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 » Je devais me battre pour que le terrain soit tondu « 

L’ex-entraineur malinois explique en détails ce qui a mené à la faillite sportive d’un club historique. Une plongée au coeur de l’amateurisme et l’instabilité en vigueur dans le football belge.

Yannick Ferrera ne veut pas perdre de temps. Et pourtant, il commence à le trouver long. Sans club depuis la fin du mois d’octobre, l’ex-coach de Malines et du Standard dit ne pas avoir chômé pour autant. Il a voyagé, étudié ce qui se faisait ailleurs, s’en va bientôt à la rencontre de Roberto Donadoni puis de Jurgen Klopp, et s’est remis en question après l’échec malinois. Cette descente, il l’a aussi et encore sur la conscience. Depuis quelques semaines, Yannick Ferrera a retrouvé une activité médiatique relativement intense, après avoir été épinglé par ses anciens dirigeants, Johan Timmermans (président de Malines) en tête, qui l’ont rendu responsable de nombreux maux. Pour Sport/Foot Magazine, il a choisi de rétablir la vérité. Du moins sa vérité. Rencontre.

À Malines, quand un joueur n’est pas très content, il va frapper à la porte d’un dirigeant et on l’écoute. Essaie de faire ça avec un D’Onofrio…  » Yannick Ferrera

Depuis ton licenciement à Malines, tu as eu des contacts avec des clubs belges ?

YANNICK FERRERA : Le soir-même de mon renvoi à Malines, le 23 octobre, j’ai rencontré les dirigeants de Courtrai. Et deux jours après, je les ai appelés pour leur dire que ce n’était pas le bon moment. J’avais besoin de faire un break, d’étudier de nouvelles choses. J’ai également été contacté par un autre club belge dans le courant du mois de décembre, mais par respect pour le coach en place, je préfère ne pas en parler.

Tu penses que c’est mort pour toi en Belgique ?

FERRERA : Je ne sais pas. Quel club cherchera un coach d’ici l’été ? Le plus important si un club me contacte est que ce club ait un projet ambitieux et une bonne structure. Je n’ai plus envie de devoir me battre tous les jours pour que le terrain d’entraînement soit tondu.

C’était le cas à Malines ?

FERRERA : Un exemple : quand j’ai signé dans ce club, les joueurs avaient pour habitude d’arriver 1h30 avant le début de la rencontre le jour du match. Ils ne mangeaient même pas ensemble.

Comme en provinciales…

FERRERA : Oui. Moi j’ai instauré qu’on arrive 3h45 avant une rencontre, que l’on mange tous ensemble un quart d’heure plus tard. Les joueurs ont apprécié, les dames qui cuisinaient pour nous dans des conditions difficiles ont fait de leur mieux, mais je sais que d’autres personnes pensaient : -il se prend pour qui lui ? En championnat, on joue sur des terrains qui sont tondus et arrosés, j’ai demandé 1000 fois, gentiment, qu’on dispose des mêmes conditions. J’ai même supplié que le directeur général en parle au jardinier. Rien. Un an après mon arrivée, je devais encore me battre pour que le terrain soit tondu. Un président doit quand même se dire : -je paye mes joueurs pour qu’ils jouent au foot et je dois donc les mettre dans les meilleures conditions possibles. Mais au final, c’était moi l’emmerdeur. Les autres coaches arrivés par après s’en foutaient, paraît-il. Après mon licenciement, je recevais des messages de joueurs qui se plaignaient toujours de la hauteur de l’herbe.

 » Timmermans m’a appelé pour me remercier  »

Le président de Malines, Johan Timmermans ne t’a pas loupé dans la presse.

FERRERA : Il avait déjà fait ça avec Renard, Jankovic, qu’il a été rechercher par après. Pourquoi ? Je ne sais pas. Surtout que deux mois avant cette sortie, il m’avait encore appelé pour me remercier pour le transfert de Bandé : -tu reviens quand tu veux et tu t’assieds à côté de moi au stade, m’avait-il dit. Et puis, tu balances ça dans la presse ?

Il semble assez instable.

FERRERA : Il est très émotionnel en tout cas.

Qu’est-ce qu’il te reprochait exactement ?

FERRERA : Il a raconté que lors du dernier match des PO2 à Saint-Trond la saison dernière, j’avais moi-même annoncé aux joueurs qui devait quitter le club. Ça faisait des mois qu’on savait que certains joueurs devaient quitter le club. Il s’agissait de Verdier, Paulussen, Schouterden, Peffer et Callebaut. Verdier, je l’ai pris à part car il est francophone ; les autres, on les a pris ensemble dans le bureau. Rik (Vande Velde, directeur sportif à Malines, ndlr), Fi (Van Hoof, institution du club, ndlr) et moi. Dans la manière, ce n’était pas top car c’était très impersonnel, alors que l’on aurait dû les recevoir un par un. Rik m’avait dit qu’on devait faire ça avant le match car après, on ne saurait plus attraper les joueurs car ils seraient directement partis en vacances. Et aujourd’hui, on me reproche ça.

