Jacobs peut-il réussir ?

Il est le seul adjoint qui n’a pas été formé dans un sérail connu pour sa compétence et ses qualités. Parviendra-t-il à surmonter ce handicap ?

Nous avons eu beau chercher, nous n’avons pas trouvé trace dans l’histoire bientôt centenaire du RSCA d’un second de l’entraîneur principal qui n’ait été formé au sein même du club. Tantôt il en allait d’un élément qui combinait les activités de joueur et de mentor, comme Maurice Versé aux temps héroïques, tantôt encore d’anciens qui s’étaient reconvertis dans le coaching après leur carrière active, tels Emile Defevere – passé à la postérité sous le nom de Krumme Mille en raison de ses jambes arquées – ou, plus près de nous déjà, Arnold Deraeymaeker, surnommé leNoulle et qui peut se targuer d’avoir été le premier T2 à reprendre la place laissée vacante suite au renvoi du numéro 1. C’était en 1967 et le chef destitué avait pour nom AndreasBeres. Depuis lors, tous ceux qui ont enfilé le paletot d’adjoint excipaient d’un passé de Sportingman. Tous, à l’exception de deux Hollandais, Jacques De Wit et Jan Brouwer, que le T1 Georg Kessler avait emmenés dans ses bagages au tout début des années 70. Mais, dans la hiérarchie, ils n’occupaient que le troisième rang, derrière Deraeymaeker d’abord, puis derrière une autre ancienne gloire des Mauves encore : Polyte van den Bosch, qui prit d’ailleurs la succession de Kessler en cours de saison 1972-73.

Actif au Parc Astrid à cette époque, Edy De Bolle, récemment nommé adjoint d’ Albert Cartier au FC Brussels, se souvient parfaitement du duo d’outre-Moerdijk.  » Ils étaient les boys du meneur d’hommes allemand « , observe-t-il.  » Ils n’avaient strictement rien à dire en matière de football. Leur rôle se bornait à celui d’un porteur de matériel, ou encore de chauffeur car Kessler répugnait toujours à prendre le volant. Ce n’est qu’avec la nomination de Martin Lippens comme adjoint d’ Urbain Braems, au beau milieu des années 70 que la situation a réellement changé et que le rôle du T2 a été pour la première fois revalorisé. Braems n’était pas encore professionnel à ce moment. Il occupait toujours une fonction de professeur d’éducation physique à l’athénée de Zottegem et avait regroupé ses heures le lundi et le mardi matin. Pendant ce temps-là, Lippens s’occupait seul du noyau. Mine de rien, c’étaient les deux journées les plus importantes. Il fallait non seulement effectuer le debriefing du match écoulé mais également préparer l’équipe. En tant que diplômé de l’école des entraîneurs du Heysel, Lippens faisait cela de main de maître. C’est lui, en définitive, qui a conféré une nouvelle dimension à la notion d’adjoint « .

Martin Lippens : l’£il du maître

Durant sa période active, Lippens avait occupé deux postes-clé au sein de la Première du RSCA : le rôle d’inter (médian) d’abord, à l’occasion de ses débuts dans une phalange déployée en WM, puis celui d’arrière central quand, sous la houlette du coach français Pierre Sinibaldi, Anderlecht opta pour le 4-2-4. C’était un footballeur très intelligent sur le terrain, et qui excellait par son jeu de position. Doté de nerfs d’acier, il était surnommé Mister Penalty car il n’échouait pour ainsi dire jamais dans l’exercice des tirs au but. Il commença au Sporting comme entraîneur des jeunes, en Minimes, et eut d’emblée sous sa direction trois jeunes prometteurs qui allaient faire leur chemin dans le monde du football : Frankie Vercauteren, Didier Electeur et Ronny Martens. Au cours de la campagne 1974-75, il fut promu T2 de Braems mais c’est avec un certain Raymond Goethals qu’il allait connaître ses plus beaux succès, sous la forme de deux accessions en finale de la Coupe des Coupes, dont une gagnée à Paris, en 1978, face à l’Austria Vienne : 4-0.

 » Raimundo s’occupait de la tactique et Lippens de tout le reste « , rigole Gilbert Van Binst.  » Notamment de la mise en condition des joueurs, car Goethals était un Béotien en la matière. Le T2 était également chargé d’une autre mission : veiller à ce que les joueurs respectent une hygiène de vie très stricte. C’est la raison pour laquelle il passait régulièrement la tête au Mustang, le dancing de Laeken où nous avions établi notre QG. Il promettait toujours de ne rien dire à condition que nous rentrions sagement à la maison. Ce que nous faisions, bien sûr ( ilrit). Avant de nous retrouver une heure plus tard dans le même lieu. Un soir, il a eu la bonne idée de revenir sur ses pas et nous nous sommes évidemment tous fait pincer. Sauf SwatjeVan der Elst. Il était tellement petit que sa tête ne dépassait pas le comptoir ( ilrit). Finalement, on s’était tous fait tancer et mettre à l’amende sauf lui. Pourtant, il était toujours le premier à faire la fête « .

