« J’étais un objet »

Le  » demi de mêlée  » carolo a été snobé chez les Mauves mais démontre qu’il était bien capable de s’imposer dans le championnat de Belgique.

A l’heure où l’Argentine dispute la Coupe du Monde de rugby – après avoir disputé un match exhibition au stade Roi Baudouin face à l’équipe nationale belge – on pourrait se dire que Cristian Leiva ne déparerait sans doute pas dans cette formation des Pumas. Sa rage de vaincre, sa faculté à se jeter dans les mêlées et à ouvrir le jeu lorsqu’il récupère le cuir laisse penser qu’il aurait, peut-être, le profil de l’emploi. Mais c’est le ballon rond qu’il préfère. L’an passé, Anderlecht l’avait fait signer pour trois ans, jusqu’en juin 2009 avec option pour une saison supplémentaire. Les Mauves pensaient avoir découvert en lui ce demi récupérateur de tempérament qui lui manquait. Mais, après six mois, tout le monde a déchanté. Lassé d’user son short sur le banc, Leiva a préféré être prêté à l’autre Sporting. Aujourd’hui, il y est toujours, et toujours en prêt. Il ignore donc de quoi son avenir sera fait, puisque celui-ci dépend des décideurs du Parc Astrid, mais il préfère goûter l’instant présent.

Aujourd’hui, quel bilan dressez-vous d’une année et demie passée en Belgique ?,

CristianLeiva : Mes six premiers mois doivent être considérés comme une période d’adaptation. J’ai connu de bons moments, d’autres moins bons. Mais, après être resté une demi-saison sans jouer, j’avais beaucoup perdu en rythme et sensations. Il m’a donc fallu un peu de temps pour me remettre à niveau lorsque j’ai débarqué à Charleroi. Progressivement, j’ai trouvé mes marques, je me suis habitué à un football tout à fait différent de celui que j’avais connu en Argentine et j’ai gagné le respect de mes entraîneurs ainsi que de mes coéquipiers. Match après match, j’ai senti une amélioration. Aujourd’hui, je me rapproche de mon meilleur niveau.

Vous aviez perdu tant que cela, en janvier ?

Oui. Complètement. D’abord, par la manière de travailler. La préparation d’avant-saison est conçue de manière tout à fait différente, ici.

Plus physique, voulez-vous dire ?

Non, au contraire. La préparation est beaucoup plus physique en Argentine ! Ici, on a fait de la bicyclette, des promenades à la mer… Je n’avais jamais connu cela.

Le fameux team building de Frankie Vercauteren…

Oui, exactement. Cela a sans doute son utilité, mais moi, j’avais besoin de me dépenser physiquement. On a peut-être une fausse idée de la manière dont on se prépare en Argentine. Le jeu, c’est vrai, est plus technique, mais avant le début de championnat, les entraînements sont très durs. On se construit une base physique pour, ensuite, pouvoir davantage se concentrer sur la technique et la tactique. Le jeu est différent également : en Europe, on essaie de jouer en une touche de balle, on privilégie le jeu de passes et les actions collectives, alors qu’en Argentine, on a tendance à porter le ballon, à jouer plus individuellement. J’ai dû m’y habituer. Ajoutez-y l’handicap du manque de rythme, tous ces paramètres peuvent expliquer qu’on m’a rarement vu sous mon meilleur jour. Cela n’avait pourtant pas mal commencé. Lors du premier match de championnat, à Saint-Trond, j’étais entré au jeu en remplacement de Mark De Man, qui revenait de blessure et qui a subi une rechute. Je ne m’étais pas mal débrouillé. J’ai aussi joué un match de Ligue des Champions, à l’AEK Athènes. Compte tenu de mon manque de rythme, je pense avoir livré une prestation très honorable. Malheureusement, elle est restée sans lendemain. Je serais parvenu à m’imposer et à prendre confiance si l’entraîneur avait continué à me faire confiance. Mais je n’ai pas reçu cette chance. Lucas Biglia est passé par la même période d’adaptation. Il avait aussi besoin de quelques matches pour s’habituer. On lui a laissé le temps et il est aujourd’hui l’un des meilleurs joueurs de la ligue belge.

 » J’ai coûté 1 million. D’autres 3 millions et ils jouent… « 

Pourquoi aviez-vous moins de crédit ?