Avec le président Malinois Johan Timmermans :
Avec le président Malinois Johan Timmermans :  » Il ne m’a pas loupé dans la presse. Pourtant, deux mois plus tôt il m’avait encore appelé pour me remercier pour le transfert de Bandé « .© BELGAIMAGE

J’ai appelé le président, qui les trois premières fois ne m’a pas répondu mais bien la quatrième fois, en lui demandant : -pourquoi vous mentez comme ça ? Il m’a répondu : -on m’a dit au club que… Et dans ce même article, il disait que j’étais seul responsable de certaines décisions fâcheuses alors que trois lignes plus bas, il affirmait que toutes les décisions se prenaient de façon collégiale. Il se plaignait aussi que je voulais que le terrain soit tondu. C’est un peu normal non ? C’est vrai qu’à une reprise, on ne s’est pas entraîné, après des dizaines de demandes. On a été courir et on a été faire de la muscu. De cette manière, on a souhaité marquer le coup.

Comment expliques-tu une aussi grande différence entre ta première saison à Malines où vous loupez les PO1 d’un match et la seconde qui est catastrophique ?

FERRERA : D’autant que l’équipe avait été renforcée. On perdait Verdier mais on avait en plus Bandé, Pedersen, Ganvoula, Schoofs alors que les options d’El Messaoudi et de Kolovos avaient été levées. Je pense qu’inconsciemment, les joueurs se sont dits que ça allait rouler et ils en ont fait moins. Trop de joueurs pensaient avoir un statut. Tu vois dès cet instant que les mecs sont tranquilles. C’était représentatif de l’état d’esprit. Et c’est vrai que ces trois points sur neuf pour débuter, ça n’était pas un drame : on avait reçu le Standard et Gand et on avait été à Beveren. Et lors de la réception de l’Antwerp, tout le monde pensait que ça allait aller sans casse et c’est vrai qu’au niveau du jeu et des occasions, on les a dominés largement mais au bout du compte, on perd 1-2. Et puis, on s’est rendu à Genk où on a perdu. Et on s’est retrouvé avec 3 sur 15 avant la trêve internationale. La panique s’est alors installée.

Ceux qui osent parler d’arrogance en ce qui me concerne n’ont jamais été proches de moi.  » Yannick Ferrera

 » J’ai voulu avancer à ma vitesse  »

Qu’est ce que tu te reproches ?

FERRERA : J’ai voulu avancer à ma vitesse alors que j’aurais dû m’adapter à leur vitesse. D’un autre côté, si on a presque atteint les PO1 la saison dernière, c’était en grande partie parce qu’on nous a laissé travailler et avancer.

De l’extérieur, le contraste semble assez fou entre la structure minimaliste et l’imposant public qu’il y a autour de ce club.

FERRERA : Pour moi c’est le meilleur public que j’ai connu. Il y a plus de bruit au Standard mais celui de Malines supporte son équipe jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. D’ailleurs, jusqu’à la fin, le public malinois a continué à me soutenir. Mais depuis la sortie de Timmermans et celle d’un des icônes du club, Piet den Boer, la perception que les supporters ont de moi a peut-être changé…C’est à voir.

Pourquoi Piet den Boer s’en est également pris à toi ?

FERRERA : Je vais t’expliquer. Il y a quelques semaines, sur le plateau d’Extra Time, j’ai apparemment égratigné la Review Commission pour avoir donné un simple avis sur une faute d’Harbaoui. Piet Den Boer, qui fait partie de cette commission, n’a pas dû apprécier et s’en est pris à moi dans un article de presse. Et puis, il fallait aussi que la direction malinoise se trouve un coupable. Den Boer a dit que j’avais dénaturé le jeu de Malines. Mais sur les 11 premiers matches, on était dans le top 3 des équipes qui frappaient le plus au but. Mais par contre au niveau de l’efficacité, ça coinçait sérieusement. On jouait bien, on se créait des occasions. Avec des Schoofs, des El Messaoudi, tu vas faire quoi : balancer des longs ballons ?

Yannick Ferrera :
Yannick Ferrera :  » Mon seul véritable échec jusqu’à présent, ce sont les 8 points sur 33 de ce début de saison avec Malines « .© BELGAIMAGE

 » J’ai commis une grosse erreur de communication  »

On te reproche régulièrement d’être quelqu’un d’arrogant.

FERRERA : Je n’ai jamais compris pourquoi. Donne-moi un cas précis.

