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 » J’AURAIS FAIT UNE AUTRE CARRIÈRE SI J’AVAIS CROISÉ CONTE PLUS TÔT « 

La découverte de la Coupe d’Europe à 35 balais, la place dans le but du club de son coeur à 37, l’évolution du foot et du métier de gardien durant ses 20 saisons pros : paroles de sage.

« Je sais, je fais un peu dinosaure…  » Jean-François Gillet, gardien qui a le meilleur pourcentage de ballons arrêtés cette saison, a 37 ans, bientôt 37 et demi… Il a été partenaire d’entraînement de Marc Wilmots. Il a joué avec Guy Hellers, Didier Ernst et Ivica Mornar. Il a brièvement évolué dans un championnat où il y avait encore Lommel, Harelbeke, Alost et le RWDM. Il y a 20 ans, un siècle, une éternité.

Jean (surnom en équipe nationale) est toujours là. Bien là. Réacclimaté à la Belgique depuis un peu plus d’un an, après 16 saisons en Italie. Il a rapatrié ses plaques d’immatriculation italiennes ( » Il faut que je fasse les démarches pour les changer « ), sa femme originaire de Bari, ses enfants nés en Italie. Ce qui lui manque ?  » Le soleil, les plages, la lumière. Ici, tu sors, il pleut, il fait froid, c’est normal que ton humeur ne soit pas toujours top.  »

Par contre, il n’était pas fan des horaires dans le sud du pays.  » Tu te pointes à 20 heures au resto, on te regarde de travers et on te dit : – « Qu’est-ce que tu viens faire si tôt ?  » On ne va pas faire un bilan de la carrière de ce gars qui sait parler de plein d’autres choses que de foot. A l’entendre, c’est trop tôt. Ça attendra. Il ne voit pas encore la fin. Vas-y Jean, dis-nous tout.

Tu auras bientôt 600 matches officiels chez les pros. Comment tu vois la suite ?

JEAN-FRANÇOIS GILLET : J’ai signé pour deux ans. Tant que mon niveau reste bon, je continue. Le jour où je commencerai à accumuler les pépins à gauche et à droite, je saurai que c’est le moment pour me mettre sur le côté. Je sais déjà que ça ne sera pas facile. Ça fait vingt ans que je vis à du deux cents à l’heure, tout le temps. Trouver la force en soi pour décider de stopper, c’est compliqué. Difficile à dire. Et à faire, ça doit être horrible. Bref, j’espère que ce sera le plus tard possible.

 » REVENIR AU STANDARD PLUS TÔT, ÇA AURAIT PU ÊTRE PAS MAL  »

Quand tu arrêteras, tu te diras que tu as tiré le maximum ? Tu as plus joué en Série B qu’en Série A, par exemple. Tu as parfois manqué de chance ou d’une bonne rencontre ?

GILLET : De la chance, il en faut, c’est sûr. Des bonnes rencontres aussi. Il y a eu des beaux transferts qui ont capoté pour un rien. Par exemple, j’ai été proche d’un passage à Milan. Dida devait rentrer au Brésil, la place semblait pour moi. Finalement, il est resté. Plus d’une fois, aussi, j’ai été proche d’un retour au Standard. Ça m’intéressait. Il y a eu des négociations, par exemple, quelques mois après mon arrivée à Bologne. Le problème, c’est que Bologne avait déboursé pour m’acheter à Bari et que le Standard voulait m’avoir gratuitement. Et j’avais signé un contrat de quatre ans. J’ai dit à la direction du Standard : -Je ne suis pas fou, mettez-vous d’accord avec les Italiens, après ça on verra. Revenir ici plus tôt, ça aurait pu être pas mal. J’y suis enfin, mieux vaut tard que jamais. Et je suis content de mon bout de chemin. J’ai toujours tout donné, je n’ai jamais traîné la patte. J’ai eu des moins bons moments mais je n’ai pas arrêté de faire le max !

L’un ou l’autre regret ?

GILLET : Oui : celui de ne pas avoir croisé Antonio Conte plus tôt. Il est arrivé à Bari quand j’avais déjà 28 ans. Depuis un paquet de saisons, on galérait, on n’arrivait pas à monter en Série A. Parfois, on passait tout près, mais ça ne voulait pas marcher. J’avais l’impression d’être dans un tunnel. Il n’y avait pratiquement pas d’intérêt médiatique pour ce club. Même quand on faisait une bonne saison, ça passait relativement inaperçu. Ça ne ressemblait plus à rien. A la limite, j’avais l’impression de perdre mon temps. Puis, Conte a débarqué, et là, ça a été directement un rayon de soleil. Dès son premier discours, on a compris ce qu’était le football. Tout était nickel. Quand il te parlait, tu savais qu’il avait raison. On a failli monter dès la première année avec lui. Et la saison suivante, on l’a fait. Si j’avais rencontré un gars pareil en tout début de carrière, j’aurais peut-être eu un autre parcours.

