« J’aurais dû arrêter en 2008 ; on s’était déjà crashé en interne… »

Une image sérieusement écornée pour celui qui admet être capable de faire progresser mentalement un groupe, mais pas techniquement.

Jacky Mathijssen prend le temps d’expliquer ce qu’il a traversé pendant deux ans. Il s’exprime avec ouverture et franchise. Marqué fortement par la difficile saison du Club Bruges, il sait qu’il n’a pas réussi sa mission :  » Je semblais posséder les qualités requises pour réussir à Bruges mais je ne les ai pas démontrées. « 

Il souffre tellement que récemment, il a décliné l’invitation à un dîner d’adieu de journalistes qui suivent régulièrement le Club Bruges.  » J’aurais dû m’installer dans une ambiance festive et, pour le moment, cela m’est impossible « , explique-t-il.

C’est comme si Mathijssen avait entamé un processus de deuil.  » Certains entraîneurs sont capables d’arrêter dans un club et de reprendre le harnais dans un autre la semaine suivante. J’ai toujours trouvé cela étrange. En tout cas, cela m’est impossible après une telle expérience. Pour le moment, je ne puis me sortir le Club Bruges de la tête. Il a trop présent pour moi. Il me faudra du temps car j’ai pris ce travail très à c£ur… comme dans tous mes clubs précédents. A la différence que dans le passé, c’est plus ou moins moi qui avais pris l’initiative de partir. La situation actuelle est différente. « 

Est-elle devenue difficile à partir du moment où on vous a annoncé qu’en fin de saison, votre collaboration serait achevée ?

Jacky Mathijssen : Non, elle est devenue pénible à partir du moment où les gens n’ont plus déclaré publiquement que je faisais bien mon travail. J’ai compris que j’étais en train de perdre mon combat. C’était aux environs du Nouvel-An. Pourtant, quelques semaines plus tôt, après le match de Coupe UEFA contre Valence, on m’avait encore prétendu que l’année et demie qui me restait ne suffisait pas. C’est pour dire à quelle vitesse une situation peut se retourner en football. Souvent, un seul match détermine ce qu’on pense de vous. Il y a une grande différence entre ce qu’on déclare en public et en interne. Quand on m’explique entre quatre murs pourquoi on n’est pas satisfait, je peux généralement bien me défendre. C’est impossible en public car j’impliquerais d’autres personnes, qui ont leur part de responsabilité. Dans ce cas, un entraîneur a besoin de supérieurs qui déclarent : – L’entraîneur a ses raisons pour agir comme il le fait. Cela ne s’est pas produit. Je savais donc que le chapitre se fermait. Je ne pouvais retourner la situation que par une série de succès sportifs qui incite chacun à tirer à la même corde. Mais je n’y suis pas parvenu.

 » Le timing est le seul faux pas de mon éviction « 

Vous avez pourtant été surpris quand Michel D’Hooghe vous a annoncé ne pas vouloir que vous finissiez votre contrat de trois ans ?

Oui et non. Je suis très attentif, j’anticipe. J’ai parfois le sentiment d’échapper à des situations difficiles parce que je trouve une issue aux problèmes, mais pas cette fois. J’ai quand même été un peu surpris mais le Club Bruges n’a pas pris de mauvaise décision. Je l’ai toujours affirmé : les résultats sont décevants.

Vous a-t-il été plus difficile de fonctionner une fois votre départ annoncé ?

Naturellement et c’est logique. Un entraîneur doit travailler en position de force. Sinon, certaines tâches se compliquent. Des choses qui transiteraient normalement par vous vous passent par-dessus la tête. Vous avez sans cesse le sentiment de ne plus contrôler certains aspects. C’était très embêtant mais je m’en suis accommodé. La relation avec les joueurs change également de manière progressive. Il est normal qu’ils pensent à eux-mêmes.

Durant les dernières semaines, vous avez dispensé moins d’entraînements.

Avant, on me répétait que je voulais tout faire moi-même et que je devais apprendre à déléguer. Puis, quand je confie davantage de travail à Peter Balette, on raconte que je travaille moins. C’est une question de perception. Dans le passé aussi, il m’arrivait de rester dans mon bureau mais nul ne s’en offusquait. J’estime normal de déléguer certaines choses à mon adjoint puisqu’il aura encore des responsabilités au Club la saison prochaine, contrairement à moi.

Comment avez-vous réagi en découvrant dans les journaux que le Club discutait avec Adrie Koster ?

Il ne faut pas être naïf : quand un avant ne marque pas, on en cherche un autre. On agit de même à l’égard d’un entraîneur dont on n’est pas content. Le timing est le seul faux pas. Je pense que c’était une question d’heures.

D’Hooghe vous a annoncé que vous ne resteriez pas et vous avez fait comme si vous n’étiez au courant de rien. C’est étrange.

