« J’étais fixé après deux mois »

Bruno Govers

Un an et demi après sa grave fracture de la jambe, il a renoué avec le football. Comme manager.

En principe, notre rendez-vous avec Luc Nilis, prévu le 17 décembre, en matinée, aurait dû être postposé. Ce jour-là, le Limbourgeois était censé répondre favorablement à l’appel de ses anciens dirigeants pour donner le coup d’envoi de la rencontre entre Aston Villa et Ipswich Town. Ensuite, une réunion pour SEM, le bureau de management sportif où l’intéressé travaille depuis peu en collaboration avec Paul Courant et Dirk Degraen, l’a amené à devoir différer son retour à Birmingham.

Luc Nilis: Ce n’était pas sans raison que les responsables de Villa Park m’avaient invité pour les besoins de cette joute. C’est contre ces mêmes Blues, à Portman Road, que j’avais été victime d’une fracture de la jambe qui allait hélas signifier la fin de ma carrière active. J’ai été très touché par cette demande et il est d’ores et déjà acquis que je reprendrai sous peu le chemin de mon ancien club afin de voir mes anciens coéquipiers à l’oeuvre dans le cadre d’un autre match. Ce qui est sûr, aussi, c’est que j’honorerai de ma présence le match retour entre Ipswich Town et Aston Villa. Il le faut pour exorciser une fois pour toutes le passé, dit-on généralement. D’autre part, ce serait à mes yeux une manière de rendre hommage à tous ceux du club du Suffolk qui m’ont soutenu dans la dure épreuve que j’ai subie. Je songe, par exemple, au président Sheepshanks, qui a d’emblée mis tout en oeuvre pour que je puisse être transporté par hélicoptère dans une clinique spécialisée, contribuant par là même à sauver ma jambe. Sans cette rapidité d’action, j’aurais sans doute risqué l’amputation. Enfin, je m’en voudrais de ne pas citer les innombrables témoignages de sympathie que j’ai eus de la part des joueurs. En premier lieu, de Richard Wright, le gardien avec qui je me suis télescopé, mais aussi Martijn Reuser et d’autres, qui sont venus me voir très régulièrement à l’hôpital. Sans oublier, bien évidemment, les nombreuses lettres de prompt rétablissement et autres marques d’attention de la part des supporters des Blues.

« Je n’ai pas eu l’occasion de faire des cauchemars »

Exorciser le passé, dites-vous. Dans quelle mesure le souvenir de ce grave accident de jeu ainsi que la vue de ces images, qui ont fait le tour du monde, vous ont-ils poursuivi?

Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de faire des cauchemars: au départ, je ne trouvais pas le sommeil tant la douleur que je ressentais était énorme. Pour moi, la souffrance était essentiellement physique. Pour mes proches, elle était surtout psychologique. Mon père, pour ne citer que lui, chialait comme un enfant. Plus tard, quand le mal s’était estompé au niveau physique, la hantise a soudain pris le dessus. J’avais été tellement près de perdre l’usage de ma jambe, que j’étais pris de panique chaque fois qu’on s’en approchait. A cet égard, je dois vraiment une fière chandelle à Ivo Melotte, un kiné de Zonhoven, qui m’a soigné durant tous ces mois. C’est lui, finalement, qui m’a aidé à vaincre ma peur. Dès ma première visite chez lui, il s’était mis en tête de tapoter ma jambe à l’aide d’une règle. Au tout début, j’étais pris de panique rien qu’à la vue de cet objet. Petit à petit, je me suis toutefois habitué à ce contact, au point de ne plus rien ressentir après quelques semaines. Une fois franchi ce cap, mon processus de rééducation s’est subitement accéléré. Récemment, j’ai passé une visite de contrôle chez un spécialiste. Celui-ci m’a donné tous ses apaisements quant à ma guérison. Les tissus sectionnés se reconstituent tout à fait normalement. Lentement mais sûrement.

A quel moment avez-vous réalisé que votre carrière était terminée?

