» J’aurais pu mourir avec mon père « 

Mouscron Péruwelz, nouvelle ligne de départ d’un joueur étonnant et d’un homme attachant, aussi bon footballeur que pianiste : où le mènera la musique qui anime son jeu et son coeur ?

Ses yeux regorgent de soleil comme les plages de l’île aux fleurs, sa Martinique natale. Il y a mené une enfance exemplaire, avec des moments dramatiques, qui auraient probablement impressionné le grand poète de là-bas, Aimé Césaire. Comme ce dernier, Steeven Langil a pris le chemin de la France pour perfectionner ses dons d’artiste. Césaire a jonglé avec les mots, inventé le mot négritude, défendu l’héritage culturel africain de la Martinique et se rangea aux côtés de tous les opprimés de la terre. Le footballeur-pianiste du Canonnier, lui, écrit et compose sur les pelouses. Révélation de ce début de saison, il apprécie la chaleur du public belge mais un tel talent ne restera pas longtemps chez nous.

Vous avez brillé à Anderlecht et contre le Standard mais pourquoi y a-t-il eu une fausse note à Zulte Waregem ?

Steeven Langil : J’ai pris un gros tacle sur la cheville contre le Standard et j’ai difficile à récupérer depuis cette faute de Mmaee. L’hématome se voit vachement et une entorse peut parfois vous pourrir la vie durant deux à trois mois. J’ai mal à chaque accélération : or, j’ai besoin de cela pour jouer. Cette blessure me prive forcément d’une partie de mes moyens. A Zulte Waregem, j’avais forcement peur d’aller au contact, de prendre le risque de me casser la jambe. Cela dit, y a de  » la musique  » en D1 belge, j’apprécie car il y a beaucoup d’espaces, infiniment plus qu’en France, par exemple. En L1, on accorde la priorité au plan défensif afin d’atteindre le premier objectif de chaque match : ne pas prendre de but. Ici, le jeu me fait penser à ce qu’on voit en Angleterre.

La D1, c’est quand même pas la Premier League…

Non, bien sûr mais je parle des intentions, d’un jeu fait de ruptures et globalement, du désir de marquer. Les équipes sont par exemple mieux posées sur le terrain en France. Il en résulte que les attaquants y ont toujours au minimum deux adversaires sur le dos. La défense et les milieux de terrain campent bas et cela signifie qu’il faut griller deux lignes très serrées avant d’approcher du gardien ou de percuter.

C’est quand même décousu ici, n’est-ce pas ?

Pas autant que cela. En Belgique, les équipes se projettent rapidement vers l’avant et on marque beaucoup de buts. Je préfère ce jeu, plus spectaculaire que celui de la L1. Ici, cela ne s’arrête jamais. Il faut être prêt physiquement. Les Belges sont grands et costauds et ils vont au duel, surtout sur les phases arrêtées qui amènent un gros trafic aérien.

 » Le public est plus participatif et réactif qu’en France  »

Et tout cela vous a étonné ?

Tout à fait. Quand je passe l’arrière droit, il y a un espace fou devant moi. J’adore, car on a le temps de contrôler, de relever la tête, de fixer son opposant. Cela a étonné pas mal de mes équipiers. Pour nous, c’est magnifique. Les duels sont très durs comme le prouve l’état de ma cheville. Le public est aussi plus participatif et réactif qu’en France. Il pousse son équipe, lui donne de la force. J’ai adoré l’ambiance à Anderlecht, chez nous contre le Standard, à Zulte Waregem et au Lierse..

Vous n’étiez pas prêt lors de votre arrivée chez nous…

Non et je ne suis toujours pas à 100 %. J’ai débuté à Anderlecht, quasiment sans entraînement collectif avec le RMP. J’étais fatigué après chaque accélération. Mais c’était super gai de découvrir la D1 à Anderlecht, dans ce stade historique, face à un club qui truste les titres et les participations à la Ligue des Champions.

Guy Luzon n’a pas regardé attentivement votre match à Anderlecht, au point de placer un gamin, Mmaee, devant vous : étonnant ou est-ce la preuve que le RMP n’était pas encore pris au sérieux ?

Peut-être que le coach du Standard ne savait pas tout à propos de ma vitesse. Les Rouches ont cru que cela se ferait tout seul. Dans leur vestiaire, ils ont mis la musique à fond. Ce n’était que le RMP et ils ont célébré le but d’Igor De Camargo comme si la victoire était dans la poche. On leur en a mis cinq et je ne crois pas que cela leur arrivera souvent cette saison. On a gagné un public ce soir-là. Nous avons été humbles, eux pas. Le Standard nous a pris pour de la merde.

L’humilité, justement, c’est un mot qui revient souvent dans le discours de votre coach, Rachid Chihab.

Il est exigeant et a vite forgé une équipe au format de la D1. Il est juste, met tout le monde sur le même bateau et aime son métier. A Zulte Waregem, nous avons lutté plus d’une mi-temps à 10 contre 11. Sans un but venu d’ailleurs, le RMP revenait avec les trois points. Enfin, ce nul, on a été le chercher au courage, à la sueur de notre front, avec le désir de gagner cette rencontre : c’est ce que le coach veut. Je peux vous dire que j’ai tout donné lors de chaque déboulé.

L’effet de surprise ne jouera bientôt plus en votre faveur…

Je ne vois pas d’effet de surprise : le RMP, c’est plus que cela.

La touche française apporte quand même quelque chose de différent, une belle technicité à la D1.

Si notre jeu et notre organisation plaisent, tant mieux. Le RMP et sa région le méritent.

 » La Coupe de France, c’est déjà le passé  »

Mais qu’est-ce que le vainqueur et un des meilleurs joueurs de la dernière finale  » bretonne  » de la Coupe de France, Rennes-Guingamp (0-2) peut bien chercher en Belgique ?

Un défi, une confirmation, une expérience à l’étranger dans un championnat observé par les grands clubs qui peuvent y dénicher des joueurs à des conditions intéressantes. Beaucoup de choses peuvent démarrer ici. C’est une rampe de lancement. J’ai eu pas mal de contacts en France, à Saint-Etienne et Nice entre autres, mais je voulais avoir la certitude de jouer.

C »était quand même une certitude après une aussi belle finale de Coupe de France ?

Non, les gens oublient vite. Cette finale au Stade de France, devant 80.000 spectateurs, toute la Bretagne, et le président de la République, François Hollande, constituent des moments très forts. Je garderai cela dans mon coeur pour toujours. J’ai montré la petite reproduction de la Coupe de France à mes équipiers de Mouscron mais c’est déjà le passé.

Le Stade de France puis le Canonnier, c’est quand même le grand écart…

A Saint-Etienne et même à Nice, mes chances de jouer me semblaient moins solides qu’à Mouscron. La D1, c’est pas la L1 mais mon contrat est le même qu’à Guingamp. J’ai 26 ans et la carrière d’un footballeur est brève.

C’était tout de même risqué de tenter le coup dans une jeune équipe qui s’apprêtait à découvrir la D1 ?

Non, j’avais de bons renseignements avant de signer ici, mon agent aussi. J’ai joué avec Abdoulay Diaby à Sedan. Je connais bien Teddy Mézague, etc. J’ai rencontré le coach et le feeling a été bon. A 35 ans, au plus tard, la carrière d’un joueur, c’est fini, et il faut rentabiliser son talent. Je n’avais pas d’accord pour prolonger à Guingamp. J’ai dès lors signé un contrat d’un an et je serai libre en fin de saison. L’Angleterre m’intéresse. Lille me proposait un accord de trois ans et une location au RMP. Je suis venu ici un an pour rebondir dans un club dont les valeurs de travail, de solidarité et de travail me conviennent. Cet effectif ne se gonfle pas mais est capable de signer une belle surprise en fin de saison.

C’est-à-dire ?

Je songe au Top 6, ce qui constituerait une belle réponse à ceux qui nous ont réservé la 16e place du classement général. Personnellement, je suis content de mes débuts ici mais le plus important, c’est la durée. J’améliore ma finition mais je cherche d’abord à aider nos attaquants à marquer.

Le Top 6, vous visez haut quand même…

Pourquoi ? Je ne vais pas dire que c’est facile. Tout est possible en football. Il faut pousser, travailler et c’est très dur à l’entraînement mais il convient de passe par là. On bosse, on ne lâche rien et en match on est comme des chiens sur tous les ballons. L’esprit de la gagne, c’est important. Chaque équipe a ses atouts et les autres doivent mesurer que ce sera souvent difficile contre le RMP. Cela ne rigolera pas toujours et c’est quand ce sera plus compliqué qu’on verra si nous somme bons ou pas.

 » A 15 ans, j’ai quitté ma famille, mes amis  »

Réussir ici serait la concrétisation d’une belle aventure de plus pour vous : comment est-ce que tout a commencé du côté de Morne-Rouge à la Martinique ?

Au départ, je me destinais à l’athlétisme, comme mes frères. Chez nous, tout le monde court, c’est le sport numéro 1 de la Martinique, avant le football. J’étais rapide, j’ai gagné un titre de champion de la Martinique sur 100 m à 14 ans mais je suis incapable de vous donner mon temps sur 100 m. Il faudrait que je me teste un jour. J’ai l’impression d’être un peu moins rapide qu’il y a un ou deux ans mais je peux me tromper. Nîmes m’a repéré au Club Péléen de Morne-Rouge où jouaient mes frères.

Vous avez deux frères et quatre soeurs : votre maman a hésité avant d’accepter l’offre de Nîmes, n’est-ce pas ?

Oui, c’est normal, c’était compliqué quand même car je n’avais que 15 ans. Je devais quitter ma famille, mes amis. Mon père avait trouvé une mort tragique deux ans plus tôt.

Excusez-moi pour ma curiosité mais que s’est-il passé ?

Il y a eu une explosion de gaz à la maison. Mon père n’avait aucune chance de survie dans ce brasier. Quand on l’a retrouvé, il était trop tard : complètement brûlé. Il ne restait hélas plus rien à faire d’autre que de le mettre dans un cercueil. C’est comme cela. J’y pense souvent bien sûr mais j’ai le coeur fort. J’aurais d’ailleurs pu mourir avec mon père. J’ai quitté cet endroit une minute avant la déflagration.

Adolescent, comment surmonte-t-on un tel drame familial ?

C’est très dur, évidemment, mais on ne peut rien y changer, c’est le destin. Mais quelque part, cela a décuplé mon envie d’y arriver. Il n’est plus là mais je sais qu’il me voit. Là-haut, il doit être fier de ce que je fais dans le monde du football. C’est ma petite revanche. Ma mère travaillait dans une usine à la Martinique. Elle vit désormais en France, comme mes frères et soeurs. Je lui ai acheté une maison à Ivry.

Magnifique…

Elle ne travaille plus. Mon frère bosse à l’aéroport, tout va bien. J’ai une fille de cinq mois, Aya, notre bonheur à Mélissa et moi. La famille, c’est sacré. Mon filleul, le fils de mon grand frère, assiste à tous les matches au Canonnier.

 » J’ai grillé Jan Vertonghen contre l’Ajax  »

Nîmes a donc été la chance de votre vie ?

Exactement : quand Nîmes me proposa un test, mes frangins étaient certains que je le réussirais. Ils ont convaincu ma mère et j’ai tenté cette aventure, la chance de ma vie, finalement. Avant la fin de mon premier entraînement, le coach me lança : – Toi, je te garde. Je logeais au centre de formation de Nîmes. J’ai paraphé mon premier contrat professionnel à 17 ans.

Puis Guy Roux vous a contacté pour Auxerre.

Exact, j’ai signé pour quatre ans à l’Abbé-Deschamps. Jean Fernandez a pris la succession de Roux quand je suis arrivé. Le projet n’était plus le même et j’ai été prêté à Caen en 2009. Je me suis régalé en L2 au Stade Malherbe, en harmonie avec le coach, Franck Dumas. Après une saison, Auxerre m’a fait revenir au bercail. J’ai même été repris en équipe nationale Espoirs. Pour un gars venu de la Martinique à 15 ans, c’était le rêve. Et en 2010, j’ai découvert la Ligue des Champions avec l’AJA contre le Real, Milan et l’Ajax de Suarez. J’avais les meilleurs joueurs du monde en face de moi.

Et ce furent joie et larmes de rage pour vous, non ?

On peut dire cela, le paradis et l’enfer.

Pourquoi ?

Le 3 novembre 2010, je suis monté au jeu chez nous contre l’Ajax à 20 minutes de la fin. J’étais blessé au genou mais il fallait tenter quelque chose à 1-1. J’ai grillé Jan Vertonghen avant d’adresser une passe décisive : but 2-1, victoire, ambiance de folie en Bourgogne ; je n’avais jamais vécu cela. Juste après, je me suis blessé contre Sochaux et ce fut le début d’une période de galères : opération – je n’ai plus de ménisques -, prêt à Valenciennes où je me suis à nouveau blessé au genou avec une convalescence d’un an à la clef. Le foot, c’est pas tous les jours rose mais aujourd’hui, je prends mon pied. ?

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : BELGAIMAGE/STOCKMAN

 » Le Standard nous a pris pour de la merde.  »

 » C’est quand ce sera plus compliqué qu’on verra si nous somme bons ou pas.  »

 » Mon contrat à Mouscron est le même qu’à Guingamp.  »

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