» J’irrite « 

Le Cercle a eu besoin de lui mais a pourtant hésité à le conserver.

Jerko Tipuric est-il digne d’entraîner en D1 ?  » On est souvent jugé sur base d’informations incomplètes « , dit-il.  » Après six ans de D2, un club a tendance à s’auto-saboter, par peur d’un nouvel échec. Inconsciemment, les gens ont eu peur de renouer avec le succès. Trembler un an pour être heureux un jour… heureusement, moi, c’est le contraire !  »

Vous estimez être jugé à partir d’informations incomplètes mais vous êtes plutôt taiseux, dans vos conférences de presse.

Jerko Tipuric : Je ne parle pas de l’adversaire ni des aspects négatifs. Je n’ai pas à motiver la concurrence ni à indiquer ce qui était bon ou mauvais dans nos rangs, afin de faciliter le scouting de mes chers collègues.

Donc, vous parlez de la pluie et du beau temps ?

A peu près (il rit). Je connais la force des mots et la fragilité des joueurs après un match. Des commentaires hors contexte ou repris en titre peuvent saper le moral d’un gars. Et quand on est mal dans sa tête, on n’est pas bien physiquement. Un mot de trop peut avoir une influence sur le match ou l’entraînement suivant. Un mot de trop et l’objectif poursuivi depuis des mois vous passe sous le nez.

Vous avez des habitudes spéciales. Par exemple ?

Je demande aux joueurs comment ils se sentent. Parfois, il n’y a pas de théorie d’avant match. Après une mauvaise prestation, il m’arrive de leur donner congé alors que d’autres leur infligeraient un entraînement punitif. Les éléments chevronnés acceptent mal qu’on les corrige à l’entraînement.

Vous effectuiez parfois des changements bizarres, non ?

Pour comprendre un remplacement, il faut voir ceux qui jouent pour l’équipe et ceux qui jouent pour eux-mêmes. Un élément qui perturbe le système peut très bien être le meilleur aux yeux d’un autre. Il m’est difficile d’expliquer ça à quelqu’un qui a une idée fixe. Je sais que j’irrite beaucoup de gens. Ils ne comprennent pas ce qui se passe et, du coup, tout ce que je dis ou fais est mauvais.

On prétend que les entraînements ne sont pas assez disciplinés.

On parle trop de discipline. Les temps ont changé. Les joueurs doivent fonctionner. S’ils font tourner l’équipe tous ensemble, c’est qu’ils sont disciplinés.

Que pensez-vous des gens qui s’en prennent à l’homme ?

Ce sont généralement des gens qui ne savent pas gérer leur peine, leur douleur. Ils pensent s’en libérer en faisant mal aux autres, ce qui est évidemment illusoire. Je préfère de bons ennemis à de faux amis.

Les faux amis

Vous méfiez-vous des faux amis, par exemple un joueur qui vous enlace après la promotion mais déclare que vous ne convenez pas à la D1 ?

Disons que je m’intéresse au comportement des gens et à leur mode de pensée. Je les teste, sans qu’ils s’en rendent compte. Quant aux bons ennemis, je les compare à une mer en furie. Je ne m’attaque pas à elle, je surfe sur les vagues.

Vous n’entrez pas facilement en conflit ?

Non, je garde mes distances et j’observe. Ce qui m’intéresse, c’est ceci : ce qu’il dit ou écrit est-il juste ? Ça ne l’est pas ? Tant pis pour lui. Sinon, bravo.

Avec Franky Van der Elst au chômage et en réserve de la République, vous semblez destiné à être le premier entraîneur limogé.

Je n’y pense pas. Je suis positif. Tout dépend des résultats mais je trouve qu’il est plus difficile d’être champion de D2 que de se maintenir en D1.

Et si vous êtes renvoyé ?

Je retrouverai un autre poste. Ce qui ne tue pas rend plus fort.

Le Cercle vous a déjà renvoyé, en novembre, après une saison que vous aviez terminé à la huitième place en atteignant la finale de la Coupe. Pourquoi ?

Les résultats n’étaient pas bons.

Le Cercle est quand même descendu.

On s’affaiblit quand on vend ses meilleurs éléments, surtout quand on reste sur une saison où on a évolué au-dessus de son niveau.

De quoi avez-vous besoin ?

De quatre ou cinq joueurs, et surtout de quelqu’un qui calme le jeu et permet aux autres de mieux jouer.