Jean Dockx : le T1 qui s’ignorait

Jean Dockx n’était arrivé que sur le tard au Parc Astrid. Le Malinois avait effectivement déjà 30 ans lorsqu’il passa du Racing White au Sporting en échange de trois joueurs, et non des moindres : Maurice Martens, futur Soulier d’Or 1973, ainsi que Jacques Teugels et Gérard De Sanghere qui allaient remporter le titre avec le RWDM en 1975. Dockx n’en fut pas moins un investissement en or. Tout d’abord par sa longévité puisqu’il avait 37 ans lorsqu’il mit un terme à sa carrière. Il avait, dans l’intervalle, remporté deux Coupes des Coupes en 1976 et ’78 et glané les mêmes années deux Supercoupes européennes contre le Bayern Munich et Liverpool. Après avoir tâté du coaching à un échelon inférieur, il prit en main les rênes du RWDM et de l’Antwerp au plus haut niveau. Mais le métier itinérant de coach n’était alors pas son truc et il préféra répondre à un emploi nettement plus stable de coordinateur au Sporting. L’espace de cinq ans, il s’attela à cette mission avant d’être appelé à seconder Aad de Mos, qui le voulait absolument à ses côtés au détriment de Lippens. Durant une décennie, Dockx imposa un énorme respect dans cette fonction en raison de ses compétences et de son entregent. Mais c’est comme coach principal qu’il sidéra tout le monde lors de sa dernière année sur le terrain, en 1998-99.

 » Nous avions pris un très mauvais départ cette année-là, au point de nous retrouver dans les tréfonds du classement après un humiliant 6 à 0 à Westerlo « , se souvient Pär Zetterberg.  » Dans la foulée, le coach, Arie Haan, fut renvoyé et Jean se retrouva à la tête de la Première, flanqué de Frankie. Dès ce moment, Anderlecht a entamé la course-poursuite sur tous ceux qui, entre-temps, l’avaient déjà sérieusement largué au classement. Finalement, nous avions échoué d’un fifrelin dans la course au titre en terminant troisièmes à trois points de Genk et à une unité du Club Bruges. Mais chacun s’accordait à dire que si le championnat avait duré un mois de plus, nous aurions coiffé la concurrence sur le poteau. L’essentiel n’en était pas moins que l’équipe avait assuré sa pérennité européenne malgré un 2 sur 15 au départ. Et, ce qui ne gâte rien, elle avait retrouvé son style. Beaucoup auront assurément encore en mémoire le 0-6 que nous avions réussi en fin de saison au Standard, suivi par un 2-5 sur les terres du futur champion limbourgeois. C’était le meilleur football déployé par le RSCA au cours des dix dernières années. Et là où certains se sont toujours cassé la tête pour opérer des choix épineux, Dockx n’avait pas la moindre difficulté à faire cohabiter des footballeurs de la même trempe, comme Enzo Scifo, Walter Baseggio et moi. Tout le monde désirait qu’il poursuive avec nous. Mais sa décision était prise, il voulait s’effacer au profit d’ Aimé Anthuenis. Pour moi, s’il l’avait souhaité, il aurait pu se bâtir un formidable palmarès comme entraîneur principal. C’était un T1 qui s’ignorait. Son décès inopiné a laissé un vide jamais réellement comblé au Sporting « .

Frankie Vercauteren : une progression méthodique

Inamovible milieu gauche des Mauve et Blanc pendant une douzaine d’années, Frankie Vercauteren en aura été, à l’instar de ses deux prédécesseurs, un adjoint au long cours également puisque c’est en 1998 qu’il fut appelé par la direction à seconder Dockx. Avant de prendre le relais d’ Hugo Broos en 2005, il avait déjà tâté du coaching au FC Malines, où il avait débuté auparavant comme coordinateur des jeunes.

 » Vercauteren a toujours eu l’ambition de se réaliser comme entraîneur au plus haut niveau « , précise Georges Heylens, qui l’a connu à la fois à Anderlecht et à Malines, au moment où il en était lui-même le T1, tandis que son ancien coéquipier s’y occupait du blé en herbe.  » Mais alors qu’il a joué au sommet avec Anderlecht et les Diables Rouges, il a eu la sagesse de repartir de zéro sitôt sa carrière active terminée. Je sais qu’il a appris énormément au côté de Philippe Saint-Jean à Braine. C’est là qu’il a réellement découvert les arcanes du monde des jeunes. Par la suite, il a hérité du savoir de Dockx, puis il s’est inspiré des mentors qu’il avait connus pour son travail de T1. Comme T2, son véritable impact s’est situé au niveau des jeunes. Il y a en effet formé des joueurs qui se sont épanouis pleinement au plus haut niveau. Il suffit de songer à des noms tels que Vincent Kompany, Anthony Vanden Borre ou Mark De Man. Certains diront sans doute que sa manière forte a engendré aussi quelques contre-exemples, comme LukasZelenka, par exemple. Mais ceux qui ont tenu bon, à l’image des deux premiers cités, se sont révélés d’un apport précieux et qu’ils ont été revendus à prix d’or. Cette plus-value, c’est une plume au chapeau de Frankie « .