En début de saison, tu as quand même dit dans la presse que tu étais prêt pour un grand club.

FERRERA : C’était avant le match contre Anderlecht. Le journaliste du Laatste Nieuws me demande : -Es-tu prêt pour un grand club ? Je me suis d’abord dit à voix basse -Mais pourquoi cette question, j’ai quand même déjà travaillé dans un grand club et j’y ai même remporté un trophée. Et j’ai répondu : -j’ai déjà remporté un titre dans un grand club, bien sûr que je suis prêt, à 200%. Le titre qui est paru :  » Je suis prêt pour un grand club « . Je comprends qu’à Malines, on n’apprécie pas ce genre de sortie, d’autant que sur la photo, j’avais accepté de laisser mes lunettes de soleil. C’est une erreur de communication de ma part et une belle connerie. Maintenant pour en revenir au mot arrogant, tu connais beaucoup d’entraîneurs qui interdisent aux femmes de ménage de nettoyer le vestiaire quand les joueurs l’ont laissé dans un état lamentable ? Et qui force ses joueurs à s’habiller le lendemain dans ce même vestiaire dégueulasse pour qu’ils apprennent à respecter les gens qui travaillent pour eux ?

Ceux qui osent parler d’arrogance en ce qui me concerne n’ont jamais été proches de moi. Interroge les cuisiniers, responsables du matériel et femmes de ménage de tous les clubs dans lesquels j’ai travaillé et tu sauras qui je suis comme personne. Si tu veux cerner la vraie nature de quelqu’un, regarde la façon dont il traite les personnes qui lui sont hiérarchiquement inférieures.

Tu penses encore aujourd’hui que ton passage au Standard était une réussite ?

FERRERA : Oui, au vu du contexte. J’ai repris une équipe qui venait de perdre 7-1 à Bruges et qui, au final, gagne la Coupe. Et je suis viré quelques jours après un 2-2 à Bruges que l’on domine. En début de saison je jouais avec Tetteh et Mmaee. Avec les moyens du bord, ce n’était pas si mal. Mon seul véritable échec jusqu’à présent, ce sont les 8 points sur 33 de ce début de saison avec Malines.

Tu sentais que tu allais sauter ?

FERRERA : Quelques jours avant mon renvoi, j’ai eu une discussion très positive avec le président et le directeur financier. Par la suite, ils ont rencontré le groupe des joueurs et m’ont dit que l’entretien avait été également positif et qu’ils voulaient construire l’avenir avec moi. Et quelques joueurs après, au lendemain d’Eupen, j’étais dehors. On avait perdu 4-1 en se créant pas mal d’occasions. Mais pour la première fois, je sentais dans le vestiaire que les joueurs étaient perdus. On était avant-dernier, mais on ne pouvait que remonter la pente. Je voyais dans leurs yeux que ça allait changer. Jamais je ne m’attendais à ce que ce club descende.

 » Le Standard a corrigé le tir cette saison  »

Pourrais-tu hiérarchiser les problèmes de Malines ?

FERRERA : Quand un joueur n’est pas très content, il va frapper à la porte d’un dirigeant et on l’écoute. Essaie de faire ça avec un D’Onofrio… Quand on donne le pouvoir aux joueurs, ça devient compliqué.

Tu avais déjà connu ce problème au Standard…

FERRERA : Oui. Et le Standard a corrigé le tir cette saison. À Malines, les joueurs n’étaient pas des connards. Loin de là. Mais quand tu leur donnes trop de pouvoir, ils n’hésitent pas à en faire un peu moins.

Tu as senti un gouffre entre les conditions de travail au Standard et celles à Malines ?

FERRERA : Bien sûr. Il suffit de voir le bureau des coaches au Standard et le cagibi à Malines quand je suis arrivé. Mais je voyais que les joueurs avaient une bonne mentalité et qu’il y avait de la qualité.

Tu n’avais pas le sentiment d’avoir, les dernières semaines, le groupe à dos ?

FERRERA : Non pas du tout. J’ai eu un accrochage avec Vitas que j’ai sorti à la mi-temps de Malines-Anderlecht où on était menés 1-4. Il s’est mis à gueuler mais une semaine plus tard, on est allé au resto, on s’est expliqué. Quelques jours après mon renvoi, Seth De Witte m’a même appelé en disant qu’il lisait à gauche-à droite que c’était de la faute des joueurs que j’avais été licencié. Il voulait me rassurer. Aujourd’hui, je suis encore en contact avec plein de joueurs.

Yannick Ferrera :
Yannick Ferrera :  » Peut-être que le fait d’être jeune et sûr de moi ou de ne pas avoir été joueur pro dérange certaines personnes « .© BELGAIMAGE

 » En Belgique, tout le monde se sucre  »

Comment tu expliques la baisse de niveau du foot belge ?