 » LES CHIFFRES PROUVENT QUE JE SUIS DANS LE BON  »

A quoi tu sens que ton corps vieillit ?

GILLET : Pour le moment, ça va. Mais je remarque, de plus en plus, que je dois tout le temps m’entraîner. Quand j’étais jeune, ça ne me posait pas de problème de reprendre après un mois d’arrêt, j’étais vite dans le coup. Ça, c’est fini. Il me faut plus de temps pour revenir après une longue période d’arrêt. Après, avec les années, on se connaît parfaitement, on sait quand il faut pousser ou ralentir.

Tu n’es pas étonné d’avoir le meilleur pourcentage d’arrêts en D1 ?

GILLET : Honnêtement, ça m’a surpris de lire ça, oui. Ce ne sont que des chiffres mais ça booste. Ça me prouve que je suis dans le bon. On a une des meilleures défenses alors que le début de saison a été compliqué, alors qu’il y a eu un changement d’entraîneur, alors que la composition de la ligne arrière a souvent changé. Quand on finit un match sans encaisser, je vois que mes coéquipiers sont aussi contents que moi, même les attaquants. Tout le monde s’arrache pour qu’on réussisse des clean sheets.

A côté de ça, on retient l’une ou l’autre erreur. Contre le Celta Vigo, contre Anderlecht, … En plus, ça a coûté des points, donc ça se voit encore plus, ça fait encore plus discuter.

GILLET : J’assume. Je l’ai toujours fait. Je ne tire pas derrière ! Simplement, il faut revoir le but du Celta. Revoir l’état du terrain. C’est un ballon flottant, il y a un faux rebond, ce n’est pas du tout une trajectoire normale. Très difficile à négocier. Et contre Anderlecht, on peut quand même dire que Lukasz Teodorczyk se défait du marquage de Constantinos Laifis d’une façon un peu particulière, non ? Mais là aussi, j’assume, je ne me cache pas. J’ai pris trop de risques en sortant sur cette phase-là. J’aurais dû rester devant ma ligne parce que c’était un centre tendu, difficile à prendre.

 » L’ESSENTIEL, C’EST LE TIMING  »

C’est quoi, le secret, pour être bon dans les sorties ? Le culot ? Le brin de folie ?

GILLET : D’abord le timing. Aujourd’hui, tu n’as plus des centres calmes et tranquilles comme il y a quelques années. Ce sont des tirs. Alors, tu dois avoir un très bon timing. Et ça arrive que tu te fasses bousculer. Tu veux y aller, on te ralentit, on te fait un petit bloc que l’arbitre ne sanctionne pas, et là, tu es à mi-chemin. Dans la terre de personne, comme je dis…

Sortir, c’est toujours un risque. Et on en demande toujours plus aux gardiens. Le métier a évolué, il est plus compliqué qu’avant. Tu dois être bon dans la construction, dans le jeu au pied, dans les sorties, dans le coaching. Je remarque une évolution énorme. La notion de concurrence a aussi changé. Quand j’ai commencé, il y avait un numéro un en début de saison, il était super bien installé. Si le gars disait qu’il allait jouer avec un plâtre, eh bien il jouait avec un plâtre ! Le titulaire, c’était le titulaire.

Aujourd’hui, je ne dis pas que le gardien est confronté chaque semaine à la même concurrence qu’un joueur de champ, parce qu’il y a toujours une certaine hiérarchie, mais c’est quand même beaucoup plus compétitif qu’il y a quelques années. Et je pourrais aussi te parler des ballons. Avant, tu avais des balles en cuir. Il pouvait pleuvoir, la prise était toujours bonne. Aujourd’hui, tu oublies, c’est une espèce de plastique, beaucoup plus glissant. Et ça vole beaucoup plus. Tu as de ces trajectoires !

Revois le but de Benito Raman contre Waasland Beveren. J’étais bien placé pour le voir, plein axe. Son tir part sur le côté puis revient central… Très difficile à prendre. Je peux comprendre que les fabricants conçoivent des ballons pour qu’il y ait plus de buts, mais pour les gardiens… Et puis les joueurs de champ ne sont pas idiots, ils s’entraînent spécifiquement pour que leurs tirs de loin prennent des trajectoires inattendues, ils exploitent bien l’évolution des ballons. C’est pour ça qu’on voit plus d’erreurs maintenant.

 » MA VIE, C’EST TA MORT  »

En vingt ans, les mentalités ont énormément évolué. Ça ne te pose pas de problème ?