Je pense qu’il y a eu l’un ou l’autre malentendu entre la direction et l’entraîneur. Visiblement, je n’entrais pas dans les plans de Vercauteren. Ce n’est pas lui qui m’avait fait venir et je n’étais apparemment pas le genre de joueur dont il avait besoin à ce moment-là. Je peux le comprendre, mais j’avais tout de même espéré un autre traitement. J’ai été traité comme un objet. Comme une radio, comme un GSM. J’étais un appareil que l’on utilisait lorsqu’on en avait besoin, puis que l’on rangeait dans un tiroir après utilisation. Je n’ai jamais entendu un mot d’encouragement, ni ressenti un peu de chaleur humaine. Comme j’étais payé, et aux yeux des dirigeants anderlechtois bien payé (ce que je conteste), j’avais juste le droit de me taire. Cela m’a d’autant plus touché que j’ai déjà 29 ans, et à cet âge-là, je n’ai plus le temps d’attendre que mon tour arrive. D’autres joueurs ont reçu beaucoup plus de crédit que moi. Des joueurs comme Mbark Boussoufa ou aujourd’hui Jan Polak ont coûté 3 millions ou 3,5 millions. Donc, ils doivent obligatoirement jouer. Moi, j’ai coûté 1 million, peut-être moins. Je ne connais pas la somme exacte. C’était donc moins grave si j’étais moins utilisé. Je ne sais pas si c’est cela l’explication. J’ai aussi entendu que je ne m’entraînais pas sérieusement. Vercauteren aurait aimé, paraît-il, que je ressemble à Karl-Heinz Rummenigge à l’entraînement. Bon, d’accord, mais l’important n’est-il le rendement durant les matches ? J’ai vu d’autres joueurs, à Anderlecht, qui ne se comportaient pas comme Rummenigge à l’entraînement mais qui, le week-end, étaient sur le terrain.

D’après la direction anderlechtoise, vous étiez le deuxième ou le troisième choix. Le premier, c’était Leandro Somoza, qui est parti à Villarreal…

Parce qu’il était impayable pour le Sporting, oui, je sais. Anderlecht avait besoin d’un demi défensif et, faute de mieux, son choix s’est porté sur moi. OK, pas de problème. Mais je n’ai toujours pas compris pourquoi Anderlecht m’a acheté.

En janvier, lorsque Yves Vanderhaeghe est parti à Roulers, ne pouviez-vous pas espérer qu’une place se libère ?

Je l’ignore. Si vous interrogez l’entraîneur Frankie Vercauteren, le manager Herman Van Holsbeeck et le président Roger Vanden Stock, vous entendrez trois sons de cloches différents. Qui fallait-il croire ? J’ai préféré être prêté à Charleroi. Pour jouer, retrouver le rythme, reprendre confiance…

Vous avez souhaité changer de club, mais rester en Belgique. Parce que, malgré vos problèmes sportifs, votre acclimatation fut parfaite chez nous ?

La Belgique est un beau pays et Bruxelles présente certaines similitudes avec Buenos Aires. Je n’ai donc pas été trop dépaysé sur ce plan là. Mon épouse est heureuse ici, ma petite fille va bien et nous attendons d’ailleurs un autre enfant pour décembre. Le bonheur familial est important, mais je suis footballeur professionnel et si j’avais dû déménager pour trouver mon bonheur sportif ailleurs, je l’aurais fait. Non, si je suis resté en Belgique, c’est parce que je voulais démontrer que je pouvais réussir ici. Si j’étais rentré en Argentine, cela aurait été assimilé à un échec. On aurait dit : – CristianLeivan’apasleniveaupourjouerdanslechampionnatdeBelgique ! Cela, je ne le voulais pas. J’ai ma petite fierté. J’ai senti, dans les propos tenus par la direction carolorégienne, une réelle envie de me faire confiance, de faire de moi un joueur important. Je ne suis pas un ingrat : lorsqu’on me fait confiance, je fais le maximum pour rendre ce que l’on m’a donné.

 » Je n’étais pas d’accord avec mon contrat « 

Votre carrière est relativement atypique pour un joueur argentin : à l’exception d’une petite escapade au Mexique, vous avez attendu d’avoir 28 ans pour tenter votre chance à l’étranger.

Le Mexique, croyez-moi, c’est très similaire à l’Europe. Beaucoup d’argent circule dans ce championnat. Avec tous les étrangers qui débarquent, le niveau se rapproche très fort de celui du championnat anglais ou allemand. Cruz Azul, c’est un club prestigieux. Pourquoi l’ai-je quitté, alors ? Parce qu’un changement d’entraîneur est intervenu et que je sentais que le courant ne passerait pas avec le nouveau mentor. Je suis donc rentré en Argentine.

Jusqu’à ce que l’offre d’Anderlecht se présente. Qu’avez-vous pensé, à ce moment-là ?

