» Je DÉRANGE « 

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les vérités d’ E1000 entre Sclessin, Bruxelles et Hambourg.

Ses lunettes plus lunaires que solaires sont celles d’un homme qui a sûrement envie qu’on arrête de le reconnaître, de l’arrêter et de l’importuner en rue. D’un personnage qui doit en avoir marre de faire les gros titres de la presse (pas toujours sportive) tout au long des derniers mois. Le pari est réussi : attablé à une terrasse du centre de Bruxelles, Emile Mpenza (26 ans en juillet) ne sera reconnu que par un seul passant, qui lui demande un autographe pour son neveu.  » Tu peux écrire un petit mot pour Yassin ? Allez Emile, on compte sur toi pour continuer à défendre l’honneur des Blacks. Bonne chance à Hambourg. On croit à fond en toi « .

Emile s’exécute mais répond à peine. Aucun doute : ce n’est plus à son âge qu’il va se débarrasser de cette étonnante timidité qui lui a toujours collé à la peau. Autant il est populaire et médiatisé, autant il donne l’impression d’être mal à l’aise dans ce monde où l’on veut tout savoir sur les stars.

Pendant l’interview, la sonnerie de son GSM retentit. Il décroche, échange quelques mots avec son interlocuteur, puis nous dit :  » Ça y est, tout est réglé. Mbo va à Anderlecht. Tu imagines ? Mbo et Aruna devant, ça va être du costaud. C’est bien pour lui, il va rejouer en Ligue des Champions. Il n’avait pas trop envie de repartir à l’étranger. Sa courte expérience à Galatasaray lui a ouvert les yeux « .

Anderlecht, c’est aussi un club qui aurait pu vous convenir, non ?

Emile Mpenza : Moi à Anderlecht ? Tu rigoles ? Jamais de la vie ! Tout à fait impossible. Depuis quelques années, je suis sûr d’une chose : en Belgique, c’est le Standard ou rien. C’est vraiment devenu mon club. Et Liège est devenue ma ville. Mbo y est moins attaché parce qu’il y a vécu beaucoup moins longtemps.

Le bilan de votre saison au Standard, ce n’est que du bonheur ?

Exactement. Le premier surpris, c’est moi, d’ailleurs. En signant là-bas l’été dernier, mon ambition était fort modeste. J’espérais faire un bon match de temps en temps et j’étais sûr que chaque bonne sortie serait suivie par une rechute. Je traînais toujours les suites d’une sale blessure aux ischios quand je suis revenu de Schalke. Et je devais me réadapter à Sclessin. Bref, j’estimais que je repartais pour ainsi dire de zéro. Au bout du compte, je n’ai traversé qu’un ou deux passages un peu difficiles. Des passages très limités dans le temps. Et j’ai pulvérisé mon record de buts marqués en une seule saison : 21.

 » Emile-Pieroni ? Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable  »

C’est important pour vous, le nombre de goals marqués ?

Ça ne l’était pas jusqu’il y a un an. Aujourd’hui, ça devient un challenge. Je me suis enfin mis en tête que je pouvais en claquer plus d’une vingtaine par an. Je sais que je suis capable de refaire le même coup que la saison dernière avec le Standard.

Vous aviez été vexé en début de saison quand Sport/Foot Magazine avait publié vos statistiques. Il en ressortait clairement que vous n’étiez pas un vrai buteur.

Je n’ai pas voulu répondre dans votre magazine. Je l’ai fait sur le terrain et c’était bien mieux comme ça.

Si vous êtes un pur buteur, pourquoi avez-vous marqué moins que Luigi Pieroni ?

Il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable. J’étais au Standard, Pieroni était à Mouscron. L’explication, c’est ça. Chaque semaine, nous affrontions des équipes qui jouaient leur match de l’année. Quand on joue contre Mouscron, on est beaucoup moins motivé. Il est plus facile de terminer meilleur buteur du championnat avec Mouscron qu’avec le Standard ou Anderlecht, c’est clair.

Vous êtes devenu un buteur, mais aussi un joueur physiquement fiable : n’est-ce pas encore plus important ?