YANNICK FERRERA :C’est assez simple. Depuis maintenant plusieurs années, les trois ou quatre meilleurs du championnat quittent notre compétition chaque saison. Et qu’est-ce qui rentre dans notre pays ? Très souvent des joueurs étrangers de seconde zone. Ils arrivent dans des clubs comme Beveren, Courtrai, ou Malines. Mais ce sont ces joueurs-là qui, par après, vont remplacer les meilleurs dans les grands clubs. Alors certains en ont les qualités, mais pas tous. Ce qui fait que d’année en année, le niveau baisse.

Tu avais un poids dans les transferts à Malines ?

FERRERA :Oui je donnais mon avis. Et le seul joueur qui a été choisi par moi, et même si tout le monde était d’accord pour le prendre sur le moment, c’était Faycal Rherras. Et ça a été un échec, il est arrivé en surpoids. Mais il n’a jamais joué que neuf matches, je pense pas qu’il soit la cause de la descente. À côté de ça, il y a aussi Bandé qui a fini meilleur buteur et qui est le transfert sortant le plus cher de l’histoire du club. J’ai dû me battre il y a un an pour que le club lui offre un contrat minimum.

Tu n’as pas peur d’avoir la réputation d’être un entraîneur trop défensif ?

FERRERA :Je ne dirais pas offensif ou défensif. Mais il y a des entraîneurs d’action et de réaction. Et j’ai trop souvent été un entraîneur de réaction, qui s’adapte à l’adversaire. C’est un aspect que je suis en train de changer grâce à des analyses et des rencontres avec des coaches très intéressants.

Les joueurs du Standard avaient parfois l’impression qu’ils allaient affronter le Real Madrid à t’entendre décrire l’adversaire.

FERRERA :À l’inverse, eux ne savaient jamais contre qui ils allaient jouer. Tu jouais contre Beveren, ils s’en foutaient un peu. Mais j’ai changé pas mal de choses dans mon coaching avec le temps. Dans la gestion humaine notamment. J’emmerde moins les joueurs avec des vidéos de l’adversaire. Quelque part, vu mon passé d’analyste, il était un peu normal que je cherche la bonne méthode lors de mes premières années de coaching.

Quelle est ta référence actuellement en matière de coaching ?

FERRERA : Guardiola. C’est phénoménal ce qu’il réalise. Et qu’est-ce que ça bosse au niveau des courses. Quand tu vois comment il arrive à faire courir des Sterling ou Sané. Dans les équipes de Guardiola, les egos sont mis de côté quand il s’agit de monter sur le terrain. Maurizio Sarri me plaît beaucoup aussi. Klopp est davantage dans la réaction, mais qu’est-ce que ça va vite en contre-attaque. Ils attendent dans le bloc médian, mais quand ils repartent ce n’est pas à 2 ou à 3, ils sont 5-6. C’était déjà comme ça à Dortmund.

Tu ne crains pas de souffrir d’un manque de légitimité ?

FERRERA :Lors de ma première année à Saint-Trond, lorsque Beveren m’a contacté et proposé un contrat, j’ai demandé au président de Saint-Trond que mes adjoints, qui gagnaient 1.500 euros brut chacun, passent à 2.000 brut. Vu que j’arrivais d’Arabie Saoudite, je n’avais pas besoin de cette augmentation. J’ai annoncé par après que je restais à Saint-Trond et que je n’allais donc pas à Beveren. Le soir-même, sur Telenet, De Vlieger, que je ne connais même pas, balance que c’est scandaleux d’avoir utilisé l’offre de Beveren pour être augmenté alors que je ne gagnais même pas un cent de plus. Ça prouve que certains s’amusent à me faire passer pour ce que je ne suis pas.

Pourquoi te viserait-on ?

FERRERA :Peut-être que le fait d’être jeune et sûr de moi ou de ne pas avoir été joueur pro dérange certaines personnes. Je ne sais pas, il faudrait leur demander.

Tu as peur pour ton avenir ?

FERRERA : Peur non, pas du tout. Je sors grandi de mes expériences. Comme un jeune joueur, j’apprends par essais, erreurs et réussites. Je tire des leçons du passé et suis toujours prêt à me remettre en question. Grâce à ça et grâce au grand nombre d’heures que je passe à réfléchir et à travailler, j’ose affirmer que je suis un meilleur coach qu’il y a 5 mois. J’espère que j’aurai bientôt l’occasion d’exercer à nouveau ma passion.

Je viens de me lier au groupe de management anglais Base Soccer. Ils ont de très bonnes connexions partout en Europe et je suis convaincu qu’ils m’aideront à passer un palier. Si des gens comme eux m’ont approché et croient en moi, ce n’est pas sans raison.

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