« J’aime être apprécié… J’ai ma fierté »

Couronné pour la deuxième fois Footballeur Pro, le lutin marocain a-t-il encore un avenir en Belgique ?

Que vous inspire le verdict du Footballeur Pro 2009 ?

Mbark Boussoufa : Je ne me serais nullement senti offusqué si j’avais dû me contenter d’une seconde voire d’une troisième place car Dieumerci Mbokani et Bryan Ruiz auront pesé de tout leur poids dans les résultats de leur club. Reste que pour eux comme pour moi, cette place sur le podium n’eût pas été possible sans le concours de nos coéquipiers. Cette distinction, c’est la leur aussi. De Davy Schollen à Tom De Sutter en passant par Jelle Van Damme, Jan Polak ou Lucas Biglia, tous ont leur part de mérite dans ce sacre…

Certains joueurs sont toutefois plus précieux à la bonne marche des événements que d’autres. Au niveau offensif, vous vous êtes érigé comme le Monsieur 50 % du RSCA ?

C’est peut-être réjouissant pour moi, mais c’est inquiétant pour Anderlecht. Un club de cette dimension ne peut être à ce point tributaire du rendement de l’un de ses joueurs. En tant que buteur-passeur, je me situe loin au-dessus des autres, c’est l’évidence. Dans le passé, je n’étais pas le seul à épouser ce profil ici. Des gars comme Nicolas Frutos, Mémé Tchité ou Ahmed Hassan y répondaient eux aussi. Vu notamment l’indisponibilité de l’Argentin, j’aurai été le seul rescapé de ce quatuor. Compte tenu de mes propres buts et assists, je pense avoir plutôt bien tiré mon épingle du jeu. Mais que serait-il advenu si le Sporting avait dû se passer de mes services, comme cela a été le cas avec d’autres ?

Quand Polak manquait à l’appel, l’équipe pouvait toujours compter sur l’apport physique de Van Damme dans les duels. Et lorsque Jonathan Legear cherchait son deuxième souffle, Thomas Chatelle était là pour le relayer. Chaque fois, une pièce du puzzle pouvait donc être remplacée par une autre qui s’imbriquait tout aussi bien dans l’ensemble. Je n’ai pas l’impression que le Sporting aurait trouvé la parade pour moi. Et ça doit quand même donner à réfléchir aux dirigeants.

 » Le Standard était mieux équilibré que nous « 

Avec Ruiz à vos côtés la saison prochaine, si vous demeurez à Anderlecht du moins, la pénétration offensive serait à coup sûr plus harmonieusement répartie, non ?

Toutes proportions gardées, bien sûr, je me retrouve dans le Bryan Ruiz de mes propres années à La Gantoise. Là aussi, j’influais largement sur les résultats grâce à mon total-buts de même qu’à mes passes décisives. Aucun joueur n’aura été plus décisif que lui à Gand cette saison. Mais, au risque de froisser certaines susceptibilités, il n’en va là que du sub-top belge, même si cette situation peut changer, dans les années à venir. A leur niveau usuel, dans la foulée des trois grands traditionnels, on retrouve toujours le même cas de figure, avec un joueur qui fait la différence. La preuve par Jaime Ruiz à Westerlo ou Franck Berrier à Zulte Waregem. Au sommet, cependant, j’estime qu’une répartition plus équitable s’impose. A cet égard, le Standard était peut-être mieux équilibré que nous cette saison. Quand Milan Jovanovic faisait défaut, c’était Igor de Camargo qui assurait la relève. Et quand celui-ci venait à manquer à l’appel, c’était Mbokani qui faisait la différence. Chez nous, il a fallu attendre la venue de Tom De Sutter au mercato pour disposer enfin d’une véritable solution de rechange à Frutos.

Vous venez de boucler votre troisième saison au Parc Astrid. Etait-ce la meilleure ?

