» J’avais besoin d’aller loin « 

Il y a près de deux ans, l’ex-international faisait ses valises destination Bangkok. Il nous parle de ses aventures dans une version plutôt very good trip. En tout cas jusqu’ici…

Depuis septembre 2012, Bertrand Crasson s’est fait médiatiquement très discret. Il est vrai que la Thaïlande a des consonances plus touristiques que footballistiques. Et pourtant, l’homme avait besoin de se reconstruire, humainement comme professionnellement, après avoir vu ses problèmes privés avec son ex-compagne étalés sur la place publique. Quand le Belge Robert Procureur, manitou du foot en Thaïlande (voir cadre), lui propose de rejoindre son club du BEC Tero Sasana pour s’occuper de l’équipe Espoir qui évolue en D2, l’ex-consultant Belgacom saisit cette opportunité qui a des allures de fuite en avant. Sur place, il rencontre Sven-Goran Eriksson, coach de la première équipe, qui aura comme successeur, Stephane Demol et René Desaeyere. Après près de deux ans sur le continent asiatique, Bertrand Crasson évoque son expérience sans refermer le passé.

Quel fut l’aspect le plus contraignant à votre arrivée en Thaïlande ?

Bertrand Crasson : Mon plus gros problème fut et reste la barrière de la langue. Je parle un peu thaï aujourd’hui, je peux faire quelques  » feintes  » à mes joueurs mais l’essentiel de mes consignes sont données en anglais avec à mes côtés un traducteur. Mes joueurs sont très réceptifs, parfois même un peu trop, un peu trop braves. Mais au niveau de la qualité pure, vitesse, technique, je ne note aucune différence avec les joueurs européens. Leurs manques se situent plutôt au niveau de la puissance physique ou des basiques (placement, tactique).

Partir coacher en Thaïlande, c’est financièrement intéressant ?

J’ai un petit salaire qui me permet de vivre tranquille. Le but en me rendant ici n’était pas de m’enrichir mais de trouver une nouvelle vie, goûter à une nouvelle expérience. Avec un beau projet derrière : amener des joueurs thaïlandais en Europe. Aujourd’hui, je pense avoir trouvé ma voie. J’avais besoin d’avoir une structure, d’être plongé dans la vie active, ce que je ne n’avais pas lors de mes dernières années en Belgique. J’ai toujours eu la liberté de bosser comme je voulais, j’avais besoin de changement.

Vous aviez l’impression de dérailler quelque peu avant votre départ pour l’Asie ?

Est-ce que j’ai déconné ? Je ne sais pas mais il me manquait quelque chose, je faisais les commentaires de matches le week-end mais ma semaine était vide. Il y a environ 4 ans, Robert Procureur m’avait contacté une première fois. A ce moment-là, ça ne m’intéressait pas. Je l’ai rappelé il y a environ deux ans et demi pour voir s’il pouvait me proposer un nouveau challenge. Je crois que j’avais besoin d’aller loin, de quitter mes problèmes privés, de démarrer de zéro, de ne plus avoir ma tête en première page dans la DH. Cet épisode ne m’a évidemment pas fait du bien. Quand vie privée et vie publique sont mêlées, ce n’est bon pour personne. En Belgique, il me devenait difficile d’aller au foot sans qu’on me balance des réflexions blessantes. J’ai donc préféré m’exiler… Aujourd’hui, je suis à des années-lumière de ce que je vivais en Belgique. Et puis ce que j’aimais par-dessus tout, le terrain, le foot, ça me manquait. Aujourd’hui, je suis sur le terrain tous les jours et je prends mon pied.

Coacher en Belgique vous était interdit ?

Quelque temps avant que Johan Walem ne soit nommé coach des Espoirs et Besnik Hasi T2, j’avais discuté avec Anderlecht pour intégrer le club. J’avais rencontré le président Vanden Stock et Philippe Collin. Mais je pense que ma personnalité trop franche dérangeait pas mal de monde, on avait peur que je prenne trop de place. Que ce soit dans les médias ou dans les vestiaires. Je devais faire peur à certains.

 » Je pense m’être défait de mon côté prétentieux  »

Vous estimez avoir changé ?

Mon côté trop prétentieux, trop arrogant, je pense m’en être défait. J’ai changé en passant de l’autre côté de la barrière. Je suis plus politiquement correct. J’ai compris aussi que le coaching était dépendant de beaucoup de choses et qu’au final, il faut aussi son lot de chance. Quand on est joueur, moi le premier, on a tendance à croire qu’on sait tout mieux que tout le monde. Désormais, je me rends compte qu’il faut plusieurs années pour acquérir une véritable vision. Aujourd’hui, j’emmagasine beaucoup, je touche à plein de choses, comme mon boulot avec les jeunes de l’académie qui me prend également pas mal de temps.

