» J’avais honte de moi « 

Des pétages de plomb, des mises à l’écart, des arabesques, des retards répétés, des sourires, de la générosité, des prises de tête, et une classe indéniable, Dirar c’est un peu tout ça à la fois. Aujourd’hui, le numéro 10 brugeois tente de remettre de l’ordre dans une carrière chahutée. Explications.

Nabil Dirar a beau avoir distribué les passes décisives la saison dernière (12 et 4 buts), ses coups de sang auront davantage frappé les esprits. Le plus mémorable d’entre eux ? Sans hésitation, le 12 mars 2011, lors de Bruges-Courtrai. Le joueur marocain se fritte alors en plein match avec Vadis Odija, à qui il décoche une petite gifle, au milieu d’équipiers tentant de le calmer, de le raisonner. Sans résultat. Dirar, lui, en remet une couche auprès du public et se prend en retour une bronca lors d’un remplacement qu’il avait lui-même réclamé. La scène fait le tour des médias du pays.

Quelques jours plus tard, l’indiscipliné est sommé de présenter ses excuses en conférence de presse. On pense alors que le divorce est consommé entre le club et son joueur. Six mois plus tard, Dirar est toujours là, à Bruges, son contrat étant même prolongé fin mai jusqu’en 2016. Alors comment comprendre ce revirement complet, d’autant que le joueur semble aujourd’hui parfaitement dans ses baskets ? A deux jours du match face à Mons, c’est en tout cas l’impression qu’il donne. Le sourire ne le quitte pas, et la franchise est de mise malgré l’évocation d’incidents peu glorieux.

Tu réalises un très bon début de championnat. Comment l’expliques-tu ?

Nabil Dirar : Ça fait environ quatre mois que je me sens très bien dans ma peau. Et collectivement, ça fonctionne aussi. Les trois dernières saisons, Bruges a perdu énormément de points bêtement. L’an dernier, la blessure de Ronald Vargas a été un tournant. On comptait énormément sur lui, il était régulièrement décisif. L’avènement de Perisic est intervenu trop tard. Aussi, l’équipe se déconcentrait trop facilement, l’approche des matches n’était pas assez pro. Je crois que cette saison, il y a une pression incessante et positive sur nos épaules, due essentiellement à la nouvelle structure mise en place par les dirigeants.

L’image de Bruges a, à plusieurs reprises, été catastrophique l’an dernier : ton cas personnel, Perisic qui est vu en discothèque la veille d’un match, l’affaire du pirate informatique Stijn Stijnen, Vadis qui tackle Verheyen, etc.

Je ne sais pas comment l’expliquer. D’un point de vue personnel, j’ai longtemps cru que c’était fini pour moi à Bruges. Pour être honnête, sur la fin, je ne jouais que dans l’optique de décrocher un transfert. Je pensais que partir à l’étranger était le seul moyen de tirer un trait sur ce qui s’était passé. Je voulais aller le plus loin possible, un endroit chaud, où y a de l’argent, pour moi c’était bon. Même l’Afghanistan ( sic), c’était bon, je m’en foutais ( il rit).

D’où l’étonnement pour beaucoup de ta prolongation de contrat à Bruges fin mai.

Tout le monde était étonné. Même mes potes étaient surpris que je resigne. Ils ne comprenaient plus rien à ma situation, ils étaient persuadés que j’allais quitter la Belgique.

Mariage et rdv avec la direction

Qu’est-ce qui t’a incité à prolonger ?

Il y a plusieurs éléments. D’une part, mon mariage qui a eu lieu en juin dernier. Ma femme (Hind Ibn-Daifa, une ex-candidate à Miss Belgique) voulait rester en Belgique, et moi aussi je suis heureux ici. Et puis, j’ai eu une longue discussion avec toute la nouvelle direction brugeoise, avec Henk Mariman, avec Sven Vermant, avec Vincent Mannaert, avec le président Bart Verhaeghe, avec le coach. Chacun d’entre eux m’a montré qu’il tenait à moi, qu’il voulait que je poursuive l’aventure au Club. Ça m’a fait chaud au c£ur, je ne pensais pas que je comptais à ce point pour eux. J’avais besoin de ressentir cette chaleur humaine.

Qu’est-ce qui s’est dit durant cette réunion ?

Je leur ai expliqué que j’avais des propositions de clubs étrangers, je leur ai dit que je voulais changer d’air, fuir la mauvaise image que j’avais auprès du public. Mais les différents membres de la direction m’ont rassuré, ils m’ont dit que j’étais une bonne personne, que cette image pouvait rapidement évoluer. Le coach a parlé de mes qualités, de l’importance que j’avais pour l’équipe. J’étais à la fois surpris et heureux de toutes ces remarques.

Et pourtant, ce fut quelques fois tendu entre Koster et toi ?

Oui, c’est clair. Je lui avais dit tellement de choses, il y avait eu tellement d’accrocs que je pensais mon cas réglé. Mais c’est un gars généreux, avec de l’empathie, peut-être trop gentil pour certains. On s’est expliqué en fin de saison dernière. Après tout ce que je lui ai fait subir, je lui devais une revanche. Mais aussi au Club, aux dirigeants.

La mauvaise réputation que tu traînes, t’a-t-elle mis des bâtons dans les roues pour un transfert ?

Non, je crois que les clubs s’intéressent aux performances avant tout. Il y avait des clubs italiens, français, turcs, qui m’ont suivi avec intérêt durant les play-offs, et comme j’étais performant à cette période, j’avais le choix.

On a aussi évoqué l’intérêt du Standard ?

Oui, j’aurais pu signer là-bas. Et franchement j’étais intéressé. Surtout que quand les contacts ont eu lieu, j’étais énervé sur le Club, je voulais me  » venger « , une attitude de gamin. Ce n’est que quand j’ai eu cette discussion avec tous les dirigeants du Club que j’ai ouvert les yeux. J’ai compris qu’ils étaient dans le bon et que le seul qui avait tort, c’était moi.

Aucune excuse

Cette mauvaise image, tu estimes en être entièrement responsable ?

Bien sûr. Faut surtout pas chercher de faux-fuyants. J’assume mes erreurs.

Tes qualités sportives, par contre, ont toujours fait l’unanimité. Quelqu’un comme Wesely Sonck disait par exemple que tu possédais  » tout  » pour réussir.

C’est vrai ( il rigole). Mais quand la tête ne suit pas…. T’as beau avoir une grosse voiture, avec un moteur puissant, si tu ne sais pas changer les vitesses, elle ne va pas avancer ( il rit).

Les départs de fortes têtes comme Perisic ou Stijnen ont-ils permis d’améliorer l’ambiance ?

Pour ma part, je n’avais de problèmes avec personne, certainement pas avec Stijn, ni avec Perisic. Je suis d’ailleurs très heureux de ce qu’il réussit avec Dortmund. C’est quelqu’un de sympa, qui a énormément de qualités. C’est vrai aussi qu’il y avait des tensions dans le vestiaire, certains n’acceptaient pas les critiques, ça se frottait aussi aux entraînements. Je me suis pris la tête avec pas mal de joueurs. Avec Vadis notamment alors que c’est quelqu’un de bien, d’éduqué, de respectueux, qui est en train de prouver qu’il est un grand joueur. J’étais con. Je cherchais la merde et je l’ai bien trouvée…

Caractériel, c’est ce qui te définit ?

J’ai un caractère assez chaud, c’est clair. Le coach mental que le Club m’a proposé m’a beaucoup aidé. Avec lui, j’arrivais à exprimer ce que je ressentais, et il passait le message au coach, aux dirigeants. Cette année, il m’arrive de le voir encore par moments. On boit un café ensemble, on discute, il contribue à mon équilibre. Maintenant, il en faut beaucoup pour que je m’énerve.

L’an dernier, tu avais déclaré dans nos colonnes :  » Quand je m’énerve ça peut être violent. Mes mots le sont. « 

Jamais je ne vais être violent physiquement, mais mes paroles peuvent être blessantes, c’est vrai. Face à Malines, Ghomsi n’a pas arrêté de me mettre des coups de coude, à un moment je lui ai dit  » T’es pas un joueur de foot, faut que tu changes de sport.  » Mais ça s’arrête là. L’incident avec Vadis, le fait que je le touche au visage, c’est pas moi. D’ailleurs je ne sais pas regarder cette séquence en vidéo, je zappe directement. J’ai honte de moi, mais vraiment, je ne me reconnais pas.

