« J’étais plus bas que terre »

Rencontre avec l’ex-gardien des Diables pour une interview fleuve où il est question de mafieux tchétchène, de famille, d’argent, de Ford Genk, de mauvaise réputation, et de rumeurs les plus folles…

Louvain et Logan Bailly, c’est un peu l’association de l’eau et du feu. D’un côté, un club sans problème qui poursuit intelligemment sa progression parmi l’élite, au calme, loin de l’effervescence des grosses écuries. De l’autre, un gardien réputé pour ses réflexes détonants, ses sorties kamikazes, sa sérieuse dose de folie, ses coiffures déroutantes, des sapes clinquantes ou ses multiples bolides. Rencontré au terrain d’entraînement de l’OHL, à Oud-Heverlee, en plein bois, Bailly garde le look qui contraste avec un décor très discret. Si beaucoup se sont souvent arrêtés sur son apparence jugée superficielle, on préférera tendre l’oreille et écouter le discours d’un gardien passé du statut d’international, de future star de la Bundesliga, à l’anonymat suisse de Neuchâtel Xamax et les délires d’un président sulfureux. Pour S/F Mag, Bailly se raconte, longuement. Même les appels téléphoniques incessants de son grand pote, Olivier Renard, n’y changeront rien. Entretien avec un revanchard.

Comment te sens-tu aujourd’hui ?

De mieux en mieux. J’accumule les matches et je sens que je monte en puissance. Aujourd’hui, je suis bien dans ma peau et je crois que ça se voit sur le terrain.

Quelle a été la meilleure période de ta carrière ?

Ma dernière saison avec Genk quand on a été vice-champion en 2007 et l’année qui a suivi avec mon arrivée en Allemagne. Je ne saurais pas vous dire combien de pour cent il me reste à combler pour atteindre à nouveau ce niveau mais je sais que je m’en approche petit à petit.

Que t’apporte ton coach, Ronny Van Geneugden ?

Beaucoup. Je l’apprécie autant comme personne que comme entraîneur. Je l’ai eu à Genk chez les jeunes et puis dans le staff chez les pros. C’est lui qui a fait pencher la balance dans ma venue à OHL.

Est-ce exact qu’il y a comme un pacte entre vous : tu dois amener Louvain le plus haut possible et lui doit te permettre de retrouver l’équipe nationale ?

C’est pas vraiment un pacte. On s’est simplement dit qu’on avait un but commun à atteindre. Et Ronny est la personne parfaite pour relancer un joueur. Il l’a prouvé avec Jordan Remacle notamment. Et il va le prouver avec moi.

Ton but, c’est donc de réintégrer les Diables ?

Revenir en équipe nationale, c’est une de mes ambitions, je ne vais pas le cacher. Je sais aussi qu’il y a trois très bons gardiens en poste actuellement. Et que la relève est aussi d’un très bon niveau avec par exemple Koen Casteels qui fait son trou en Allemagne. Mais mon premier véritable objectif est de retrouver mon niveau de jeu d’il y a quelques années. Car les qualités, on ne les perd pas…

Le problème chez toi était devenu mental ?

Oui. C’est pourquoi j’avais besoin de me retrouver dans un club sain, un club stable, un club où l’on me fait confiance. Et c’est le cas ici. C’est pourquoi je viens de prolonger mon contrat d’une saison (jusqu’en juin 2014).

Avais-tu besoin d’un petit club familial pour te relancer ?

Oui. C’est un club calme ou la pression est quasi inexistante. J’avais besoin de m’échapper du climat pesant des deux dernières années. J’avais besoin de me refaire une santé  » médiatique  » et sportive. J’ai préféré prendre des distances avec la presse pendant un moment car à une période, les médias ne m’ont pas loupé. J’étais évidemment aussi en partie responsable de cette mauvaise presse. Comme on dit, il n’y a pas de fumée sans feu….

La Suisse et la mafia

Ton retour à Genk en janvier dernier, le vis-tu comme une déception ?

Non. Je venais d’une année complète sans jouer et d’un club en Suisse, Neuchâtel Xamax, qui est parti complètement en vrille. Je suis revenu en Belgique car, vulgairement parlant, j’étais dans une grosse merde. Financièrement, je n’étais plus payé depuis des mois et sportivement, j’étais dans une impasse.

Tu avais des problèmes financiers ?

Non, pas vraiment. Je ne recevais plus de salaire mais tout est pris en charge sur place. C’était surtout dans la tête que c’était difficile. Je ne jouais pas, le président m’avait pris en grippe. Sur deux mois de temps, j’avais connu trois entraîneurs. Le climat était particulier…

Connaissais-tu la réputation du propriétaire tchétchène, Bulat Chagaev, avant de signer ?

Non. J’avais rencontré le directeur technique du club qui m’avait fait bonne impression. L’entraîneur adjoint était Sonny Anderson et Jean-Luc Ettori était entraîneur des gardiens. Comme casting, c’était pas mal. Malheureusement, je me suis blessé très tôt. Dès que j’ai repris les entraînements, je me suis rapidement senti en super forme mais on m’a clairement fait comprendre que la direction ne voulait pas que je joue.