Avez-vous des modèles dans le métier ?

Je ne pense pas entrer dans le même moule que de nombreux entraîneurs actuels. Et pour être honnête, j’ai connu de nombreux entraîneurs durant ma carrière mais très peu m’ont apporté quelque chose dont je me souvienne. Peut-être 2 voire 3. L’important dans ce métier, selon moi, est le relationnel. Qui peut dire qu’il y a encore de véritable révolution tactique à l’heure actuelle. Disposer son équipe en 4-4-2 en 4-3-3 ou en 4-2-3-1, ça n’a rien de révolutionnaire, on ne jouera non plus jamais à 12, la clef, c’est donc le management humain. Les grands coaches tacticiens, c’est de l’esbroufe. Pour être un bon entraîneur, au-delà de la gestion des hommes, il faut savoir lire rapidement un match et avoir de bons joueurs à disposition. Et ne jamais oublier que la réussite tient à peu de choses…

Qui sont les rares coaches qui vous ont marqué ?

Jean Dockx était très fort au niveau humain. C’était un entraîneur fantastique. Il n’avait pas besoin de faire des hiéroglyphes sur un tableau pour disposer une bonne équipe sur le terrain. Anthuenis était également très bon dans la gestion des hommes. A l’inverse, Aad De Mos ou encore Emilio Ferrera étaient des pointures tactiquement mais le côté relationnel était absent. Avec Emilio, par exemple, l’amusement à l’entraînement n’existait pas. Et je ne pense pas que ce soit la bonne direction à prendre.

C’est laquelle d’après vous ?

J’ai de l’admiration pour des coaches capables de développer le talent chez les jeunes, moins pour ceux qui alignent onze joueurs qui ont 150 matches de D1 dans les jambes. Dans ce cas-là, tu fais de la gestion d’entreprise. Et tu espères gagner le plus possible car cela te permet de disposer la même équipe la semaine suivante sans devoir te justifier.

 » Le climat est le plus gros inconvénient  »

Les joueurs thaïs sont très différents des joueurs  » européens  » dans leur mentalité ?

Ici, on déteste les conflits et si c’est le cas, le joueur se referme sur lui-même. Il faut donc être psychologue dans son coaching. Au début, j’étais trop dur et j’ai changé ma manière de faire.

Au-delà de l’engouement en Asie existant, en grande partie, pour la Premier League, est-ce que les Thaïlandais sont passionnés par leur championnat national ?

Bien sûr et l’engouement ne fait que grandir. L’équipe que je coache dispose par exemple du matricule du Bangkok Christian Collège, un des plus grands collèges du pays. On a donc de nombreux fans, car les anciens étudiants devenus hommes d’affaires continuent à suivre le club à distance. On a des fans, une télé du club, un super site, un stade de 10.000 personnes qui n’est évidemment pas rempli vu que ça reste la D2. Les infrastructures sont parfaites. On dispose, par exemple, également d’une intendance que de nombreux clubs de D1 belge ne possèdent pas. Quand on part en mise au vert, 40 personnes se déplacent, on loge dans un 5 étoiles dans un golf. La Thaïlande se développe à une vitesse folle. Tous les clubs de l’élite commencent à avoir des camps d’entraînement flambant neufs. Et les salaires sont souvent supérieurs à pas mal de clubs belges.

Pourquoi aucun joueur thaïlandais n’est-il connu au niveau international, tout comme la sélection qui n’est pas très réputée ?

Pour de multiples raisons mais le climat est le plus gros inconvénient. Quand ici, il fait en dessous de 30°, il fait froid. Et ce n’est quasiment jamais le cas. Le dernier match qu’on a joué par contre était programmé à 16 h alors qu’il faisait 42 degrés avec 90 % d’humidité. Même à 20 heures, il fait souvent plus de 35 degrés. Il faut imaginer les joueurs évoluer dans de telles conditions. Les 20 dernières minutes sont parfois rock and roll !

Comment se déroule votre journée type ?