Incontestablement. A mon arrivée, en 2006, j’ai eu besoin d’un temps d’adaptation. L’année passée, j’ai gagné en régularité mais je n’ai guère été performant lors des matches au sommet, à l’exception peut-être d’une prestation de haut vol contre les Girondins Bordeaux. Cette fois, je me serai signalé également à la faveur des grands rendez-vous du calendrier. J’ai été deux fois décisif contre le Club Bruges, en signant le 1-1 à l’aller et le 1-0 au retour. J’ai inscrit deux buts également lors de notre victoire 4-2 contre le Standard au stade Constant Vanden Stock. Et j’ai été à la base de succès très précieux contre Zulte Waregem et Westerlo, entre autres. Indépendamment de tous ces matches-là, je crois pouvoir dire aussi que j’ai été régulier dans toutes les autres circonstances. Excepté à Tubize ( il grimace). J’avais été gratifié à juste titre d’une note de 5 à cette occasion. C’était la plus basse de la saison. Pour le reste, je n’ai accumulé chez vous que des 6, des 7 et des 8. C’était peut-être contre des sans-grades mais, à mes yeux, le mérite est sensiblement le même car on doit faire face à des opposants des plus teigneux.

 » A partir de 3-0, je peux me lâcher « 

On a l’impression que vous avez souvent pris du plaisir sur le terrain cette saison. Surtout à domicile où vous vous êtes signalé quelquefois par des gestes techniques de la meilleure veine.

Quand je me sens bien et que l’équipe tourne, je prends vraiment mon pied sur le terrain. Et si le score l’autorise, je me permets alors l’une ou l’autre astuce. Comme contre Dender, quand j’ai déposé sur place trois adversaires en un seul mouvement. On menait 3-0 et plus rien de fâcheux ne pouvait nous arriver. A 1-0, je me serais évidemment abstenu parce qu’une perte de balle, dans l’axe, aurait pu avoir des conséquences fâcheuses. Cette discipline m’a été inculquée dès mon plus jeune âge. Lors de mes débuts à l’Ajax, un entraîneur m’a interdit de faire du show avant que l’équipe ne se soit assurée une marge de trois buts d’écart. Mine de rien, ça m’est resté. Et je m’y suis toujours tenu. Ariel Jacobs ne voit absolument pas d’inconvénient à ce que j’épate la galerie. Au contraire, il m’encourage à faire des trucs, comme lors des séances de préparation, à condition que je ne verse pas dans la provocation.

Où s’arrête le show et où commence la provocation ? Rester en équilibre sur le ballon, comme vous l’avez fait un jour en Coupe face à Genk, c’est plus que limite.

Il faut vous replacer dans le contexte de ce match. Quelques jours plus tôt, l’équipe s’était déplacée dans le Limbourg afin de donner la réplique aux Racingmen en championnat. Ce fut un match de muerte, placé sous le signe de duels au couteau et soldé par un nul : 1-1. J’avais même dû me faire apposer des points de suture au front suite à une intervention trop rugueuse d’un adversaire. Le hasard du calendrier a voulu que nous retrouvions le même Genk chez nous en Coupe de Belgique cette fois. Et, ce soir-là, nous avions pris une formidable revanche avec un 6-0 bien tassé. D’un bout à l’autre du match, nous nous étions alors régalés en dispensant un football de rêve, ponctué par des buts somptueux. Comme ce lob d’Ahmed Hassan des 40 mètres. C’était ni plus ni moins du football-champagne. Aussi loin que je me souvienne, jamais nous n’avions livré une performance aussi aboutie. Moi-même, j’éprouvais les meilleures sensations. A un moment donné, j’ai alors accompli ce geste, non pas pour me moquer de l’adversaire mais pour montrer qu’on était au-dessus de lui. Voilà pourquoi je m’étais fait un peu plus grand que d’habitude ( il rit). Après coup, Genk fut battu 5-0 à Mons. On était donc doublement gagnant.

 » Plonger dans les espaces, c’est mon arme principale « 

N’empêche, votre pote Wouter Vrancken n’avait pas apprécié ce comportement.  » S’il s’était amusé à ça devant moi, je l’aurais expédié dans la tribune « , avait dit l’ex-Genkois en substance.

