racisme est réduit à sa plus simple expression : ce serait pas mal.

En Belgique, le meilleur joueur est un métis comme vous : Vincent Kompany…

Magnifique joueur. J’ai quand même passé une jeunesse agréable dans le Nord. Après mon baccalauréat, j’ai entamé une licence en sciences commerciales que je compte continuer par correspondance. A Lens, après les équipes de jeunes, j’ai joué deux ans en Réserve. Entraîné par Daniel Leclercq, Lens était champion de France. Je m’entraînais parfois avec ce groupe mais je n’avais plus envie de patienter en attendant ma chance. J’ai fait quelques essais à Mouscron en juillet 1998 où Geert Broeckaert, l’entraîneur de la Réserve, me jugea bon pour le service.

 » Hugo Broos ne devait pas m’aimer et je ne l’aimais pas non plus  »

Qu’est-ce qui n’a pas marché entre vous et l’entraîneur de l’époque à Mouscron, Hugo Broos ?

Il ne m’a jamais fait confiance. J’étais sur le banc. Il me faisait entrer cinq minutes de temps en temps. C’était juste assez pour m’empêcher de péter les plombs et de ne pas avoir assez de temps pour arracher ma place. Quand il avait besoin d’un médian, il faisait monter Koen De Vleeschauwer dans ce secteur mais pas moi. A partir de ce moment-là, j’ai su que je ne jouerais jamais à Mouscron tant qu’il serait là. Le courant ne passait pas. Broos ne devait pas m’aimer et je ne l’aimais pas non plus. Or, j’avais les capacités pour jouer en D1. A 20 ans, je me suis d’autant plus braqué que le dialogue était nul. J’ai mon idée sur cette situation mais je la garde pour moi. Quand j’ai compris tout cela, j’ai travaillé pour moi. Je ne rentrais pas dans ses plans. Je n’ai pas terminé ma deuxième saison à l’Excelsior. Je me suis énervé en Réserve. J’ai touché un arbitre et j’en ai pris pour six semaines. Il valait mieux que je parte. J’ai été libéré en avril, tu vois. On m’a collé une étiquette de gars difficile. C’est faux. Mais, malgré cela, Mouscron garde une place en vue dans ma tête : bonnes installations, staff médical compétent, des potes, excellente entente avec l’adjoint, Gil Vandenbrouck, etc. N’empêche, je me suis dit que je ne refoutrais plus jamais les pieds en Belgique.

Après Mouscron, ce fut Créteil, Valenciennes et Grenoble : pas spécialement des pas en avant…

J’ai presque tout vécu en France. Il ne me manque que la L1 que j’ai approchée à Lens. J’ai connu la L2 avec Créteil où j’ai joué avec Michael Murcy et Grenoble avec les ex-Zèbres Bertin Tokéné et Sergio Rojas, le championnat National (D3) et la CFA (D4) à Valenciennes. J’ai eu la force de rebondir, de prouver que mon niveau était bon.

Et le salaire était à la hauteur : 40.000 euros par mois.

Non, par semaine, cela va de soi… Ouais, ouais. A Créteil, j’ai été débordé par des mecs que je ne connaissais pas. Ils m’ont chamboulé la tête alors que je discutais avec le club d’Alain Afflelou pour prolonger mon contrat. Cela a capoté et je me suis retrouvé sans rien. Or, en 2001, il y avait beaucoup de joueurs au chômage. J’ai patienté et avec mon pote Matthieu Bochu, qui a trouvé de l’embauche à la Fiorentina, nous avons loué une petite maison. A Valenciennes, ce fut la galère en CFA car on jouait dans des bleds où les terrains étaient épouvantables. En National, le niveau est bon. Les meilleures équipes de cette série pourraient jouer en D1 belge. J’ai signé deux ans à Grenoble mais le coach Alain Michel fut vite remplacé par Dominique Cuperly. Le club traversait des difficultés financières. Je voyais que cela n’allait pas marcher et, en décembre 2003, j’ai demandé à mon agent de me trouver un autre employeur. Il m’a alors parlé de La Louvière.

Alors que vous vous étiez juré de ne plus remettre un pied en Belgique ?

Au début, je ne voulais pas aller là-bas. Quand j’étais à Mouscron, on disait que c’était un club à problèmes. Puis, après avoir réfléchi, je me suis convaincu d’y aller, de participer au stage d’hiver et cela me faisait une semaine de vacances en Turquie. Là, j’ai changé d’air par rapport à Grenoble et j’ai découvert un super groupe. J’ai kiffé tout de suite cette bande de camarades et signé en janvier 2004 le contrat d’un an et demi avec une option de deux ans que me propose Roland Louf. Je redécouvrais le bonheur d’avoir de bonnes relations avec mes équipiers. Le coach, Ariel Jacobs, ne parlait pas beaucoup mais à bon escient. L’équipe était solide et bien organisée mais jouait quand même plus au feeling que cette saison. Albert Cartier rode les moindres détails, répète sans cesse les automatismes, met des stratégies en place. Je ne crois pas que beaucoup de clubs travaillent cela comme à La Louvière. La mayonnaise a tout de suite pris. Il faudrait qu’il ne reste pas trop longtemps… C’est un bon club, bien sûr, qui l’a révélé, mais il ira beaucoup plus loin.