Je me lève tous les jours à 6 h 30 du mat’. Je commence par 45 minutes de fitness dont la salle se trouve au sein du complexe à appartements dans lequel je vis. Après, je file à l’entraînement qui débute à 8 h 30. Vers 11 h, je me retrouve dans les bureaux. S’il n’y a pas de second entraînement prévu sur la journée, je vais voir l’équipe première. Je suis généralement chez moi vers 19 h 30, tout dépend du trafic. Je mets généralement une heure pour parcourir les 7 km entre le centre d’entraînement et mon domicile situé quelque peu à l’extérieur de Bangkok. Il m’est parfois arrivé de mettre 2 h 30 pour aller bouffer dans le centre. Désormais, quand je vois que le trajet est à l’arrêt, j’enfourche une moto-taxi. Il faut le vivre pour se rendre compte de la circulation, ici, à Bangkok. Ça roule à gauche et dans les tous les sens. Ici, c’est Nouvel An tous les jours !

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette ville ?

C’est une ville qui ne s’arrête jamais, où je suis plongé dans un total anonymat. Tu peux te balader en pyjama dans la rue, personne ne te regarde. Tous les jours, je suis émerveillé par la ville et son énergie. Je suis effaré par la vitesse à la laquelle les journées se succèdent.

 » Des joueurs ont pété les plombs à Bangkok  »

Bangkok est également réputé pour ses nuits…

La Nightlife, j’ai vu ce qu’il fallait voir…. Aujourd’hui, à 22 h, je suis dans mon lit. Mais c’est vrai qu’au point de vue entertainment, énergie et tout ce que peut offrir le monde de la nuit, c’est unique au monde. Des joueurs ont pété les plombs ici. Si tu te mets à picoler, t’es mort. A cause de la chaleur, des filles, des sorties, tu peux facilement perdre les pédales. C’est arrivé notamment à des joueurs brésiliens que l’on a dû mettre dehors.

Votre vie a fortement été bouleversée par rapport au quotidien auquel vous étiez habitué en Belgique ?

Ça fait, par exemple, deux ans que je ne bois plus d’alcool. A Bruxelles, c’était les verres, les amis, les restos. Non pas que j’avais un gros problème d’alcool mais vu mon temps libre, j’avais tendance à sortir, aller voir des gens. Désormais, je me lève tous les matins, tout seul, sans réveil. Je me sens bien. Mon temps libre est réduit mais de temps en temps, je me rends sur des marchés, ou à une plage située à environ deux heures d’ici. Mais ma vie de tous les jours est mouvementée. Je pourrais écrire un livre avec tout ce qui m’est arrivé ici. J’ai vécu des centaines d’histoires hallucinantes. Il y a quelques jours, un match amical était organisé dans un club situé à la campagne. En arrivant au terrain, je me suis rendu compte qu’il était impraticable. J’ai donc dit que je ne voulais pas jouer, que c’était trop dangereux pour mes joueurs. Le ton est rapidement monté, les dirigeants de l’autre équipe ont commencé à gueuler, ils se sont mis à m’insulter. Puis quelqu’un est arrivé en face de moi et a sorti de son pantalon un flingue qu’il a pointé dans ma direction. Finalement, on est parti, ça s’est plus ou moins arrangé. Mais voilà, il vaut mieux ne pas insister avec les Thaïs. Si tu les ennuies un peu, ils ne sont plus gentils du tout (il rit). J’ai vécu bien d’autres anecdotes bien moins dangereuses et plus exotiques. Hier, un varan d’un mètre a traversé la route. On s’arrête et on observe. J’ai aussi eu un énorme serpent sur le terrain d’entraînement. On avait tous la trouille avant que des gens du staff ne viennent s’occuper de la bête.

 » J’aime l’anonymat et la liberté de la vie  »

La mentalité thaïe vous plaît ?

La philosophie bouddhiste, oui. Elle est à l’opposé de règne du superficiel. Le rapport au travail est également très important ici. Mais ce n’est pas pour autant que vous me verrez demain avec les habits d’un moine bouddhiste (il rit). J’aime aussi l’anonymat et la liberté complète de la vie. On n’est pas dans le jugement sans arrêt comme ça peut être le cas en Belgique où le regard des gens, les jalousies sont incessants. Mais bon, ce n’est pas pour autant que la Belgique ne me manque pas. Bruxelles notamment et l’humour bruxellois.

Comment voyez-vous votre avenir ?

S’il y a deux ans, quelqu’un m’avait dit que je me retrouverais un jour en Thaïlande à entraîner, je lui aurais ri au nez. Et pourtant, aujourd’hui je suis très heureux de ce que je vis et je suis prêt à continuer l’expérience. ?

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS:ALEXANDER VON BUXHOEVEDEN

 » J’avais besoin de démarrer de zéro, de ne plus avoir ma tête en première page dans la DH. « 

 » Quelqu’un est arrivé en face de moi et a sorti de son pantalon un flingue qu’il a pointé dans ma direction…  »

 » Ça fait deux ans que je ne bois plus d’alcool.  »

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