C’est ce que les journaux ont rapporté. Au téléphone, il m’a juré qu’il n’avait jamais tenu des propos pareils. Je dis et je maintiens que je n’ai pas voulu me moquer de l’adversaire. Je tenais tout simplement à lui montrer qu’on était les meilleurs. Et que j’étais moi-même intouchable. Cette saison, j’ai ressenti exactement la même chose face au Standard. Absolument tout me réussissait. Deux buts, un assist, rien ne pouvait m’arrêter. Et sûrement pas Eliaquim Mangala qui avait été commis à ma garde. Ce n’était pas un cadeau, pour lui, de devoir jouer contre moi. D’autant plus que l’entraîneur venait alors tout juste de procéder à une retouche de son système, puisque le 4-3-3 du début de saison avait fait place contre Charleroi, une semaine plus tôt, à un 4-2-3-1 où je peux permuter à ma guise de l’aile gauche vers une position plus centrale, en soutien immédiat de De Sutter. Face aux Rouches, ces changements incessants furent toujours très judicieux. Sans compter aussi que j’ai souvent plongé à bon escient dans les espaces qui s’ouvraient devant moi. Je pense qu’au-delà de mes aptitudes, c’est là mon arme principale : je sens comme nul autre quand je dois plonger dans les lignes adverses.

Aux dires de Jacobs, vous vous êtes bonifié cette saison en devenant plus décisif dans les grands matches. Mais vous devez encore apprendre à être constant tout au long d’un match.

Je veux bien, mais citez-moi un joueur qui est constant ou déterminant d’un bout à l’autre d’un match ? Moi, je n’en vois aucun. Ca voudrait dire que pendant 90 minutes, ce gars-là monopoliserait le ballon. Alors, je pose la question : quid de ses coéquipiers ? Et quid surtout de l’adversaire ? Ils serviraient à quoi tous ceux-là ? A regarder l’autre s’amuser balle au pied ? Même Lionel Messi n’arriverait pas à griffer un match de la sorte. Alors, pensez si j’en suis incapable moi-même. De toute façon, on en revient à mes considérations du début : être davantage qu’un Mister 50 % pour Anderlecht, ce ne serait franchement pas l’idéal pour le club. Et puis, tout joueur est dépendant du rendement de ses partenaires. Quand quelques-uns manquent et que d’autres sont aux abonnés absents, il est difficile de faire la différence. La preuve par notre match à Mouscron où nous avons dû pour la toute première fois nous débrouiller sans le concours de De Sutter et de Biglia. Résultat des courses : nous n’avions pas de point d’ancrage devant et pas de joueur capable, comme l’Argentin, de conserver le ballon dans l’entrejeu. Nous l’avons payé cash en perdant deux points précieux. Tout le monde s’est cherché dans cette rencontre, moi y compris.

 » A Tubize, on a joué comme des oiseaux sans tête « 

Ces unités perdues auront quand même moins pesé lors du décompte final que celles gaspillées à Tubize ?

Oui, vous avez tout à fait raison. Si nous devons avoir des regrets, ce n’est pas par rapport à nos défaites à domicile contre Lokeren ou le Cercle, où nous avions bien joué, mais plutôt pour ce qui s’est passé chez les Sang et Or. Aujourd’hui encore je me demande comment une équipe aussi expérimentée que la nôtre a pu passer à un tel point à côté de son sujet. En première mi-temps, il n’y avait pas grand-chose à redire. Nous nous étions alors créé quelques belles opportunités. Après le repos toutefois, nous n’avons plus eu voix au chapitre. Au lieu de poser calmement le jeu, comme durant les 45 premières minutes, nous avons versé dans la précipitation. A mesure que les minutes s’égrenaient, nous courions hors position. Finalement, il est très heureux que nous ayons réussi à arracher in extremis le partage.

Dans un match pareil, n’est-on pas en droit d’attendre un coup de patte d’un joueur comme vous ?