On a pu lire les histoires les plus folles sur Chagaev. Notamment qu’il se baladait avec des armes, qu’il a menacé des joueurs. Tu confirmes ?

Oui, c’était une forme de mafia. Chagaev était toujours accompagné de ses bodyguards. Il a menacé des joueurs verbalement. Vu que je ne jouais pas, je n’avais rien à craindre. Et puis, je pense pas qu’il allait me tirer dedans (il rit). Mon entourage m’a conseillé de ne pas faire un pas de travers car si ça avait été le cas, ils auraient pu briser mon contrat. Et pendant trois mois, j’allais donc à l’entraînement en me pliant aux consignes. On me demandait de tracer les lignes du terrain, je m’exécutais. Je savais que si j’obéissais, j’allais en ressortir gagnant, notamment auprès de la FIFA car on me doit encore beaucoup d’argent. Et je sais bien qu’un jour ou l’autre je récupérerai cet argent.

Tu expliques les difficultés rencontrées à Genk par ce bref passage en Suisse ?

Oui. Physiquement, j’étais très bien mais il me manquait ce rythme qu’on acquiert seulement grâce aux matches. J’ai été lancé dans le bain rapidement suite à la blessure de Köteles. Mais mentalement je n’étais pas prêt. C’est difficile à expliquer… Je me suis dit que je devais faire de mon mieux, que je n’étais pas superman.

C’était pourtant ton surnom à une époque…

Oui mais je ne le suis plus (il rit). Je me considère aujourd’hui comme… Logan. J’ai simplement essayé de retrouver mon niveau match après match. Et sur la fin, ça se passait de mieux en mieux.

Ford Genk et voitures de luxe

Tu voulais rester à Genk ?

En fin de saison, oui. C’est le club de mon coeur. Je connais tout le monde là-bas, du jardinier au président en passant par les supporters. Ma belle-famille vient de là et j’y retourne régulièrement puisque je suis installé à Maasmechelen. J’étais de retour à la maison, j’étais donc heureux. Et aujourd’hui encore, je remercie toujours ce club de m’avoir relancé.

La fermeture de Ford Genk t’a-t-elle touché ?

Bien sûr car je connaissais énormément de personnes qui y travaillaient. Et puis je suis issu d’un milieu populaire, mon père est ouvrier, comme mon frère et beaucoup de mes amis. Je comprends leur situation. La vie est devenue extrêmement chère et des familles entières vont souffrir de cette fermeture.

De ton côté, tu as gagné très jeune énormément d’argent. Est-ce qu’avec le recul tu juges cela dangereux ?

Oui. Il faut être entouré des bonnes personnes pour gérer de tels montants.

Et tu avais le sentiment de ne pas être bien entouré ?

Je n’ai pas envie de mettre la faute sur les autres car je ne voulais en faire qu’à ma tête. J’ai profité et fait profiter beaucoup de monde de cet argent. Ce qui est fait est fait, on ne sait pas revenir en arrière.

Tu collectionnais notamment les voitures de luxe…

J’en avais acheté une pour mon père, une pour mon frère, deux pour moi, une pour ma femme. Alors que ça n’a pas beaucoup de sens. Certains aiment acheter des belles montres ou faire de beaux voyages. Moi, c’était les belles voitures. A ce moment-là, je ne regardais pas à la dépense.

Ça correspond à quelle période ?

Quand je suis arrivé en Allemagne. J’avais reçu un très beau contrat des dirigeants de Mönchengladbach où je gagnais beaucoup plus qu’à Genk. Et j’étais encore très jeune puisque j’avais seulement 23 ans. J’avais gagné au lotto, en quelque sorte, et j’estimais normal de me faire plaisir. J’ai toujours aimé les voitures, les fringues. Qui n’aime pas ça ? Si quelqu’un passe d’ouvrier à chef d’entreprise, il ne va plus avoir la même vie. Mais c’est vrai qu’avec le recul, je me dis que j’en ai fait trop. C’est en commettant des erreurs que l’on grandit, non ?

Sportivement par contre, ta période en Allemagne n’a pas toujours été heureuse, surtout sur la fin. Comment l’as-tu vécu ?

Très mal. A un moment, j’étais plus bas que terre. Ça ne se voyait pas spécialement car je ne suis pas du genre à montrer mes émotions. Quand on passe de meilleur gardien de Bundesliga, qu’on cite ton nom au Bayer Munich, pour finir par être poussé vers la porte de sortie, c’est pas évident. Ce n’était pas un problème d’argent puisqu’il me restait deux ans de contrat. J’ai la chance d’avoir une famille autour de moi qui m’a toujours soutenu. Et j’ai pu voir aussi quels étaient mes vrais amis.

Arrivais-tu à oublier tes problèmes sportifs en famille ?

