» J’étais plus heureux quand je n’avais pas d’argent « 

Le Soulier d’Or 2011 aurait pu gagner des tonnes de roubles au CSKA Moscou mais, à cause d’un genou récalcitrant, il est toujours au RSCA aujourd’hui. Le joueur prend donc la vie comme elle vient, sans tirer des plans sur la comète.

Alors que PaulVanHimst discute le coup à l’extérieur avec JohnvandenBrom, MatíasSuárezpénètre dans la salle de presse du complexe sportif de Neerpede. L’image du timide Argentin qui débarqua voici cinq ans à Anderlecht est désormais bien loin. Sûr de lui, il se dirige vers les journalistes présents et serre la main de chacun d’entre eux.

Mais les gens ne changent jamais vraiment.  » Mati  » est resté un garçon simple, il n’a pas oublié ses racines et a gardé le sens des priorités. Il a toujours parlé sans détour, sa voix est monotone mais ses paroles respirent l’honnêteté. Loin de virevolter comme un danseur de tango, il est plutôt un homme de la pampa, attaché à sa famille. Son regard sombre s’éclaire d’ailleurs lorsqu’il parle de sa fille. Et il ne manque jamais une occasion de souligner qu’il a retrouvé la joie de jouer au football à Bruxelles.

John Van den Brom dit que vous êtes très fort mentalement. Cela vous surprend-il ?

Matías Suárez : Oui, un peu quand même. Mais cela fait plaisir aussi. Savoir que l’entraîneur pense ça de vous, ça vous met en confiance.

Aurait-il dit la même chose s’il vous avait connu ici en 2008 ?

Non, j’ai beaucoup changé. J’ai mis du temps à m’adapter à la Belgique mais j’ai beaucoup appris et je pense que je suis encore plus fort cette année que l’an dernier.

Qu’avez-vous appris ?

Houlala, beaucoup de choses. Surtout sur le plan personnel : partager, écouter, me faire entendre… Ma fille, Alona, a joué un grand rôle dans tout cela. Depuis sa naissance, je vis les plus beaux moments de mon existence. Elle me surprend chaque jour. J’essaye d’être un bon père et de réfléchir en adulte. Car quand je suis arrivé en Belgique, j’étais encore un enfant.

Avec le recul, était-ce une bonne décision d’opter pour la Belgique à cette époque ?

(Sûr de lui)  » Oui. Je dois remercier Dieu, ma famille et mon épouse qui m’ont toujours soutenu et m’ont aidé à en arriver où je suis aujourd’hui. Je ne regrette rien. Au contraire, je suis très content et très fier de vivre dans ce pays.

 » Je voudrais devenir belge  »

A vous entendre, on dirait que vous voudriez devenir belge.

Oui, c’est la vérité. Cela m’intéresse et nous sommes en train d’examiner cette possibilité avec mon manager ainsi que quelques personnes.

Pourquoi ?

Euh… Parce qu’un passeport belge vous ouvre beaucoup de portes sur le plan footballistique. Et parce que je trouve ce pays fantastique. Tout compte fait, c’est ici que ma fille est née. Elle y a même passé trois des quatre années de sa vie. Elle est plus belge qu’argentine.

Vous êtes sous contrat à Anderlecht jusqu’en 2015…

Je ne sais pas exactement mais c’est possible, oui.

Voici peu, un journal a écrit que le club souhaitait prolonger ce contrat jusqu’en 2017. Qu’en pensez-vous ?

J’en suis très heureux mais mon manager vient ici la semaine prochaine (cet entretien a eu lieu jeudi dernier, ndlr) et nous allons en discuter.

Vincent Kompany, Steven Defour, Mbark Boussoufa, Axel Witsel… tous ces vainqueurs du Soulier d’Or évoluent aujourd’hui dans de grands clubs étrangers. Ne vous demandez-vous pas parfois ce que vous faites encore ici ?