La rumeur le cite à Anderlecht….

J’espère qu’il prendra la place d’Hugo Broos.

Oh là, c’est un tacle sévère, non ?

Non, Cartier a les épaules pour être coach dans un grand club en Belgique ou ailleurs. Il sait motiver les joueurs, vit près du groupe, n’est pas inaccessible. Et il a un côté humain qui n’est pas mal. Et tant que coach, il connaît le football. C’est un ancien grand joueur et…

Attention à ce que vous dites, il n’a pas le quart du palmarès d’Hugo Broos, ni comme joueur, ni en tant que coach…

Cartier sait de quoi il parle. Un grand joueur n’est pas forcément un bon coach. Quand je voyais Broos faire ses transversales à l’entraînement, cela me faisait plus sourire que de me laisser pantois d’admiration.

Et les transversales de Cartier ?

Il n’a pas dû en faire beaucoup…

 » Je mets le bleu de chauffe et je bosse  »

 » Allô, ici, le Standard de Liège, nous nous intéressons à vous  » : cela a dû vous faire un choc en entendant cela ?

Cela ne s’est pas passé comme cela. Mon agent m’a dit que le Standard me voulait et qu’il fallait discuter avec eux. Comme il était dans un train le 21 décembre, j’ai cru qu’il me chambrait ! Je l’ai retrouvé à la gare du Midi à Bruxelles. C’était pas une feinte et nous avons rencontré Luciano D’Onofrio, Michel Preud’homme et Pierre François. Tout a été réglé en trois jours. Mon agent m’a dit que le Standard avait un problème défensif et que je devais les aider. Les Liégeois m’ont régulièrement suivi et comme La Louvière joue toujours contre le prochain adversaire du Standard, les observateurs ont dû noter plusieurs fois mes atouts. J’ai signé pour un an et demi avec une option pour deux saisons supplémentaires.

Votre départ du Tivoli a fait moins de bruit que ceux de Manaseh Ishiaku et Michael Klukowski, engagés par Bruges. A La Louvière, quelqu’un m’a dit :  » Matthieu est un excellent médian défensif mais il doit encore être guidé « . Est-ce exact ?

Qui a dit cela ?

Daniel Camus mais c’était une remarque positive…

Ne vous en faites pas, je ne vais pas lui téléphoner. Mais le placement, c’est justement mon point fort. Je n’ai pas besoin de boussole, je ne suis pas perdu sur un terrain. Mon jeu de position, c’est un de mes grands atouts. Et c’est encore plus visible au Standard qu’à La Louvière. Cartier me demandait parfois de mettre le nez à la fenêtre, d’être présent à la percussion de loin. Dominique D’Onofrio m’a confié un rôle plus strict. Je reste dans l’axe central, devant la défense. Même si je coupe des angles, le coach me demande de rester dans l’axe. C’est dix fois plus simple que quand il faut participer aussi à la man£uvre offensive. Au Standard, il y a assez d’excellents joueurs pour remplir cette tâche. Je suis le rempart devant la défense, je récupère, j’ai plus de ballons que je donne aux autres…

C’est un travail de Chtimi…

Ouais, je mets le bleu de chauffe et je bosse. J’ai apporté mon travail dans une réflexion collective sur le jeu défensif.

Avez-vous tout de suite… kiffé le groupe ici aussi ?

Ben ouais, je kiffe ce club. C’est différent par rapport à La Louvière. Le standing n’est pas le même. Ici, il y a des obligations et des attentes plus fortes, un public nombreux, une pression, des grands noms dans le vestiaire qui ne parlent pas tous la même langue. C’est le propre des grands clubs. Les petits clubs, c’est une association de copains qui ne pensent qu’à se faire plaisir. Au Standard, il faut gagner tous les matches qui sont très médiatisés. Le potentiel est énorme mais tout le monde doit encore augmenter un peu plus son niveau. Le stage au Portugal a facilité mon adaptation. Je connaissais Vedran Runje, Eric Deflandre et Philippe Léonard pour leur parcours en France. C’est bien, mais je ne suis pas écrasé par les noms. D’ailleurs, si on m’a fait venir, c’est pour retrousser mes manches, pas pour être la cinquième roue de la charrette. J’ai des qualités à ajouter à celles des plus doués. Au Standard, on parle trop des individualités, pas assez du groupe. Quand tout le monde n’avance pas dans le même sens, toute équipe que ce soit en pâtit. Je suis un homme de collectif. Au premier tour du championnat, quand La Louvière se mesura au Standard, Cartier nous a simplement dit : -Individuellement, ils sont plus forts mais collectivement, il faudra qu’ils le démontrent. Le Standard a émergé mais a été mis en difficulté. J’ai un parcours atypique. Je sais que tout peut aller très vite dans tous les sens. Pour moi, ce n’est que du bonheur pour le moment. Je suis bien heureux au Standard et ma femme, Gypsy, qui est de min coin (mon coin en chtimi), m’a donné une petite Maëlle il y a un mois. Nous vivons des moments somptueux dans notre vie de couple. Nous vivons au calme sur les hauteurs du Sart-Tilman. Là, avec elles, je peux prendre du recul par rapport à tout ce qu’on vit dans le football.

Pierre Bilic

 » PAS BESOIN DE BOUSSOLE sur un terrain « 

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