Japon maudit

Le Liégeois est sorti dépité du Mondial mais se ressource avec les champions de France.

Le Centre Technique National de la FFF accueille, chaque semaine, son lot de stars. A 50 km au sud de Paris, en pleine forêt, c’est là que bat le coeur du foot tricolore. Les joueurs de Fulham s’y sont préparés tout récemment, avant de céder la place aux champions de France lyonnais. Honneurs suprêmes: Eric Deflandre et ses coéquipiers travaillent sur la pelouse des Bleus et occupent le bâtiment que les habitués surnomment Le Château. Appellation officielle: Résidence de l’Equipe de France. De leur chambre, ils aperçoivent une réplique géante de la Coupe du Monde, plantée à l’entrée de ce parc de 56 hectares. C’était il y a quatre ans, un siècle, une éternité…

Parqué devant le Château, le bus de l’Olympique devra encore passer chez le designer avant l’ouverture du nouveau championnat, programmée ce week-end. Sur sa carrosserie, on trouve encore le nom de l’ancien entraîneur: Jacques Santini. Mais il a été remplacé cet été par Paul Le Guen et vient de signer son contrat d’entraîneur fédéral. L’énorme slogan peint sur le véhicule pourrait aussi être adapté: Un peu plus près des étoiles. Dans les étoiles, les Lyonnais y sontcarrément : vainqueurs de la Coupe de la Ligue en 2001, ils ont décroché la saison passée le premier titre national du club.

Eric Deflandre, toujours sous contrat pour deux ans, prépare sereinement le championnat de la confirmation, tentant d’oublier tant bien que mal ses déboires japonais: « Le calme qui continue à régner dans ce club, malgré nos deux trophées en deux ans, me convient parfaitement. Lyon est sans commune mesure, à ce niveau, avec le PSG par exemple ».

En France comme ailleurs, le marché des transferts a été assez morne.

Deflandre:Tout à fait. Le mercato ne se fermera que le 31 août, mais on ne s’attend pas à des révolutions dans les grands clubs. Lyon n’a par exemple perdu que deux joueurs qui étaient régulièrement alignés: Foé est parti à Manchester City et Laigle a signé à Montpellier. Le club a rapatrié Vairelles et Dhoorasoo, mais ils ne sont pas sûrs de rester chez nous. Il y a aussi eu l’arrivée de Diarra, de Vitesse Arnhem.

Comment analysez-vous le recrutement des autres grands clubs?

Le PSG réalise chaque année des transferts ronflants et possède continuellement un noyau susceptible de viser le titre. Du moins sur le papier. Car, dans les faits, ce club court derrière son passé depuis pas mal de temps. Auxerre a maintenu son groupe et c’est pour ça que cette équipe sera redoutable. Elle comporte énormément de bons jeunes qui jouent ensemble depuis deux ou trois ans. Je m’attends à une toute grosse saison de leur part. Bordeaux devrait aussi être dans le coup. Je pense que la lutte pour le titre devrait surtout impliquer Lyon et ces trois clubs.Pas titulaire? La réponse via les statistiques

Chaque semaine, le champion sera attendu au tournant.

C’est vrai, mais il n’y a rien de nouveau là-dedans. La saison dernière, nous étions déjà pris très au sérieux: nous avions terminé à la deuxième place en 2000-2001 et gagné la Coupe de la Ligue. C’était le premier trophée de Lyon depuis 28 ans. La saison passée, nous avons prouvé toute notre solidité mentale. Nous avons eu des hauts et des bas, mais nous sommes finalement toujours sortis la tête haute.

Comment le groupe digère-t-il le changement d’entraîneur?

Paul Le Guen est un homme de dialogue, comme Jacques Santini. La principale différence se situera apparemment au niveau des compositions d’équipe. Le Guen semble partisan d’une équipe type avec les 11 meilleurs joueurs. Une fois qu’il l’aura trouvée, il ne devrait plus la retoucher qu’en cas de force majeure. Santini, lui, prônait la rotation. En jouant une trentaine de matches la saison dernière, toutes compétitions confondues, j’ai été un des joueurs les plus souvent alignés. Les statistiques prouvent que personne n’a été épargné par son système. Pas même les grandes stars du noyau. C’est ma réponse à ceux qui, en Belgique, disent que Deflandre n’est pas un vrai titulaire à Lyon.

