» J’aspire à une nouvelle chance en Belgique « 

Suite à l’affaire Yé, l’Union Belge a suspendu Paul Put à vie. L’ancien entraîneur du Lierse a cherché son salut en Afrique et a qualifié le Burkina Faso pour la Coupe d’Afrique des Nations 2013. Rencontre à Nelspruit.

Le Mercure Hotel de Nelspruit n’est qu’à un jet de pierre du célèbre Krugerpark. Une piscine, des palmiers et une météo délicieuse servent de décor. Le Burkina Faso dépasse les attentes les plus folles à la CAN mais en face de nous se trouve un homme tourmenté. Paul Put, le sélectionneur du Burkina Faso, est accablé de remords et d’incompréhension. Il se considère toujours comme une victime plutôt que comme un coupable et ne comprend pas pourquoi il semble être le seul à ne pas recevoir une seconde chance. L’Afrique a été sa seule issue pour retrouver du travail, non sans succès.

Comment a débuté votre aventure africaine ?

Paul Put : On m’a demandé d’effectuer du scouting à Conakry, la capitale de la Guinée. J’y ai également gagné un tournoi avec un club-satellite de Lokeren. Plusieurs dirigeants de la Fédération gambienne de football étaient présents et m’ont invité à Banjul pour un entretien. Ils m’ont appris que je figurais parmi leurs candidats au poste de sélectionneur, un mandat qui m’est revenu, à ma grande surprise. Il a d’abord été question d’un contrat d’un an mais le président de la république voulait travailler à long terme et a proposé un contrat de dix ans. Cela me paraissait excessif et nous sommes tombés d’accord sur quatre ans.

Vous avez presque honoré ce contrat jusqu’à son terme ?

Pour la première fois en 60 ans, les Scorpions ont pris des points contre le Sénégal et la Gambie s’est donc qualifiée pour la première fois pour la CAN. Cela a donné lieu à une immense fête populaire. De l’hystérie à l’état pur, qui s’est rapidement muée en désespoir. La Confédération africaine a décidé d’annuler tous les résultats d’une équipe de notre groupe. Du coup, nous avons eu un goal-average inférieur d’un but à celui de la Zambie.

Notre performance n’en était pas moins belle et le ministre des Sports a pris des mesures pour assurer la qualification pour 2012 mais lors de chaque match amical, il y avait l’un ou l’autre problème financier. Ce n’était pas possible de travailler comme ça et j’ai démissionné en 2011.

Le Burkina Faso vous avait déjà contacté ?

Les dirigeants souhaitaient me rencontrer à Bruxelles avant de jouer contre la Gambie mais j’ai refusé. Peu après ce match, nous avons eu un contact mais la fédération a décidé de laisser Paulo Duarte en poste jusqu’au terme de son contrat. D’ici là, je devais visiter des clubs et des centres de formation pour établir un rapport.

Anderlecht et le Standard en repérage à Ouagadougou

Pourquoi le Burkina Faso vous voulait-il ?

J’ai gagné la CAN 2009 en U17, un tournoi que le Burkina Faso a terminé quatrième. Ses dirigeants avaient également suivi nos prestations au Mondial U17 au Nigeria et ils voulaient un sélectionneur qui mette sur pied une structure complète et s’occupe des jeunes.

Le Burkina Faso représentait-il un pas en avant ?

La Gambie compte 1,7 millions d’âmes, le Burkina Faso 17 millions. C’est une grande différence. L’équipe-fanion avait plus de possibilités. Plusieurs internationaux se sont forgé une belle réputation en France. J’ai signé mon contrat le 1er avril 2012 et j’ai entamé la préparation des qualifications pour la CAN 2013.

Je pense que le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres d’Afrique ?

Oui mais il progresse. Ce n’est pas facile car il n’a pas de pétrole ni de diamants. Il dépend du coton.

Résidez-vous souvent à Ouagadougou et comment y est la vie ?

