« Jamais PEUR »

Le cerveau des Bleu et Noir sur son évolution, son rôle, son métier et la saison de l’équipe.

On l’appelle le nouveau patron du Club Bruges. Ou le moteur de l’équipe. Ou encore le cerveau de la bande à Adrie Koster. Vadis Odjidja (21 ans), c’est un peu tout cela à la fois. Bruges l’avait transféré pour 900.000 euros alors qu’il était considéré comme un des plus grands talents belges mais n’avait encore disputé que cinq matches en D1, belge ou allemande ! Entre-temps, il a bien mis les choses au point : titulaire, meneur, artiste, distributeur, buteur, il sait tout faire. Vadis reste un gars assez timide à l’interview. Mais ce qu’il dit a autant de contenu que son football. C’est donc tout bon.

En janvier, il y aura deux ans que tu es rentré en Belgique : tu te donnes quelle cote depuis ton retour ?

Vadis Odjidja : Ce n’est pas à moi de le faire. Mais je suis content de ce que j’ai déjà réalisé. Je trouve que mon niveau est bon, même si je traverse parfois des moments où ça va moins bien. J’ai joué presque tous les matches. Et je n’ai pas eu une seule blessure sérieuse. Bref, un bilan positif.

Ce qui est aussi très positif, c’est que tu es maintenant un vrai joueur de D1, un gars qui joue chaque semaine. Tu n’avais pu le faire ni à Anderlecht, ni à Hambourg. Tu as douté de ton avenir ?

Non. J’ai toujours su de quoi j’étais capable. Je savais que j’allais devenir un titulaire, pas un réserviste. Mon évolution prouve que j’avais raison de croire en moi. C’est seulement dommage que certaines personnes ne m’aient pas soutenu, n’aient pas tenu compte de certaines réalités, comme mon jeune âge et mon manque d’expérience.

Les événements d’Anderlecht restent dans un coin de ta tête ou tu es définitivement passé à autre chose ?

Je suis passé à autre chose mais je n’ai rien oublié.

Tu arrives maintenant à faire des trucs dont tu ne te croyais pas capable ?

Je retourne le problème : il y a des choses dont je me croyais capable mais qui me causent encore des soucis… Par exemple, je ne parviens pas à être bien concentré 100 % du temps. Il m’arrive encore de prendre les choses à la légère.

Tu as du sang africain…

C’est peut-être dû à ça, oui. Ou ça s’explique par la jeunesse. Je n’en sais rien.

Les critiques et les sifflets : il s’en fout

On dit que tu es le nouveau patron du Club.

Les gens peuvent raconter ce qu’ils veulent. Je travaille comme tous les autres joueurs, simplement.

Avec un rôle plus dominant que d’autres…

Ouais… J’essaye de faire ce que l’entraîneur me demande, et comme j’adore le ballon, je le réclame plus souvent que d’autres. C’est dû à ma position de médian, aussi. Jamais, je n’ai eu peur de recevoir la balle.

Tu essayes d’être dominant en dehors du terrain aussi ?

Pas vraiment. Il y a un capitaine et des vice-capitaines, c’est d’abord ces joueurs-là qu’il faut écouter. A Bruges, chacun connaît sa place et ses responsabilités.

Tu dis que tu ne lis pas les journaux et que tu te moques complètement des critiques. C’est possible ?

Il y a des gens autour de moi qui lisent la presse à ma place. Ils sont heureux quand on dit du bien de moi, ils sont tristes ou fâchés quand on me critique. Personnellement, ce n’est pas un problème. On a beau écrire après un match que je suis le meilleur : les compteurs sont quand même remis à zéro dès le lendemain et il faut à nouveau tout prouver lors du match qui suit. Dans ce métier, il y a une nouvelle vérité chaque semaine, ou même tous les trois jours. Et puis, pourquoi je devrais me soucier de critiques venant de gens qui n’ont jamais joué au foot ? Si le compliment ou l’attaque vient d’un ancien bon joueur, je m’y intéresse. Si c’est mon coach qui me vante, je m’y arrête aussi car c’est lui, mon patron. Par contre, si ça provient de quelqu’un d’autre, je m’en fous parce que pour moi, ce n’est pas crédible.