Tiendrez-vous aussi peu compte de l’adversaire en D1 ?

Ce n’est pas parce que ma théorie est courte que je n’observe pas l’adversaire. Je le fais toujours et j’exploite le scouting pour améliorer mon équipe.

Que vous a apporté le diplôme de la Pro Licence ?

Les cours se sont achevés au moment où ils devenaient intéressants et j’ai eu mon diplôme. Ce qui m’intéresse, ce sont tous les détails qui permettent à quelqu’un de réussir. Comment a-t-il travaillé ? Ça ne s’arrête pas à l’analyse du jeu. Que fait-on en semaine, dans le vestiaire, avec les journalistes ?

Dans la tête

Pourquoi suivez-vous une formation de thérapeute ?

Je suis frustré quand je vois quelqu’un évoluer sous ses possibilités. Je veux lui permettre de progresser. Voilà pourquoi j’apprends ce genre de choses. Si un joueur est cinq centimètres trop court devant le but, sur une passe idéale, je veux savoir pourquoi. Est-ce un problème tactique, a-t-il couru partout sauf où il le fallait ? Ou est-ce mental, a-t-il peur de marquer ? Ou alors, manque-t-il d’énergie ? Est-ce dû à une mauvaise course ? Je dois le comprendre pour résoudre le problème. Si nous ne sommes pas efficaces, nous avons des problèmes avec les supporters et la direction et on met l’entraîneur à la porte, par facilité. Donc, ces choses m’intéressent.

Pour vous protéger ?

Pour que nous nous réalisions totalement. Le métier d’entraîneur est fantastique car il permet d’apprendre aux autres. Il n’y a rien de plus beau que d’aider les gens. Un entraîneur est responsable du développement des joueurs. Il doit leur faire comprendre ce qu’ils font sans le réaliser, par habitude, sans se demander si leur méthode est la bonne. Pour moi, c’est ça, être un grand entraîneur.

Avez-vous un bon adjoint ?

Oui, pour la première fois de ma carrière, j’ai un vrai assistant, Ronny Desmedt. S’il n’est pas d’accord avec moi, il le dit. Certains se taisent devant vous mais vont tout raconter. Ronny et moi avons une relation très franche, très ouverte. Il est correct. Son opinion m’intéresse. Une relation basée sur un rapport de force ne peut fonctionner longtemps. Un entraîneur en chef qui doit toujours avoir raison travaille mal. On ne peut rien atteindre seul. On peut toujours convaincre les autres qu’on est le meilleur et qu’on sait tout mieux mais à terme, ils comprennent que c’est faux.

Quelle relation avez-vous avec les joueurs ?

La même qu’avec mon adjoint. Elle n’est pas basée sur la force et c’est pour ça qu’on croit qu’il n’y a pas de discipline. Notre relation est bonne car je leur fais confiance. C’est une des clefs de notre montée en D1. Un rapport de force sous-entend qu’on se méfie des gens. Tout décider pour les joueurs, c’est leur dire qu’on ne croit pas en eux. Je fixe des limites au sein desquelles ils peuvent évoluer tout en respectant l’aspect unique de chaque être, avec ses bons et ses mauvais côtés. Chacun a son rythme. Mais chacun doit être prêt à s’effacer pour le bien de l’équipe et convaincu qu’on retire plus de satisfactions à réaliser quelque chose ensemble que seul. C’est le fil rouge de notre dernière saison. Dommage que certains ne l’aient pas remarqué (il rit).

Qu’entraînez-vous le plus ?

Nous consacrons près de 80 % de notre temps à améliorer les 5 à 10 % de mouvements qui augmenteraient notre production de buts.

Qu’imposez-vous, hormis l’occupation de terrain ?

Trois ou quatre principes exercés en semaine. Des principes fondamentaux, par exemple de ne pas se gêner devant le but adverse en cas de centre. Mais tout doit rester naturel : le football est un jeu et les joueurs ne sont pas des marionnettes. Or, jouer, c’est s’adapter sans arrêt. Ce sont les joueurs qui marquent, donc, j’aligne ceux qui prennent en général les meilleures décisions. En finale de la Ligue des Champions, on a vu les conséquences de la pression : les meilleurs avaient du mal à shooter leurs penalties convenablement ! Cinq joueurs avaient mal placé leur jambe d’appui au moment de tirer. La pression nuit aux performances. Si tout le monde en met, moi, je dois aider mes joueurs à s’en débarrasser.

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