J’y suis les trois quarts du temps. La Fédération a mis une maison et une voiture à ma disposition. C’est l’Afrique. À quatre heures de l’après-midi, il y a souvent des pannes d’électricité. Si vous n’avez pas de générateur, vous n’avez plus internet ni la télévision. Il n’y a pas toujours d’eau courante et il peut faire très chaud. Ce sont des conditions de travail très spéciales. Il nous faut deux à trois semaines pour accomplir ce qui serait fait en une semaine en Belgique.

La vie est dure. On reste enfermé. Les cafés et les restaurants n’abondent pas ici comme en Europe ou en Afrique du Sud. Il y a quatre ou cinq établissements, c’est tout. Y passer une semaine est tout à fait supportable mais pas y rester plus d’un mois. C’est pénible familialement et socialement. Ma fille de douze ans est restée avec sa mère en Belgique, pour sa scolarité. Cette existence n’est pas évidente.

Quel est le niveau du football ?

Le Burkina Faso est une ancienne colonie française. Beaucoup de clubs de Ligue Un ont des accords de collaboration avec les clubs locaux. Je vois régulièrement des scouts d’Anderlecht et du Standard mais les dirigeants burkinabés préfèrent que les talents puissent dormir et manger au club et combiner football et études plutôt que de partir trop tôt à l’étranger.

1700 euros par mois

Quel est le niveau du championnat ? Est-il professionnel ?

Ce n’est pas la Premier League ni la Bundesliga mais la Pologne ou la Moldavie n’atteignent pas ce niveau non plus. Il faut repérer les jeunes qui ont une marge de progression. Les joueurs ont un statut professionnel et s’entraînent deux fois par jour quand le climat le permet. Ils gagnent en moyenne 100.000 CFA (ndlr, 650 CFA valent un euro). Un footballeur gagne donc environ 1.700 euros par mois, bien plus qu’un Burkinabais moyen.

Les talents ne manquent pas. Bertrand Traoré a 17 ans et il joue à Chelsea.

Un gaucher fantastique ! Je suis allé à Stamford Bridge en fin d’année. Le directeur technique et le responsable de la formation sont convaincus qu’il a le niveau de la Premier League.

Le football africain ne parvient pas à s’imposer.

La plupart des pays sont pauvres, ce qui constitue un fameux handicap. Ils sont obligés d’avoir d’autres habitudes alimentaires et accusent un retard physique. Un footballeur africain est fin et souple mais sa physionomie n’est pas comparable à celle d’un Européen et ça reste un problème, même si des pays touristiques comme le Sénégal progressent.

Les infrastructures posent également problème. Le Burkina Faso a deux terrains en herbe. Il manque de bons entraîneurs, même si la FIFA consent de gros efforts. Elle envoie des instructeurs et suit de près toutes les fédérations.

Un des problèmes n’est-il pas qu’on limoge trop vite les sélectionneurs ?

La pression est énorme, y compris dans la presse. Comme toute la direction de la Fédération a été remplacée, qu’on a nommé un nouveau ministre des Sports et un nouveau sélectionneur, tout le monde doutait de nous. Le football est sacro-saint en Afrique. Les mauvais résultats font tomber des têtes, et pas seulement celles des entraîneurs mais des ministres. Si vous décevez, vous êtes renvoyé mais si vous gagnez, vous êtes le roi. Lors du tour de qualification décisif pour cette CAN, nous avons perdu le match aller en République de Centrafrique 1-0. Au match retour, nous avons rapidement encaissé un bête but, ce qui nous a contraints à en marquer trois. Nous avons trimé mais nous avons marqué le 3-1 à la sixième minute des prolongations.

La liesse était indescriptible. Les gens ont envahi le terrain et j’ai été porté en triomphe. Le matin suivant, la une d’un journal affichait une caricature de moi avec le président qui me demandait de l’aider à remporter les élections. Les joueurs m’ont baptisé le Sorcier blanc.