A dire vrai, longtemps avant la conférence de presse au cours de laquelle Aston Villa et moi-même avons annoncé la nouvelle. En réalité, deux mois après l’accident, j’ai dû me livrer à des tests pour la compagnie d’assurances qui avait mon dossier à sa charge. Dès cet instant, il était établi que je ne renouerais plus avec le football professionnel. La fracture avait tellement abîmé les nerfs et les muscles que deux ou trois ans, au bas mot, auraient été nécessaires pour que je redevienne tout à fait opérationnel. A 33 ans, le sort en était évidemment jeté. Si j’avais enduré le même traumatisme en début de trajectoire sportive, tout porte à croire que j’aurais poursuivi le rétablissement jusqu’au bout. Mais c’était illusoire dans le cas présent. D’un côté, je suis triste, bien sûr, de ne pas avoir pu aller au bout de mes ambitions sportives en Angleterre. D’un autre côté, je me console quand même en me disant qu’il n’est pas donné à tout le monde de vivre quinze ans de football au sommet, comme ce fut le cas pour moi. Après Anderlecht et le PSV, il m’aurait plu de terminer en beauté à Villa Park. Et je pense que c’était bien parti là-bas. Après avoir loupé le début de la saison, en raison d’une blessure à l’aine, je m’étais signalé par un premier but de toute beauté contre Chelsea. Il me tardait d’en inscrire d’autres mais la fatalité en a décidé autrement. A quelque chose malheur est bon, cependant. Ma grave blessure aura eu pour conséquence de me voir quitter le monde du football alors que j’étais encore au sommet de mon art. Bizarrement, je peux dire que je suis sorti par la grande porte. Si j’avais joué deux années de plus, qui sait si la tentation n’aurait pas été grande d’en ajouter une autre, puis une quatrième encore. Pour terminer, en définitive, en n’étant plus que l’ombre du joueur que j’avais été. Ce n’eût pas été idéal.

Football, golf et tennis

Pendant 15 ans, vous avez vécu l’existence d’un footballeur de haut niveau. Où en est le sportif aujourd’hui?

J’ai commencé à retâter du ballon en entraînant à raison de trois séances par semaine les Minimes du FC Melosport Zonhoven, club présidé par mon oncle. Deux fois par semaine, je joue également au golf à Houthalen. Et je me suis remis au tennis, même si j’évite de trop solliciter ma jambe sur les surfaces indoor, car elles accrochent. Quand le temps est clément, je m’autorise aussi un jogging. La première fois, j’ai couru six minutes. A présent, j’en suis à vingt. Il y a progrès (il rit). Pour les fêtes de fin d’année, mon épouse, Patsy, a promis de m’acheter un home-trainer. Je pourrai, de la sorte, travailler à ma condition à la maison. Depuis mon retrait de la scène active, j’ai tout de même pris dix kilos. Ça suffit.

Quelles furent vos activités ces derniers mois?

J’ai pris du bon temps en effectuant l’un ou l’autre parcours, en Belgique ou à l’étranger, et en m’occupant plus intensément de mes enfants. Tout au long de ma carrière, je n’avais pas vraiment eu l’occasion de me charger d’eux. Comme la plupart des joueurs au sommet, j’étais un peu égoïste. A présent, j’entends rattraper le temps perdu. J’ai la chance d’entraîner mon fils, Arne, au sein de l’équipe que je dirige au Melosport Zonhoven, et je suis également avec attention mes deux filles qui s’adonnent à la fois à la danse et à la gymnastique. C’est par souci d’être plus disponible, précisément, que je n’ai pas voulu accepter n’importe quoi parmi les offres qui m’ont été faites pendant cette année sabbatique. Le PSV, par exemple, aurait bien voulu m’inclure dans son staff technique, afin que j’occupe une fonction d’intermédiaire entre les joueurs et le coach, Eric Gerets, d’une part, et entre celui-ci et la direction. Mais après avoir vécu pendant toutes ces années au rythme du foot, quasiment sept jours sur sept, je ne voulais pas une activité aussi absorbante, au départ du moins. C’est pourquoi j’ai fini par accepter les conditions de SEM. En réalité, je peux y organiser mon emploi du temps comme je le souhaite, en conservant les plages de liberté qui me conviennent. Pour l’heure, je travaille d’ailleurs sans le moindre contrat. En février, Paul Courant et Dirk Degraen procéderont à une évaluation de mon boulot et nous aviserons alors de la suite à donner à notre collaboration.

