« Je dis la vérité »
Le Français parle de ses défauts, de ses qualités, de ses entraîneurs, de l’interview Vande Walle et du racisme.
Une énorme Audi parquée sur le trottoir dans une petite rue de Charleroi, pas très loin du stade du Sporting. Immatriculée en Roumanie : souvenir du passage de Habib Habibou (21 ans) au Steaua Bucarest. Une caisse pareille dans un quartier où on ne roule pas sur l’or, ça attire les regards. Et les cambrioleurs. Habibou ouvre la porte, il n’est pas seul : un employé d’une compagnie d’assurances est venu constater les dégâts. En février, le soir du match Cercle-Charleroi, on s’est introduit dans l’appartement de l’attaquant français et on s’est servi : écran plat, ordinateur portable, PlayStation, i-phone, etc. Un butin de plus de 3.000 euros.
Habibou garde le sourire. Pendant qu’il répond aux questions de l’assureur, il jette régulièrement un £il sur l’écran de sa nouvelle télé. Un documentaire sur Thierry Henry, du temps de sa splendeur à Arsenal… La Premier League l’a toujours branché et reste son rêve ultime.
Portrait du buteur maison des Zèbres, d’un gars qui fut autrefois considéré comme une promesse potentielle du foot français. La preuve : il fut recruté par le célèbre centre de Clairefontaine, le terroir doré de la FFF.
Tu es arrivé à Clairefontaine en 2000, deux ans après la victoire de la France à la Coupe du Monde. C’était l’euphorie totale, là-bas !
Habib Habibou : Bien sûr. Je me suis pointé avec mes parents et nous avons directement fait une photo devant la réplique de la Coupe du Monde, installée à l’entrée du centre. Je logeais à l’internat de Clairefontaine et je jouais le week-end avec mon club, Vincennes. Je n’avais que 13 ans mais je bossais dans une structure pro. Plusieurs des joueurs que j’ai côtoyés là-bas sont devenus professionnels plus tard. Le plus connu, c’est Hatem Ben Arfa. Il y avait aussi Jérémy Taravel, qui joue maintenant à Zulte Waregem. En 2001, le Paris Saint-Germain est venu me chercher : j’y ai passé quatre ans et je terminais systématiquement meilleur buteur de la série. En -15, j’ai même été meilleur buteur de ma catégorie, pour toute la France. Je planais, j’ai cru que rien ne pouvait m’arriver et j’ai finalement dû quitter le PSG sans avoir atteint le noyau pro : ça restera toujours un regret.
Tu es à Charleroi depuis 2005 mais tu éclates seulement cette saison : explique-moi ce retard à l’allumage.
Dans ma tête, ça n’a pas toujours suivi. Tout s’est bien passé la première saison, en Réserve : j’ai mis plus de 20 buts. J’avais un guide exceptionnel : Didier Beugnies. Il a toujours cru à fond en moi. Après un an, Jacky Mathijssen m’a fait monter dans le noyau de Première. Mais j’ai directement eu beaucoup de mal à gérer la pression. Elle m’écrasait. Mathijssen était convaincu que je pouvais réussir mais il ne m’épargnait pas. C’est le seul entraîneur qui a failli me faire pleurer. Plus d’une fois. Ses mots me blessaient terriblement : -Tu n’es nulle part (…) Je n’en ai rien à foutre de toi (…) Tu dois jouer comme je le veux et pas comme tu l’as décidé (…) Tu vas retourner vite fait en Réserve (…) Ici, tu es dans une équipe de foot. Je prenais régulièrement ses quatre vérités en pleine gueule ! Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre et accepter qu’il avait raison. Si j’avais eu à l’époque le mental que j’ai aujourd’hui, j’aurais percé plus tôt avec Charleroi.
Tu n’as jamais eu envie de te rebeller quand Mathijssen te matraquait ?
Je savais que si je réagissais mal, je me mettais illico hors-jeu. Je devais simplement apprendre un truc que je n’avais jamais maîtrisé : être patient, arrêter de vouloir brûler les étapes.
D’abord jeune fou, ensuite joker, enfin titulaire
Comment expliques-tu que ça se passait toujours bien pour toi en préparation mais pas en matches officiels ?
C’est vrai que j’étais chaque fois bon en été. Je marquais beaucoup de buts. Mais il y avait un blocage dès que le championnat commençait. Je me mettais en tête que ça allait être insurmontable pour moi vu que le club avait transféré des attaquants et en avait d’autres plus réputés que moi dans le noyau. Je me mettais une pression… mystique.
C’est-à-dire ?
Un truc bizarre, je n’arrive pas à l’expliquer. C’était une grosse peur de mal faire.
Il y a eu un déclic cette saison : ton explication ?
