« J’ÉTAIS L’ÉTRANGER « 

Son passage au Staaienveld est passé inaperçu. Pourtant, c’est le dernier bastion belge de Beveren qui s’en est allé.

B everen, waardeIvorianenthuiszijn. En plagiant un célèbre slogan d’une commune flamande de la région bruxelloise ( WaarVlamingenthuiszijn), telle pourrait être la devise du club du football du Freethiel actuellement. Lassé de cirer le banc, KristofLardenoit (22 ans), originaire de Sint-Gillis-Waas, a préféré émigrer à Saint-Trond alors qu’il était le régional de l’équipe :  » Parfois, je me sentais un peu comme l’étranger de l’équipe. L’année dernière, il y avait encore MarkVolders, BjörnVleminckx, AnouarBouSfia et l’entraîneur HermanHelleputte. Ils sont tous partis, il ne reste plus que le deuxième gardien, DavinoVerhulst. Cette saison, nous étions les deux seuls Belges à l’entraînement. Toutes les séances de théorie étaient données en français. En fait, je n’ai pas tellement été victime des Ivoiriens, mais plutôt du fait que l’entraîneur VincentDufour avait emmené avec lui deux défenseurs français, OlivierFontenette et JonathanJoseph-Augustin, et leur accordait la préférence, à mon détriment. Je n’ai pas quitté Beveren de gaîté de c£ur, car c’est le club qui m’a accordé une chance en D1 et j’étais très populaire auprès des supporters, mais j’ai dû me rendre à l’évidence : si je voulais jouer, je devais partir. Au début, je pensais que ce départ serait douloureux, mais finalement, tout s’est bien passé. Aujourd’hui, de plus en plus, je me rends compte que j’ai fait le bon choix. Si je voulais recevoir une chance honnête, je devais forcément aller voir ailleurs. Je n’avais pas envie de jouer une année entière en Réserve, où j’aurais régressé. En outre, je découvre que la mentalité trudonnaire me convient mieux. On table plus sur le caractère et l’engagement ici « .

L’an passé, il déclarait pourtant que Beveren était le club de son c£ur et qu’il rêvait d’en devenir le capitaine :  » Depuis, bien des choses ont changé. Un nouvel entraîneur est arrivé et je n’ai plus eu voix au chapitre. En début de saison, j’y croyais encore. J’avais même signé une prolongation de contrat, car Vincent Dufour et JeanMarcGuillou avaient déclaré qu’ils croyaient en moi. J’ai peut-être signé trop tôt « .

L’intervention du bourgmestre

Lardenoit a été prêté pour six mois à Saint-Trond. Pour revenir au Freethiel la saison prochaine, lorsque les dirigeants belges de Beveren auront repris le pouvoir ?  » Je l’ignore. Vous savez, j’ai déjà entendu tellement de choses à Beveren que je ne sais plus trop à qui il faut se fier. Un jour, certaines personnes annoncent qu’ils veulent reprendre le club et engager un entraîneur belge ; le lendemain, ils démissionnent ; puis, ils reviennent avec d’autres projets et un compromis. Finalement, Dufour resterait encore deux années à son poste. Alors, je ne pense pas que beaucoup de choses changeront, car c’est lui qui décidera des transferts entrants. Si Saint-Trond est disposé à lever l’option, je suis prêt à rester. C’est un club qui accorde généralement une chance aux jeunes joueurs belges, et dans ce contexte, c’est sans doute le club idéal pour poursuivre ma progression « .

Lardenoit a vécu toute l’ africanisation progressive de Beveren. Etait-il nécessaire d’en arriver là ?  » Je suis mal placé pour en parler. Je n’étais qu’un joueur et ce n’est pas moi qui tenais les cordons de la bourse, je ne peux donc pas dire à quel point les dirigeants avaient le couteau sur la gorge. A un moment donné, il a fallu prendre des décisions pour assurer la pérennité du club, mais je pense qu’on est allé trop loin. Au début, il y avait cinq Ivoiriens et quelques Anglais, comme le gardien GrahamStack et le défenseur JohnHalls. Puis, les Ivoiriens sont arrivés en nombre de plus en plus élevé. Jusqu’à cette saison, j’avais toujours pu… survivre, mais ces derniers mois, mon horizon s’est bouché « .

Cette saison, Lardenoit était devenu le seul Belge de l’équipe, et rarement sur le terrain de surcroît :  » C’était parfois invivable. La pression était devenue intense, toute l’attention était portée sur moi. Lorsque l’équipe ne tournait pas, les supporters se mettaient à scander mon nom et réclamaient mon entrée sur le terrain. A un moment donné, le bourgmestre a même menacé de couper les subsides si je n’étais pas dans l’équipe : une semaine plus tard, j’ai fait une apparition. Je crois que le bourgmestre a agi avec une bonne intention, mais pour moi, c’était difficile à gérer. Je savais que, lorsque je montais au jeu, je n’avais pas le droit de décevoir. Finalement, le bourgmestre s’est ravisé et c’est mieux ainsi. Ce n’est pas à un politicien qu’il incombe de faire la sélection « .

