« J’aurai toujours du mal à accepter ce divorce »

Deux ans après sa séparation avec Justine Henin, Pierre-Yves Hardenne raconte sa vie avec et sans l’ex-championne.

Janvier 2007 : un communiqué de Justine Henin-Hardenne signale à la presse médusée que la tenniswoman ne se rendra pas en Australie pour y disputer l’Open local. Très vite, les journalistes comprennent qu’il y a de l’eau dans le gaz au niveau du couple Henin. Lequel confirmera d’ailleurs la séparation quelques semaines après.

Deux ans plus tard, nous avons rencontré Pierre-Yves Hardenne dans l’appartement de Wépion qu’il a conservé après le divorce. Du troisième étage de ce lotissement de luxe, la vue sur la Meuse est magnifique. Assis au bar du salon, il s’est confié, sans retenue, mais avec pudeur et respect.

Ce n’est pas à Wépion que vous passez la plupart de votre temps, n’est-ce pas ?

Pierre-Yves Hardenne : Je suis toujours résident monégasque et j’y vis puisque, pendant la semaine, je poursuis mes études de pilotage à Cannes. Mais je reviens très souvent en Belgique le week-end pour voir ma famille, mes amis et, surtout, ma copine. Je termine ma formation et serai bientôt sur le marché de l’emploi. Je pourrai piloter des jets privés ou des avions de ligne. Tout dépendra des opportunités qui se présenteront.

Un rêve se réalise ?

Mon rêve, c’était plutôt l’aviation de chasse. J’avais passé des examens alors que j’étais encore marié. J’avais d’ailleurs réussi de bonnes épreuves mais je ne m’étais pas classé en ordre utile. Quand j’ai divorcé et que j’ai décidé de reprendre une vie professionnelle, j’étais trop vieux et je me suis alors tourné vers l’aviation civile. Si je pouvais être engagé dans une grosse compagnie style Air France, ce serait super mais les places sont chères. Ma première préoccupation n’est pas financière : je ne conçois tout simplement pas la vie sans rien faire. J’ai besoin, pour m’épanouir, de trouver ma voie.

Dix ans après votre rencontre avec Justine et votre découverte du monde du tennis, quel regard portez-vous sur ce milieu ?

Je n’en étais pas un acteur mais plutôt un figurant qui était aux côtés d’une grande actrice. Au début, ce monde n’était pas le nôtre. J’ai d’abord appris à l’aimer. C’était un peu superficiel et extraordinaire à la fois. Les deux premières années m’ont bien plu car on voyageait beaucoup, on rencontrait pas mal de gens et on découvrait de superbes endroits. Après deux ans, j’ai commencé à en avoir assez. C’était toujours la même chose, les mêmes endroits et, surtout, les mêmes horaires, les mêmes hôtels, mes journées se ressemblaient, j’en ai vite fait le tour.

C’était comment, une journée classique ?

Petit-déjeuner à trois, entraînement, déjeuner, match. Puis, j’étais avec elle dans la salle de fitness et je l’attendais pendant qu’elle était avec la presse. Avec Carlos, on tuait le temps. On jouait au billard. Puis elle allait chez le kiné et on attendait encore. Puis on rentrait, elle prenait une douche, on allait au resto, souvent le même. Puis on allait se coucher. Jamais trop tard.

 » Je ne faisais rien de bien de mes journées « 

Vous vous embêtiez ?

Oui, à la fin, oui. Ce n’était pas très épanouissant. Qu’est-ce que je faisais de mes journées à part aller sur internet, jouer au billard et regarder un match ? J’avais l’impression de ne pas servir à grand-chose. A quoi ressemblait ma vie ? Je ne m’amusais pas, je ne m’épanouissais pas. Etre là à regarder quelqu’un qui grandit et s’épanouit n’est pas facile. D’autant que je n’ai pas réussi à trouver quel rôle je pouvais remplir à ses côtés, rôle qui m’aurait permis de grandir moi aussi. J’étais là, au bord du terrain, à regarder ses entraînements qui étaient toujours les mêmes, ses matches qui étaient aussi toujours les mêmes.

Vous n’avez jamais trouvé votre place ?

Non, jamais. Est-ce parce que j’étais jeune ? Referais-je les mêmes choses ? Non, je les ferais autrement et certainement pas en l’accompagnant aussi souvent. Cela ne m’a rien apporté.

Au début de votre relation, vous aviez d’ailleurs signalé préférer ne pas trop suivre Justine sur le circuit.