Qu’est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment là ?

C’est difficile à expliquer. J’ai pété les plombs. J’avais le sentiment que tout le monde était contre moi, les joueurs, le public. Je me sentais comme  » agressé « . Les jours qui ont suivi, j’étais très mal. J’avais tellement honte que je mettais des casquettes ( il rit). Si on avait pu m’enterrer quelques jours, je n’aurais pas été contre. Ma mère qui me voit tout le temps souriant, elle ne comprenait pas, elle croyait que j’étais malade. Ma femme, qui a le même âge que moi mais qui est bien plus mature, avait honte. On recevait des messages sur Facebook qui ne faisaient pas plaisir. Et puis l’image que j’ai donnée aux enfants qui se rendent au stade, c’est triste. Y’a rien d’autre à dire. Je suis certain que ça ne peut plus m’arriver.

 » Nabil Jeanette « 

Même si des joueurs ou le public te provoquent ?

Ça n’arrivera plus. Les  » Nabil Jeanette « , franchement ça me fait rire. Et puis si ils me sifflent, c’est une sorte de compliment, ça veut dire que j’ai des qualités. J’entends de tout, des  » terroriste « , je suis blindé maintenant. La dernière fois à Zulte, c’était  » Kebab « ,  » durum « … Ça va je suis pas un Turc, va à l’école s’il te plait ( il rit). L’an dernier, je pouvais sortir de mon match lors de ce type de provocations, car j’y répondais.

Le fait d’avoir quitté Bruxelles pour t’établir à Knokke a une incidence sur tes bonnes performances actuelles ?

Je suis loin des amis, de la famille, désormais, mais je ne perds plus tout mon temps dans les trajets. Ça me permet d’économiser de l’énergie, je suis moins stressé aussi.

On te voit davantage dans le rectangle cette année. On peut dire que tu copies en quelque sorte sur le flanc droit ce que faisait Perisic sur le gauche l’an dernier ?

Oui même si je n’ai pas le sens du but de Perisic, sa faculté à sentir les coups. Mais j’essaie d’être présent dans le rectangle beaucoup plus que par le passé. La saison dernière, quand un ballon venait de la gauche, je restais scotché à mon flanc droit. Koster et Kenneth Brylle (l’entraîneur des attaquants) m’ont demandé de changer ça, de faire le forcing pour être présent dans les 16 mètres. Que ce soit Akpala ou Kouemaha, ils étaient bien trop seuls devant l’an dernier. Et puis avec des joueurs comme Victor Vazquez, Vadis, ou Lior Refaelov, on est nombreux à pouvoir faire la différence au milieu terrain. L’an dernier, après la blessure de Vargas, j’étais un peu isolé sur ce point.

On a aussi l’impression que ton jeu s’est épuré ?

Oui. J’essaie de ne plus faire trop de chichis. Après un dribble, il faut que je lâche un centre ou une frappe. Il faut que je sois concret. Kenneth, qu’on rencontre une fois par semaine, m’a fait évoluer sur ce point. Avec lui, on ne travaille que le jeu devant le but.

Tu penses que Bruges est meilleur que l’an dernier ?

Je le crois car la mentalité est meilleure. On a peut-être perdu en qualité avec les départs de Vargas et Perisic mais on a gagné en leaders. Vadis a grandi, c’est un patron désormais, Nikki en est un aussi, Ryan Donk aussi depuis cette saison, Michael Almeback dit  » Iron Mike  » parce qu’il ne lâche jamais rien, en est un également, tout comme Carl Hoefkens, moi je vais en devenir un ( il rit). Et vous rajoutez à cela des travailleurs comme Akpala ou Vleminckx, vous avez une équipe qui ne baissera pas les bras facilement. Désormais, on défend ensemble, on attaque ensemble.

PAR THOMAS BRICMONT

 » Je voulais aller le plus loin possible, un endroit chaud, où y a de l’argent, pour moi c’était bon. Même l’Afghanistan (sic), c’était bon.  »  » J’aurais pu signer au Standard. Et franchement j’étais intéressé. « 

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