Quand Santini a décidé de quitter Lyon, sa décision n’a pas été bien comprise par tout le monde.

Il en a eu marre des critiques. Surtout celles qui venaient des supporters. Ce n’était pas facile à vivre pour lui. Notre public lui reprochait de chambouler continuellement l’équipe. Un exemple: après une victoire 3-0 contre le Bayern et un autre succès 4-0 face à Guingamp, Santini a révolutionné son 11 de départ pour le match suivant et nous avons perdu des points. Les supporters étaient furieux. Mais, sur la durée, cet entraîneur a quand même prouvé qu’il avait raison de maintenir tout le noyau en alerte.

Santini se plaignait de la pression qui l’accablait à Lyon, mais ce sera encore pire en équipe de France!

C’est sûr. Mais c’est un homme de défis. Je comprends parfaitement son choix. Il a toujours su répondre aux attaques et je suis persuadé qu’il fera à nouveau de l’excellent boulot avec les Bleus. Il connaît tout le foot français sur le bout des doigts. Ce qu’il a fait en deux ans à Lyon devrait suffire à faire taire tous les sceptiques. La fédération a fait le meilleur choix possible.

Quelle est votre analyse de la faillite des Bleus au Mondial?

Les Français n’ont pas eu beaucoup de chance, mais je pense que des erreurs ont été commises avant le départ pour l’Asie. Il aurait fallu remodeler le groupe au lieu de maintenir de façon aussi marquée ceux qui avaient gagné la Coupe du Monde 98 et l’EURO 2000. Plusieurs joueurs étaient clairement en fin de cycle alors que d’autres auraient mérité d’aller à ce Mondial. Je pense par exemple à Carrière, qui était la meilleure doublure possible pour Zidane, ou à Govou que j’aurais préféré à Cissé. »Wilmots ne comprend pas toujours Waseige »

Les Bleus ont raté leur Coupe du Monde: Deflandre aussi!

Ce tournoi me laisse sur ma faim, c’est clair. Mais bon, je respecte les choix de Waseige comme j’ai toujours respecté ceux de tous mes entraîneurs. Il a prouvé au Japon que c’était un grand coach, car le collectif belge a réussi un bon Mondial.

Vous étiez pourtant amer pendant le tournoi.

Je le suis toujours, évidemment. Je n’ai pas vraiment eu l’impression de participer à l’aventure. Je n’ai joué que contre la Tunisie: c’est beaucoup trop peu parce que j’étais persuadé de pouvoir réussir une toute bonne Coupe du Monde. Je râle surtout d’avoir dû céder ma place à Jacky Peeters alors que je n’avais raté qu’un match de la campagne éliminatoire pour suspension et que j’avais joué le barrage contre la Tchéquie. Je suis écoeuré, amer, tout ce qu’on veut. Le choix de Waseige m’a fort étonné, et beaucoup d’autres personnes ont aussi été surprises. Je sortais quand même de deux très bonnes saisons en France.

N’aviez-vous pas senti tourner le vent au Stade de France, quand Waseige vous avait laissé sur le banc?

J’étais terriblement déçu ce soir-là et il faut me comprendre: jouer un match de gala à Paris, en pleine ambiance pré-Coupe du Monde, c’est un tout grand moment pour un joueur du championnat de France. Waseige s’était justifié. Il m’avait dit que Peeters avait besoin de temps de jeu, vu qu’il avait été opéré en fin de saison. Le coach voulait le tester avant le grand départ. Je trouvais ça un peu gros. Il est possible que j’aie payé, là-bas, les mauvaises prestations de toute l’équipe contre la Slovaquie et l’Algérie. Mais alors, c’était grave de faire payer la note au seul Deflandre. Pas un seul Diable n’avait évolué à son niveau lors de ces deux matches. J’estimais même que je n’avais pas été spécialement mauvais. Simplement, je n’avais pas apporté ma contribution offensive habituelle.