Vandenbergh et Snelders, les bons exemples

Quels sont les contours de votre tâche?

Depuis mon entrée en fonction dans la société, je me suis attelé à dresser une liste de jeunes talents, âgés de 16 à 21 ans, susceptibles d’entrer en ligne de compte pour un suivi chez nous. De fait, j’aimerais faire profiter les jeunes de ma longue expérience de footballeur pro. Car en l’espace d’une décade et demie, j’ai bien sûr vu le contexte footballistique bouger du tout au tout. En vérité, si l’arrêt Bosman était survenu plus tôt qu’en 1995, tout porte à croire que ma carrière aurait été tout autre. Certes, j’ai eu le bonheur de militer dans deux grands clubs. Mais si tout était à refaire, en vertu des normes actuelles, il n’est nullement interdit de penser qu’au lieu de signer des contrats de longue durée au RSCA et au PSV, j’aurais opté pour des baux un peu plus courts, avec la possibilité de m’éclipser, à un moment donné, en direction de la Liga ou du Calcio. De nos jours, les footballeurs sont confrontés beaucoup plus tôt avec la perspective d’un transfert à l’étranger. Il suffit par exemple de songer au cas de Jonathan Blondel, courtisé à la fois par Schalke 04 et Manchester United. Dans un certain sens, il est aisément compréhensible qu’une promesse flashe pour les montants qui lui sont offerts sous d’autres cieux. Reste toutefois à voir si, à l’arrivée, il en sortira réellement vainqueur. Je n’en veux pour preuve que le cas de Laurent Delorge, qui avait répondu à l’offre lucrative de Coventry mais qui, depuis lors, est complètement rentré dans le rang. Pour moi, un plan de carrière bien élaboré vaut mieux que l’argent facile en début de trajectoire. Et c’est cela que je veux essayer d’inculquer. A mes yeux, le bon exemple n’est pas celui d’un Tom Peeters, optant pour Sunderland, mais plutôt de garçons comme Kevin Vandenbergh ou Kristof Snelders qui ont choisi de s’épanouir sous nos latitudes avant, j’en suis sûr, de toucher le gros lot ailleurs. Dans une certaine mesure, je ne prêche pas pour ma chapelle, ni celle de SEM, car j’ai évidemment intérêt à ce que le ou les joueurs dont je m’occupe changent souvent de club. Mais je pars du principe que le bien-être de l’individu passe avant toute autre considération. Et que cet investissement-là nous sera de toute façon ristourné tôt ou tard.

C’est un secret de Polichinelle que votre fils, Arne, est un très grand talent. Vous êtes désormais bien placé pour le seconder efficacement.

Chacun s’accorde à dire que j’étais meilleur que mon père, Roger, qui était actif à St-Trond au moment où Raymond Goethals y fut entraîneur. Et, d’après lui, Arne est plus fort que moi au même âge. Il est, par-dessus tout, doté d’une pointe de vitesse que je n’avais pas. Pour le moment, il a 11 ans, joue sous ma direction en formation de club et s’entraîne aussi, deux fois par semaine, dans l’Ecole de Football dirigée par mon père, avec 90 autres jeunes de six à quatorze ans. Le plus important, pour moi, c’est qu’il prenne du plaisir durant quelques années encore. Par la suite, nous verrons ce qu’il y a lieu de faire. S’il poursuit dans la même direction, je veillerai en tout cas à ce qu’il ne brûle pas les étapes. Lentement mais sûrement, je sais ce que cela veut dire!

Bruno Govers

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