Pour la première fois depuis ma découverte de la D1 avec Mouscron, j’ai fait une saison complète sans me blesser sérieusement. Ce n’est pas un hasard. Le Standard a compris mon corps, la nécessité de programmer un travail spécifique pour un joueur explosif qui a des quadriceps exceptionnellement volumineux. Le docteur Popovic et le préparateur physique Guy Namurois se cachent derrière mon bon championnat. Il n’y a pratiquement pas eu de blessures musculaires dans le noyau du Standard : cela veut tout dire sur le niveau du staff médical. Les gens de Schalke pourraient venir prendre des leçons à Liège. Ils passaient leur temps à m’envoyer à gauche et à droite quand j’étais blessé. Ils ne voulaient pas écouter les avis des médecins belges. J’ai l’impression que, là-bas, on a préféré investir que dans les infrastructures. Pourtant, une bonne équipe médicale est tout aussi importante qu’un grand stade, et en plus, ça coûte beaucoup moins cher. En matière de suivi médical, le Standard est un exemple de professionnalisme alors que Schalke est encore dans le pur amateurisme.

Considérez-vous votre bonne saison comme une revanche par rapport à Schalke ?

Oui.

Surtout par rapport à Rudi Assauer, le manager de ce club ?

Oui. Il m’a vu quitter Schalke la tête basse, mais je retourne maintenant en Allemagne après avoir fait des étincelles avec le Standard.

Quel est votre bilan des trois années à Schalke ?

Une bonne intégration la première saison, l’explosion la deuxième et l’échec total la troisième.

 » Je finirai ma carrière au Standard : sûr et certain  »

Votre choix de retourner en Allemagne surprend des gens qui vous connaissent. Vous sembliez toujours si malheureux à Gelsenkirchen ! Serez-vous plus épanoui à Hambourg ?

J’en suis persuadé.

Pourquoi ?

Un footballeur ne choisit pas un club pour la ville dans laquelle il est situé, mais l’environnement a quand même son importance. Il faut un minimum, et ce minimum, je ne l’avais pas à Gelsenkirchen. J’ai découvert récemment Hambourg : ce n’est pas la Côte d’Azur mais c’est quand même beaucoup plus beau et agréable que la Ruhr. A la limite, on a l’impression que Hambourg ne fait pas partie de l’Allemagne… Plus important encore : je sens que je serai vraiment accueilli à bras ouverts là-bas. Les dirigeants de Hambourg ont directement pris contact avec moi. Alors qu’au moment de mon transfert à Schalke, tout avait été réglé via Marc Wilmots. Il avait servi d’intermédiaire du début à la fin des négociations. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus mûr et j’ai pris les choses en mains. En plus de cela, je connais maintenant la langue, ce qui n’était pas le cas quand j’ai signé à Schalke. Pouvoir m’exprimer dès les premiers jours, ça va m’aider beaucoup.

Qu’est-ce qui vous fait penser que vous avez mûri ?

J’ai changé ma façon de traiter avec les gens. Avant, je disais spontanément tout ce que j’avais sur le c£ur. Cela m’a valu des ennuis. J’étais trop bavard, pas assez prudent. Aujourd’hui, j’écoute, j’observe avant de m’exprimer. Ça dérange parfois certaines personnes que je ne parle plus autant qu’il y a quelques années : tant pis. Quand je tranche, je sais où je vais. Alors qu’avant, je fonçais souvent tête baissée. J’ai réfléchi trois semaines à la proposition de Hambourg, j’ai demandé des avis autour de moi : à Luciano et Dominique D’Onofrio, à mes beaux-parents, etc. Il y a quelques années, je n’aurais pas passé autant de temps à réfléchir.

Si on travaille à Hambourg comme à Schalke, vous êtes reparti pour les blessures à répétition…

Non. J’ai exigé que les docteurs de mon nouveau club viennent discuter avec le staff médical du Standard. Ils vont emporter le bilan de mes entraînements et de tous les exercices que j’ai faits la saison dernière. Cela va leur permettre de comprendre qu’il faut travailler de façon spécifique avec moi.