D’abord, je n’étais pas d’accord avec les conditions financières. J’estimais valoir beaucoup mieux que le contrat que l’on me proposait, c’était peut-être déjà un signe qu’Anderlecht ne croyait pas totalement en moi. Pourquoi ai-je signé, alors ? Parce que je nourrissais l’illusion de disputer la Ligue des Champions. J’avais envie de remporter des titres, d’écrire des lignes sur mon palmarès. Je suis venu pour le défi sportif, uniquement. Pas pour l’argent. Pas du tout. A 28 ans, c’était une chance unique. C’est tard pour découvrir l’Europe, je le concède. Mais, partir à 19 ou 20 ans, comme bon nombre de mes compatriotes, ce n’est pas bon non plus. Il y a quantité de joueurs argentins qui s’en vont alors qu’ils n’ont disputé que 18 ou 19 matches de championnat dans leur pays. Ceux qui ont vraiment réussi, comme Juan Sebastian Veron ou Gabriel Batistuta, sont partis vers 22 ou 23 ans, après deux ou trois années de D1.

Lucas Biglia est donc parti trop tôt ?

Il a eu l’intelligence de partir en Belgique. Un bon championnat, mais pas du niveau de l’Espagne ou de l’Italie, où il se serait peut-être brûlé. C’est un bon tremplin pour Lucas, avant de plus hautes destinées.

Et vous-même : si c’était à refaire ?

J’ai tout ce qu’un homme normal peut souhaiter. De ce point de vue, je ne peux pas me plaindre. J’ai réalisé l’essentiel de ma carrière en Argentine, principalement à Banfield, dans un championnat très compétitif. Les grands clubs traditionnels, comme Boca Juniors ou River Plate, ne dominent pas de la tête et des épaules. La saison dernière, San Lorenzo a été champion. C’est un signe que le niveau d’ensemble s’élève. Certes, on ne joue que des matches allers (19 pour remporter le titre), mais cela pimente la compétition : une période faste de deux ou trois mois, et on peut rêver…

Et à Charleroi, qu’avez-vous découvert ?

Un club où l’ambiance est totalement différente de celle d’Anderlecht. Un club humain, c’est le mot qui convient le mieux. La famille Bayat n’y est pas étrangère, elle y contribue largement. Charleroi, c’est une grande famille, où chacun s’entraide. A Anderlecht, c’est chacun pour soi. C’est fréquent dans les grands clubs.

Abbas Bayat a déclaré qu’il voyait bien Charleroi lutter pour le titre…

Si j’avais été à sa place, j’aurais fait la même déclaration. C’est normal pour un président d’être ambitieux, de placer la barre très haut. Mais nous, les joueurs, savons garder la tête froide et rester lucides. Je pense que Charleroi peut viser une place dans le Top 5, et briguer une qualification européenne, par le biais du championnat ou de la coupe. La coupe, c’est une loterie, je le sais, mais il faut y croire. Le championnat n’a pas débuté de la meilleure manière, mais c’est en mai qu’on fera les comptes. La saison dernière, on a failli être européen, mais notre sort dépendait de la victoire du Standard en finale de la coupe. On aurait pu être en Intertoto à la place de Gand.

 » La puissance financière, c’est la seule différence avec Anderlecht « 

Vous venez d’Anderlecht, où le titre est quasiment une obligation. Quelle est la différence avec Charleroi ?

La puissance financière, c’est tout. C’est important, évidemment, car l’argent permet d’acheter les meilleurs joueurs, de déplumer les autres équipes du championnat et de posséder les meilleurs individualités.

Alors que Charleroi doit se rabattre sur le collectif ?

L’équipe est mieux huilée sur ce plan collectif, mais il y a tout de même quelques très bons joueurs, dont la valeur marchande est élevée. Je songe à Fabien Camus, à Abdelmajid Oulmers, peut-être à Joseph Akpala s’il continue de la sorte. Mais on n’a sans doute pas, comme Anderlecht, des joueurs qui font la décision sur une action individuelle lorsque le collectif connaît des ratés.

Constatez-vous des différences entre ce Charleroi-ci et celui de la saison dernière ?

Elles ne sont pas énormes. Le groupe de joueurs est quasiment identique, et il y a eu le retour de Bertrand Laquait, qui apporte de l’expérience et de la sérénité derrière. Il y a eu un changement d’entraîneur. Les styles sont différents, mais on ne peut pas dire que ce soit le jour et la nuit. Jacky Matthijssen n’avait pas son pareil pour motiver les troupes. Les entraînements de Philippe Vande Walle sont, en revanche, plus physiques.

Jacky Matthijssen est revenu au Mambourg le week-end passé. Un match spécial ?

Surtout pour lui, je pense.

Et le week-end prochain, c’est le déplacement à Anderlecht. Spécial pour vous ?

Non. Même si j’appartiens toujours à Anderlecht, j’ai tourné la page et je me concentre exclusivement sur Charleroi. Je n’ai plus rien à prouver et ce sera un match comme un autre pour moi. Je donnerai le maximum, mais je le fais à chaque match.

par daniel devos – photos: reporters/hamers

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