« J’ai vu des Mauves chialer »

Il détaille ce qui lui est passé par la tête pendant sa blessure. Et celle de quelques coéquipiers durant la petite crise…

Un double  » crac  » dans la cheville, début octobre, à l’échauffement contre l’Olympiacos, un ligament partiellement déchiré. Le destin.  » Un mouvement comme j’en fais des centaines chaque semaine, mais là, mon pied est resté bloqué dans le sol « , rappelle Silvio Proto. Douleur intense et une indisponibilité directement estimée à plusieurs semaines. Aujourd’hui, son retour s’annonce imminent. La période délicate des Mauves, les résultats décevants en championnat, les claques à domicile en Ligue des Champions, les torrents de critiques, il a vécu tout cela depuis la tribune,  » un endroit où tu te sens un peu inutile.  » Son état d’esprit ? Comment il a vu souffrir tout un club ? Le meilleur gardien de D1 s’installe sur le divan. Interview psycho.

Il y a un accompagnement mental particulier pour les blessés dans un club comme Anderlecht ?

Silvio Proto : Le club n’a pas un spécialiste dans ce domaine. Mais tout le monde s’y met pour regonfler les joueurs inactifs : les coaches, l’entraîneur des gardiens, les médecins, les kinés. C’est important parce que tu souffres dans la tête quand tu es blessé. Tu es dans le groupe sans y être, tu bosses comme les autres mais tu dois passer à autre chose quand les joueurs valides entrent dans la préparation spécifique du match qui suit. Tu as plus de séances, et elles sont généralement plus longues, alors que tu n’as pas la récompense au bout de la semaine. Ce n’est pas spécialement gai non plus quand tes copains quittent le vestiaire pour aller sur le terrain d’entraînement alors que toi, tu es condamné à rester en salle de musculation. Pendant un mois, j’ai été privé de terrain. Ça semble une éternité. Après cela, j’ai dû tout réapprendre, étape par étape : d’abord marcher normalement, ensuite courir, sauter, sprinter. Et pour finir, le palier le plus douloureux : shooter à nouveau.

Certains footballeurs se font aider à l’extérieur de leur club, ils ont leur propre psy. Pas toi ?

Non, je n’en ai jamais ressenti le besoin. Mon seul  » psy « , c’est ma femme. Elle suit une formation en coaching mental (avant de se lancer dans l’hypnothérapie !), elle m’apprend des trucs qui m’aident à certains moments alors qu’au départ, j’étais sceptique.

 » Troost et Desmadryl, deux méthodes différentes  »

En fin de saison dernière, le club avait engagé John Troost, un coach mental, pour vous relever au moment des play-offs. Et ça avait marché. Tu y crois ?

C’étaient surtout des trucs tape-à-l’oeil, je ne suis pas trop fan. Crier et tout ça, ce n’est pas mon style. Mais on doit reconnaître que ses méthodes ont eu du bon puisque l’équipe a fini par gagner le championnat. C’est sans doute en partie grâce à lui que les joueurs ont repris confiance.

Quels exercices t’ont marqué ?

Serrer très fort la main, se mettre en rond au milieu du terrain, je ne trouve pas cela très utile. Par contre, j’ai été marqué positivement par ses séances avec des groupes de quatre joueurs. Chacun devait citer les qualités qu’il trouvait chez les trois autres. Quand des coéquipiers te disent, les yeux dans les yeux, que tu as tel et tel point fort, ça t’amène de la confiance. Maintenant, c’est clair que tout le monde n’était pas convaincu et ne l’est toujours pas. Il y a plusieurs catégories de  » patients  » à la base : ceux qui y croient d’office, ceux qui se posent des questions mais acceptent d’essayer les méthodes, ceux qui restent bornés et maintiennent que ça ne servira de toute façon à rien.

Troost travaillait comme Johan Desmadryl, le psy de Frankie Vercauteren ?

Non, les deux méthodes sont fort différentes. Avec Desmadryl, on faisait surtout des exercices qui ne me plaisaient pas. Essentiellement des jeux. Ou un pique-nique dans le rond central, la veille de certains matches. Ça peut étonner, non ? (Il rigole). Je n’étais pas plus fan des chants, des danses et des petites pièces de théâtre qu’on nous imposait. Je vois encore Ahmed Hassan sortir son GSM pour prendre des photos. Il n’en revenait pas. Il nous a dit : -On est où ? C’est quoi ce cirque ? Par contre, quand Desmadryl nous emmenait à la mer pour faire des compétitions de course à pied, vélo et kayak par groupes de trois, je trouvais ça intéressant.

 » Van den Brom a essayé de rester zen mais je voyais qu’il souffrait  »

John van den Brom s’est fait démolir pendant le récent passage à vide d’Anderlecht. Les joueurs ont remarqué qu’il souffrait ?

