« J’aime être LE PATRON »

Le nouveau coach des Zèbres n’a peur de rien. Ça tombe bien…

A bbas Bayat reste amoureux du foot britannique. Et donc de l’Ecosse. Il vient d’y pêcher son troisième entraîneur en l’espace de quelques mois. Trois profils différents. Il y a eu John Collins : un orateur dont chaque discours respirait la classe et la bonne éducation. Ensuite Tommy Craig : fermé comme une moule, il a passé sa carrière de coach à fuir son ombre et les interviews. Aujourd’hui, c’est le Hongrois Csaba Laszlo, viré en janvier par Hearts of Midlothian, qui s’y colle. Il a signé jusqu’à la fin de la saison. Première remarque des mauvaises langues autour du Mambourg :  » Jusqu’à la fin de quelle saison ? L’automne ? L’hiver ?  »

On peut s’attendre à un entraîneur qui ne passera pas inaperçu. Quand on jette un £il sur la carrière de Laszlo, on voit que c’est un vrai rentre-dedans, dans la zone neutre et au micro. Bayat le dit  » plus intelligent, moins arrogant et beaucoup plus sérieux que Collins…  » Si ça se confirme, ce sera un tout bon.

Florilège de déclarations fortes et portrait d’un hyperactif.

Ce n’était rien qu’un peu de pain…

 » J’ai survécu à Nicolae Ceaucescu et j’ai été opéré huit fois du genou : je sais me battre « , a lancé Csaba Laszlo. Mais aussi :  » J’ai joué au foot pour mettre à manger sur la table à la maison. La moindre des choses que j’attends de mes joueurs, c’est qu’ils aient de la faim dans le regard.  »

L’homme n’a jamais joué en D1 et a dû arrêter le foot à 27 ans à cause d’une succession de problèmes physiques. Il est né un vendredi 13 de parents hongrois qui avaient fui la Hongrie après la Deuxième Guerre pour s’installer en Transylvanie (Roumanie).  » Quand on vous parle de Transylvanie, vous pensez à Dracula : je pense que c’est ce qui me rend un peu fou.  » Il a connu les pires aspects de la dictature de Ceaucescu, qui martyrisait la minorité hongroise. Il allait à l’église en cachette car c’était interdit. Dans sa ville, les autorités offraient quatre heures d’électricité par jour et quelques coupons qui permettaient de recevoir chaque semaine un demi-kilo de sucre et un demi-litre d’huile. Et de la viande une fois par mois. Quand il est devenu footballeur semi-professionnel, Laszlo a hérité de certains privilèges : deux fois par mois, il pouvait aller chercher deux sacs de fromage frais et quelques autres victuailles.

Csaba Laszlo affirme que cette éducation à la dure a forgé son caractère :  » Il faut se battre pour y arriver. Je n’ai été aidé par personne : ni mon père, ni ma mère, ni mes cousins. Même pas par des amis. Et je n’ai jamais voulu lécher le cul de personne. M’abaisser aussi bas, je ne pourrais pas.  » Il avoue qu’il a un problème avec les gens qui ne cherchent pas à changer leur vie et s’installent dans la routine :  » Sur le terrain, je veux des gars qui travaillent tous les jours, pas une journée sur deux. Et je ne supporte pas ceux qui disent qu’ils bosseront demain car on annonce du soleil, alors qu’il pleut le jour même. Ceux-là perdent un jour, et la vie est si courte. Moi, je me suis toujours donné. Cela m’a permis, en partant de rien, d’entraîner des équipes nationales, de parler à des chefs d’Etat, de côtoyer des gens que je pensais ne jamais voir qu’à la télé. « 

A 20 ans, il a fui clandestinement en Allemagne de l’Ouest et a commencé une nouvelle vie à Berlin.  » J’ai découvert la lumière après 20 années d’obscurité.  » Il a pris la nationalité allemande. Après avoir stoppé le foot, il a suivi les cours d’entraîneur (il possède la Pro License UEFA) et a dirigé notamment les équipes de jeunes du Borussia Mönchengladbach. Il combinait avec un poste de directeur du marketing chez Ford Allemagne, qui lui a offert des formations de niveau universitaire. Au niveau de la pratique religieuse, l’homme reste assidu :  » Je prie tous les soirs.  » Il lit aussi des livres traitant du bouddhisme :  » Le principe du Bouddhisme est de faire une recherche sur soi-même pour trouver son identité. J’ai trouvé la mienne, j’ai découvert ma force intérieure. « 

Un carton avec les Hearts

 » Le foot écossais peut changer et je suis capable d’y faire quelque chose. Il faut mettre fin à la suprématie des Rangers et du Celtic. J’ai signé à Hearts of Midlothian avec cette ambition.  » Durant l’été 2008, il reprend un club à la dérive qui vient de terminer à la huitième place : c’est la première fois qu’il n’a pas fini dans le Top 6 depuis 2001. Lazslo mène l’équipe d’Edimbourg sur la troisième marche du podium et est élu Coach de l’Année par la presse. C’est un héros : il a ramené de la stabilité et de la discipline dans un club où c’était le foutoir intégral.

Parfois, aussi, il dérape ! Ou il chiale !