Quand vous aviez un coup de cafard à Gelsenkirchen, vous montiez dans votre voiture et vous étiez à Liège deux heures plus tard. A Hambourg, ça ne sera plus possible !

Je sais mais ce n’est pas un problème. Liège ne partira jamais. Cette ville sera toujours là quand je quitterai définitivement Hambourg. Je sais de toute façon que j’y reviendrai un jour. Dans mon plan de carrière, une chose est sûre et certaine : je finirai mon parcours de joueur au Standard.

Mais rien ne dit que vous n’aurez pas de coups de cafard à Hambourg… Et cela pourrait influencer votre niveau de jeu.

Mon fils va naître en octobre.

Que voulez-vous dire ?

Cette première paternité est terriblement importante pour moi. Je sais qu’il m’attendra à la maison après chaque entraînement et cela éliminera tout risque de coup de blues.

Avez-vous déjà un prénom ?

Lenny. En référence à Lenny Kravitz.

Vous avez signé à Hambourg pour quatre ans et on raconte que vous y gagnerez… quatre fois plus qu’au Standard.

C’est vrai. Mais ce n’est pas parce que je gagnerai quatre fois plus d’argent que je serai moins bon qu’avec le Standard, vous savez !

A salaire égal, seriez-vous resté à Liège ?

Sans aucun doute. Mais il y a des opportunités qu’on ne peut pas refuser. C’est peut-être mon dernier tout gros contrat : je n’avais pas le droit de cracher dessus.

 » Les Diables sans Wilmots, c’est plus vraiment les Diables  »

Parlez-nous de votre décision de ne plus jouer en équipe nationale. On attend toujours une explication cohérente…

Je ne me sentais plus bien dans ma peau chez les Diables, c’est tout.

C’est très vague comme justification.

Je suis quelqu’un de très sensible. J’étais frustré chaque fois que je me retrouvais en équipe belge et je ne désirais pas que cela se voie sur le terrain. Je n’ai pas voulu décevoir les gens qui croient en moi du côté de la fédération.

Mais c’est quoi, cette frustration ? Comment l’expliquez-vous ?

Ecoutez, je trouve que l’état d’esprit chez les Diables a changé du tout au tout depuis que quelques titulaires sont partis, après la Coupe du Monde au Japon. Or, ces anciens me manquent terriblement : Marc Wilmots, Gert Verheyen, Filip De Wilde. Je sais qu’il faudra faire sans eux dans les prochaines années, je suis bien conscient qu’il n’y aura plus jamais un nouveau Wilmots chez les Diables, mais je ne suis pas prêt, pour l’instant, à affronter l’ambiance qui règne dans le noyau.

Et si Wilmots était toujours Diable ?

Je n’aurais jamais décidé de mettre ma carrière internationale entre parenthèses.

Les critiques dans la presse après les incidents de Gand ne sont donc pas l’explication de votre retrait ?

Cela a joué aussi. Je dirais que la presse flamande n’a fait qu’activer une décision que je mûrissais depuis pas mal de temps. Tout le monde a le droit d’avoir son avis, non ? Moi, mon avis, c’était que le Standard avait été volé par l’arbitre. J’en avais marre qu’on nous marche sur les pieds et ça a explosé. Avec le recul, je suis très satisfait d’avoir dit une bonne fois ce que je pensais.

Mais vous n’avez rien dit après avoir marqué sur hors-jeu contre Charleroi, par exemple…

C’était différent. Un arbitre qui ne voit pas un hors-jeu a généralement des circonstances atténuantes. S’il est mal placé et si son juge de touche a la vue masquée, il ne peut pas deviner qu’un attaquant est hors-jeu. Par contre, je n’accepte pas qu’un referee ne siffle pas un penalty pour un tirage de maillot alors qu’il a le nez sur la phase. Il est impossible que l’arbitre de Gand-Standard n’ait pas vu la faute sur moi. Impossible !

Qu’avez-vous pensé de la victoire belge aux Pays-Bas ?

Je n’ai pas vu le match.