Glen De Boeck : une longueur d’avance

Par rapport à ceux qui l’ont précédé au poste d’adjoint, Glen De Boeck présente un cas particulier : il est passé sans transition du statut de joueur à celui de T2. Une nouvelle donne due à un concours de circonstances : il était en convalescence après une nième opération au genou quand, en février 2005, Vercauteren fut appelé à prendre la succession de Broos. Il fallait dès lors un nouveau second et Boeckie, dont l’avenir de footballeur était entouré d’un énorme point d’interrogation pouvait faire l’affaire. D’autant qu’il avait le soutien du nouveau T1. Son aventure n’aura été que de très courte durée car 18 mois à peine après son entrée en fonction, il se retrouve aux commandes du Cercle Bruges.

 » Boeckie présentait l’avantage de connaître parfaitement le vestiaire au moment où Vercauteren l’appela à ses côtés « , observe Jacky Munaron, entraîneur des gardiens du RSCA à ce moment.  » C’était un atout non négligeable pour quelqu’un qui reprenait les rênes de la Première à ce moment-là. La collaboration entre eux s’est toujours déroulée sous les meilleurs auspices. Le T1 pouvait réellement compter sur l’autre, garçon très intelligent. Et celui-ci retirait beaucoup des enseignements de Frankie. Mais il ne fallait pas être grand clerc pour se rendre compte que Boeckie visait davantage qu’une place de T2. Je ne dis pas qu’il lorgnait la position de son supérieur au Sporting mais le poste d’adjoint ne constituait qu’une transition. Ce qui se vérifie bel et bien aujourd’hui, avec sa nomination comme entraîneur chez les Vert et Noir. Ce n’était pas vraiment le v£u de Boeckie, qui aurait préféré fourbir ses armes une, voire deux années de plus à Anderlecht. Il est manifestement en avance sur son programme. A mes yeux, il a toutefois les compétences pour réussir. C’est quelqu’un qui voit clair et qui sait ce qu’il veut. Pour moi, il est promis à une belle carrière « .

Ariel Jacobs : souci d’ouverture

Ariel Jacobs est donc l’exception qui confirme la règle puisqu’il n’a jamais eu la moindre attache avec la maison mauve avant son entrée en fonction comme T2. Mais ce n’est pas un homme sans bagage : il a roulé sa bosse tous azimuts dans bon nombre de rôles. Adjoint, il le fut déjà, par ailleurs, lors de la Coupe du Monde ’90, lorsqu’il officia aux côtés de Guy Thys. A l’époque, les Diables Rouges, à l’unisson, le louaient pour sa compétence. Et son étoile n’a pas pâli. Au cours de ses premiers jours au Sporting, fidèle à son habitude, il s’est contenté d’observer. Mais jeudi passé, pour les besoins de petits matches à deux touches de balle maximum, il avait une équipe en main et Daniel Renders l’autre, sous l’£il avisé de Vercauteren. Libre à lui de la faire jouer selon ses conceptions. Le résultat ne se fit pas attendre, sous la forme d’une victoire et de quelques très beaux enchaînements.

 » Dans une certaine mesure, Anderlecht avait déjà rompu avec la tradition en jetant jadis son dévolu sur Renders, même si celui-ci faisait alors plutôt office de T2 bis « , souligne Herman VanHolsbeeck, le manager du RSCA.  » L’engagement récent d’Ariel Jacobs s’inscrit dans ce même souci d’ouverture, perceptible aussi à d’autres échelons du club. Je n’en veux pour exemples que les arrivées chez nous de René Trullemans, ancien d’Hewlett-Packard, comme directeur financier ou de Chris Lioen, ex-Coca Cola, comme directeur commercial. Anderlecht se doit d’être réceptif à d’autres courants et nous en avons donné la preuve, dans un autre domaine, en ouvrant nos portes ces derniers mois à des footballeurs issus du continent sud-américain. Avec Jacobs, je suis sûr que nous serons dans le bon, une nouvelle fois. C’est quelqu’un que Vercauteren a toujours tenu en haute estime et dont je n’ai eu personnellement qu’à me louer lors de notre vécu commun au RWDM. Il nous sera précieux dans pas mal de domaines. Lesquelles ? Ses attributions exactes seront déterminées après le stage du noyau en Suisse cette semaine « .

par bruno govers- photos: reporters

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