Oui, bien sûr, je songe encore à un départ. Mais les deux seules choses qui me préoccupent actuellement sont mon genou et Anderlecht. Des play-offs très difficiles nous attendent et les supporters d’Anderlecht comptent tellement pour moi que je veux leur apporter quelque chose.

En Belgique, vous avez déjà remporté deux titres, deux Super Coupes et un Soulier d’Or. Vous n’avez plus grand-chose à gagner.

Oui mais, actuellement, mon genou m’empêche de partir… Et je suis très heureux ici. Le plus important pour moi, c’est de pouvoir rejouer. Je profite de chaque match et je ne pense qu’à Anderlecht. Un départ n’est pas à l’ordre du jour.

Et Anderlecht pense aussi à vous car il compte sur vous pour faire la différence pendant les play-offs.

J’en suis très fier et cela me motive énormément.

 » Je n’en ai jamais voulu à la direction  »

Marc Herremans, un triathlète belge paralysé des deux jambes, dit que chaque coup dur constitue une chance de se battre pour revenir. Etes-vous d’accord avec lui ?

Oui, tout à fait. Ma blessure au genou m’oblige à me battre chaque jour. Chaque seconde que je perds affaiblit mon genou. Je dois sans cesse travailler afin de le rendre plus solide. Après l’entraînement, quand je rentre à la maison, je mets des électrodes, puis de la glace. J’essaye surtout que la douleur ne revienne pas.

Dans une vidéo publiée sur rsca.be, vous affirmez que vous avez connu 8 mois très difficiles.

Oui car je n’avais jamais été aussi longtemps hors circuit. Après la mort de mon père, c’est la chose la plus grave qui me soit arrivée jusqu’ici. J’ai dû m’entraîner tout seul et veiller à rester motivé. Parfois, je me demandais à quoi tout cela servait. C’était très difficile à vivre. Mais j’essaye d’oublier et de profiter de chaque minute de jeu.

Où avez-vous trouvé la motivation nécessaire pour sortir de ce mauvais pas ?

Ma femme m’a toujours soutenu. Ma famille aussi. Dans les moments difficiles, j’ai toujours pu compter sur ma maman et mes amis.

Il valait donc mieux que vous puissiez effectuer votre rééducation en Argentine ?

Oui, mais c’était aussi dû au fait que je voulais pouvoir parler en espagnol avec les médecins, leur dire ce que je ressentais exactement, où cela faisait mal, savoir ce qu’il fallait faire, etc. J’aurais très bien pu effectuer ma rééducation à Anderlecht mais j’aurais alors vu chaque jour mes équipiers monter sur le terrain pour s’entraîner tandis que je restais à l’infirmerie. Je ne me serais pas senti bien.

Au cours de votre séjour en Argentine, vous avez accordé une interview à Het Laatste Nieuws. Vous vous y plaigniez du fait qu’Anderlecht n’avait même pas téléphoné une seule fois pour prendre de vos nouvelles.

Ah oui… C’était plutôt un malentendu sur lequel je préfère ne plus revenir. Le journal a laissé entendre que j’en voulais à Anderlecht et, par la suite, c’est le club qui m’en voulait. Mais il n’y avait rien de tout cela. J’avais seulement dit que personne d’Anderlecht ne m’avait téléphoné après mon opération et ça a été monté en épingle. Aujourd’hui, il n’y a plus de problème : je suis même très content de ce que le club a fait pour moi. Je n’ai rien à lui reprocher.

 » Lucas Biglia mérite un transfert pour services rendus  »

Qu’avez-vous pensé de tout le cirque fait autour de Lucas Biglia en janvier ?

Je ne me suis jamais beaucoup préoccupé car j’étais en contact permanent avec Lucky. Les journalistes ont écrit beaucoup de choses sans savoir réellement ce qu’il se passait. Ils ont fait une montagne d’une souris. Lucky était malade puis il est revenu, rien de plus.

Malade ou pas, le fait est qu’il voulait partir. Il l’a d’ailleurs répété plusieurs fois.