Désolé, mais même Maradona n’aurait pas pu plier le match en notre faveur ce soir-là. Pour se tirer d’affaire, il aurait eu besoin des autres. Personne ne répondait à l’attente. Quoique je le dise moi-même, je ne me suis pas caché un seul moment au stade Leburton. Je suis même allé chercher des ballons chez Olivier Deschacht. Et chaque fois que j’ai essayé de solliciter un partenaire, c’était peine perdue. La plupart couraient comme des oiseaux sans tête. Après l’entrée de Sacha Iakovenko à la place de De Sutter, j’ai été amené à moins switcher à l’avant, vu que tout le monde, chez nous, devait quadriller sa zone suite à l’exclusion de Polak. Hormis un tir en fin de partie, j’ai conscience d’avoir peu apporté.

 » Je suis passeur à gauche et buteur au centre « 

Toujours d’après Jacobs, les discussions vont bon train quant à savoir quelle est votre meilleure place sur le terrain. Vous prétendez que c’est dans l’ombre de l’attaquant de pointe, tandis que l’entraîneur soutient que la plupart de vos assists sont délivrés de la gauche.

Chacun sa vérité. L’entraîneur a sans doute raison pour ce qui est des assists. En ce qui concerne les buts, à l’exception de ceux que j’ai marqués sur coup franc, j’ai toujours scoré depuis une position axiale. C’était le cas au Club Bruges, contre le Standard et Westerlo à domicile et à Courtrai, notamment. Je crois que l’idéal, pour moi, est de jouir d’un rôle libre qui me permet de me déplacer de l’axe vers l’aile gauche et vice-versa. Je pourrais le faire à droite aussi, comme en équipe nationale, où j’évolue de ce côté. Mais ce ne sont pas les possibilités qui manquent avec Legear, Chatelle, Iakovenko, Stanislav Vlcek ou Guillaume Gillet. A choisir, de toute façon, je préfère la gauche où j’ai la possibilité, à partir de mon bon pied, de délivrer des centres qui aboutissent derrière la défense adverse. En position axiale, il est plus difficile de fournir des passes décisives. La raison est simple : Anderlecht ne dispose plus d’un élément explosif, comme Tchité, qui pouvait profiter de son démarrage et de sa vitesse pour faire mouche. Le seul qui s’en rapproche est Legear, mais il n’évolue pas en pointe. De toute façon, trouver l’ouverture est difficile, à ce niveau, face à des défenses regroupées. Seul le Barça y arrive mais il dispose bien sûr d’un trio d’exception aux avant-postes avec Thierry Henry, Samuel Eto’o et Messi soutenus par des régisseurs incroyables comme Xavi et Andrès Iniesta.

Schématiquement, vous êtes donc passeur à gauche et buteur au centre. Avec une prédilection pour ce dernier rôle ?

Je pense être plus utile au collectif en opérant dans l’axe. A gauche, je ne suis d’aucune utilité lorsque l’équipe n’est pas dans un bon jour. Tout simplement parce que les ballons ne me parviennent pas. Ce n’est pas faute de me démener, c’est la vérité. Dès lors, je râle un peu lorsque j’entends certains commentaires selon lesquels on ne m’a pas vu sur le terrain, comme chez nous contre Mons ou à Malines par exemple. En Belgique il en va toujours ainsi : quand on est invisible face à une équipe moyenne ou faible, on est automatiquement crédité d’un mauvais match, surtout quand on s’appelle Boussoufa. Moi, j’estime que si on me met au numéro 10 dans ces matches, je serai automatiquement plus performant vu que j’hériterai plus souvent du ballon et que je pourrai en faire un meilleur usage en alertant l’un ou l’autre partenaire ou en plongeant dans les espaces. Quand tout est cadenassé, ce n’est pas moi qui ferai la différence dans les duels. Ce constat ne date pas d’hier. Chez les jeunes, à l’Ajax, un de mes entraîneurs m’avait d’ailleurs prévenu en ce sens : -Si tu t’imposes, ce sera par ta vivacité et tes déplacements sans le ballon et pas par ton gabarit. Et il n’avait pas tort.

par bruno govers – photos: reporters

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