» J’aurai au moins marqué l’histoire ! « 

Son nom fait plus penser à un cycliste qu’à un gardien de but, il a passé 15 saisons à Anderlecht, il a découvert la D1 à 37 ans avec Mouscron, il a tenu un salon d’esthétique et de coiffure, il vend des maisons. Et quoi encore ? Découverte.

 » Quitter Anderlecht, c’était quitter la maison, et ça a été très dur  »

 » J’ai commencé à Anderlecht à 5 ans et je suis allé jusqu’au noyau de Réserve. J’ai fait toute ma formation avec Walter Baseggio et Stéphane Stassin notamment. Je faisais la route avec Baseggio, j’habitais à Tubize, lui à Clabecq. J’étais considéré comme le quatrième gardien du club quand j’étais en Réserve. Dans le groupe pro, il y avait Filip De Wilde, Geert De Vlieger et Wim De Coninck qui avait été transféré comme numéro 3. Nico De Bree, qui nous entraînait, me disait chaque année que j’allais passer dans le noyau A, que c’était imminent : -Ça va être pour toi, prépare-toi. Mais De Coninck se plaisait bien ! Et il a signé trois fois pour une saison. Chaque fois, ça voulait dire que je devais encore patienter et je prenais un coup sur la tête. Quand il a signé son troisième contrat, j’ai décidé de partir. C’était comme si je quittais la maison, ça a été très dur. Mais il fallait que je prenne une décision. J’attendais depuis trop longtemps les entraînements au Parc Astrid. Les pros travaillaient derrière le stade et les jeunes étaient à Neerpede. On avait tous le même objectif : aller au Parc Astrid, ça voulait dire qu’on passait chez les grands. Mais à l’époque, mettre un jeune gardien dans le noyau d’un club comme Anderlecht, ça ne se faisait pas encore. On voulait de l’expérience, même chez les réservistes. De Coninck avait 37 ans quand il est arrivé, il est parti à 40…  »

 » Je perds mon père à 13 ans, j’ai deux grosses opérations à 15 et 17 ans, je veux arrêter le foot  »

 » La journée où j’ai définitivement quitté Anderlecht, je la revois encore très bien. Je me suis dit : -Ça doit sans doute être comme ça, c’est probablement mon destin, on ne décide pas toujours de tout. Je ne comprenais pas bien mais je pensais que je comprendrais peut-être plus tard ! J’ai reçu une offre de Turquie mais je ne l’ai pas acceptée. Je ne savais pas où ça risquait de me mener et je sentais que ma mère avait encore besoin que je sois là. J’avais perdu mon père à 13 ans. Un cancer foudroyant, il a été emporté en six mois, il avait 41 ans. Après son décès, j’ai ressenti un vide terrible. Il assistait toujours à mes matches : à domicile, en déplacement, à l’étranger aussi. Du jour au lendemain, je me suis senti seul sur le terrain. J’ai même voulu arrêter le foot. Ma mère m’a poussé à continuer. Plus tard, j’ai de nouveau eu envie de stopper après deux grosses opérations, à 15 et à 17 ans. Chaque fois, j’ai dû faire une rééducation de neuf mois. J’ai quand même continué, parce que ma mère et Anderlecht l’ont voulu.  »

 » Quand tu as bossé à Neerpede, si tu visites les installations des petits clubs, tu ne signes pas  »

 » Quand l’Union m’a contacté, j’ai foncé. Je me suis dit que des portes s’ouvraient ailleurs, et au moins, j’allais jouer chaque semaine. Mais évidemment, j’ai dû digérer un fameux changement de décor. A Anderlecht, même en jeunes, on est dans l’ouate. Alors que j’étais presque pro là-bas, je me suis retrouvé avec des gars qui étudiaient ou travaillaient la journée et venaient s’entraîner le soir : des ouvriers, des ingénieurs, des indépendants. Certains étaient parfois épuisés. Ils travaillaient sur des chantiers, ils enchaînaient par un entraînement. Et le lendemain, c’était reparti. Au boulot. J’ai aussi découvert un foot dans des conditions qui n’avaient rien à voir avec Neerpede. A l’Union puis dans les clubs qui ont suivi, j’ai trouvé des terrains minables, des installations qui ne ressemblaient pas à grand-chose, avec des vestiaires et un éclairage à la limite. Le pire, c’était à Péruwelz. On jouait la tête en D3 mais le terrain ne ressemblait à rien du tout. Après deux mois, je ne m’y étais toujours pas habitué. Je me souviens avoir dit à Laurent Wuillot : -Mais comment tu fais pour être bon là-dessus ?Laurent Depoitre était là aussi, il pourrait témoigner. A ce moment-là, si tu visites les installations de Péruwelz avant de signer ton contrat… tu ne signes pas. Mais dans tous les clubs de divisions inférieures où je suis passé, j’ai côtoyé des gars plus pros que les pros d’aujourd’hui. A Anderlecht, on voulait bien jouer pour gagner. Dans les petites équipes, il fallait gagner pour toucher la prime. Le raisonnement était différent.  »