 » Je pète parfois les plombs mais ça prouve à quel point j’aime être le patron. Pendant un match, je m’assieds, je me lève, je bouge, je parle à mes joueurs, je parle à mon banc, j’interpelle l’arbitre. Et le langage corporel est hyper important. Si vos joueurs ne vous voient pas vous exciter, ils n’auront pas confiance dans les ordres que vous leur donnez.  » En Hongrie, Csaba Laszlo est un jour monté sur le terrain pour s’en prendre à l’arbitre qui n’avait pas sifflé un penalty en faveur de son équipe, Ferencvaros. Il lui est arrivé de se disputer en public avec des entraîneurs adverses. En Ecosse aussi, il avait la réputation d’un coach au sang chaud. Et d’un homme pas spécialement proche de ses joueurs :  » Je ne suis pas là pour être leur ami. « 

Laszlo montre ses émotions. Les Hongrois l’ont vu pleurer au bord du terrain après un mauvais résultat. Il a été traité de comédien mais s’en moque :  » En Europe de l’Est, on passe pour un comédien dès qu’on affiche ses émotions. Si vous faites la même chose en Allemagne, c’est apprécié. Ceux qui écrivent que je fais de la comédie n’ont pas la même passion que moi pour leur métier. J’ai souvent perdu mes moyens mais je revendique ma pureté. « 

Il démolit son patron et prend la porte

 » J’étais un héros en Hongrie, j’étais magique en Ouganda, j’ai réussi avec les Hearts alors que je découvrais le championnat d’Ecosse : je ne peux pas être devenu un mauvais entraîneur. On peut parler de chance quand un coach réussit une fois quelque part, mais quand les succès se répètent, le hasard n’y est plus pour rien.  » Laszlo lâche cela en décembre 2009, alors que sa position dans son club est fragilisée. L’équipe a raté son début de saison, a été éliminée sans gloire en Coupe d’Europe et n’a gagné que trois fois en 15 matches de championnat. Laszlo a aussi eu le tort de postuler officiellement pour le poste de coach national écossais. Et à la moindre occasion, il critique son patron, le richissime Lituanien Vladimir Romanov. Laszlo lui reproche de ne pas vouloir investir dans des renforts :  » J’ai remis à la direction une liste de transferts potentiels mais je vois que rien ne va arriver et on pourra jeter cette liste à la poubelle. Il faudrait peut-être que je gagne moi-même à la loterie pour offrir un bon attaquant aux Hearts ?  »

Ce trait d’humour est le dernier clou de son cercueil. En janvier 2010, il est viré au terme d’une réunion de deux petites minutes avec le bras droit du patron. Il avait signé pour trois ans, n’a tenu que la moitié et est aujourd’hui en procès avec le club car il veut davantage d’indemnités de licenciement.

Leçon tactique aux ignares écossais

 » Tout le monde joue en 4-4-2 dans le championnat d’Ecosse. Il n’y a aucune variété et c’est mauvais pour tout le monde. Pour le Celtic et les Rangers, par exemple : ils sont habitués à n’affronter que des adversaires disposés en 4-4-2, et quand ils rencontrent une autre occupation de terrain en Coupe d’Europe, ils sont perdus. Et c’est facile pour les adversaires car ils savent à quoi s’attendre. « 

Avec les Hearts, Laszlo pratique plusieurs systèmes et n’aligne régulièrement qu’un seul attaquant de pointe.  » Je ne compare pas mon équipe à Barcelone, mais ce club ne fait souvent jouer qu’une pointe et ça ne l’empêche pas d’être hyper offensif. Même chose au Bayern et dans d’autres grands clubs européens. Il faut varier, on ne peut pas se contenter d’apprendre un seul système aux jeunes. Avant l’arrivée d’entraîneurs étrangers comme Alex Ferguson, Rafael Benitez, Arsène Wenger ou José Mourinho, tous les clubs anglais jouaient en 4-4-2 et l’équipe nationale faisait la même chose. Ils ont provoqué un changement et tout le foot de ce pays a progressé.  »

Scot un jour, Scot toujours

 » Je suis passé par beaucoup d’endroits mais c’est en Ecosse que je me sens le mieux. Pour la première fois, j’ai l’impression d’être chez moi. En Roumanie, je me sentais étranger. En Allemagne aussi. Pas à Edimbourg. J’ai connu des derbies très chauds en Hongrie, entre Ferencvaros et Ujpest. En Allemagne aussi, avec les matches Mönchengladbach-Cologne. Mais celui d’Edimbourg, entre les Hearts et Hibernian, est un des plus beaux du monde parce que les supporters écossais se préoccupent plus de leur équipe que de leur famille. En Ecosse, il y a, dans l’ordre, le foot, les pubs, l’église, puis seulement la femme et les enfants. « 

Magic Man

 » Après mon passage en Ouganda, j’aurais dû être au Mondial à la tête de l’Afrique du Sud car ils avaient remarqué la qualité de mon travail. Mais j’avais donné ma parole aux Hearts.  » Csaba Laszlo a failli qualifier le nain ougandais pour la phase finale de la Coupe d’Afrique, une performance que ce pays n’a plus réussie depuis 1978. Il a aussi obtenu une victoire historique contre le grand rival nigérian. Et la presse ougandaise lui a donné le surnom de Magic Man.

Par Pierre Danvoye – Photos: Reporters/Walschaerts

Je n’ai jamais voulu lécher le cul de personne.

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