« Je dois être maso »

Qui a inspiré l’entraîneur des Rouches dans son approche du métier ?

Luciano D’Onofrio

 » Je n’ai jamais voulu devenir entraîneur. Lorsque je jouais, je m’intéressais bien entendu aux divers aspects de ce métier mais devoir penser pour le gardien, les défenseurs, les médians et les attaquants… Je me disais que c’était pour devenir fou. Je suis revenu au Standard parce que Luciano me l’a demandé. Il a toujours été convaincu que j’avais les qualités nécessaires pour devenir un bon entraîneur. Il m’a convaincu d’essayer mais ce n’était pas mon idée.

Ma deuxième expérience est tout à fait différente. Cette fois, c’est Dominique D’Onofrio qui me l’a demandé. Il m’a dit que j’étais le seul qui pouvait tirer le club du mauvais pas dans lequel il était. Je n’étais donc toujours pas demandeur mais j’ai réfléchi et je me suis dit que j’étais prêt. Celui qui m’a le plus influencé est donc un homme qui n’a jamais été entraîneur ! Il n’a jamais voulu le devenir parce qu’il n’avait pas envie d’être chaque jour sur le terrain mais c’est véritablement un grand connaisseur du football. N’oubliez pas qu’il a lui-même joué au football et qu’il connaît ou est même ami avec toute une série de grands noms : Artur Jorge, José Mourinho, Marcello Lippi, FabioCapello et tous les entraîneurs avec qui il a travaillé au FC Porto. Avec eux, il a parlé de football pendant des jours et des jours.

J’ai travaillé avec lui pendant six ans, dont quatre comme directeur technique, et nous avons presque toujours exclusivement parlé de football. Nous étions assis l’un à côté de l’autre dans la tribune, nous regardions ensemble des vidéos de joueurs que nous voulions attirer au Standard et il n’arrêtait pas de me parler de Milan, de Porto ou de la Juve. Ce sont des choses qui vous marquent et il n’y a rien de plus amusant que de travailler avec un dirigeant comme lui « .

José Mourinho

 » Mes premiers entraîneurs furent RobertWaseige, Ernst Happel, Raymond Goethals et Guy Thys en équipe nationale. Il y a pire comme débuts, non ? Après, j’ai eu Aadde Mos, Ruud Krol, Georges Leekens et Fi Van Hoof à Malines puis, en équipe nationale, PaulVan Himst et un tout petit peu WilfriedVan Moer. Rien que des grands noms aussi, donc. A Benfica, j’ai eu Jorge, Mario Wilson – moins connu mais très psychologue avec le groupe -, Manuel José – un grand nom au Portugal – et Graeme Souness. Quand je suis devenu dirigeant, j’ai travaillé avec Jupp Heynckes et Mourinho. Savez-vous que c’est moi qui ai lancé Mourinho ? C’est même écrit dans sa biographie.

Mourinho avait un ami qui était ancien journaliste à A Bola et conseiller du président de Benfica. Lors de ma première année comme directeur des relations internationales, j’ai rendu visite à tous les grands clubs d’Europe : Paris-SG, Marseille, Milan, Inter, Juventus, Manchester, Liverpool, Barcelone, Anderlecht. Je n’ai pas eu le temps d’aller au Real. A Barcelone, j’étais accompagné de cet ami de Mourinho. Il m’a dit : -Pourquoi ne parles-tu pas avec José ? Il était traducteur de Bobby Robson, dont il allait devenir l’adjoint par la suite, avant de travailler avec Louis van Gaal. Nous avons pris rendez-vous et nous avons discuté de football pendant tout l’après-midi dans un salon de l’hôtel. Il m’impressionnait et il me disait qu’il se sentait prêt à devenir entraîneur.