 » Je donnais du boulot à 15 personnes, je n’allais pas tout plaquer pour un contrat pro  »

 » J’ai encore reçu une proposition turque à 23 ans. Je l’ai aussi refusée. Cette fois-là, plus parce que je ne me sentais pas prêt. J’avais d’autres raisons qui me retenaient ici. Je m’étais lancé dans les affaires. Plus tard, j’ai encore eu des offres pour devenir pro. Mais ça ne m’intéressait plus parce que mon business marchait bien. J’avais un centre de bancs solaires, d’esthétique et de coiffure. Parallèlement à ça, je travaillais dans l’immobilier, une passion d’adolescent. J’avais suivi des formations en sanitaire, en chauffage, en électricité,… J’achetais des maisons, je les rénovais, je les revendais. Je donnais du boulot à une quinzaine de personnes, salariées ou indépendantes. Je me voyais mal plaquer tout ça pour un avenir hypothétique dans le foot. Laisser tomber tout ce que j’avais construit pour un contrat, non ! J’aurais peut-être eu une autre vie si j’étais devenu professionnel plus tôt mais je ne regrette rien. Il y a d’autres plaisirs que je n’aurais pas connus, dans d’autres domaines. Je ne suis pas sûr que ma vie aurait été meilleure si je n’avais vécu que le foot.  »

 » Et un jour, j’en ai eu marre du business  »

 » Finalement, je me suis quand même lancé, à 31 ans. J’ai signé un contrat pro à Mons. Quelques mois plus tôt, j’en avais eu marre du business et j’avais tout vendu. Envie de faire autre chose. Je me suis donné une saison pour voir à quoi ressemblait le football professionnel. J’ai joué en D2 avec Mons, j’étais en concurrence avec Tristan Peersman. Je n’avais vraiment pas l’impression de jouer avec mon avenir. Je savais que si ça ne se passait pas bien dans le foot, j’essayerais autre chose. Je n’avais pas le couteau sur la gorge, je ne paniquais pas. Je voulais me faire plaisir, voir ce que c’était exactement. Quand Mons n’a pas renouvelé mon contrat après ma deuxième saison, j’ai décidé que c’était fini, que je ne jouerais plus jamais. Mais après six mois, Couillet-La Louvière m’a appelé. Il était temps, ça commençait à faire long… On a joué contre Mouscron Péruwelz, Philippe Saint-Jean m’a repéré et c’est comme ça qu’une nouvelle vie a commencé. En même temps, j’ai repris une activité dans l’immobilier, et je l’ai toujours aujourd’hui. Ça me permet de m’aérer l’esprit, de ne pas être toujours concentré sur une seule chose. C’est rassurant, aussi : je sais que le jour où le foot s’arrêtera définitivement, j’aurai quelque chose derrière. Ça offre une qualité de vie.  »

 » J’ai des coéquipiers qui pourraient être mes enfants, les centres d’intérêt sont forcément différents  »

 » Quand l’entraîneur m’a dit que j’allais jouer contre Malines, je n’ai pas fait des bonds. Je me suis dit : -Bon, je vais jouer, c’est comme ça, mon tout premier match en D1. Les autres joueurs ont peut-être été étonnés en voyant que je restais aussi calme, mais ce n’était pas du cinéma. Après le match, un petit buzz a commencé, on a signalé que c’était une première de débuter à cet âge-là. On a dit et écrit plein de choses. J’ai même entendu que ce n’était jamais arrivé dans l’histoire du foot européen. Tant mieux, j’aurai au moins marqué l’histoire ! A ma façon… Evidemment, je suis un cas à part dans le vestiaire. J’ai des coéquipiers qui pourraient être mes enfants. Et forcément, les sujets de discussion, les centres d’intérêt ne sont pas toujours les mêmes. Les jeunes ont plus que moi tendance à parler de filles, de voitures ou des nouveaux smartphones. Mais ce n’est pas dérangeant. Ce n’est pas plus mal, même : eux, ils apprennent avec moi et ça les aide peut-être à devenir plus matures, à comprendre comment on pense à mon âge, et de mon côté, ça me permet de rester jeune ! Et il y a de toute façon pas mal de conversations qui tournent autour du foot.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » J’attendais la place de Wim De Coninck à Anderlecht. Mais, à 37 ans, il a signé trois années de suite. Je suis dès lors parti.  »

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