Beveren s’est vidé de ses jeunes

Aujourd’hui, certains affirment que sans les Ivoiriens, avec une équipe à 100 % belge, Beveren ne pourrait ambitionner que… la D3 :  » C’est peut-être exagéré, mais au point où le club est arrivé, il ne pourra sans doute opérer brusquement un virage à 180°. La belgicisation devra se faire progressivement. Jadis, il y avait une bonne école de jeunes à Beveren. Des joueurs en sont sortis qui ont le niveau de la D1 : DavyTheunis, KristofImschoot, JimmySmet, Björn Vleminckx, Anouar Bou-Sfia. Mais aujourd’hui, les jeunes de la région hésitent à s’affilier : c’est comme s’ils s’engageaient dans une impasse étant donné que leur horizon sera irrémédiablement bouché le jour où ils atteindront l’âge d’intégrer l’équipe Première « .

Lardenoit affirme pourtant qu’il a bien vécu l’arrivée des Ivoiriens :  » Sur le terrain, cela se passait plutôt bien. Ce sont des garçons sympathiques. En dehors du terrain, il y avait peu de contacts. La langue, la culture et la mentalité étaient trop différentes. Les Ivoiriens restaient entre eux : c’est normal puisqu’ils avaient grandi ensemble et qu’ils étaient en nombre à Beveren. Les Belges formaient aussi un petit groupe à part. La ponctualité n’est pas trop importante pour eux. Au début, ils arrivaient fréquemment en retard à l’entraînement, mais cela s’est amélioré « .

Techniquement au-dessus du lot

Lardenoit a été impressionné par leur classe :  » YayaTouré, GillesYapiYapo, EmmanuëlEboué, Arsène étaient tous de très grands talents. Cela ne m’étonne pas que Yapi-Yapo soit titulaire à Nantes. Déjà à Beveren, il avait une vitesse d’exécution extraordinaire. Il jouait toujours en un temps en s’appuyant sur une belle technique. Avant de recevoir le ballon, il savait déjà où il allait l’expédier. Il rendait les autres meilleurs et s’était affirmé comme le patron. Eboué a progressé de façon étonnante. Tactiquement surtout, car sur le plan purement footballistique, il n’avait plus rien à apprendre. Son évolution fut phénoménale. Boubacar Copa est un gardien de classe, un véritable félin sur sa ligne, doté de réflexes étonnants et également très fort en un contre un. Il joue très bien au pied. La saison dernière, il avait dû faire face à la concurrence de Volders et cela ne lui avait pas trop réussi : il a besoin de se sentir le n°1. Marco Né, qui va partir à l’Olympiakos, est un footballeur très intelligent, qui a joué de malchance au niveau des blessures. ArthurBoka, Junior et MohamedDiallo sont également de très bons footballeurs. Je crois que tous ces joueurs ont constitué un enrichissement pour le championnat. Techniquement, ils sont d’un niveau rarement atteint chez nous. Diallo est le maître des dribbles. Il réalise ses gestes à une vitesse impressionnante. Lorsqu’on l’attaque, on est toujours persuadé de pouvoir lui prendre le ballon, mais il s’échappe à chaque fois. La meilleure méthode pour le contrer est encore de le surveiller à un mètre, de temporiser et de le laisser dribbler dans le vide. L’efficacité, c’est un peu le problème de tous les Ivoiriens. Si Beveren possédait un véritable finisseur, il serait beaucoup mieux classé.

On est nulle part en Belgique au niveau de la formation technique. Chez nous, les enfants vont à l’école en journée et s’entraînent quelques fois par semaine le soir. Là-bas, ils ont pu se concentrer très tôt sur le football. Les deux premières années, ils devaient s’entraîner pieds nus avant de recevoir leur première paire de chaussures. Je crois que la plupart des joueurs ivoiriens considèrent Beveren comme une simple étape, mais tout footballeur doit être ambitieux. Ils se sont, dans l’ensemble, bien intégrés et ont progressé dans le championnat de Belgique : tactiquement, physiquement, au niveau de la rigueur. Guillou avait vu juste en les plaçant chez nous. De mon côté, j’ai étoffé mon registre technique, d’autant qu’on jouait souvent sur des espaces réduits à l’entraînement. En fait, je crois que si l’on constituait un mix entre Saint-Trond et Beveren, on formerait une très bonne équipe : le caractère des uns, la technique des autres « .

Supporter de la Côte d’Ivoire

Saint-Trond et Beveren sont tous les deux engagés en quarts de finale retour de la Coupe de Belgique, ce soir, et pourraient se retrouver en demi-finale :  » Lors du match aller contre Charleroi, on était partagés entre la volonté de forger une victoire et la crainte d’encaisser. Résultat des courses : 0-0. Charleroi part légèrement favori, mais le coup reste jouable. Je rêve de disputer une finale, car je l’avais loupée il y a deux ans. J’aspire aussi à démontrer à Dufour qu’il a eu tort de ne pas me faire confiance. Mais, d’un autre côté, je suis toujours supporter de Beveren. Je pense aussi que, pendant la Coupe du Monde, je supporterai la Côte d’Ivoire… puisque la Belgique ne sera pas là « .

DANIEL DEVOS

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