Il fallait trouver un accord juridique avant de communiquer, du moins l’avais-je compris ainsi. Il faut d’abord couler ce qui est convenu dans une certaine forme, ce qui requiert un peu de temps. Je ne me suis pas énervé, je suis capable de me taire. C’est ce qu’on m’avait demandé : attendre la conclusion de l’accord.

 » Personne dans l’entrejeu pour entraîner les autres « 

Quel regard portez-vous sur ces deux années ?

J’étais convaincu de posséder les qualités requises mais je n’ai pas été en mesure de les exprimer. C’est aussi simple que ça. On peut discuter à l’infini de ce qui n’a pas fonctionné, de la tactique, de l’occupation de terrain mais la synthèse, l’essence du problème est que je n’ai pas réussi ma mission.

C’est très honnête.

Je le suis, et certainement à l’égard des personnes qui ont ma confiance mais on ne peut pas toujours se le permettre.

Le Club vous a accueilli avec beaucoup de tralala. Vous deviez redresser une série de choses.

On m’a dit que je devais résoudre une série de problèmes. J’ai pensé : -Si ce sont çà les problèmes, je vais réussir. Le Club était anxieux, il avait un problème de mentalité et le vestiaire ne fonctionnait pas. Redresser cette situation était taillé à ma mesure. J’ai donc commencé avec beaucoup d’ambition et après deux mois, ces problèmes étaient résolus. Nous ne jouions pas un football de champions mais nous avions le rendement d’un champion. Nous avons d’ailleurs été champions d’automne en 2007. On a critiqué la qualité de notre football mais le groupe ne s’est pas laissé influencer. Nous avons pourtant commis une erreur : ne pas intervenir pendant le mercato d’hiver. Koen Daerden et Elrio Van Heerden qui revenaient étaient considérés comme nos transferts ! On a déclaré que cela ne pouvait qu’aller mieux. J’ai suivi le mouvement trop facilement… Le groupe n’a pas progressé. J’ai senti que nous nous endormions, que nous finissions par croire ce que les observateurs racontaient : que notre football n’était pas bon. Nous ne sommes plus parvenus à nous libérer de cette critique. Mentalement, nous avons craqué. C’était perceptible dans les déclarations, même à la télévision. En fait, nous nous sommes crashés en interne. Je me le reproche maintenant : quand la supériorité du Standard est devenue claire, nous ne nous sommes pas concentrés sur la deuxième place. Nous nous sommes trop longtemps accrochés à quelque chose que nous avions perdu, au lieu de revoir nos objectifs à la baisse et d’essayer de nous concentrer sur eux. J’aurais dû m’y prendre autrement.

Vient la deuxième saison, empreinte d’espoirs, avec des transferts apparemment réussis…

Je n’ai jamais déclaré que nous serions champions. Nous avons enrôlé des footballeurs dotés d’un bon bagage technique mais le bât blessait ailleurs. Il est difficile de trouver des techniciens rentables. Les nouveaux venus ont eu besoin d’un temps d’adaptation. Je le savais. Selon moi, il nous fallait un médian dominant, qui anime le jeu. C’est pour cela que je voulais le Finlandais du PSV qui joue maintenant à Heerenveen : Mika Väyrynen. L’axe de l’entrejeu est l’âme d’une équipe. Or, nous n’y avions pas d’homme qui entraîne les autres. C’est ma deuxième erreur : je n’aurais pas dû abandonner l’idée de ce transfert. Bruges interrompt rapidement les négociations quand quelqu’un déclare qu’il n’est pas sûr d’avoir envie de jouer pour lui.

Alors que la saison commençait, vous sembliez chercher fiévreusement une tactique, en effectuant beaucoup de changements.

Je ne trouve pas. J’ai été contraint d’effectuer des modifications. Commençons par l’attaque. Je choisis un duo, Wesley Sonck et Joseph Akpala. J’ai deux possibilités : je place un numéro dix, par exemple Ronald Vargas, derrière eux, mais alors je n’exploite plus les flancs. En outre, je ne sais pas encore ce dont Vargas est capable. Il apparaît rapidement qu’il a encore un long chemin à parcourir. Tout le monde était convaincu qu’il devait jouer dans l’axe, sauf l’intéressé. Quand, dans les matches d’entraînement, Vargas figure neuf fois sur dix dans le camp perdant, les autres joueurs comprennent qu’il y a un problème. Ce que nous demandions à Vargas était impossible. Il était encore en formation, il n’avait pas atteint son meilleur rendement mais avait été accueilli en grand transfert. Or, Ronald n’était pas prêt à apporter à Bruges le surplus que tout le monde attendait. Ce n’était pas la décision de l’entraîneur mais celle du vestiaire. Je l’ai donc écarté, ce qui m’obligeait à meubler différemment l’entrejeu.