La plupart du temps, oui. Sauf sur la fin, en Suisse, où j’ai dit à ma femme de rentrer en Belgique. J’en pouvais plus, c’était invivable et je ne voulais pas que ma situation ait des répercussions négatives sur ma femme et mes enfants. Je me suis donc retrouvé seul pendant trois mois avec des visites régulières de mes frères et de mon père. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup mûri en quelque temps ; je pense pouvoir encaisser énormément désormais. Au niveau mental, je précise (il rit).

Comment expliques-tu cette chute ?

C’est difficile. C’est une sorte d’engrenage. J’ai été pris dans la spirale négative des mauvais résultats à Gladbach. Mais j’étais loin d’être l’unique responsable. J’ai commis une grosse boulette quand je boxe le ballon dans mon goal mais c’est tout. Je ne sais toujours pas pourquoi le public m’a pris en grippe.

Le réputé hebdomadaire allemand Der Spiegel avait notamment sorti un article où étaient énumérées toutes des dépenses.

Cet article n’était que pur mensonge. Les journalistes prétendaient que je dépensais tout mon argent dans des casinos, qu’ils avaient en leur possession un enregistrement video où je  » jouais « . C’est ridicule. J’ai beaucoup de vices mais pas celui du jeu. Je n’ai jamais mis un pied dans un casino, je n’ai jamais joué au black jack, ni au poker.

On parlait aussi de retenue sur salaire car tu accumulais les dettes.

Faux. Il était écrit que j’avais acheté une Bentley à mon père. C’était faux, c’est moi qui roulais avec et je l’avais prise en leasing. Ce qui était vrai, c’était que je chauffais ma piscine intérieure à 30° toute l’année. Je payais beaucoup en chauffage, je pouvais me le permettre. Où était le problème ?

Bad boy ?

Tu estimes être moins dépensier qu’avant ?

Beaucoup moins. Je n’ai pas le même contrat qu’en Allemagne mais j’ai un très bon contrat également. Sinon je n’aurais pas signé à Louvain.

Pourquoi les médias allemands se sont-ils tant intéressés à toi ?

Je ne sais pas. Je suis peut-être extravagant mais j’étais loin d’être le seul en Allemagne. Vous allez aujourd’hui sur le parking du club de Gladbach et vous trouverez des Lamborghini, des Aston Martin. Il y avait bien  » pire  » que moi question bagnoles…

As-tu gardé des bons contacts de ton passage en Allemagne ?

Oui avec quelques joueurs comme Marc Reus (Borussia Dortmund) ou Roman Neustadter (Schalke 04). Gladbach était un club extraordinaire et je suis très heureux de le voir aussi bien classé ces dernières années. C’était aussi un championnat qui me convenait bien. Spectaculaire avec de superbes stades.

Quand tu regardes dans le rétro, tu te dis qu’il est temps de rattraper le temps perdu ?

Je n’ai que 26 ans mais je ne peux plus trop tarder. Les années qui arrivent vont être déterminantes pour moi.

Tu as également connu des déboires avec la justice après avoir été mêlé à une bagarre le soir du titre du Standard en avril 2008. Quelques années après, quel est-ton regard sur un tel événement ?

Ils étaient 5-6, on était quatre. Ils nous ont provoqués, des coups ont été portés. Mais eux ont été plus malins puisqu’ils ont porté plainte pour coups et blessures. Mais il n’y a pas eu mort d’homme, il s’est passé ce qui se passe tous les week-ends.

Ce genre de situation n’arrive quand même pas à tous les joueurs de D1 ?

Non, mais je connais beaucoup de joueurs qui ont été contrôlés positifs au volant, ou qui ont commis de lourds excès de vitesse, ou même qui ont participé à une bagarre et dont le grand public n’a rien su. Je peux en citer des dizaines. Je sais pas pourquoi le nom Bailly, par contre, intéresse davantage la presse. De toute façon, on m’a toujours dit une chose : qu’on parle de toi en bien ou en mal, l’important c’est qu’on parle de toi.

Tu reconnais avoir fauté ?

Bien sûr. Je sais très bien que je ne suis pas un ange. Mais voilà, ça fait partie de la vie. Certains sont plus calmes que d’autres, certains sont plus malins que d’autres. Et faut pas croire, j’ai ramassé sur ma gueule aussi dans ma vie.

Si tu pouvais revenir en arrière, qu’est-ce que tu changerais ?

Rien. Si je n’avais pas fait certaines bêtises, je les aurais peut-être commises plus tard. Si je n’avais pas dépensé mon argent dans des voitures à 22 ans, je l’aurais peut-être fait à 30 ans et j’aurais été ruiné à 35. J’ai la chance d’avoir fauté assez jeune et de pouvoir me refaire une santé.

PAR THOMAS BRICMONT

 » Je suis revenu en Belgique car, vulgairement parlant, j’étais dans une grosse merde.  »

 » J’ai profité et fait profiter beaucoup de monde de mon argent. « 

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