Si, maintenant, Aimé Anthuenis dit qu’il peut facilement se passer de vous ?

Ecoutez, les Diables peuvent gagner n’importe quel match sans Emile Mpenza. Ils viennent encore de le prouver en Hollande. Je suppose que certaines personnes ont fait cette remarque et ça ne me touche pas du tout. Si Anthuenis décide de faire sans moi, pas de problème. Je respecte son choix. Simplement, je me remettrai au service de l’équipe nationale quand on fera appel à moi et quand je me sentirai prêt.

Dès le début de la campagne éliminatoire pour le Mondial, en septembre ?

Pas sûr. Rien ne dit que je serai déjà prêt dans ma tête à ce moment-là. Et qui peut garantir qu’on m’appellera, de toute façon ?

Vous êtes conscient d’avoir mis Aimé Anthuenis dans l’embarras ? Il veut tester le duo Sonck-Emile depuis une éternité mais il n’en a pour ainsi dire jamais l’occasion.

Le duo Sonck-Emile ? Je doute. Je n’ai pas l’impression que ce soit la priorité du coach. Pour tout vous dire, je crois beaucoup plus en un duo avec mon frère. Mais on ne nous fait jamais jouer ensemble.

Ce serait la solution offensive pour les Diables ?

Si on n’essaye pas, on ne le saura jamais.

 » On me cherche depuis mon transfert à Schalke  »

La presse, c’est une complice ou un mal nécessaire ?

Un peu des deux. Mais il y a des commentaires que je n’accepterai jamais. Avez-vous lu ce qu’on a écrit après mon mariage ? ûEmile Mpenza se prend pour qui ? Il attrape le gros cou parce qu’il est maintenant marié. Tout cela parce que j’avais prévu une petite protection policière pour quelques personnes. Je ne voulais pas qu’on les importune, c’était la seule raison. J’ai aussi lu que ce n’était pas un mariage d’amour. Où va-t-on ? Que ces journalistes regardent leur propre couple avant de se mêler de celui des autres.

Mbo fait beaucoup moins parler de lui. Il semble mener une vie bien plus rangée, moins agitée. Ne l’enviez-vous pas ?

Non, pas vraiment. Si on parle moins de lui, c’est sans doute parce qu’il a connu moins de choses. Et parce qu’il dérange moins que moi.

Pourquoi dérangez-vous ?

Aucune idée. Mais c’est clair : je dérange. Beaucoup de gens sont visiblement frustrés que je n’aie pas encore pété un plomb. Je sais qu’ils resteront à l’affût d’un dérapage jusqu’au dernier jour de ma carrière, mais ils seront déçus.

Depuis quand avez-vous l’impression d’être une cible ?

Ça a commencé quand je suis arrivé à Schalke. On m’a tout de suite transformé en star de la Bundesliga, en espérant pouvoir me démolir à la première occasion. Mais moi, je n’ai rien demandé. Je n’ai jamais voulu qu’on me considère comme une vedette. Je voudrais qu’on me traite comme n’importe quel autre footballeur.

Votre style de jeu y est peut-être pour quelque chose ?

Sans doute. Je suis explosif, spectaculaire, je ne mets jamais le frein. En frappant les esprits sur le terrain, je ne peux automatiquement plus passer inaperçu en dehors.

Souffrez-vous de cette pression permanente ?

J’en souffrais beaucoup quand j’étais seul. Aujourd’hui, avec ma femme, ça va beaucoup mieux. Et ça s’améliorera encore quand l’enfant sera là.

Ce n’est pas minant d’être importuné dès que vous mettez un pied dehors ?

Je comprends les gens. J’ai aussi eu des idoles. S’ils me sollicitent poliment, pas de problème. Par contre, s’ils se croient tout permis en face de moi, je ne laisse plus passer.

Combien de temps pourrez-vous tenir ce rythme de vie un peu fou ?

Je fais le plus beau métier du monde : ce n’est pas demain que le foot va me lasser.

Pierre Danvoye

 » Les Diables SANS WILMOTS, c’est PLUS VRAIMENT LES DIABLES « 

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