Les réactions du public ne te touchent pas plus ?

Absolument pas. Je ne les entends pas : je te promets. Je suis dans ma bulle, braqué sur mon match, sur le ballon et je ne remarque rien de ce qui se passe dans les tribunes. La première fois que je suis retourné à Anderlecht avec Bruges, il paraît que les supporters du Sporting m’ont sifflé : je n’avais rien entendu, on me l’a dit en fin de soirée.

 » Tu connais un gamin qui rêve de devenir back gauche ? »

Koster aligne deux médians défensifs, Karel Geraerts et toi, et tu es celui qui a le plus de possibilités de monter. C’est un rôle qui te plaît ?

Oui, je monte plus souvent que Geraerts, c’est normal, c’est dans ma nature, c’est un de mes points forts. La saison dernière, je devais rester beaucoup plus derrière, je devais penser presque uniquement au travail défensif. Il me manquait quelque chose.

Tu étais frustré ?

Parfois, je montais, même quand le coach me l’interdisait. On ne change pas comme ça la nature d’un footballeur.

Tu en as parlé à l’entraîneur pendant l’été, tu lui as demandé de te donner un rôle différent ?

Non. Je ne suis qu’un des 30 joueurs du groupe et je n’ai rien à dire. Si le coach m’explique que je dois jouer là, je le fais et je me dis que je peux déjà être content qu’il me mette sur le terrain. A chacun sa place et son rôle : le boss, c’est lui.

Cela te plairait de devenir un vrai meneur de jeu, celui qui oriente la majorité des actions ?

Bien sûr. Tous les gosses qui jouent au foot dans la rue frappent au goal et ils ont les mêmes rêves. Ils veulent devenir gardiens de but, meneurs de jeu ou attaquants de pointe. Tu n’entends jamais un gamin dire qu’il a envie de faire une carrière au back gauche.

Ton bon niveau a un revers : l’entraîneur adverse colle de plus en plus souvent un homme sur toi.

C’est vrai. Cette saison, il y a eu des matches où j’ai vraiment été marqué de très près. Contre Malines, Joachim Mununga ne m’a pas lâché d’un centimètre. Contre le Germinal Beerschot, c’est Faris Haroun qui m’a tenu du début à la fin.

Deux joueurs offensifs qui avaient donc un rôle d’abord défensif !

Oui, mais les entraîneurs adverses savent que j’aime aller chercher le ballon derrière pour construire des actions. C’est comme ça, par exemple, que Bruges peut être dangereux.

Pour toi, qui est l’exemple à suivre comme médian défensif ? Le meilleur mix d’élégance et d’efficacité ?

Je dirais le Patrick Vieira de l’époque Arsenal, un gars très beau à voir jouer. Et je citerais aussi Nigel de Jong, qui est tout à fait différent, qui casse tout. C’est comme ça qu’il a fait sa carrière, il est parti de rien dans un quartier modeste d’Amsterdam et est devenu multimillionnaire en taclant. Cela ne fait évidemment pas l’unanimité, mais quand on voit les clubs dans lesquels il a joué, on ne peut pas dire que ce soit un petit joueur, hein ! Sur un terrain, il faut accepter de prendre des coups. Et certains sont toujours prêts à en donner. Mais on ne commence jamais un match avec l’intention de démolir un adversaire. C’est vrai pour de Jong comme pour tous les autres footballeurs. Il ne voulait pas casser la jambe de Hatem Ben Arfa : il visait le ballon, il l’a eu, mais malheureusement, il a aussi pris sa jambe. Si on compile toutes les actions à la limite de Nigel de Jong dans un clip, ça donne une mauvaise image de lui. Mais on pourrait alors faire la même chose avec les coups de boule de Zinédine Zidane et on devrait en conclure que c’était un sale joueur ? Non, c’était une légende.

Koster a laissé Jonathan Blondel sur le banc contre Gand, pour le punir d’avoir fait un tacle sauvage à Villarreal !

Il a levé la jambe un peu trop haut et touché l’adversaire mais ce n’est pas pour ça qu’il faut le traiter de sale joueur. Chacun a ses caractéristiques.

Tu prouves que ce n’est pas nécessaire d’être violent pour faire un bon médian défensif.