Je pensais avoir fourni la meilleure réponse au Stade de France: j’étais rentré à 25 minutes de la fin et cela avait suffi pour que je détourne un ballon sur la ligne et que je participe à la construction de notre deuxième but. En rentrant au vestiaire, j’étais persuadé d’avoir mis les choses au point.

Mais vous étiez de nouveau réserviste contre le Japon!

Là, Waseige m’a parlé de raison tactique. Il estimait que Peeters était davantage capable de parcourir tout le flanc droit parce qu’il le faisait à Gand. Je n’ai pas bien compris sa justification. Mais bon, je n’ai pas de rancune: je suis persuadé qu’il a décidé en son âme et conscience. Il n’empêche que la décision de Waseige au Stade de France m’avait bloqué et que je me suis posé beaucoup de questions dès ce moment-là. Mes craintes se sont malheureusement confirmées au Japon. Je suis rentré dans l’équipe contre la Tunisie, puis j’ai définitivement sauté. Encore une fois, j’étais la victime d’une prestation collective ratée. Avais-je été si mauvais contre les Tunisiens? Je ne pense pas. Wilmots m’a même félicité pour mon match. Mais bon, ce n’était pas la seule décision de Waseige que Wilmots ne comprenait pas bien…Haine féroce et copinage

Avez-vous reparlé avec Waseige?

Non. Ce n’est pas mon style d’aller pleurer chez l’entraîneur pour savoir ce qu’il pense. De son côté, s’il ne m’a pas donné d’explication, c’est sans doute parce qu’il n’en avait pas envie.

Il a dit que vous n’aviez pas été assez bon offensivement face à la Tunisie.

Je ne comprends plus rien à ce débat. Je suis d’abord un défenseur, point à la ligne. En France, on dit que j’ai réussi mon match si j’ai été bon défensivement. Tout ce que j’apporte offensivement, c’est simplement un bonus bienvenu. Dès que je retourne chez les Diables, on me prend pour ce que je ne suis pas. Si les attaquants et les médians ne parviennent pas à faire la différence, peut-on demander ça à un back droit? Je monte et je centre en moyenne sept ou huit fois par match: ça ne suffit pas encore? Qu’est-ce qu’on attend de moi? Que je donne une dizaine de balles de but lors de chaque match?

Vous êtes en pétard avec la presse flamande depuis un bon bout de temps: cela a-t-il pu jouer dans certaines décisions de Waseige?

C’est possible. La presse peut exercer une forte influence sur certains entraîneurs. Les journalistes flamands ne me supportent plus depuis que j’ai quitté Bruges… mais je le leur rends bien. Avant la Coupe du Monde, ils ont tout fait pour mettre Peeters en avant et ils y sont finalement parvenus. On a atteint le sommet au moment des matches contre la Tchéquie. A Bruxelles, j’ai contré Smicer et Nedved pendant une heure et demie, et j’ai sauvé un ballon sur la ligne. Si on avait encaissé sur cette action-là, on aurait pu faire une croix sur le Mondial. J’étais même sorti quelques fois. Les commentaires dans la presse flamande? Het was beter geweest met Jacky Peeters! J’ai alors boycotté ces journalistes pendant quelques jours et ils me l’ont fait payer. Ils ont eu gain de cause: Waseige a choisi Peeters au Japon.

Comment les joueurs vivent-ils ce journalisme à deux visages?

Le plus grave, c’est qu’on trompe les lecteurs. En lisant un compte rendu flamand et un article francophone, on a l’impression que ces journalistes n’ont pas vu le même match ou ne jugent pas le même homme. Dans certains cas, il n’y a plus de juste milieu. Quand la presse juge Waseige par exemple: pendant le Mondial, il a été exagérément attaqué par les Flamands mais surprotégé par les Wallons. Il y avait une haine féroce d’un côté et du copinage de l’autre. Ce n’est pas sain du tout.

Pierre Danvoye, envoyé spécial à Clairefontaine

« La presse flamande a eu gain de cause: Waseige a choisi Peeters »

« Chez les Diables, on me prend pour ce que je ne suis pas »

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