GILLET : C’est clair que j’ai connu autre chose… Je me rappelle mes premiers entraînements avec le noyau A du Standard. Avec trois joueurs ghanéens, dont George Blay, on devait s’habiller dans un vestiaire à part. On gonflait les ballons, on les lavait. Pour nous, c’était normal. On n’a jamais rien dit. Quand on arrivait près des autres joueurs, on avait peur de bâiller. Peur de prendre une remarque désagréable. Peur de se faire jeter. Maintenant, quand un jeune arrive, il revendique beaucoup de choses. Il sait ce qu’il veut. Mais ça ne me pose pas de problème. D’abord, parce que le jeune d’aujourd’hui est beaucoup mieux préparé que le jeune d’il y a vingt ans. Ensuite, parce que ce culot n’est pas un manque de respect.

Le jeune est sûr de lui mais il respecte les anciens. Je vois ça aussi en équipe nationale. Il faut évoluer. Si tu restes arriéré, ça ne peut pas bien se passer. Tu ne peux pas rester dans ton monde. Je vois plein de points positifs dans cette évolution des mentalités. Il y a une compétition énorme, donc les gamins ont raison de montrer les dents. On ne doit pas faire de sentiments. L’âge ne veut rien dire. Que tu aies 18, 25 ou 31 ans, c’est le meilleur qui va jouer. Toi, en tant qu’ancien, tu dois aussi être là si tu veux avoir une chance d’être sur le terrain. Sinon, tu te fais manger. Les Italiens ont une bonne formule. Morte tua, vita mia. Ma vie, c’est ta mort. Pour moi, ça n’a rien de choquant.

Tu as joué ton premier match européen à 35 ans, un Bruges – Torino. Tu n’y croyais plus ?

GILLET : Commencer ma carrière européenne en Belgique, c’est clair que c’était nickel… Je n’y croyais plus trop, j’avoue. Même revenir au Standard, je m’étais finalement fait à l’idée que ça ne se réaliserait pas. J’avais encore un contrat en Italie, je pensais finir ma carrière là-bas. Maintenant, pour être européen en jouant dans le Calcio, tu sais que ça va être compliqué. Tu es obligé de jouer dans une très bonne équipe, et vu le niveau global, ce n’est pas simple. Regarde, même un club comme Milan n’y arrive plus. Et si je me suis retrouvé en Europa League avec Bologne, c’est grâce aux problèmes financiers de Parme. Ça nous avait permis d’être repêchés.

 » NE PAS SE SENTIR DIEU SUR TERRE QUAND LES CHOSES VONT BIEN  »

Si on ne tient pas compte de tes années en D2 italienne, tu te retrouves pour la première fois dans un club qui vise haut, qui pense à des trophées. Ça change quelque chose dans la façon dont tu fais ton métier ?

GILLET : Tu veux parler de la pression ? Je suis blindé ! Quand tu dois sauver ta peau en Série A, la pression, elle est là ! Tu es obligé de prendre des points contre des grosses équipes aussi, c’est chaud. Tu ne te bats pas pour aller aux play-offs ou pour être champion, mais on te fait sentir tout au long de la saison que si l’équipe chute en deuxième division, les conséquences seront dramatiques pour tout le monde. Même chose quand tu es censé jouer le titre avec un club de Série B.

Tu dois pouvoir gérer. Et être conscient que, plus le club est prestigieux et ambitieux, plus on t’attend au tournant, plus la critique risque d’être forte. Si le Standard n’est pas à nouveau européen dans un an, on sait que les conséquences peuvent aussi être dramatiques. Il ne faut pas se cacher. On doit pouvoir gérer les émotions d’une saison. Et ne pas se sentir Dieu sur terre quand les choses vont bien… Si tu te laisses aller, si tu perds le sens des réalités, tu vas dans le mur.

Ça t’embête quand on dit que tu es au Standard parce que tu es un pote d’Olivier Renard ?

GILLET : Je ne fais même plus attention. On a déjà dit ça l’année passée quand je suis arrivé à Malines. Après quelques bons matches, on ne le disait plus. On en a remis une couche quand j’ai signé au Standard. Aujourd’hui, on ne dit plus rien… Olivier et moi, on est des potes parce qu’on a fait les sélections ensemble, jusqu’en Espoirs. Et parce qu’on avait pas mal de contacts quand on était tous les deux en Italie. Où est le problème ? Depuis plus d’un an, il est mon directeur sportif avant d’être mon ami. Point à la ligne.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Aujourd’hui, tu n’as plus des centres calmes et tranquilles comme il y a quelques années. Ce sont des tirs.  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

 » Quand je suis arrivé chez les pros, j’avais peur de bâiller, de prendre une remarque, de me faire jeter.  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

 » Jouer avec un plâtre, c’est fini…  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

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