J’ai d’autres qualités, j’anticipe beaucoup. Je suis aussi plus grand et plus costaud que Blondel. Vu sa petite taille, il est obligé de compenser, d’être plus dur dans les duels.

Tu pourrais continuer à jouer et à vivre normalement après avoir cassé la jambe d’un adversaire ?

C’est peut-être un peu cru, mais je pense bien, oui. Evidemment, ça me ferait beaucoup de peine. Mais pour le même prix, c’est moi qui peux être blessé gravement. On prend des risques dès qu’on monte sur un terrain.

Panne d’attaquants

Le noyau du Club ne vaut-il pas mieux que son classement actuel ?

Nous avons mal commencé, nous avons eu de la malchance dans certains matches, nous avons pris des cartes rouges qui ont fait basculer des rencontres et on nous a refusé l’un ou l’autre penalty. Tout cela fait que nous n’avons pas les points que nous espérions, mais le championnat est long et tout va s’arranger.

La saison passée, vous avez souvent fait tourner des matches en votre faveur en deuxième mi-temps. Cette année, c’est plutôt en fin de rencontre que vous perdez tout.

C’est plus difficile que la saison passée, notamment parce que nous avons moins de qualités offensives sur le banc. Adrie Koster doit surtout y installer des défenseurs et des médians. Il n’a plus un avant de remplacement en forme et capable de faire la différence dès son entrée au jeu.

Fallait-il laisser partir Wesley Sonck ?

Le jour où les dirigeants lui ont dit qu’ils n’avaient plus besoin de lui, ils savaient ce qu’il valait. Tout le monde sait qu’il marquera toujours des buts, même s’il ne joue pas beaucoup.

Si vous ne perdez pas votre premier match, à Courtrai, votre première partie de championnat est différente ?

Je n’en suis pas sûr. Par contre, je suis certain que ce n’était pas une bonne chose de commencer en déplacement. Déjà l’année passée, nous avions souffert pour gagner à Charleroi lors de la première journée, alors que nous avions joué une partie du match à 11 contre huit. Si tu commences sagement par un match dans ton stade et si tu le gagnes, tu te mets directement en confiance. A l’extérieur, c’est déjà moins sûr. Et quand, en plus, c’est à Courtrai… Il a suffi de cette défaite pour qu’on sente déjà un peu plus de pression sur le groupe. Les dirigeants de tous les clubs peuvent demander certaines choses quand on fait le calendrier : ce serait bien que ceux du Club y pensent la prochaine fois.

La confiance, vous l’aviez déjà perdue dans les play-offs, non ?

Je ne trouve pas qu’il y avait des doutes dans le noyau quand le championnat a repris. Nous avions eu de bonnes discussions pendant l’été, tout le monde était bien décidé à oublier nos play-offs ratés et à repartir avec une feuille blanche.

Il n’y avait pas de frustration pour avoir perdu la deuxième place in extremis ?

Je ne sais pas. Ou alors, elle s’est installée dans le noyau sans que personne ne s’en rende compte.

 » Bruges vaut 50 % de plus grâce à Marcos « 

Vos supporters vous ont reproché de ne pas avoir été trop abattus après la déroute à Gand et la perte de la deuxième place.

Qu’est-ce que tu dois faire quand tu viens de prendre une claque ? Rentrer chez toi, t’asseoir et pleurer ? Ou directement penser au match qui suit ? Pour moi, ça coule de source, tu dois directement te concentrer sur le futur et pas ressasser le passé.

Et quand ils vous reprochent de ne pas tout donner ?

Les gens ne comprennent pas que les footballeurs aussi peuvent être fatigués. On rentre d’un match en Biélorussie à 4 heures du matin, on s’entraîne le lendemain à 14 heures, et deux jours plus tard, on se farcit un déplacement en car à Westerlo. Tout le monde a envie de tout donner mais des horaires et des déplacements pareils ont des effets néfastes. On va à Villarreal en devant passer par Ostende puis Lille à cause des grèves, puis on enchaîne avec un gros match contre La Gantoise. Nous ne sommes que des êtres humains, les supporters doivent le comprendre.