Rituels et fétichisme

Vous avez égalisé à deux secondes de la fin du premier match contre le Nigeria. C’est quand même de la magie, non ?

La culture africaine est différente et il faut s’y adapter. On n’a aucune chance de réussir si on n’a pas une attitude positive envers les coutumes locales. Cela ne veut pas dire qu’il faut vivre avec un marabout mais il faut respecter une série de rituels, ce qui permet de gagner la confiance des joueurs. On n’est pas obligé d’y croire et d’ailleurs, tous les joueurs n’y croient pas non plus.

Cela commence au plus haut niveau. En Gambie, un général est monté sur le terrain pendant l’entraînement. Je devais me rendre immédiatement chez le président. Le marabout a mené un rituel en présence du gardien, du capitaine, du coach et du président. Ensuite, nous avons pu reprendre l’entraînement.

Je n’ai pas encore vécu ça au Burkina Faso mais il y existe aussi des rituels et du fétichisme. Il faut parfois porter certaines choses, en laver d’autres. Didier Drogba et même José Mourinho ont un marabout privé. Cela existe donc en Europe aussi. De toute manière, la superstition est ancrée dans le football. En Belgique, quand je gagnais un match, j’enfilais le même costume la semaine suivante.

Votre équipe comporte des noms connus en Belgique ?

Notre arrière droit, Mady, a quitté Lokeren pour l’Antwerp. Daouda Diakité est un de mes trois gardiens mais il n’a plus beaucoup joué depuis son transfert de Turnhout au Lierse. Il revient de blessure mais je l’ai sélectionné car je ne dispose pas de beaucoup de gardiens. Le niveau de ceux-ci est un problème dans le football africain.

Dans le secteur offensif, je dispose d’Aristide Bancé, qui a joué à Lokeren et évolue maintenant à Augsbourg, et de Moumou Dagano, notre capitaine. Il est le meilleur buteur de tous les temps du Burkina Faso et est donc extrêmement populaire. Il joue depuis quelques années au Qatar, au Lekhwiya Sports Club d’Eric Gerets. Il n’a plus la même vitesse qu’au Beerschot et au Racing Genk mais son aura reste énorme.

Charles Kaboré, de Marseille, est le plus renommé ?

Eric Gerets l’a entraîné au Stade Vélodrome. Plusieurs joueurs travaillent ou ont travaillé avec de grands entraîneurs. Un Belge inconnu doit prouver qu’il apporte un plus pour gagner leur confiance. Je travaille jour et nuit pour rester up-to-date. J’ai tout mis en oeuvre pour que mon équipe se distingue. J’ai formé une équipe avec un médecin belge, un soigneur et un préparateur physique, des personnes habituées à travailler à un niveau élevé. A Nelspruit, nous jouons à une altitude de 1.400 mètres. L’équipe néerlandaise du Mondial 2010 et des équipes locales de rugby m’ont communiqué des informations sur l’adaptation à l’altitude. Des semaines avant le début de la CAN, nous avons effectué des tests médicaux et donné des programmes individuels aux joueurs.

Vous voulez faire vos preuves ?

Je pense que tout sélectionneur considère un tournoi continental comme un couronnement. C’est la première fois que je vis ça et ça ne déparera pas sur ma carte de visite. Quelque part, je travaille au plus haut niveau. Toute l’Afrique suit cet événement et tous les matches sont retransmis en direct en Europe. C’est donc une occasion fantastique de me profiler et de me rappeler au bon souvenir de la Belgique.

Considérez-vous ceci comme une sorte de bannissement ?

Absolument. Je sais que c’est très difficile mais j’espère recevoir une nouvelle chance dans mon pays. C’est ce qui me motive tant ici. J’y vois la possibilité de relancer ma carrière.

PAR FRANÇOIS COLIN EN AFRIQUE DU SUD

 » Même José Mourinho a un marabout privé.  »

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