C’est exact mais elle me disait qu’elle ne concevait pas un couple séparé avec elle qui aurait été sur le circuit et moi qui serais resté en Belgique. On aurait dû trouver un équilibre. On ne l’a pas trouvé.

Vous en parliez souvent ?

Oui, la plupart de nos tensions sont venues de là. Pourtant, j’étais content de la retrouver mais, après deux jours, je pétais un plomb. J’étais bien deux jours puis je m’emmerdais. J’étais alors de très mauvaise humeur, de très mauvaise compagnie. Avec elle, avec Carlos. Il fallait que je reparte. Je parlais de mes projets mais elle se souciait plus de passer simplement des moments avec moi car elle avait besoin de décompresser. Ce n’est pas que je ne voulais pas être avec elle, mais j’avais envie de faire des choses rien que pour moi. On était toujours un peu décalé, on n’arrivait pas à trouver le bon équilibre. Chacun cherchait autre chose que ce qu’il avait.

Vous compreniez son point de vue ?

Je pouvais le comprendre, oui. Elle, je ne sais pas si, aujourd’hui, elle a compris mes réactions. A l’époque elle me les reprochait beaucoup.

Cela aurait été plus facile si vous aviez été une femme et elle un homme ?

Le regard extérieur aurait sans doute été différent mais ni Justine ni moi n’avons fait attention à ce que l’on disait de nous.

Vous étiez l’un des rares maris à suivre sa femme, sans avoir d’autres missions que d’être l’époux.

Nous étions deux. Moi et le mari de Nathalie Dechy, joueuse française du Top 20.

Ils traversaient les mêmes problèmes ?

Il était plus âgé, avait une autre vision. Oui, ils ont connu les mêmes soucis et lui non plus n’était pas de très bonne compagnie sur les tournois.

C’est ce qui vous a mené à la séparation ?

Oui. Je pense que oui. On avait deux visions différentes de notre vie de couple. On s’écartait de plus en plus. Au début, pourtant, tout allait bien.

Le fait qu’elle soit devenue la meilleure joueuse du monde a modifié votre relation ?

Non, cela n’a rien changé. Justine n’a jamais pris la grosse tête, elle ne m’a jamais fait sentir cela, il n’y a pas eu de soucis d’argent. Non, c’est vraiment notre perception du couple, du temps que l’on offrait à l’autre qui nous a fait nous éloigner.

Dans ce genre de couple, on dit souvent que l’homme doit patienter dix ans, se consacrer à son épouse avant de penser à lui…

Oui, Justine avait cette vision. Moi, j’aurais encore dû faire des efforts pendant quelques années et je n’ai pas réussi à attendre.

 » Après le divorce, j’ai vécu pour moi « 

Venons-en à votre séparation. Comment l’avez-vous vécue ?

Cela a été très difficile au début, j’ai dû me remettre dans le bain. J’ai alors fait tout ce que je n’avais pas pu faire pendant mon mariage. Entendons-nous bien, je ne dis pas que Justine m’empêchait de faire quoi que ce soit mais, après le divorce, j’ai vécu pour moi. Tant au niveau professionnel que pour mes loisirs, j’ai vraiment fait ce que j’avais réellement envie.

Vous avez été malheureux au moment de la séparation ?

Oui, vraiment, oui. Parce qu’il s’agit d’un échec personnel, d’un mariage foutu en l’air. J’aurai toujours du mal à l’accepter. Le mot divorce sur ma carte me reste dans la gorge. J’ai aussi eu beaucoup de mal parce que je ne m’y attendais pas. Je voyais bien que cela n’allait plus trop mais de là à se séparer et divorcer… On pouvait peut-être trouver des solutions. C’est ce que je voulais. Comme nous étions deux.

Elle était plus radicale que vous ?

Oui, et c’est ce qui est frustrant. Moi je voulais trouver une solution mais Justine a toujours pris des décisions radicales. Je respecte son choix mais cela m’a fait souffrir. Je me suis senti impuissant car je pensais avoir des pistes.

Comment pourriez-vous qualifier votre expérience maritale ?

Je ne sais pas si je recommencerai un jour. La nôtre a été un échec, évidemment avec, malgré tout, une séparation réussie, ce qui est important pour moi. Je ne conçois pas que l’on se déchire avec quelqu’un que l’on a aimé.

Vous avez pensé avoir un enfant ?

Oui, on y a pensé mais il n’était pas question d’en avoir un pendant sa carrière. Moi, c’était clair, je faisais ma vie avec elle, je ne me mariais pas pour quatre ans.

Estimez-vous avoir joué un grand rôle dans sa carrière ?