Tu as déclaré pendant l’été que le groupe était plus équilibré qu’il y a un an.

Tout à fait. Nous avons perdu des attaquants qui n’ont pas nécessairement été remplacés, mais nous avons par exemple un vrai back droit aujourd’hui, alors qu’il n’y en avait pas au Club la saison dernière. Avec Marcos Camozzato, l’équipe s’est, d’un coup, bonifiée de 50 % ! Et au back gauche, Junior Diaz n’est pas mauvais du tout.

Sur l’ensemble de l’année 2010, Bruges n’a pas pris la moitié des points…

D’accord, mais ce calcul-là tient aussi compte de nos matches européens. Quand tu ne joues qu’en championnat et en Coupe de Belgique, c’est plus facile de prendre plus de 50 % des points. Le raisonnement est donc un peu faussé. Pour moi, notre année 2010 est bonne, nous n’avons raté que nos play-offs.

Il quitte l’entraînement pour éviter une connerie

Vous devrez en tout cas être plus réguliers si vous voulez jouer le titre.

L’année dernière, nous avions bien commencé et mal terminé. Ce sera peut-être l’inverse cette saison-ci. Mais il faut que les adversaires recommencent à avoir peur de nous. Ce n’est plus le cas actuellement. Il y a des joueurs qui, à la limite, sont contents quand ils doivent jouer contre le Club parce qu’ils ont l’impression que nous sommes prenables. Il y a quelques années, l’équipe qui venait ici mettait un ou deux hommes de plus derrière. C’est fini, ça.

Dix points de retard sur Genk après dix matches, c’est énorme !

Oui mais le réservoir de Genk sera bientôt vide, il y a des signes qui le montrent. Cette équipe est dans une phase où tout lui réussit : ça ne durera pas toute la saison.

Sonck et Mohamed Dahmane sont partis mais il reste encore pas mal de fortes têtes dans le vestiaire, non ?

Il n’y a jamais eu de grosses embrouilles. On en pense ce qu’on veut, mais pour moi, c’est positif d’avoir des caractères forts. A condition qu’ils puissent travailler ensemble.

Si on enferme dans un petit espace Blondel, Nabil Dirar, Stijn Stijnen et toi, ça peut faire des dégâts…

Je vois les choses autrement : si ces quatre gars-là arrivent à bien bosser ensemble, tu as un groupe solide.

Pendant l’été, tu t’es frotté pendant le même entraînement à Blondel, Dahmane et Dirar.

Un petit incident… Il n’y a rien eu de grave. J’ai juste commis l’erreur de rentrer au vestiaire. Je me suis protégé : si je restais sur le terrain, je risquais de faire des conneries, de mettre des coups.

Tu as reçu une amende ?

Oui.

Une grosse ?

J’ai la mémoire qui flanche… (Il rigole).

Tu n’as pas l’impression que tu te rapproches des Diables Rouges ?

Qu’est-ce que je dois faire ? Appeler Georges Leekens et lui demander de me sélectionner ? Je suis déçu de ne pas être en équipe nationale parce que c’est une vitrine formidable, parce qu’elle peut t’ouvrir beaucoup de portes. Mais je suis encore jeune et les choix actuels du coach me paraissent logiques.

Tu penses à une nouvelle expérience à l’étranger ?

C’est clair.

On t’a souvent comparé à Vincent Kompany : ce qu’il vit te fait rêver ?

Bien sûr.

Tu peux arriver aussi haut que lui ?

Tout est possible.

Tu as choisi le numéro 32 : pourquoi ?

Au départ, je voulais le 39, celui que j’avais à Anderlecht. Puis, après avoir bien réfléchi, je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée… Mon père m’a alors proposé de prendre le 32. Le 3 et le 2 sont les chiffres porte-bonheur en Chine et le meilleur ami de mon père est chinois.

PAR PIERRE DANVOYE

 » Qu’est-ce que tu dois faire quand tu viens de prendre une claque ? Rentrer chez toi, t’asseoir et pleurer ? »

 » Ingérable de rassembler Dirar, Blondel, Stijnen et moi ? Si on peut travailler ensemble, on a un groupe solide. »

 » Anderlecht ? Je suis passé à autre chose mais je n’ai rien oublié.  »

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