J’avais toujours cette conversation en tête lorsque je suis devenu directeur du département football de Benfica. J’étais l’homme du président. A un certain moment, avec Heynckes, cela n’allait plus. Le président m’a dit : -Michel, il me faut un autre entraîneur. Qui me conseilles-tu ? Comme je sentais ce moment venir, j’y avais déjà réfléchi toute la nuit. J’ai répondu : -Président, vous avez le choix entre quatre profils. Ou il choisissait quelqu’un de connu et d’apprécié du public comme Toni, un ancien joueur du club que tout le monde attendait. Ou il prenait un grand nom étranger qui allait lui coûter beaucoup d’argent. Ou il prenait un étranger moins cher mais bon. Ou finalement un jeune Portugais plein de talent, comme Mourinho. Pour chaque profil, je lui ai donné un nom et je lui ai dit que c’était à lui de choisir.

Alors que nous parlions, il a dû partir d’urgence à une réunion avec un ministre. Il m’a donc fait attendre dans son bureau. Il est revenu quelques heures plus tard en disant : – On prend Mourinho ?

Ce soir-là, vers 20 h, je l’ai appelé et lui ai demandé de venir à Lisbonne. Il était dans le nord du Portugal. Nous avions rendez-vous à minuit dans un restaurant. Nous avons parlé pendant deux heures et nous sommes allés voir le président pour rédiger le contrat. A 3 h du matin, j’ai appelé Carlos Mozer, un ancien joueur de Benfica, en lui demandant s’il voulait devenir adjoint. A 6 h, tout était signé et à 8 h, nous présentions Mourinho au cours d’une conférence de presse. Ce fut le début de sa carrière d’entraîneur. Nous nous connaissons bien mais n’avons pratiquement plus de contact, si ce n’est par l’intermédiaire d’amis communs. Il y a quelques années, Carl Huybrechts, avec qui j’avais commenté des matches de Ligue des Champions pour la VRT, m’avait demandé si je pouvais organiser une interview exclusive de Mourinho. Il m’a dit qu’il était trop occupé mais qu’il m’attendait pour prendre un verre à l’hôtel avec lui. Sans journaliste. Je n’y suis donc pas allé mais je le comprends.

Après quatre ou cinq mois, Mourinho a démissionné. Un nouveau président était arrivé et il avait promis d’amener Toni comme entraîneur s’il remportait les élections. L’option qui figurait dans le contrat de Mourinho n’aurait donc pas été levée et il est parti de lui-même. Deux mois plus tard, je m’en allais aussi « 

Happel & Goethals

 » De tous mes entraîneurs, quatre m’ont marqué : de Mos, Waseige, Happel et Goethals. De Mos pour sa combativité et sa capacité à former un groupe ; Waseige pour la façon dont il disait toujours la vérité tout en sachant protéger son groupe. Il était différent de de Mos, qui était beaucoup plus agressif ; Happel pour son football offensif et Goethals pour son organisation ainsi que pour sa façon de toujours mettre le doigt sur les points qui faisaient mal à l’adversaire.

Les gens se disent sans doute qu’un ancien gardien est automatiquement un entraîneur défensif. C’est oublier que j’ai eu face à moi 300 ou 400 attaquants. J’ai donc également vu leurs déplacements et la façon dont ils pouvaient me faire mal, à moi ou à ma défense. J’aime le football vertical, la profondeur. Et Luciano est encore dix fois pire que moi : pour lui, on ne devrait jamais faire une passe en retrait. Happel disait que nous devions dominer et prendre les risques qui s’imposaient. Parfois, c’était un peu trop. Je me souviens d’une défaite 3-0 à Berchem où deux adversaires se présentèrent seuls devant moi parce qu’il n’y avait plus d’équilibre dans l’équipe. C’est important, l’équilibre.

Pour pratiquer un football offensif, on dépend beaucoup du potentiel que l’on a à sa disposition. On a mal compris mes critiques après le 0-0 contre Roulers. Je n’en voulais ni au club, ni à Dirk Geeraerd. S’ils veulent jouer de la sorte parce qu’ils ont besoin de points ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement, c’est leur affaire. J’étais seulement fâché parce que, par dessus le marché, on les autorisait à recourir à des tas de petites ficelles. C’est donc à l’arbitre que j’en voulais. C’est la grande différence avec Glen De Boeck qui, lui, a directement critiqué Roulers. On ne pouvait dès lors pas comparer nos déclarations.