Oui, n’oubliez pas que cela fait sept ans qu’il est à Anderlecht. Je trouve qu’au vu de tout ce qu’il a apporté au club, il mérite un transfert. Les responsables de l’équipe nationale m’ont aussi demandé d’essayer de jouer dans un championnat plus grand, plus en vue. Et Lucas a le droit de décider de son avenir.

Comment a-t-il vécu tout cela ?

A distance. Il ne pouvait pas s’énerver car c’était mauvais pour ses migraines. Et puis, nous sommes habitués au fait que les gens croient tout ce que la presse raconte.

Bram Nuytinck, votre équipier, ne comprend pas comment Biglia est encore à Anderlecht. Il affirme même que c’est le meilleur joueur avec qui il ait évolué.

Moi aussi ! C’est un joueur très intelligent et très professionnel.

Un bon capitaine, aussi ?

En effet ! Il est très bien sur le plan humain et c’est un bon footballeur, qui a du caractère et de la personnalité. Il est un peu taiseux en dehors du terrain mais pendant le match, il montre qu’il est le meilleur. C’est le moteur de l’équipe et, sans lui, Anderlecht ne tourne pas de la même façon.

Outre Lucas Biglia, vous êtes également lié d’amitié avec Ronald Vargas, qui est à nouveau blessé. Comment va-t-il ?

(Il soupire)  » PauvreRonny ! Il n’a pas trop le moral en ce moment. Il n’a pas encore pu se donner à 100 % pour Anderlecht et je comprends ce qu’il ressent car j’ai un peu vécu la même situation que lui. C’est à nous de le motiver car, actuellement, il a besoin de ses équipiers et de ses amis. Je lui téléphone régulièrement pour le rassurer, pour lui dire qu’il va s’en sortir.

 » Je suis heureux d’avoir pu rester ici  »

Avant cette nouvelle blessure, il était très bon à l’entraînement mais pas en match. Comment est-ce possible, selon vous ?

Il ne faut pas oublie qu’il est resté assez longtemps sans jouer. C’est un peu comme moi : nous devons disputer plusieurs matches pour retrouver la confiance.

Et vous, vous l’avez retrouvée ?

Non, pas encore tout à fait. Parfois, je ne sais pas encore trop que faire du ballon. Mais ça va revenir au fil des matches.

Tout le monde sait pourquoi votre transfert au CSKA Moscou a capoté. Voici peu, vous avez déclaré que vous aviez accepté l’offre russe  » pour pouvoir aider votre famille et vos amis « . Que vouliez-vous dire par là ?

J’ai une très grande famille et les choses ne vont pas très bien en Argentine. Il y a beaucoup de chômage, les gens perdent leur travail les uns après les autres. Avec l’argent gagné à Moscou, j’aurais pu venir en aide à beaucoup de monde. Pas seulement à ma famille mais aussi à quelques amis qui m’ont soutenu lorsque les choses n’allaient pas très bien. Pour moi, un transfert à Moscou n’était donc pas seulement l’occasion de m’enrichir, c’était aussi une opportunité d’aider les autres. Ne me comprenez pas mal, cependant : j’ai un très bon contrat à Anderlecht. Et le fait de pouvoir profiter de la vie ou de passer du temps avec sa famille et ses amis est plus important que l’argent. Je suis donc très heureux d’avoir pu rester ici.

On dit souvent que l’argent ne fait pas le bonheur mais qu’il y contribue.

C’est vrai. Quand j’étais jeune, je n’avais pas d’argent. Rien, rien, rien. Je pense pourtant que j’étais plus heureux que maintenant, auprès de mon père, de ma famille et de mes amis. Je n’avais pas besoin d’argent. Les gens qui ont peu de choses sont souvent plus heureux que les riches. Maintenant, il faut voir les choses en face : on a tous besoin d’argent pour s’acheter une voiture, une belle maison… Mais si ce n’est pas le cas, il faut apprendre à se contenter de ce qu’on a. Et je donnerais tout mon argent si cela pouvait ramener mon père à la vie.

PAR STEVE VAN HERPE – BEELDEN: IMAGEGLOBE

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