JAMAIS fatigué

Il y a quelques mois, il a reçu un colis de Lausanne. Il s’agissait d’un numéro spécial de L’Equipe Magazine, consacré au marathon. Karel Lismont est toujours cinquième dans la liste des 15 meilleurs spécialistes de tous les temps. Jacques Rogge lui avait envoyé le magazine avec un petit mot. Les deux hommes se connaissent bien : ils ont fait partie de la sélection belge des Jeux de Munich en 1972.

Rogge, ancien spécialiste de la voile, est un des hommes les plus puissants du monde sportif. Lismont travaille aux contributions, à Hasselt, comme il le faisait lors de sa carrière athlétique. Depuis l’âge de 40 ans, il ne court plus que pour le plaisir :  » Une demi-heure, trois fois par semaine, le soir. On ne me voit pas. La compétition ne m’intéresse plus. Je n’avais pas envie de devenir vétéran. J’étais toujours le meilleur Belge en marathon. Je n’étais pas usé mais c’était un bel âge pour arrêter « .

Lismont s’est affilié au club de Borgloon, une filiale du Club Liégeois.  » J’avais 16 ans. Je me suis découvert tout seul. J’aimais courir, je m’entraînais beaucoup mais pas dur. C’est pour ça que ma carrière a été longue. Je n’ai jamais fait d’intervalles style dix fois 1.000 mètres. Je courais rarement des heures d’affilée. Je préférais trois courtes séances quotidiennes à deux longues « .

Champion de Belgique de cross et de 3.000 mètres, il a gagné ce titre en marathon en 1970.  » Je n’étais jamais fatigué. Il était interdit de courir un marathon avant 21 ans, en Belgique. Junior, j’avais déjà gagné deux fois Sedan – Charleville, une course de 25 km contre les meilleurs Français. J’ai toujours eu une bonne vitesse de base. Entre 1971 et 1981, mes meilleures années, je n’ai couru que huit marathons. Je voulais prester en cross et je ne m’intéressais qu’au marathon des Championnats d’Europe. J’ai été finaliste des Jeux 1976 sur 10.000 mètres mais je n’avais pas assez de sprint pour gagner une médaille. Je me suis donc dirigé vers le marathon « .

Lismont a couru son premier marathon international à l’EURO à Helsinki, en 1971, à 22 ans.  » Je me suis livré à fond sur 10.000 mètres, pour battre de 20 secondes le record de Belgique. Le marathon avait lieu cinq jours plus tard. Il pleuvait et ventait, ce qui me convenait. J’ai suivi les autres pendant 20 km, à un rythme lent, puis j’ai placé quelques accélérations, avec succès. C’est devenu ma tactique : accélérer dans la seconde partie « . Champion d’Europe, il briguait l’or aux Jeux de Munich :  » Sinon, je n’y serais pas allé. Malheureusement, il faisait très chaud et ce jour-là l’Américain Frank Shorter a été très bon « . Dix jours après cette médaille d’argent, il a établi un nouveau record sur 5.000 mètres, à Cologne.  » Maintenant, après un marathon, ils ne peuvent plus marcher pendant deux mois. Moi, j’avais couru cinq courses dures en moins de 20 jours « .

Deux chances de médaille tous les quatre ans

Lismont a gagné la dernière médaille belge en athlétisme aux Jeux de 1976.  » Ivo Van Damme a reçu sa médaille du 1.500 mètres une demi-heure avant l’arrivée du marathon. J’aurais dû gagner à Montréal. J’étais fantastique en mai puis j’ai contracté une infection des intestins, j’ai dû prendre des antibiotiques et cesser l’entraînement deux semaines. J’ai ensuite eu une inflammation de la vessie. Je manquais de fer. J’ai donc été content de terminer troisième « .

Après Montréal, Shorter, deuxième, a déposé plainte contre le vainqueur, l’Allemand de l’Est Waldemar Cierpinski, convaincu qu’il avait été préparé selon les méthodes de l’Est.  » Avec une préparation normale, j’aurais vaincu Cierpinski, que j’ai d’ailleurs battu à plusieurs reprises. Même s’il avait pris quelque chose, ça ne l’a pas aidé « .