Il ne faut pas oublier que je n’ai encore entraîné que le Standard. Je ne tiendrais donc peut-être pas le même discours si j’avais travaillé ailleurs. J’ai, dans mon noyau, des joueurs qui me permettent de pratiquer un beau football. Si j’entraînais Roulers, je ferais peut-être comme Geeraerd. Mais ce n’est évidemment pas ce que je préfère. Je veux toujours essayer de construire, c’est dans ma nature.

Pourquoi ? Parce que c’est plus difficile. Je dois être un peu maso à toujours vouloir prendre le chemin le plus compliqué. Il est plus facile de s’organiser et de s’adapter à l’adversaire que de trouver les solutions pour attaquer sans se faire hara-kiri. Il est important de bien défendre mais, quand on a la balle, il faut savoir faire mal à l’adversaire. Celui qui s’adapte part du principe que l’adversaire est plus fort et ne songe qu’à lui mettre des bâtons dans les roues. Il se bat contre quelque chose. Pratiquer un jeu offensif, c’est se montrer créatif, courir afin de créer des espaces et d’inscrire des buts.

Lorsque j’étais joueur, je n’ai jamais pris de notes d’entraînements. Je ne consulte pas non plus beaucoup de livres mais j’ai lu celui d’ Herman Vermeulen. Lorsque je suis revenu en Belgique, tout le monde parlait du système Sollied et, lors de mon quatrième match, nous devions aller à Bruges. J’ai donc étudié le bouquin et cela m’a beaucoup aidé.

Ce jour-là, j’ai joué avec quatre attaquants : AliLukunku et Ole Martin A arst au centre, IvicaMornar à droite et MikaGoossens à gauche. En perte de balle, Mornar et Goossens devaient suivre les arrières latéraux. Je m’étais adapté au Club Bruges mais dans l’optique de lui faire mal. J’aurais pu me contenter de placer des médians sur les flancs mais je voulais gagner. Après une demi-heure, Goossens a été exclu. Nous étions dix, nous avons été menés au score, nous sommes revenus et nous avons encore eu des occasions de faire 1-2 « .

Wenger & Benitez

 » Etre entraîneur, c’est se montrer ouvert, ne pas croire qu’on sait tout. Le football est en constante évolution. Quelqu’un a dit : – Rien ne se gagne, rien ne se perd, tout se transforme. En d’autres mots : tout est déjà là. On n’invente pas les choses mais on peut les assembler différemment. Pour cela, il faut avoir une ouverture d’esprit, apporter sa touche personnelle à ce qui existe déjà.

Aujourd’hui, deux entraîneurs m’inspirent énormément. Depuis des années. D’un point de vue offensif, je prends exemple sur Arsenal. Pour l’aspect défensif des choses, c’est Liverpoool. ArsèneWenger et RafaelBenitez, donc.

Arsenal joue dans les espaces. C’est la verticalité vers laquelle tend le Standard, avec moins de qualité, bien sûr. En ce sens, je ressemble peut-être davantage à Wenger mais j’ai une grande admiration pour Benitez car j’ai besoin de ses idées pour l’équilibre de mon équipe. Evidemment, il n’est pas évident de mettre tout cela en pratique chez nous mais je pense que StevenDefour et MarouaneFellaini auraient leur place à Liverpool ou Arsenal. L’idée de base sur laquelle repose notre football est, en tout cas, identique. Demandez à Steven quelle est son équipe favorite et il vous répondra – Arsenal.

J’ai déjà parlé quelques fois à Wenger et je le connais. Mon rêve serait de le rencontrer une nouvelle fois et de lui demander comment il travaille cette verticalité. J’ai ma manière, nous avons créé des exercices spécifiques mais il a peut-être d’autres idées. Cela m’enrichirait énormément de les découvrir et je suis certain qu’il me les expliquerait volontiers car Wenger est un homme très ouvert et très agréable. Je dois seulement trouver le temps d’aller à sa rencontre… « 

par jan hauspie – photos: reporters

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