Disons que j’ai été une personne qui a peut-être un peu contribué aux succès sportifs de Justine.

Sans plus ?

Oui, je ne pense pas qu’elle avait besoin de moi. Je pense que cela se serait passé de la même manière avec quelqu’un d’autre que moi. Si elle a certainement trouvé des choses en moi qui lui plaisaient et qui lui ont permis d’être bien dans sa peau, elle n’avait pas besoin de cela pour exploser et pour réussir sa carrière.

 » Ses succès m’importaient peu, j’étais juste content pour elle « 

Comment avez-vous vécu le succès de Justine ? C’était difficile à gérer ?

Non, pas du tout. On formait une belle équipe avec Carlos. Le succès est venu logiquement. Moi, le succès ne m’a pas posé de souci puisque, c’est peut-être con à dire, j’étais toujours dans mes ambitions personnelles. J’étais buté, pas très ouvert. J’avais mes trucs à moi, mes bêtes trucs, faire du vélo, apprendre à piloter. Le succès m’importait peu. J’étais content pour elle, c’était très bien, elle avait travaillé très dur mais cela lui revenait. Je n’arrivais pas à m’en réjouir pour moi, je ne m’octroyais pas les victoires.

Ce qui explique que vous n’étiez pas toujours très expansif ?

Bien sûr. C’était elle qui gagnait. J’étais là pour l’encourager, j’étais très content pour elle, elle méritait les succès. Moi, cela ne me concernait pas directement. Elle n’aimait pas quand je disais cela. Pour elle, elle avait la vision du couple et elle voulait que l’on partage tout : moi, je n’y arrivais pas. C’était son business, pas le mien. J’aurais été bien plus heureux si j’étais rentré à l’armée ou si j’avais bêtement gagné mon petit match de tennis au club de Han-sur-Lesse. C’étaient des choses qui me rendaient plus heureux que….

… ses victoires à elle ?

Ben oui. Qu’est-ce que cela m’apportait ? Maintenant, avec le recul…

Vous regrettez d’avoir réagi comme cela ?

Je ne sais pas. J’ai beaucoup souffert de la séparation. Je me suis posé beaucoup de questions. Mais est-ce que je regrette…

Vous avez tout de même vécu des moments incroyables, dont plusieurs titres en Grand Chelem.

Ce que je vais dire va peut-être la blesser, c’est même peut-être méchant, mais regarder une victoire de Michael Schumacher en GP de Formule 1 me procurait davantage de plaisir que voir la finale de ma femme qui jouait contre Kim Clijsters. Je ne rentrais pas dans le match. J’étais pour Justine évidemment, pas pour Kim, mais je ne rentrais pas dedans.

Votre épouse ressentait-elle votre manque d’implication ?

On n’en a jamais parlé comme je vous en parle aujourd’hui. Je pense toutefois qu’elle le ressentait. J’appréciais son jeu, j’aimais bien le tennis mais je préférais aller voir Nadal contre Federer que Justine contre Kim.

Avec le succès est venu l’argent. Vous étiez  » le mari de la femme qui gagne beaucoup d’argent… « 

Pour cela, elle a toujours été très correcte avec moi. Elle ne m’a jamais fait ressentir le fait que c’était elle qui gagnait l’argent et pas moi. Je ne me suis jamais senti mal à l’aise par rapport à cela. C’était comme cela, c’était notre vie, c’était facile. C’était un des bons côtés. J’avais arrêté mes études et on vivait bien, même si on n’a jamais fait les fous. C’est vrai, j’avais choisi de vivre dans la facilité, c’est peut-être cela qui ne me plaisait pas. J’aurais dû exiger d’aller travailler.

Vous l’avez eue cette revendication ?

Oui, mais quand j’ai voulu repasser mon examen de pilote de chasse, elle n’a pas voulu que je le représente alors que le colonel m’avait dit que je pouvais réussir. Là, Justine a dit non. Elle m’a dit qu’on était marié et qu’il n’était pas question qu’elle se défonce sur un terrain alors que j’étais loin d’elle.

Donc, elle avait besoin de vous ?

Je pense que oui. Après notre séparation, elle a comblé mon absence avec d’autres personnes et a trouvé un certain équilibre. A l’époque, on était tous les trois.

 » On a grandi plus vite que tout le monde « 

Vous avez tout de même de bons souvenirs ?

Bien sûr. Ce ne sont toutefois jamais des moments de victoires. Quand je prends l’avion, j’ai des odeurs qui me reviennent. Pas que je m’en foute, mais ce sont les découvertes qui me plaisaient… d’Indian Wells, de l’Australie. J’adorais aussi certains soirs quand on était à trois au resto…

Cela vous manque ?