Le problème est qu’on a enrôlé des footballeurs aux possibilités remarquables, qui augmentent le bagage de l’équipe mais ne peuvent mener d’emblée le Club au titre. On a trop exigé de ces joueurs. Prenez Nabil Dirar : il a disputé 30 matches à Westerlo mais a été remplacé à l’heure dans 20 joutes. Au Club, il joue 34 matches, étant rarement remplacé. Nous avons trop exigé de lui et aurions dû alterner Dirar et Vargas : cinq matches l’un, cinq matches l’autre. C’eût été une formule normale pour des footballeurs en plein processus de maturation mais nous n’avions pas d’alternative. Comme à beaucoup de postes, en fait. La défense a été ravagée par les blessures et les suspensions. Cependant, je ne veux pas me retrancher derrière des excuses. Les résultats n’étaient tout simplement pas bons.

 » Je suis un entraîneur de rendement « 

Cette expérience doit être amère.

Je ne connais pas Koster, mon successeur. Il paraît que c’est un formateur. Je n’émarge pas à cette catégorie. Je suis un entraîneur de rendement. Je peux travailler avec un groupe en fonction d’un objectif, avec un suivi très positif et permettre aux joueurs de progresser mentalement plutôt que techniquement. Je ne suis pas un entraîneur de jeunes. Au Club Bruges actuel, il faut améliorer les joueurs. Faire appel à un entraîneur issu de la formation des jeunes constitue donc une bonne chose.

En fait, après la première année, j’aurais dû dire : j’arrête les frais. Seulement, on a transféré des joueurs que je connaissais. J’ai tenu à faire partie du projet dont on me parlait : un jeu différent, plus rapide. Pourtant, en mon for intérieur, je me disais que quelque chose clochait. J’avais raison. Je suis de ceux qui octroient des libertés aux joueurs pour qu’ils progressent mais, en analysant la situation, je devais leur refuser des choses. Par exemple, interdire de dribbler à ceux qui en raffolaient.

Avez-vous douté de vous-même durant ces deux années ?

Je doute depuis 25 ans. C’est sain. Douter signifie réfléchir et peser les conséquences de ses actes. Ainsi, on reste alerte. Mais je sais que je ne donne pas l’impression de douter.

Certainement pas durant les conférences de presse. Vous arboriez un masque de cynisme.

C’est une façade. On ne peut exiger d’un entraîneur qu’il dise toujours tout. Ce serait sa fin. Je ne peux pas tout expliquer, même si ce serait à mon avantage. Il faut tourner autour du pot. C’est cru mais un entraîneur est notamment payé pour ça.

 » Il me faudra du temps pour digérer tout ça « 

Vous donnez-vous la mention insuffisant ?

Je me pose une série de questions. Ai-je pu combler le gouffre qui nous sépare d’Anderlecht et du Standard ? Non. En suis-je responsable ? Partiellement. Un autre entraîneur fera-t-il mieux ? L’avenir nous l’apprendra.

Ces deux années vous-ont-elles usé ?

Oui. Je ne sais pas vivre avec la défaite. D’ailleurs, je ne savoure pas les succès non plus. Quand j’entraînais Saint-Trond, ça n’allait pas mal. Quand nous gagnions 4-1, deux jours plus tard, je décelais un problème auquel je m’attaquais. Jules Knaepen, mon adjoint, me répétait : – Sais-tu quelle saison nous vivons ? Mais je ne parvenais pas à être euphorique. Dans ma vie, j’ai dû repasser un examen, une seule fois. Pour obtenir mon permis de conduire.

Vous allez devoir digérer tout cela.

J’espère en sortir plus fort mais il me faudra plusieurs mois. Je ne me vois pas reprendre immédiatement un autre club, à moins que l’offre soit vraiment spéciale. Je suis obsédé par le Club, par tout ce qui s’y est passé, je ne parviens pas à tourner la page.

Il y a deux ans, vous étiez l’étoile montante des entraîneurs belges.

C’est ce qui est étrange. J’en sors plus abîmé que le Club Bruges. Je n’adresse de reproche à personne, j’ai entamé cette mission en connaissance de cause. Il y a deux ans, j’avais certainement dix possibilités. Plus maintenant. Tous ceux qui m’ont vu travailler dur trouvent ça grave. J’en suis certain mais je dois avouer que ces deux saisons médiocres ont eu un impact sur mon assurance. Ce n’est pas illogique. Ici aussi, il faut tout passer en revue. Je n’en suis pas encore là mais je me connais : quand j’aurai tout couché sur papier, je pourrai m’accrocher à quelque chose de concret et en tirer des conclusions. J’ai beaucoup appris sur moi-même en l’espace de deux ans. Récemment, quelqu’un m’a dit quelque chose de très beau : -Tu as respiré l’air brugeois, tiens-le le plus longtemps possible dans tes poumons…

Etes-vous soulagé que la saison soit achevée ?

Je suis soulagé que nous nous soyons qualifiés pour l’Europe. Je suis aussi soulagé d’avoir réussi à faire fonctionner normalement le vestiaire durant ces deux derniers mois alors que je les ai entamés sans être en position de force. Ce billet européen constitue une grande consolation. Il m’aidera à tout digérer.

par jacques sys

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