Il a toujours essayé de rester zen devant le groupe mais en l’observant depuis la tribune, j’avais l’impression qu’il portait un poids, qu’il était plus nerveux à l’intérieur, que les critiques l’atteignaient. C’est difficile de rester toi-même quand tu es autant critiqué. Mais bon, il n’y a qu’aux personnes importantes qu’on met de la pression. Si tu as ton petit boulot tranquille, personne ne va t’ennuyer.

Il vous a parlé de ses soucis ?

Jamais. Mais quel entraîneur le fait ? Chacun réagit à sa façon quand ça chauffe. Ariel Jacobs était hyper calme et posé dans la vie, mais une fois sur le terrain d’entraînement, pendant les périodes difficiles, il devenait plus nerveux. Il faut dire qu’il avait deux fois plus de pression que John van den Brom. Et qu’il a été beaucoup plus critiqué.

Van den Brom est le prototype du Hollandais sûr de lui qui a ses idées et n’en dévie pas, quels que soient les résultats et les critiques ?

Pas du tout. Il écoute beaucoup. Son staff mais aussi les joueurs. Si on trouve que quelque chose n’est pas bon, on lui en parle, il pèse le pour et le contre, puis il prend une décision. Ce n’est pas son genre de dire : -Je détiens la vérité, vous vous trompez. Il fait sa théorie d’avant-match puis nous demande ce que nous en pensons. Donc, c’est normal qu’il n’ait pas apprécié qu’un joueur critique sa tactique après le match à Benfica. Parce que cette occupation de terrain avait été validée par tout le groupe.

Il n’a jamais pété un plomb ?

Non. Pas encore. Il sait que ce n’est de toute façon pas la bonne méthode avec un groupe jeune. Si tu cries sur un gamin, tu prends le risque qu’il se paralyse.

Tu as connu des entraîneurs qui faisaient peur ?

Frankie Vercauteren criait de temps en temps. Ariel Jacobs était encore plus réactif. Albert Cartier pouvait aussi s’énerver assez fort. Mais le sommet, c’était Daniel Leclercq à La Louvière. Il faisait même peur à des gars qui avaient 20 ans d’expérience.

 » Nos jeunes ne parlent que de foot. Les plus âgés abordent tout, sauf le football  »

Il y a un an, vous montiez sur le terrain en sachant que vous alliez tout gagner. C’est différent cette saison. Ça modifie l’ambiance dans le groupe ?

Il y a un changement d’ambiance mais il s’explique surtout par l’âge moyen du noyau. Les sujets de conversation ne sont plus les mêmes. Les jeunes parlent de foot, de foot, encore de foot, ils sont à fond dedans : -Tu as vu Ronaldo ? Et tchic, et tchac ! Quand on a un certain âge, on prend du recul et on n’aborde pratiquement plus le football. Les joueurs plus âgés discutent par exemple de ce qu’ils aimeraient faire après leur carrière. Il y en a beaucoup qui aimeraient faire des affaires… Tout le monde voudrait devenir businessman et gagner beaucoup d’argent…

Tu as parfois côtoyé des joueurs en pleine déprime, au fond du trou, en pleurs ?

J’en ai vu qui souffraient énormément, c’est sûr. Et qui avaient des réactions incroyables. Je pense à Ronald Vargas. C’est terrible, ce qu’il a traversé : une grave blessure, il revient, une autre grosse blessure suit directement. On écrit qu’il a joué deux matches en trois ans. Ce n’est pas tout à fait faux mais ça fait mal. Il faut être costaud pour encaisser. Sur le plan mental, je n’ai pas rencontré un coéquipier plus fort que lui. J’en ai aussi vu pleurer, et pas des plus tendres ! Marcin Wasilewski le jour où il s’est cassé la jambe. Pourtant, lui, il savait rester trois minutes dans un bain glacé, avec la tête sous l’eau !

Tu en as vu qui se laissaient aller dans des périodes où ça n’allait pas ?

Oui, et c’est normal. Je trouve compréhensible qu’on lâche un peu prise, par moments, pendant une longue rééducation. Un staff médical en tient compte, il offre de temps en temps trois ou quatre jours de congé quand il voit qu’un joueur a besoin de se changer les idées pour être reboosté.

Tu croises des footballeurs en difficulté qui se raccrochent à la religion ?

Oui. Vargas par exemple. Il a une famille extraordinaire, ses parents sont souvent en Belgique. Ce sont des gens fort croyants, on a l’impression que pour eux, la religion est une issue dans les moments délicats.

La religion occupe une place importante dans votre vestiaire ?

Pour certains joueurs, oui. Le plus croyant de tous les gars avec lesquels j’ai joué, c’est Cheikhou Kouyaté. Il est le prototype du musulman ouvert. Il sort parfois son tapis pour aller prier dans le vestiaire d’à côté, il fait le ramadan mais il n’ennuie personne avec ça et tout le monde le respecte.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » On devait pique-niquer dans le rond central, chanter, danser, faire du théâtre. Hassan a dit : -On est où ? C’est quoi ce cirque ?  »

 » Mentalement, je n’ai jamais vu plus fort que Vargas.  »

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