La carrière olympique de Lismont a duré jusqu’aux JO 1984.  » J’ai souvent pensé à arrêter mais mes résultats m’en dissuadaient. Il faisait torride à Los Angeles. J’y suis arrivé tard pour éviter la chaleur mais je n’étais pas assez acclimaté au départ. En plus, il y avait trop de bruit au village. Le marathon clôturait les Jeux, tout le monde faisait la fête. J’aurais pu courir en 1988 mais participer ne m’intéressait plus, après quatre Jeux. Quand on a fait partie de l’élite, on ne se satisfait plus de moins. Toute une génération a arrêté au début des années 80 : Miel Puttemans, Gaston Roelants, Willy Polleunis, Leon Schots. Je me retrouvais seul en stage. Après Los Angeles, je n’ai plus eu la motivation de m’entraîner seul. Le sport de haut niveau se passe dans la tête. Outre mon endurance, j’ai toujours eu des muscles qui récupéraient facilement et j’ai été rarement blessé « .

Désormais, on s’entraîne spécifiquement pour le marathon. Lismont se préparait au cross, au 5.000 et au 10.000.  » C’est pour ça que ma carrière a duré aussi longtemps. Je ne m’entraînais plus durement que six semaines avant un Championnat d’Europe. Maintenant, on prépare dès avril le marathon de Berlin, qui se court en septembre, pour réussir un chrono. Moi, je courais pour gagner car on ne peut pas comparer les parcours. Il y a avait peu de marathons, aussi. New York et Chicago sont nés dans les années 70. L’épreuve ne figurait qu’au calendrier des Jeux et des Championnats d’Europe, du Mondial à partir de 1983. Les meetings n’étaient pas nombreux non plus, d’où la valeur d’une médaille : on n’avait que deux chances en quatre ans.

Le marathon a connu un boom dans les années 80, dans la foulée du jogging. J’ai couru quelques marathons dans des villes. En 1978, le Japon nous a invités, ma femme et moi. Le billet d’avion coûtait 2.500 euros, nous avons été logés et nourris. Ce fut une belle expérience mais elle ne m’a pas enrichi. On n’a pu demander une prime de départ que dans les années 80. J’ai gagné ma maison par mon travail, pas grâce à l’athlétisme. Un footballeur pro gagne en un an ce que j’ai amassé en vingt ans de course.

L’athlétisme n’est pas un jeu, contrairement à beaucoup de sports. Quand l’entraîneur dit qu’il faut s’entraîner deux fois par jour, il faut le faire trois fois. Après ma carrière, j’ai travaillé avec un athlète. Eddy Stevens a été demi-finaliste du 1.500 au Mondial 1983 puis il s’est abîmé le pied à moto. Si des gens pensent mieux s’y connaître, je les laisse faire. J’ai autre chose à faire. Non pas que je regrette de n’être jamais sorti. Je vais toujours au lit à 22 h 30 et je me lève à six heures et demie. Je ne fume pas, je ne bois pas, mais parfois, je vais au restaurant avec ma femme.

L’athlétisme était un hobby. Je suis entré au ministère des Finances, service TVA de Hasselt, à 19 ans. Je m’entraînais à 6 h 30. A 7 h 15, j’étais de retour, et une demi-heure plus tard, j’étais au travail. Je courais trois quarts d’heure sur le temps de midi, et à 18 h, je m’entraînais sur piste. J’ai toujours couru contre des professionnels d’Amérique ou des pays de l’Est qui ne devaient pas travailler. Je pouvais tout au plus obtenir un mois de congé sans solde. Une fois par an, je passais dix jours en stage à St-Moritz. Sinon, j’économisais mes jours de congé. Pendant ma carrière, je n’ai jamais pris de vacances. Dans les années 70, on consacrait une enveloppe annuelle de 2.500 euros aux stages. En dix ans, elle a doublé. Maintenant, ce doit être quelque chose comme 25.000 euros par athlète.

Pendant des années, je n’ai pas raté un seul jour d’entraînement. Nous descendions de l’avion au Brésil et nous allions nous entraîner. J’ai battu mon record personnel sur 10.000 mètres à Helsinki en 1971. Après, Gaston Roelants et moi sommes revenus en courant au village olympique û dix kilomètres. C’était fréquent. En 1970, j’ai été champion de Belgique sur 10.000 mètres. A 10 bornes de mon domicile, je suis descendu et revenu en courant. J’ai été élu Sportif limbourgeois du Siècle en 1999. Quel honneur ! Mais on pratique l’athlétisme pour soi-même « .

Geert Foutré

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