L’explication est du côté de Bucarest. J’ai passé le deuxième tour de la saison dernière au Steaua et cette expérience m’a complètement transformé. Je suis arrivé seul en Roumanie. J’étais le plus jeune du noyau. Je ne parlais pas la langue. Les premières semaines, personne ne m’adressait la parole. A l’entraînement, on ne me faisait pas de passes. C’était la guerre et il n’y avait aucun cadeau pour moi. Je suis allé trouver le président et l’entraîneur, je leur ai dit : -Hé, je suis là, hein. J’existe. Je me suis demandé où j’étais tombé. Il faisait moins 20, c’était la galère à tous points de vue. J’avais deux possibilités : accepter de sombrer ou m’obliger à grandir. Je me suis remis en question, j’ai écouté et j’ai bossé comme un fou. Je suis entré dans l’équipe et j’ai marqué. Humainement, ce fut très dur là-bas. A refaire, je ne le referais certainement pas. Mais je ne regrette quand même pas mon détour par la Roumanie parce que j’y ai complètement bouleversé mon état d’esprit. Je suis revenu à Charleroi avec une nouvelle mentalité.
Quand as-tu compris que cette saison serait celle de l’éclosion ?
Dès mon retour. Charleroi avait transféré des attaquants mais j’ai directement dit autour de moi que je voulais devenir le numéro 1. Dans ma tête, j’étais prêt parce que j’avais réussi mon examen à Bucarest. Thierry Siquet n’était pas de mon avis, je n’étais vraiment pas incontournable pour lui. Je ne me suis pas inquiété, je savais que mon tour viendrait. Seulement un peu énervé par moments : quand on a commencé à me considérer comme le joker idéal. Je rentrais et je marquais, ça semblait convenir à Siquet. Pas à moi : je voulais commencer les matches. Je voyais des attaquants qui passaient à travers pendant trois ou quatre matches d’affilée et qui restaient dans l’équipe : c’était difficile à accepter mais il fallait que je me calme. J’ai reçu une vraie chance contre Tubize, en novembre : j’ai marqué trois buts. Après cela, je suis resté titulaire. Il fallait apparemment ce hat-trick pour qu’on commence à croire en moi. Le coach mais aussi mes coéquipiers : ils se sont mis à jouer pour moi alors que ce n’était pas le cas avant. Ils m’avaient toujours considéré comme un jeune un peu fou, fou.
» Lacatus me compare à Adebayor. Il n’est pas le seul «
On te compare maintenant à Emmanuel Adebayor : fantastique !
Marius Lacatus, mon entraîneur au Steaua, faisait souvent la comparaison. Il me disait que j’avais le même gabarit et la même façon de courir. Mais je n’ai pas dû attendre d’aller en Roumanie pour qu’on me compare à ce joueur. A Paris, on me surnommait déjà Ade. On me disait : -Tu es grand comme lui et tu marches comme lui. Je répondais : -Heureusement que je suis plus beau que lui…
Qui t’inspire le plus ?
Adebayor n’est pas le seul. Je passe des soirées entières à regarder des résumés de matches à l’étranger et j’observe les mouvements des meilleurs attaquants du monde. Je retiens tout et j’essaye de faire la même chose à l’entraînement et en match. Je ne rate rien de Zlatan Ibrahimovic, de Cristiano Ronaldo et d’Henry.
A quoi ressemble le but que tu rêves de marquer dans un grand match ?
Une grosse frappe à la Cristiano Ronaldo ou à la Ibrahimovic. Ou une super reprise de la tête comme Adebayor sait en faire. Ou un goal marqué après avoir pris toute la défense de vitesse, comme Henry ou Samuel Eto’o. Il y a aussi les frappes de l’extérieur du pied de Ricardo Quaresma : le maître.
Tu es au courant que Siquet vient de retrouver du boulot ?
Non.
Il entraîne maintenant Bertrix, en Promotion.
Bonne chance à lui, alors.
Comment expliques-tu que ça n’ait pas marché pour lui à Charleroi ?
Parce qu’il ne savait pas se faire respecter. Il avait joué avec certains gars du noyau et ça a peut-être compliqué sa tâche. Il n’avait pas l’autorité de Mathijssen ou de Collins.
Mais il y a des entraîneurs qui font des bons résultats en laissant beaucoup de libertés à leurs joueurs. Comme Trond Sollied.
C’est possible mais tout dépend de la mentalité du groupe.
En novembre, quand Siquet est publiquement menacé par le président, vous allez gagner au Standard et tous les joueurs disent qu’ils se sont défoncés pour sauver le coach. Mais en janvier, au retour du stage en Turquie, tout le monde dit que les entraînements sont beaucoup mieux avec Collins. En lisant ces interviews, on a l’impression qu’il n’y avait rien de bon avec Siquet. C’est étonnant.
Au moment du match au Standard, tout le groupe était encore derrière Siquet. Ensuite, la situation a évolué et il n’avait plus qu’une partie du vestiaire pour lui. Quand un groupe est divisé à ce point-là à propos de l’entraîneur, ce n’est jamais bon. Avec Collins, si tu es bon, tu es sur le terrain. Si tu es mauvais, tu ne joues pas. Il veut des bosseurs et il est énormément respecté.
Tu sais où vous jouerez votre dernier match de la saison ?
Oui, à Dender.
C’est peut-être là-bas que Charleroi devra se sauver !
Ce serait alors un match très intéressant, ça se jouerait à pile ou face.
par pierre danvoye – photos: reporters/ gouverneur
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