Oui. On passait des bons moments à trois, on a formé un trio solide pendant quelques années, on était bien. J’ai aussi beaucoup aimé les moments passés en Floride, avec Pat Etcheberry, qui fut l’entraîneur physique de Justine, au Saddlebrook Resort de Tampa…

Qu’est-ce que la vie avec Justine vous a apporté ?

Je suis complètement différent qu’il y a dix ans. On a grandi plus vite que tout le monde car on a très rapidement eu pas mal d’argent et que l’on a dû gérer des situations de stress. Oui, on a peut-être fait tout un peu plus vite que les autres.

Vous avez commis des erreurs ?

Oui. Je n’ai pas profité de ce qui se passait autour de moi tout en m’épanouissant. Avec le recul, j’aurais pu le faire.

En fait, Justine connaissait son objectif, vous pas ?

Je suis tombé dans sa vie alors qu’elle connaissait effectivement son but ultime et, par facilité, j’ai été un peu fainéant. J’aurais pu être plus ferme par rapport à mes envies.

Aujourd’hui, même après le divorce, pourriez-vous ne plus jamais travailler ?

Cela dépend toujours du train de vie que l’on a mais oui, je pourrais. Ils sont nombreux ceux qui travaillent toute une vie et qui n’auront jamais ce que j’ai.

Cela vous paraît normal ?

Non, je vis au quotidien avec des gens qui travaillent très dur et qui éprouvent des difficultés financières. Je garde donc les pieds sur terre. Même à Monaco, où je loue un appartement, je fréquente des gens normaux. Je ne considérerai jamais que c’est normal d’avoir de l’argent. C’est une chance et j’essaye d’en profiter. Je ne fais pas le fou, je vis simplement comme mes parents me l’ont appris. Justine ne fait pas de folies non plus d’ailleurs.

Vous n’aimez plus les belles voitures ?

Si, j’aime les voitures et j’ai donc une belle voiture. Une Porsche. Mais j’essaye d’être discret, je ne l’amène pas en Belgique. Je profite sainement de mon argent.

 » On se parle encore régulièrement « 

C’est compliqué pour votre nouvelle amie ?

Oui, je pense que ce n’est pas facile. Par rapport à Justine, tout d’abord, car je continue à entretenir de bonnes relations avec elle. Et par rapport au regard des gens et de leur jalousie. Moi, j’arrive à ne plus les entendre, elle pas. Quand je roule à vélo, par exemple, il y a toujours quelqu’un pour dire que j’ai un super vélo qui coûte cher alors que je n’ai jamais vraiment travaillé. Il y a toujours des remarques débiles de ce genre. Qui sont vraies, en gros, hein, mais je n’ai pas volé mon argent.

On vous sent très serein…

J’ai pris de l’âge et, surtout, je me suis trouvé après m’être beaucoup cherché. Et puis, j’ai réussi de belles études. C’était important pour moi car je finissais par douter de moi, par me dire que je n’avais rien fait de ma vie. J’avais de l’argent mais je n’étais rien.

Vous vous parlez donc encore régulièrement ?

Oui, de temps à autre. Il n’y a jamais eu d’agressivité entre nous, même au moment du divorce.

Globalement, Justine est une femme incroyable ?

Sportivement parlant, oui, évidemment. Sinon, c’est quelqu’un de très bien, de très honnête, de très droite. Elle a toujours été très correcte avec moi, elle n’a jamais été méchante à mon égard, même après le divorce. Même si elle a tout de même laissé planer certains doutes. Ce qui m’a fait mal, c’est que l’on me mette sur le dos sa séparation avec sa famille et puis ses retrouvailles suite au divorce. Or, je n’ai rien à voir, ni dans sa séparation, ni dans ses retrouvailles. Après, j’ai été très critiqué et elle aurait pu stopper ces critiques et dire que j’avais fait de bonnes choses pour elle. Puis, le jour de l’annonce de son arrêt, elle a remercié toutes les personnes qui ont contribué à sa carrière et elle n’a pas dit un mot pour moi.

Pourquoi a-t-elle arrêté ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Elle n’avait peut-être plus de plaisir sur le terrain.

Elle en avait, avant ?

Je me suis toujours posé la question.

Ce qu’elle aimait, c’était gagner ?

Je ne sais pas si elle aimait gagner pour elle. Est-ce qu’il y avait encore quelqu’un pour qui elle voulait gagner ? Je ne sais pas.

par patrick haumont – photos: belga

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire