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 » JE DOIS JOUER POUR ÊTRE HEUREUX « 

Il ne rêve pas de l’équipe nationale hollandaise et ne veut pas à tout prix jouer dans un plus grand club. Ruud Vormer se sent bien au Club Bruges et dans les environs de Gand, où il habite. Il pourrait rester ici des années, avec Roos, son épouse, Valente et Julie, ses enfants.  » On sait ce qu’on a, pas ce qu’on aura. Et ce que j’ai n’est pas si mal.  »

Après plusieurs jours de pluie, Ruud Vormer redresse la tête. Les premiers rayons de soleil depuis longtemps réchauffent son visage. Veste ouverte, mains dans les poches, il marche dans sa rue pour aller rechercher son fils de quatre ans à l’école maternelle.

Lorsqu’il voit son papa, Valente saute dans ses bras. Un peu plus tard, il se dirige, vélo à la main, vers le parc en compagnie de papa Ruud, maman Roos et de sa soeur Julie (7 mois). Pour les Belges, Valente est un Hollandais mais ses parents l’entendent souvent utiliser des expressions typiquement flamandes.

Ses copains de classe le savent : son père, c’est Ruud Vormer, le joueur du Club Bruges. Lorsque le médian arrive près de l’école, ils tapent à la fenêtre et lui font de grands signes.  » Parfois, Valente rentre à la maison en disant : Les meilleurs, c’est Gand « , rigole Ruud.  » Il l’a entendu à l’école, où on chante des chansons des Buffalos. S’il les connaît ? J’espère que non, ha ha…  »

Ruud (28 ans) et Roos (31 ans) Vormer vivent depuis deux ans dans un village des environs de Gand. Loin de l’agitation, au sein d’un environnement naturel et convivial. Il n’en faut pas plus pour faire le bonheur de Ruud Vormer.  » J’aime être à la maison ou en famille « , dit-il.  » C’est le plus important pour moi. J’ai toujours été assez casanier. Mon monde, c’était le foot, le foot et encore le foot. C’est toujours le cas. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis et mes amis actuels sont toujours les mêmes que par le passé. Ceux avec qui je suis allé à l’école primaire et avec qui j’ai joué dans mon club amateur. Plus quelques-uns, rencontrés au hasard de ma carrière. C’est très bien comme ça. Je n’ai pas envie d’entretenir un grand groupe d’amis.  »

FIER DE ROOS

Si les Vormer ont choisi un village de Flandre-Orientale, c’est pour des raisons pratiques. En 2014, lorsque Ruud a signé au Club, son épouse, Roos, terminait sa spécialisation de médecin urgentiste à Rotterdam. Pour se rendre à l’entraînement, Vormer a une demi-heure de trajet. Pour Roos, entre Bruges et Rotterdam, il y avait 200 km. Au départ de Gand, il n’y en avait que 150.

Assis à la table de la cuisine, Ruud Vormer regarde son épouse.  » Ça n’a vraiment pas été une période facile, hein ?  » Roos lui apporte un latte macchiato.  » Parfois, je me dis que nous n’aurions pas dû faire ça « , dit-elle.  » Ruud est parti à Bruges du jour au lendemain. Je lui ai dit qu’il devait le faire, que c’était sa chance. Mais je suis restée seule avec un enfant de deux ans. Ce n’était pas la vie dont je rêvais. J’ai eu du chagrin mais j’ai été forte. Si Ruud m’avait vu pleurer, il ne serait pas parti. Ou alors, il aurait souffert également.  »

RUUD VORMER :  » La plupart du temps, je n’avais qu’un jour de congé par semaine, alors je rentrais. Et quand Roos avait congé, c’est elle qui venait. On avait aussi une jeune fille au pair qui s’occupait bien de Valente. C’est grâce à ça qu’on a tenu. On était aussi un peu habitués car j’avais joué à Roda mais la différence, c’était que, cette fois, on avait un enfant. Et il me manquait, hein…  »

Roos a terminé ses études fin de l’année dernière. Depuis février, elle est médecin urgentiste dans un hôpital de Gand.  » Roos a bien bossé : suivre une telle formation tout en faisant les trajets et en s’occupant de sa famille… Je suis très fier d’elle. C’est elle qui me soutient dans tout ce que je fais.  »

RIEN QUE LE FOOT

Entre-temps, le couple a eu un deuxième enfant et la situation s’est normalisée. Vormer est devenu une valeur sûre à Bruges. Roos a trouvé du boulot près de chez elle. En septembre, il y aura dix ans qu’ils sont ensemble. Ils se sont rencontrés lors d’une fête à Bloemendaal, sur la côte hollandaise.

 » J’avais 18 ans et j’ai vu une belle femme. C’était à moi de l’aborder mais ça n’a pas été facile. Je me suis souvent rendu à Amsterdam, où elle habitait. Je savais que c’était la bonne. Mais Roosje n’était pas convaincue.  »

ROOS VORMER :  » Je n’aimais pas le football, je n’en comprenais pas le mécanisme. Je croyais que c’était juste un hobby. Je me demandais pourquoi il ne travaillait pas et comment j’allais annoncer ça à mes parents. Mais je le trouvais de plus en plus chouette et ma mère s’est montrée très positive. Elle m’a dit de voir comment les choses allaient évoluer. Tu viens de le rencontrer, ce n’est pas pour la vie. Alors, je me suis dit que j’allais lui donner une chance.  »

Avec Roos, Vormer découvre un autre monde que celui de Hoorn, petite ville du nord des Pays-Bas où il est né. Jusque-là, il n’avait jamais rien connu d’autre que le football.  » J’ai grandi dans un environnement rassurant, au sein de la famille. Il n’y avait pas de stress, seulement du foot. Je trouvais ça chouette. J’ai vraiment eu une belle jeunesse. Mais Roos était différente. Elle avait trois ans de plus, elle bougeait davantage.  »

Roos grimace :  » Qu’est-ce que tu veux dire par là ? « , demande-t-elle en secouant la tête.  » Tu veux parler du beefsteak ?  » Ils rigolent.  » Nous étions partis manger et j’avais commandé un steak « , explique-t-il. Le garçon m’a demandé si je le voulais medium. Et moi, j’ai répondu : non large. Parce que je voulais un grand morceau (rires). À l’époque, je ne connaissais rien. Au début, j’étais mal à l’aise. Je sentais les regards portés sur moi, ça ne m’était jamais arrivé. J’étais joueur et on commençait à me reconnaître. Je n’aimais pas ça du tout.  »

UNE PÉRIODE SOMBRE

Dès l’âge de douze ans, Vormer a intégré le centre de formation d’AZ à Alkmaar. Il a continué à habiter avec ses parents et, après la fin de ses études secondaires, il s’est consacré uniquement au football. À dix-neuf ans, Roda JC l’a attiré au sud des Pays-Bas. À l’époque, il y avait un an qu’il était avec Roos, qui faisait ses études à Amsterdam.

 » Roos ne me rejoignait que le week-end et on a pris un chien, Max, un dogue français. Histoire que je ne sois pas seul. Un chouette compagnon, terriblement paresseux mais tellement gentil. J’adorais le promener. Je devais littéralement le tirer. Hélas, Max est mort à quatre ans d’un cancer. Il avait des métastases partout et on a dû l’euthanasier. Ça a été terrible.  »

À Roda, Vormer devient un des meilleurs médians des Pays-Bas. Son transfert à Feyenoord constitue une suite logique dans sa carrière mais il ne va jamais y devenir le joueur qu’il aurait voulu être.  » Cette époque m’a marqué. Mentalement, ça a été très dur pour moi. Pendant deux ans, je n’ai pratiquement pas joué… Je ne me sentais pas bien. Le lundi soir, il fallait jouer avec l’équipe B devant trois spectateurs. Vous avez déjà vécu ça ? Parfois, je disais à Roos que j’allais rompre mon contrat et faire autre chose. Quand ça ne tourne pas, je peux être négatif. Je n’abandonne pas mais je réfléchis beaucoup et je suis triste. Roosje m’a fait revivre. Elle est toujours positive.

Elle me disait de ne pas abandonner, de travailler dur. Tu finiras par trouver un bon club. Et Bruges s’est présenté au bon moment.  »

ROOS:  » Ruud était devenu sombre.  »

RUUD :  » Mentalement, c’était très difficile. Roos, mes parents, mes beaux-parents et moi en avons beaucoup parlé et ça m’a aidé. Mais parfois, je n’avais pas envie de parler. Maintenant, quand je vois des gars qui ne jouent pas, je comprends leur désarroi. C’est terrible et je comprends que certains lâchent prise. Bien sûr, on se dit que tout ce qu’on peut faire, c’est donner le meilleur de soi-même à l’entraînement mais en pratique, c’est autre chose. Nous ne sommes que des hommes. Personne ne peut se donner à fond chaque jour au boulot.  »

LES CRITIQUES DU VIEUX

À l’époque où il cirait le banc à Feyenoord, ses parents lui ont aussi été d’un grand soutien. Comme tout au long de sa vie, d’ailleurs. Son père et sa mère ont assisté à presque tous ses matches.  » Ma mère surveillait mon alimentation, mon père travaillait à l’imprimerie du journal De Telegraaf et faisait les nuits afin de pouvoir venir me voir jouer le samedi avec ma mère. Il rentrait à six heures du matin et repartait à sept heures et demie.

Et si je jouais mal, je l’entendais, hein ! Il était très critique, le vieux. C’est d’ailleurs toujours le cas. Il me disait : À cause de toi, je n’arriverai pas à dormir. Je le trouvais sévère mais il savait ce qu’il faisait et aujourd’hui, je vois où il voulait en venir. J’en avais besoin. Après quelques bons matches, j’avais tendance à tomber dans la facilité, à me dire que ça irait tout seul.

Après les matches, on rentrait ensemble d’Alkmaar à Hoorn. Je me disais que j’avais bien joué puis paf, il venait avec ses remarques sur ce qui n’avait pas été. J’en pleurais, évidemment. Moi, je voulais qu’il me dise que j’avais été bon.

Aujourd’hui encore, après chaque match, je l’appelle : Et alors, le vieux, qu’est-ce que t’en penses ? S’il me dit que j’ai été bon, je suis content. Et honnêtement, ces derniers temps, il l’a souvent dit.

Pour la première fois, il m’a montré combien il était fier de moi. Mais je n’aurais pas voulu que les choses se passent différemment. Quand il me démolissait, ce n’était pas pour le plaisir. Il savait exactement ce dont j’avais besoin. Il me connaissait et voulait que je repousse mes limites au maximum. C’est bien, non ?  »

UNE VIE D’ASCÈTE

Vormer regarde par la fenêtre. Dans le jardin traînent quelques jouets des enfants et quelques ballons de football.  » Je me demande comment je serai avec Valente. J’aimerais qu’il joue au football. Mais peut-être qu’il sera médecin. Il fera ce qu’il a envie. S’il veut jouer au foot, il faudra que je l’aide au mieux. Je me demande quel genre de père je serai. Je sais que j’ai l’esprit critique. S’il ne se donne pas à 100 %, il m’entendra. Je trouve que c’est nécessaire. On doit toujours se donner à fond.  »

 » Mais tout le monde ne le fait pas, hein ! Même pas au plus haut niveau. Je le vois autour de moi, avec mes collègues. C’était le cas à Feyenoord aussi. Il y a des gens qui se contentent du minimum mais alors, il faut qu’ils soient très bons, qu’ils compensent par leur talent. Dans mon cas, c’est impossible. Je ne peux pas me donner chaque jour à 100 % mais j’axe toute ma vie sur le football. Je fais la sieste chaque midi, je surveille mon alimentation, je ne mange pas de friandises, je ne fais pas de folies et, la veille des matches, je ne pars même pas avec Roos et les enfants. C’est Timmy (Simons, ndlr) qui m’a appris cela. Il a quarante ans, hein ! Mais il tient son rang chaque semaine. Je crois qu’on sous-estime souvent ce qu’un joueur doit faire et surtout ne pas faire. La sieste, ce n’est pas toujours gai. Et ne pas manger des hamburgers quand on en a envie non plus. Je n’en mange qu’après les matches. C’est important de savoir quand on peut lâcher la bride.  »

Roos :  » Ces moments sont tout de même rares. Sauf en vacances. Et les trois premiers jours, il est insupportable.  »

RUUD :  » C’est vrai, je suis un rustre.  »

ROOS :  » Il faut qu’il décompresse, qu’il sorte de son train-train quotidien. Il regarde sans cesse sa montre : Il est midi. À quelle heure est-ce qu’on va à la piscine ? À quelle heure on mange ? À quelle heure est-ce que je vais aller courir ?  »

L’ÉQUIPE NATIONALE ? BOF !

Enfant, Vormer s’est fixé des objectifs : devenir professionnel, jouer le plus haut possible. Maintenant qu’il les a atteints, il constate qu’il est moins ambitieux. Ce n’est pas un hasard s’il a signé à Bruges jusqu’en 2020.  » Je ne nie pas qu’il est parfois difficile de voir les autres évoluer. Roos me demande parfois ce que nous ferons si un bon club allemand frappait à ma porte. Mais y aurais-je ma place ? Et y a-t-il vraiment des chances que ça arrive ? Je n’ai pas oublié l’épisode Feyenoord. Je dois jouer pour être heureux. J’ai 28 ans. On sait ce qu’on a, pas ce qu’on aura. Et je sais ce que j’ai ici : je joue chaque semaine et les supporters m’apprécient.  »

Vormer pense qu’il peut encore progresser. Il évoque cette carte jaune prise en Champions League contre le FC Porto. Il ne restait que quelques minutes à jouer et il a commis une faute stupide.  » Ils commençaient à faire tourner le ballon et ça me rendait fou. C’est le genre de choses qui m’énervent terriblement. C’est bête, évidemment, je dois apprendre à me contrôler.  »

ROOS :  » Ces cartes, on les sent arriver.  »

RUUD :  » Je me sens humilié. Si on titille mon orgueil, je tacle.  »

Quoi qu’il en soit, Vormer est devenu un joueur important en Belgique.  » Je ne m’en rends pas vraiment compte. Quand on m’accoste en rue, je me dis que c’est parce que je ne me débrouille pas si mal. Les Hollandais pensent-ils la même chose ? Je crois que oui mais, à vrai dire, je m’en fiche un peu. L’équipe nationale ? Ça ne me préoccupe pas. Ce n’est pas un rêve, vraiment. Ça ne l’a même jamais été. Ne me demandez pas pourquoi. Je suis réaliste, je vois la qualité qu’il y a en équipe nationale. Peut-être qu’aux Pays-Bas, on sous-estime le championnat de Belgique. Je ne le connaissais pas non plus avant de venir à Bruges mais aujourd’hui, je me dis qu’il est peut-être plus fort que le championnat des Pays-Bas.  »

PLUS JAMAIS SÉPARÉS

À l’époque où il jouait toujours à Roda, le médian a déjà rejeté une proposition du Lokomotiv Moscou, qui lui offrait des millions de roubles.  » Je ne le sentais pas. Qu’est-ce que j’allais faire aussi loin ? La vie y est si différente…  » On évoque la Chine et ses sommes folles. Il grimace…  » Pour autant d’argent, je partirais aussi, bien sûr. Roosje m’accompagnerait, les enfants vivraient bien en Chine.  »

ROOS : » C’est affreux. Je préférerais t’attendre ici.  »

RUUD :  » On s’est promis de ne plus jamais se séparer. Je ne veux plus vivre sans Roosje et les enfants… Non, c’est impossible. Donc, il est possible que je reste encore huit ans ici. Et je trouverais ça chouette. Vraiment.  »

PAR MAYKE WIJNEN – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Quand ça ne tourne pas, je peux être très négatif.  » RUUD VORMER

 » L’équipe nationale n’a jamais été un rêve pour moi.  » RUUD VORMER

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